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Centre d’information et d’études sur les migrations internationales

Exilés au départ de l'île grecque de Lesbos vers des centres d’accueil et d’identification - © Le Point

Panorama des migrations internationales en 2020

Aucune leçon tirée de la crise sanitaire

Chaque année apporte son lot de « crises » mondiales : économique, écologique, financière, politique ou migratoire. À chaque fois que le terme « crise » est évoqué, référence est faite à des événements considérés comme nuisibles et imprévisibles, qui mettent en lumière la fragilité et l’inadéquation des structures créées pour les gérer. Or, très souvent, il ne s’agit pas de phénomènes « inédits », mais déjà bien ancrés et connus depuis de nombreuses années, qui continuent de faire l’objet d’une prise en compte et d’un traitement inappropriés, voire, parfois, contreproductifs.

Le panorama migratoire de 2020, en plus d’un confinement mondial qui a touché plus de 4,5 milliards de personnes dans 110 pays en raison de la pandémie de Covid-19, n’a pas dérogé à ce constat : les décisions, orientations et politiques migratoires ont continué de suivre un schéma ancien, qui s’est pourtant révélé peu pertinent, les migrants en tant que tels étant de facto la dernière préoccupation derrière les choix effectués.

Les pays d’immigration, qui appartiennent à ce que l’on nomme communément le « Premier monde », caractérisé par sa richesse, sa sécurité et sa démocratie avancée, sont désormais devenus un modèle pour les autres États quant au traitement des « migrants indésirables », les pays du « tiers monde » employant eux aussi des expressions comme « identité nationale », « migration subie », « éléments étrangers perturbateurs », « préférence nationale », etc. Parmi les « acquis » mondiaux en matière de politique migratoire figurent les tendances consistant à : 1) faire augmenter indéfiniment le nombre des migrants sans-papiers ; 2) éviter toute mesure en faveur des migrants afin d’empêcher (bien que vainement) des « appels d’air » qui encourageraient la migration massive d’une main-d’œuvre peu qualifiée ; 3) vouloir filtrer ou sélectionner les étrangers sur la base du revenu et des exigences qui émergent du marché national du travail (quotas, etc.) ; 4) « payer » – coûte que coûte les pays d’origine et de transit dans le but qu’ils retiennent, détiennent ou reprennent les migrants indésirables ; 5) rejeter sur les autres pays ou sur une fantomatique « communauté internationale » la responsabilité des échecs nationaux dans le domaine de l’immigration ; 6) isoler les « migrants à problème » en les concentrant dans des lieux fermés ; 7) présenter aux yeux de l’opinion publique des mesures « symboles » d’une maîtrise purement apparente des flux migratoires telles que des « murs » aux frontières, des renvois musclés, des ports fermés, etc.

À ces tendances qui ont trait aux politiques migratoires, s’ajoutent celles relatives aux politiques d’intégration, mondialement caractérisées par : 1) l’obligation de tests à l’entrée pour les migrants ne jouissant pas de facilités de par leur origine nationale ou leur revenu (contrats d’intégration, permis à points, etc.) ; 2) l’invitation (via des subventions) à s’investir dans des activités culturelles ou ludiques censées apaiser les tensions sociales (théâtre, sport, cuisine, informatique, réseaux sociaux virtuels) ; 3) la formation en vue de l’appropriation personnelle de valeurs telles que la bonne gestion de l’argent, l’émancipation féminine, la laïcité, la capacité d’entreprendre, etc.

Les pays riches et sûrs disent « ne plus pouvoir accueillir »1 Expression parmi les plus répétées même en 2020 par les représentants des autorités publiques de nombreux pays au sujet des « migrants », des demandeurs d’asile et des réfugiés. Elle a été reprise, par exemple, au Forum de Davos en janvier, à la frontière gréco-turque à Evros en mars, à Londres, en mai, par la ministre de l’Intérieur britannique Priti Patel en relation avec les arrivées clandestines via la Manche, et encore dans les îles de Lesbos et de Lampedusa au mois de juillet par les municipalités locales, etc., mettant en avant le nombre de citoyens pauvres touchés par le chômage et/ou des problèmes sociaux. L’on constate aujourd’hui, comme par le passé, qu’il n’existe pas de volonté internationale visant un véritable développement des pays, la jouissance universelle des droits fondamentaux, la fin des camps d’enfermement pour les migrants, le dialogue social et interculturel.

Pire, la crise sanitaire du Covid-19, au lieu de faire réfléchir sur les inégalités et les déséquilibres qui accompagnent l’évolution de l’humanité, semble être en train de renforcer la tendance, qui n’est pas récente, vers un repli national et ethnique. Dans ce contexte, les migrants jouent le rôle qui leur a toujours été attribué dans de telles conjonctures : à la fois boucs émissaires et ressources inépuisables pour la survie de millions de personnes privées de perspectives économiques.

Ces considérations serviront de trame de fond à l’exposé succinct de la situation migratoire mondiale en 2020, présenté ci-après. Après un bref aperçu statistique, nous passerons en revue les événements marquants de cette année par continent et nous nous focaliserons ensuite sur l’impact qu’a eu et continue d’avoir la crise sanitaire sur les migrants et les immigrés.

Bref aperçu statistique

Selon les données recensées par l’ONU, la proportion d’immigrés réguliers enregistrés dans les statistiques officielles des pays membres de cet organisme demeure relativement constante. Chaque année, ce chiffre reste compris entre 2,8% et 3,5% de la population mondiale ; il s’élèvera à la fin de 2020 à 277 millions d’« immigrés ».

Beaucoup de migrants échappent à ce recensement, notamment les sans-papiers2 Nous préférons utiliser le terme « sans-papiers » plutôt que d’autres considérés comme équivalents tels qu’« irrégulier » ou « clandestin ». Bien que leur signification les rendent presque synonymes, le premier a une acception plus « existentielle », qui fait référence à des conditions de vie quotidienne très précaires et vulnérables du fait qu’ils sont considérés comme des « sans-droits » exposés au risque du renvoi. ainsi que les naturalisés. Les descendants d’immigrés, bien que partageant dans la plupart des cas des situations et des problématiques liées au passé migratoire de leur famille, ne sont pas, à juste titre, comptabilisés parmi la population immigrée.

Si nous voulons identifier les mouvements de population récents les plus significatifs, nous pouvons calculer les flux migratoires à partir des stocks détaillés d’immigrés fournis par l’ONU. Il suffit, en effet, de noter les variations intervenues entre les différents recensements, les dernières données disponibles étant celles de 2019. Parallèlement, pour comprendre les raisons de ces flux, il nous semble tout d’abord opportun d’avoir présent à l’esprit à la fois le cadre actuel des crises humanitaires mondiales et les lieux où se situent les plus importants réservoirs de main-d’œuvre internationale.

En ce qui concerne les crises humanitaires, au cours des dernières années, nombre de conflits pour le contrôle des matières premières (maquillés en luttes politico-ethniques) et de catastrophes environnementales ont frappé certaines aires géographiques de la planète, en contraignant des centaines de milliers de personnes à se déplacer. C’est ainsi qu’aujourd’hui, en Syrie, la guerre est loin d’être terminée et le pays enregistre encore d’importants départs. Au Venezuela, l’économie demeure paralysée et souffre également d’une pénurie de carburants. En Birmanie et au Bangladesh, la condition des Rohingyas, apatrides indo-aryens ayant fui la persécution menée dans l’état birman d’Arakan pour se réfugier dans la région bengalaise de Cox’s Bazar, reste critique. Au Yémen, l’affrontement armé entre les insurgés pro-Iraniens Houthis et l’Arabie Saoudite se poursuit depuis 2015 et devient de plus en plus violent, mettant dans l’embarras la diplomatie internationale. Au Soudan du Sud, jeune État riche en pétrole né après une guerre d’indépendance de plus d’un demi-siècle, la lutte entre les ethnies dinka et nuer, les sécheresses et le manque d’infrastructures contraignent des millions d’habitants à chercher refuge ailleurs. La Somalie, meurtrie par les groupes terroristes chebabs issus de l’« Union des tribunaux islamiques », est également victime de sécheresses et d’inondations qui ont mis à mal les faibles structures du pays. En Centrafrique, pays dont le sol est extrêmement riche en matières premières (diamants, or, pétrole, uranium), plus de 80% du territoire est à la merci de différents groupes armés, tandis qu’un quart de la population est composé d’exilés. Au Burundi, les milices dites « Imbonerakure » du président Pierre Nkurunziza, qui s’est octroyé un troisième mandat, sévissent dans les villes d’un pays qui connaît un exode croissant vers la Tanzanie et le Rwanda. Au Nigeria, où 43% des habitants vit avec moins d’un euro par jour, plusieurs conflits créent insécurité et instabilité économique : au Nord-Est, dans l’État du Borno, le groupe armé Boko Haram est encore très actif malgré quelques revers militaires ; dans la région du Middle Belt, les tensions entre les agriculteurs et les éleveurs sont de plus en plus fortes ; et dans le sud, le Biafra a encore des rêves d’indépendance. Dans la région de l’ancien royaume du Gourma, entre le Mali, le Niger et le Burkina Faso, des groupes criminels armés (islamistes) sont en conflit pour mettre la main sur les richesses du sous-sol, et tuent de nombreux civils, entraînant la migration de milliers de familles. Enfin, dans la République démocratique du Congo, plusieurs foyers de guérilla sont actifs au Kasaï, au Kivu et au Katanga ; les répercussions de l’insurrection du Kasaï contre l’ancien président Joseph Kabila en 2016-2017 sont à l’origine d’un exode constant depuis ces régions.

Ces aires géographiques ne sont que les principales zones d’instabilité économico-politique dans le monde, la liste étant beaucoup plus longue. Si les conflits et les crises environnementales produisent des mouvements massifs de population, les besoins de travailleurs pour certains secteurs fondamentaux de l’économie, désertés par la main-d’œuvre locale, entraînent un flux régulier de personnes d’une aire géographique à une autre. Ainsi, pour alimenter l’économie des riches pays du Golfe arabo-persique, ou bien des « tigres asiatiques » que sont la Malaisie, Singapour, Taïwan, Macao et Hong-Kong, des millions de migrants quittent leur pays en Asie du Sud, en Asie du Sud-Est et sur la côte orientale de l’Afrique. L’Europe de l’Est est, en revanche, la principale pourvoyeuse actuelle de travailleurs pour les économies « avancées » de l’Union européenne. De leur côté, les États-Unis attirent toujours des migrants venant de toute la planète, bien que dans une moindre mesure par rapport aux années précédentes.

Au vu de ces considérations, en haut du classement statistique des migrants partis à l’étranger au cours des quatre dernières années nous trouvons : 1) les Syriens (presque 2 millions depuis 2016, après le grand exode de 2015) ayant cherché refuge surtout en Turquie et au Liban ; 2) les Vénézuéliens (1,8 million) partis notamment en Colombie et au Pérou ; 3) les Indiens (1,6 million) travaillant principalement dans les Émirats arabes unis et aux USA ; 4) les Soudanais du Sud (1,5 million) que l’on retrouve majoritairement en Ouganda et au Soudan ; 5) les Birmans (860 000), dont nombre de Rohingyas, exilés au Bangladesh et en Thaïlande ; 6) les Chinois (570 000) ayant migré surtout aux USA et à Hong-Kong ; 7) les Bengladais (530 000) surtout en Inde et en Arabie Saoudite ; 8) les Indonésiens (451 000) présents en grand nombre sur les chantiers d’Arabie Saoudite et de Malaisie ; 9) les Polonais (443 000), essentiels aux activités économiques en Allemagne et au Royaume-Uni ; et 10) les Philippins (430 000), éparpillés dans tous les pays du « Premier monde », principalement en Amérique du Nord et en Arabie Saoudite.

Plusieurs phénomènes relativement nouveaux émergent des données onusiennes, confirmés en partie par celles d’autres organismes internationaux tels que la Banque mondiale et l’OCDE. Par rapport aux années antérieures à 2016, les Roumains sont beaucoup moins nombreux à migrer, tandis que dans la même région les migrants bulgares, majoritairement des femmes (57%), se déplacent fortement. En Afrique du Nord, seule l’Égypte montre un flux migratoire important (330 000), tandis que, de son côté, le Maghreb voit diminuer sensiblement les départs. Au cours des quatre dernières années, le Mexique et le Rwanda ont assisté au retour d’une large partie de leur diaspora (respectivement 227 000 et 107 000 personnes). Notons, en outre, que plusieurs pays du « Premier monde » présentent un flux croissant d’émigrants : c’est le cas notamment de l’Italie (385 000), en nette augmentation depuis 2010, de l’Allemagne (258 000) et du Royaume-Uni (247 000). La France occupe la 37ème place du classement (162 000), les Français s’établissant prioritairement dans les pays frontaliers (Espagne et Belgique en premier), parfois en quête d’environnements ensoleillés et de pays au pouvoir d’achat attractif.

Parmi les migrants, certains sont classés par le Haut Commissariat des nations unies pour les réfugiés (HCR) comme étant des « migrants forcés », qui ne sont pas tous comptabilisés parmi les 277 millions d’individus recensés par l’ONU. Selon le HCR, à la fin de 2019 les « migrants forcés » étaient 79,5 millions, subdivisés en cinq catégories : 1) les réfugiés, au sens de la définition donnée par la Convention de Genève de 1951 (20,4 millions, dont 85%, étaient originaires de Syrie, du Soudan du Sud, d’Afghanistan, de Birmanie, de Somalie, de la République démocratique du Congo, du Soudan, de la République centrafricaine, du Burundi et de l’Érythrée ; 2) les réfugiés palestiniens (5,6 millions), sous l’égide de l’UNRWA (Office de secours et de travaux des Nations unies pour les réfugiés de Palestine dans le Proche-Orient) ; 3) les personnes déplacées à l’intérieur de leur pays (47,5 millions, dispersées dans 33 pays, notamment en Colombie, en Syrie, en République démocratique du Congo, au Yémen, en Somalie, en Afghanistan, au Nigeria, au Soudan, en Éthiopie et au Soudan du Sud) ; 4) les demandeurs d’asile (4,2 millions, provenant pour une large majorité du Venezuela, d’Irak, d’Afghanistan, du Salvador, du Honduras, du Guatemala, de Syrie, de la République démocratique du Congo, du Nigeria, de Chine et du Mexique) ; 5) les Vénézuéliens « déplacés à l’étranger », une toute nouvelle catégorie3 Comme l’affirme le dernier rapport annuel du HCR. Cf. UNHCR, Global Trends. Forced Displacement in 2019, Genève, 2019, p. 8. créée pour les migrants contraints de quitter massivement le Venezuela et dont le « statut » n’est pas encore individuellement défini (3,6 millions).

La provenance de ces migrants forcés nous permet d’en déduire que tous ne fuient pas seulement des guerres ou des catastrophes, mais aussi des dictatures et des pays où règnent l’insécurité et la corruption.

Trois quarts de ces migrants forcés vivent dans une dizaine de pays d’accueil (Turquie, Pakistan, Ouganda, Allemagne, Soudan, Liban, Bangladesh, Éthiopie, Jordanie, République démocratique du Congo), presque toujours des pays limitrophes. En Europe, les nations les plus « accueillantes » sont actuellement l’Allemagne, la France, la Suisse et la Roumanie, tandis que le pays qui compte le plus de réfugiés, à savoir la Turquie, ne reconnaît cette « qualité » qu’aux ressortissants des pays membres du Conseil de l’Europe, dont la Syrie ne fait pas partie4 Cf., par exemple, BLÉZAT, Mathilde. « Turquie : le HCR contre les réfugiés ? », Plein droit, vol. 90, no. 3, 2011, pp. 17-20.. Enfin, si l’Afrique subsaharienne n’est pas très présente dans les statistiques de la migration en général, elle est surreprésentée dans les chiffres de la migration forcée.

Événements migratoires marquants en 2020 dans le monde

En matière de migrations, le climat politique mondial est toujours influencé par les images de la « crise migratoire » de 2015, des traversées périlleuses de la Méditerranée et du Sahara, et des convois partis d’Amérique centrale pour rejoindre les États-Unis. En période de conjoncture économique défavorable, les actes terroristes et le mécontentement populaire contribuent également à alimenter la xénophobie. Dans ce contexte, les deux Pactes mondiaux sur les migrations (« Pacte mondial pour des migrations sûres, ordonnées et régulières ») et sur les réfugiés (« Pacte mondial sur les réfugiés »), élaborés et signés en 2018 par de nombreux pays, rencontrent beaucoup de difficultés sur le plan de l’acceptation effective et de l’application, et font l’objet de nombre d’interprétations ambiguës. Le choix d’opérer un distinguo entre « migrants » et « réfugiés » constitue une erreur stratégique, cautionnant ainsi une pensée largement répandue selon laquelle les réfugiés « mériteraient » d’être accueillis, tandis que les migrants « n’auraient pas vocation » à entrer ou à s’installer dans d’autres pays.

Dans le cadre du « processus de concrétisation » du Pacte mondial sur les réfugiés, s’est tenu, les 17 et 18 décembre 2019 à Genève, le premier « Forum mondial sur les réfugiés », un événement censé se tenir tous les quatre ans, et organisé pour l’occasion par cinq pays accueillant beaucoup de migrants forcés : l’Allemagne, le Costa Rica, l’Éthiopie, le Pakistan et la Turquie. Dans son discours de bienvenue, le Haut commissaire du HCR, Filippo Grandi, a été très clair dans son constat, en affirmant que : « Au niveau mondial, la réponse internationale aux réfugiés a été fragmentaire et déséquilibrée. Le partage des responsabilités le fondement de notre système moderne de protection des réfugiés est remplacé dans les pays disposant de plus de ressources par une responsabilisation des pays moins capables de faire face à la situation. Ainsi, les réfugiés sont également mis à l’écart, relégués aux marges, souvent dans des camps, coupés de la vie sociale et économique des communautés qui les accueillent. L’aide humanitaire est utile et reste vitale, mais elle n’est ni suffisante ni adéquate pour transformer le désespoir en espoir ». En dépit de cette annonce, le Forum s’est parfois transformé en un « règlement de comptes » entre pays, entre la Turquie et l’Union européenne et entre le Pakistan et l’Inde. Plus de 700 « promesses d’engagement » ont été formulées par différents organismes, États et entreprises pour l’intégration des réfugiés, insistant sur des initiatives culturelles : langue, spectacle, théâtre, sport et capacity building.

Début 2020, sur un autre front, plus strictement économique, la Banque mondiale faisait état du record absolu en 2019 du montant global des transferts de fonds des migrants, s’élevant au chiffre faramineux de quelque 500 milliards d’euros, soit (pour la première fois) plus que le total des investissements directs des entreprises étrangères dans les pays à bas et moyens revenus, ce qui équivaut à trois fois l’aide publique au développement, ou bien à presque la même somme que celle prévue par le « Mécanisme européen de stabilité » pour faire face aux conséquences économiques de la pandémie de coronavirus. Selon l’OCDE, à côté de ce flux financier officiellement généré par les migrants, il faudrait ajouter pas moins de 35% de fonds supplémentaires envoyés par les canaux informels. Les cinq plus grands pays bénéficiaires de cette manne sont l’Inde, la Chine, le Mexique, les Philippines et l’Égypte.

Les perspectives optimistes d’augmentation de l’apport économique des migrants à leur pays d’origine et les espoirs d’accords internationaux sur le partage des responsabilités face aux flux migratoires de type « humanitaire », se sont trouvées anéanties en 2020 par la crise sanitaire, que nous examinerons plus loin. Dans les paragraphes qui suivent, nous ferons volontairement abstraction des conséquences de la pandémie sur les migrants, pour y revenir dans une partie spécifique.

Asie

Si d’une manière générale les gouvernements cherchent à mettre un frein à l’immigration, ce n’est pas le cas actuel du Japon, qui, malgré sa réputation de pays fermé, homogène et nationaliste, ne semble pas rechigner face à une forte augmentation des entrées récentes de travailleurs étrangers. Aujourd’hui, près de 3 millions d’immigrés vivent au Japon sur une population de 126 millions d’habitants. Ce nombre est trois fois plus élevé qu’en 1990. Le Japon étant confronté au vieillissement rapide de sa population et à une baisse de la main-d’œuvre nationale, il cherche en effet à augmenter ses apports extérieurs. En avril 2019, le gouvernement japonais a mis en œuvre une réforme historique en matière d’immigration, en élargissant les programmes de visas pour permettre à plus de 345 000 nouveaux travailleurs d’immigrer au Japon au cours des cinq années suivantes. Les travailleurs peu qualifiés pourront résider au Japon pendant cinq ans, tandis que les travailleurs étrangers possédant des compétences recherchées seront autorisés à rester indéfiniment, avec les membres de leur famille, ce qui laisse supposer que nombre de ces immigrés pourraient rester définitivement.

En Chine, en revanche, comme les années précédentes, la répression et la « rééducation » de la minorité musulmane ouïgoure de la province du Xinjiang se poursuit de façon systématique. Fin novembre 2019, le New York Times publiait des documents confidentiels de l’administration chinoise témoignant de la détention massive de ces personnes. Aux étudiants ouïgours de retour dans leur province s’inquiétant du sort de leurs familles, les autorités locales ont eu pour consigne de répondre qu’« elles étaient en train de suivre un stage mis en place par le gouvernement ». Ces documents révèlent également que le président chinois Xi Jinping avait jeté les bases de cette répression dans une série de discours prononcés en privé devant des fonctionnaires pendant et après une visite dans le Xinjiang en avril 2014, quelques semaines seulement après que des militants ouïgours aient poignardé plus de 150 personnes dans une gare, faisant 31 morts. Xi Jimping avait alors appelé à une « lutte totale contre le terrorisme, l’infiltration et le séparatisme » en utilisant les « organes de la dictature » et en ne montrant « absolument aucune pitié ».

Entre-temps, le ralentissement de l’économie chinoise a engendré un taux de chômage inédit dans plusieurs villes de l’ancien Empire du Milieu. Pour cette raison, les autorités locales ont mis en place depuis 2017 une politique d’inversion de l’exode rural, afin de rapatrier dans les campagnes des travailleurs susceptibles d’y créer des entreprises. En 2020, ce projet semble se concrétiser grâce au retour forcé, dû à la pandémie, de quelque 300 millions de personnes originaires de houkou ruraux.

Selon plusieurs sources médiatiques5 Voir, par exemple, The Economist du 30 juillet 2020, Le Monde du 23 juin 2020, Les Échos du 13 octobre 2019, la BBC du 2 juillet 2020, etc., dans une région relativement autonome de la Chine, la ville de Hong-Kong, des milliers de citoyens appartenant aux classes supérieure et moyenne seraient en train d’envisager la possibilité de s’expatrier pour fuir les nouvelles mesures de « sécurité nationale » imposées à l’ancienne colonie britannique par les autorités chinoises. Le phénomène se cantonnerait pour l’instant à 1 600 personnes par an, qui choisissent notamment de déménager à Taiwan, mais les chiffres sont en nette croissance.

En Inde, le deuxième mandat (depuis le début de l’été 2019) du premier ministre Narendra Modi, issu du parti nationaliste hindou Bharatiya Janata, a entraîné quelques mois plus tard l’adoption d’une réforme de l’ancienne loi sur la nationalité de 1955, offrant une voie vers la naturalisation indienne aux migrants irréguliers appartenant aux minorités religieuses hindoue, sikh, bouddhiste, jaïne, parsi et chrétienne, qui avaient fui les persécutions du Pakistan, du Bangladesh et de l’Afghanistan avant décembre 20146 L’Inde n’est pas signataire de la Convention de Genève de 1951 sur les réfugiés.. Mais les musulmans de ces pays ont été exclus de cette mesure. Cette décision a soulevé de vives protestations de la part des minorités musulmanes indiennes, et a été à l’origine de conflits avec les hindous, des émeutes meurtrières ayant éclaté fin février/début mars notamment dans l’Assam et à New Delhi.

Si l’Inde accueille une petite minorité de Rohingyas, la plupart de ce 1,1 million de rescapés de Birmanie vit au Bangladesh dans un camp à quelques kilomètres de la ville de Cox’s Bazar, non loin de la frontière birmane. Depuis 2017, le gouvernement de Dacca entend les déplacer sur l’île de Bhasan Char, surgie de l’océan en 2006, et qui, suite au réchauffement climatique, est vouée à être à nouveau submergée dans un avenir proche. Dans ce but, en 2020, le pouvoir central a investi plus de trois millions d’euros pour y construire 100 000 maisons provisoires en dépit des protestations des chefs rohingyas et des ONG pour la défense des droits de l’homme. Certains Rohingyas essaient régulièrement de quitter les camps pour tenter de rejoindre la Thaïlande et, surtout, la Malaisie sur des radeaux de fortune. Ces tentatives se soldent souvent par des noyades ou par des renvois.

À la frontière entre l’Iran et l’Afghanistan, en mai 2020, d’après un certain nombre de témoins, les gardes-frontières iraniens auraient jeté dans le fleuve Harirud 56 migrants irréguliers afghans, entraînant la mort par noyade de 17 d’entre eux. Chaque année, quelque 450 000 migrants afghans, provenant surtout de la province limitrophe de Hérat, sont interceptés par les autorités de Téhéran. L’événement meurtrier a, d’ailleurs, été instrumentalisé par le gouvernement américain, qui, sur le site web du Département d’État, et par l’entremise des propos du secrétaire d’État Michael Richard Pompeo, a accusé l’Iran de traitement brutal envers ces migrants « qui osaient traverser la frontière simplement à la recherche de nourriture et de travail »7 La politique migratoire américaine ne semble pas non plus faire preuve d’un grand humanisme vis-à-vis des migrants irréguliers et des sans-papiers..

Dans certains pays du Golfe arabo-persique, les conditions des travailleurs immigrés sont déplorables. Au Qatar, selon une enquête de Human Rights Watch, les ouvriers, provenant principalement d’Inde, du Népal, des Philippines, du Bangladesh, du Kenya, et d’Ouganda, chargés de construire les infrastructures pour la Coupe du Monde de football de 2022, subissent des exactions de la part de leurs employeurs : heures supplémentaires non payées, retards de paiement, retenues sur salaire, rétribution partiellement ou pas réglée. Ces abus salariaux sont facilités par quatre facteurs : le système de la kafala (parrainage) qui lie étroitement le salarié à son patron ; la gestion du travail des migrants au Qatar, basée sur plusieurs niveaux de sous-traitance ; les pratiques de recrutement reposant sur de fausses promesses tant au Qatar que dans les pays d’origine des travailleurs ; et les coutumes commerciales, qui obligent les sous-traitants à retarder les paiements aux travailleurs dans l’attente de recevoir à leur tour le règlement des factures. Le système du « parrainage » serait en revanche, d’après les médias locaux, en voie d’abolition en Arabie Saoudite, le royaume voulant moderniser son marché du travail. Toutefois, depuis août 2019, les autorités saoudiennes cherchent à exclure les étrangers de certains emplois, surtout dans l’hôtellerie et dans le secteur privé en général, pour contrecarrer le chômage des jeunes nationaux, dont le taux s’élève à 25%.

Depuis l’accord de paix signé en août 2020 avec les Émirats arabes unis, Israël cherche également à être officiellement reconnu par le Soudan. Eli Cohen, ministre des renseignements généraux, a déclaré qu’un accord de paix avec Khartoum serait assujetti au rapatriement des quelque 6 200 demandeurs d’asile soudanais « infiltrés » qui vivent au sud de Tel-Aviv.

Autour de la Syrie, encore meurtrie par la guerre civile, les exilés syriens qui vivent dans les camps au Liban, en Turquie et en Jordanie n’osent pas revenir dans leur pays d’origine. D’après le HCR, il n’y aurait qu’entre 40 000 et 50 000 retours chaque année. Selon une enquête de la Banque mondiale8 Cf. La Banque mondiale, The Mobility of Displaced Syrians: An Economic and Social Analysis, Washington, 2020, 280 p., la raison qui inciterait à des retours plus importants serait l’amélioration de la sécurité, qui comprendrait la cessation des détentions arbitraires, de la conscription forcée et d’autres violations des droits de l’homme et des droits de propriété. Par ailleurs, étant donné les fronts de guerre au nord de la Syrie et le contrôle des lieux de passage entre celle-ci et le Liban par les milices du Hezbollah, la seule frontière praticable pour d’éventuels retours demeure celle avec la Jordanie. Cependant, bien que le camp de réfugiés syriens de Zaatari (Jordanie), le plus important parmi ceux qui existent au Moyen-Orient, ne soit situé qu’à douze kilomètres du territoire syrien, très peu de ses quelque 80 000 occupants envisagent de le quitter pour rentrer au pays.

Afrique

Depuis des décennies, les États africains ont donné vie à huit espaces régionaux de libre échange économique, qui impliquent parfois des accords facultatifs de libre circulation des personnes. Ces regroupements subdivisent le continent en « blocs » où les politiques tendent à converger, même au niveau migratoire. L’Afrique apparaît ainsi répartie en un certain nombre de régions de plus en plus définies au fil du temps, bien que certains gouvernements hésitent encore entre plusieurs appartenances régionales : 1) l’Union du Maghreb Arabe (de la Mauritanie à la Libye) ; 2) la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (du Nigeria et du Niger au Cap-Vert) ; 3) la Communauté économique des États de l’Afrique centrale (du Tchad à l’Angola, en s’étendant à l’Est jusqu’au Rwanda) ; 4) le Marché commun de l’Afrique orientale et australe (de l’Égypte à Madagascar) ; et 5) la Communauté de développement d’Afrique australe (de l’Afrique du Sud jusqu’à la République démocratique du Congo, pays adhérant à plusieurs blocs). Nous avons volontairement omis de citer les trois autres regroupements, car ils sont moins représentatifs et se chevauchent avec les précédents.

Au cours des dernières années, les communautés économiques africaines ont tenté de s’inspirer de l’Union européenne dans la structuration de leurs échanges et dans l’harmonisation de leurs législations. C’est ainsi que, dans ces espaces régionaux africains, comme pour l’UE, la question des mouvements migratoires a été politiquement « incluse à l’intérieur de cadres sécuritaires qui mettent l’accent sur le contrôle, la défense et la police »9 Cf. Bourbeau, Philippe. « Politisation et sécuritisation des migrations internationales : une relation à définir », Critique internationale, vol. 61, no. 4, 2013, pp. 127-145., c’est-à-dire qu’elle est devenue un enjeu majeur de sécurité au même titre que les problématiques liées à l’environnement, à l’identité collective, à la citoyenneté et à la santé publique. De nombreux pays qui ne disposaient pas d’une législation très étoffée sur l’émigration et l’immigration, en s’inspirant des pratiques en vigueur dans les pays européens, ont récemment adopté toute une série de mesures tendant à « criminaliser » la migration, qui en Afrique a toujours été un élément structurel de la vie du continent.

Parallèlement, entre 2016 et 2019, l’UE a mis en place deux « processus », à savoir deux chantiers perpétuels de « gouvernance » des migrations en partenariat avec tous les pays africains situés au nord de l’équateur, dans le but de « maîtriser les flux migratoires » provenant d’Afrique à travers l’échange de données sécuritaires, la lutte contre les passeurs, la poursuite des trafiquants de main-d’œuvre étrangère, et le soutien financier aux actions de contrôle et de « dépistage » des projets migratoires. Si le « processus de Khartoum »10 Cf. le site www.khartoumprocess.net. (depuis 2016) implique l’Afrique de l’Est, allant de la Tunisie au Kenya, le « processus de Rabat »11 Cf. le site www.rabat-process.org. (depuis 2019) s’adresse quant à lui à l’Afrique de l’Ouest, du Maroc jusqu’à la République démocratique du Congo. Les deux processus ont prévu pour 2020 plusieurs initiatives de « dialogue » et des « campagnes de sensibilisation à la migration clandestine potentielle ».

Tandis que l’Afrique au nord de l’équateur subit davantage l’influence politique de l’UE, en Afrique du Sud les tensions entre autochtones et immigrés demeurent toujours fortes. Ces derniers (surtout Zimbabwéens, Malawites et Mozambicains) sont accusés en particulier d’importer la criminalité dans le pays, le plus souvent dans la région de Johannesburg, où des attentats xénophobes sont récurrents. Le ministre de l’Intérieur sud-africain, Aaron Motsoaledi, semble par ailleurs personnellement convaincu des effets délétères de l’immigration, qu’il considère comme un « poids » pour le pays12 En 2018, il aurait affirmé sur les ondes de la chaîne TV South African Broadcasting Corporation que « le poids que les ressortissants étrangers apportent au pays n’a rien à voir avec la xénophobie... c’est une réalité »..

Plus au nord, l’Angola, notamment dans la banlieue de Luanda et dans la province de Lunda Nord, est devenu un port de refuge pour les soldats de différentes milices et pour les familles exilées issues de pays limitrophes (la RDC en premier lieu). Parmi les camps de réfugiés, celui d’Aksanti, à la périphérie de la capitale, inquiète particulièrement les organismes humanitaires en raison de ses conditions précaires. En 2020, le gouvernement, dans le cadre de l’« Opération Rachat et Transparence » lancée par le ministère de l’Intérieur deux ans plus tôt, a fait arrêter plus de 147 000 migrants irréguliers, provenant quasiment tous de la RDC, et a fait expulser plusieurs milliers d’entre eux, bien que le nouveau « Régime juridique des citoyens étrangers » ait aboli le « crime » d’immigration illégale.

En République démocratique du Congo, tous les scénarios migratoires sont présents dans un très grand pays où toutes les statistiques se font par estimation. Avec le cessez-le-feu dans la province du Kasaï, de nombreuses familles de réfugiés sont rentrées dans leurs villages après des années d’absence. Cependant, puisque le territoire compte plus de 120 milices en lutte pour l’exploitation des richesses minéralières de la région, autour des frontières les camps d’exilés sont légion. La RDC est, par ailleurs, l’un des pays où les documents administratifs coûtent le plus cher au monde, en particulier les passeports et les visas.

Au Sahel ouest-africain, comme nous l’avons mentionné plus haut, des conflits sont à l’origine d’importants déplacements de populations. En début d’année, la violence dans le nord du Burkina Faso a provoqué l’évacuation presque totale de deux camps de réfugiés, qui accueillaient auparavant plus de 15 000 Maliens. Plus de 4 000 de ces réfugiés sont rentrés au Mali, et d’autres ont été confrontés à un déplacement secondaire, toujours dans le nord du Burkina Faso.

Au Nigeria, des médias locaux ont mis en évidence l’échec des programmes européens de « retour volontaire » qui, de 2017 à 2020, ont rapatrié (avec des coûts faramineux) quelque 8 400 personnes. D’après les interviews réalisées par des journalistes nigérians, tous les migrants rentrés expérimentent une importante stigmatisation de la part de leurs familles, privées des ressources économiques qu’ils représentaient pour elles lorsqu’ils travaillaient à l’étranger. C’est pourquoi la plupart d’entre eux envisagent de reprendre le chemin de la migration.

Concernant les pays du « Maghreb Arabe », du Maroc à la Libye, un dossier thématique paru dans le numéro 179 de Migrations Société (avril-juin 2020) contredit certaines idées reçues sur la migration subsaharienne au nord de l’Afrique et montre son impact sur les sociétés hôtes. Les enquêtes menées par les auteurs des articles arrivent à la conclusion que les pays du Maghreb ne sont pas vraiment des « pays de transit » des flux migratoires vers l’Europe, mais plutôt de véritables « pays d’accueil », le projet migratoire des travailleurs venus du Sud étant d’accumuler les capitaux nécessaires pour lancer des activités économiques dans les villages d’origine. Tandis que la législation et la politique migratoire des pays d’Afrique du nord se durcit sous la pression de l’UE, les sociétés de cette partie du monde se découvrent de moins en moins mono-culturelles et mono-ethniques : la migration subsaharienne donne lieu, par exemple, à un pluralisme religieux inédit.

Sur les côtes de la mer Rouge, en correspondance avec le détroit de Bab-el-Mandab (« Porte des lamentations ») qui sépare Djibouti du Yémén, selon l’OIM chaque mois 20 000 Éthiopiens, presque tous appartenant à l’ethnie Oromo, tentent la traversée à bord de boutres vers la Péninsule arabique pour atteindre l’Arabie Saoudite, sans trop tenir compte de la guerre toujours active sur l’autre rivage. Ils traversent en tongs des centaines de kilomètres de désert brûlant, hommes et femmes issus de familles très pauvres. Leurs voyages sur la « route de la mort » ont fait l’objet de nombreux reportages13 Voir, par exemple, celui disponible sur le site d’ARTE, intitulé « Yémen : à marche forcée », 2019..

Amériques

Depuis qu’en vertu d’un accord, signé le 17 juin 2019, le président du Mexique, Andrés Manuel López Obrador, a cédé aux pressions de Washington pour freiner les flux de migrants sans-papiers vers les USA, les statistiques migratoires étasuniennes enregistrent une baisse généralisée des entrées sur le territoire. À la fin de l’année écoulée, le pays avait, en effet, délivré à peine quelque 577 000 titres de séjour (un peu plus du double de la France), mais ces données, qui ne font état que du nombre des nouveaux immigrés en situation régulière, ne sont pas la conséquence de l’avancement de la construction du mur à la frontière avec le Mexique, qui n’a véritablement progressé que de 26 kilomètres en trois ans, et qui est ralentie par des scandales de détournements de fonds. En réalité, comme nous l’avons souligné précédemment, la migration mexicaine diminue, timidement remplacée par les flux de Guatémaltèques et de Salvadoriens, qui lors de leurs trajets subissent enlèvements (20 000 migrants par an, selon Amnesty International14 Cf. Shetty, Salil, Most Dangerous Journey: What Central American Migrants Face When They Try to Cross the Border, sur le site www.amnestyusa.org, 2014.), viols (une femme sur six, d’après la même source), extorsions, abus, exposition aux intempéries, à la soif et à la famine. Aux États-Unis, si les Latino-Américains demeurent des « indésirables », les Asiatiques, moyennement plus qualifiés, sont en nette augmentation, tandis que les sondages s’accordent à affirmer que pour un quart des Américains l’immigration serait la source principale des problèmes du pays.

Contrairement à son grand voisin, le Canada fait montre ces dernières années d’une plus grande disponibilité pour accueillir des étrangers. Le « Plan canadien des niveaux d’immigration », promulgué chaque année par le gouvernement, fixe le plafond actuel des admissions au séjour à 330 000 personnes15 Dont 58% pour des raisons économiques, 27% au titre du regroupement familial et 15% en application de la Convention de Genève sur les réfugiés. Les premiers bénéficiaires des titres de séjour sont les Indiens., chiffre légèrement dépassé en 2019 (341 000). Derrière une façade plus humaniste que celle de l’administration Trump, le Canada continue néanmoins d’appliquer une politique très sélective de ses immigrés, sans lesquels le pays tendrait vers la dénatalité.

En Amérique centrale, le phénomène des « caravanes » de migrants en route vers les USA à travers le Mexique persiste malgré les restrictions dues au Covid-19. La plupart des convois humains sont arrêtés à la frontière avec le Guatemala, avec des affrontements qui éclatent régulièrement avec la garde nationale mexicaine le long du fleuve Suchiate, entre la ville de Tecún Umán, au Guatemala, et celle de Ciudad Hidalgo, au Mexique, à une vingtaine de kilomètres de la côte du Pacifique. Les Honduriens, Salvadoriens et Guatémaltèques ne sont pas les seuls que le gouvernement mexicain souhaite stopper. Plusieurs milliers d’Africains subsahariens, réfugiés pour la plupart, se joignent aux Centre-Américains dans la même aventure migratoire, après être arrivés, dans un premier temps, en Équateur.

Avant l’apparition de la pandémie de Covid-19, 5,2 millions de rescapés vénézuéliens vivaient dans les pays limitrophes. Dans cette région, par gouvernements interposés, se joue une partie géopolitique à distance entre les USA, qui bénéficient de l’appui officiel de la plupart des pays (Colombie, Pérou et Brésil notamment), et la Chine, à laquelle ces mêmes pays sont étroitement liés pour des raisons économiques. Inquiet de l’influence chinoise sur le continent, Washington augmente ses subventions aux gouvernements sud-américains, en appliquant en matière d’immigration les mêmes schémas que ceux pratiqués par l’UE : aide financière au « développement » en échange de flux migratoires maîtrisés. Le 16 août 2020, à Miami, le Conseiller américain à la sécurité, Robert O’Brien, s’est ainsi prononcé sur la situation des exilés vénézuéliens : « Si nous pouvions ramener la démocratie au Venezuela, vous nauriez pas ces flux de demandeurs dasile. Il ne peut pas être juste que sil y a un problème dans une nation, la réponse soit daller aux États-Unis. Dautres grands pays de lhémisphère doivent également être une destination »16 Propos recueillis pour le Miami Herald du 16 août 2020 par Nora Gámez Torres..

Depuis, de plus en plus de Vénézuéliens se rendent au Brésil en traversant l’État septentrional de Roraima, dont les députés au parlement brésilien dénoncent la hausse de la violence due à l’entrée massive de migrants « prêts à tout ». Beaucoup d’hommes politiques brésiliens ont dans le viseur la récente « Loi sur la migration » n° 13.445 de 2017, l’une des plus avancées en matière de protection des migrants. Son texte prévoit, par exemple, l’universalité, l’indivisibilité et l’interdépendance des droits de l’homme ; le rejet et la prévention de la xénophobie, du racisme et de toutes les formes de discrimination ; la non-criminalisation de la migration ; la non-discrimination en raison des critères ou des procédures d’admission sur le territoire national ; et la promotion de l’entrée régulière ainsi que de la régularisation du statut juridique des immigrés.

Enfin, au Chili, le pourcentage d’étrangers sur l’ensemble de la population est en hausse d’un point chaque année depuis 2015, atteignant 6,5% en 2019, avec une présence accrue d’Haïtiens, de Vénézuéliens et de Colombiens. Préoccupées par ces chiffres, après une régularisation opérée en 2017, les autorités locales ont procédé à des modifications législatives dans un sens restrictif, et ont augmenté les entraves bureaucratiques pour les Haïtiens et les Vénézuéliens. Par ailleurs, le pays n’a pas signé le Pacte mondial sur la migration.

Europe

En raison des préoccupations liées à la crise sanitaire du Covid-19, en 2020, l’Union européenne et les États du continent qui ont adhéré à l’espace Schengen n’ont pas beaucoup avancé sur certains « dossiers migratoires », définis par les responsables politiques comme « brûlants », tels que la refonte du Règlement de Dublin III (qui délègue la responsabilité de l’examen de la demande d’asile d’un exilé au premier pays qui l’a accueilli), le partage de l’accueil des migrants, la fermeture hermétique des frontières à l’immigration irrégulière, etc17 Le projet sur l’immigration présenté fin septembre à Bruxelles ne constitue pas un véritable « tournant » dans les pratiques déjà existantes. Il prévoit pour les États membres un accueil des demandeurs d’asile sur une base volontaire, ou, en alternative, une participation aux frais logistiques et de renvoi.. Le site web du Conseil de l’Europe (www.consilium.europa.eu) décrit emblématiquement la politique migratoire européenne comme une « réponse aux pressions migratoires » intervenues à ses confins, notamment depuis 2015.

Dans cette optique, face aux « crises migratoires » aujourd’hui encore présentées comme « inédites »18 En mars, le vice-président de la Commission européenne, Margaritis Schinas, déclarait en conférence de presse que la Grèce faisait face en 2020 à une situation migratoire « sans précédent ». les instances dirigeantes de l’UE se cantonnent à adopter les mêmes mesures que celles régulièrement employées par le passé : augmentation des fonds alloués à l’Agence européenne de gardes-frontières et de gardes-côtes (Frontex : + 350 millions en 2020), importants apports financiers aux pays limitrophes (en 2020 : 485 millions à la Turquie, 102 millions au Maroc, 90 millions à la Libye, 20 millions à la Tunisie, etc.)19 Les sources concernant ces montants sont multiples et contradictoires. Nous avons choisi à chaque fois le chiffre le plus bas., campagnes visant à décourager l’immigration, entrave aux actions des ONG les plus « gênantes », tentative de partage de l’accueil des migrants entre les pays membres sur la base du volontariat, surcharge des hotspots en Méditerranée, rejet de toute action pouvant être interprétée comme un « appel d’air » à l’immigration, programmes d’intégration basés sur l’apprentissage à minima de la langue locale, etc. En 2020, les seuls sommets européens ayant eu la migration comme thématique principale sont intervenus à l’issue des trois principales « crises migratoires » impliquant le Vieux continent : celle d’Évros en mars (réunion des 27 en visioconférence), celles de la Manche (négociations sur le Brexit) et de la Méditerranée (Sommet des membres de l’alliance des pays du Sud de l’Union européenne Med7 à Ajaccio) en septembre. Le ton des échanges entre les partenaires européens pourrait être bien résumé par les propos du ministre des Affaires étrangères français, Jean-Yves Le Drian, qui, le 4 mars dernier, au cours des « événements d’Évros », déclarait : « Les frontières de la Grèce et de l’espace Schengen sont fermées et nous ferons en sorte qu’elles restent fermées, que les choses soient claires ! ».

En général, les actions entreprises tant au niveau communautaire que national, donnent plutôt l’impression d’être des « effets d’annonce » que des moyens en vue d’une véritable « maîtrise de l’immigration », l’UE étant de facto sous l’emprise des chantages exercés par des pays voisins qui ont accepté de bloquer les migrants avant qu’ils n’atteignent le Vieux continent. Cette situation, assez chaotique, permet à l’immigration d’être un sujet instrumentalisable par tous les partis politiques, tous bords confondus, aux dépens, avant tout, des migrants.

À noter que, selon Frontex, en 2019, le nombre total de migrants irréguliers entrés sur le territoire de l’UE ne s’élèverait qu’au modeste (et peu plausible) chiffre de 141 846 personnes, à savoir 0,032% de la population des 27 États membres.

Le spectre de l’exode massif des Syriens survenu en 2015 a refait son apparition, fin février, suite à la levée des contrôles aux frontières avec la Grèce décidée par la Turquie. Au cours des derniers jours de 2019, Ankara a, en effet, décidé d’intervenir militairement en Syrie pour contrer l’avancée des armées de Bachar el-Assad et de la Russie dans la région d’Idlib (ou Idleb) détenue par le groupe djihadiste Hayat Tahrir al-Cham, ancienne branche syrienne d’Al-Qaïda. Les trois mois de bombardements dans cette région durant le premier trimestre de 2020 ont entraîné le déplacement de plus de 400 000 personnes, tandis que l’armée turque a perdu une trentaine de ses soldats. Dans le but de punir l’inaction de l’UE et de venger les « martyrs d’Idleb », le président turc Recep Tayyip Erdoðan a donné son feu vert aux réfugiés présents sur le territoire turc pour qu’ils passent la frontière occidentale en vue de se rendre dans l’espace Schengen. Côté grec, le gouvernement conservateur de Kyriakos Mitsotakis, installé depuis juillet 2019, s’était déjà distingué pour ses annonces anti-immigration (construction d’un mur flottant de 2,7 km dans la mer Égée, création de camps fermés, etc.), et pour la promulgation d’une nouvelle loi sur l’asile (4636/2019), censée rendre plus onéreuses les procédures de demande pour les intéressés. Du samedi 29 février au mercredi 4 mars, plusieurs dizaines de milliers de migrants syriens, irakiens, afghans et africains ont convergé vers la ville turque d’Erdine avec l’intention de traverser le fleuve Évros (appelé également Mariç ou Maritsa) pour atteindre la ville grecque de Kastanies. Les affrontements avec les gardes-frontières grecs ont été particulièrement violents autour d’une rivière où se sont déjà noyées près de 350 personnes depuis 2015. L’épisode, immédiatement perçu en Europe comme une attaque contre son intégrité territoriale, a mobilisé les chefs d’État des pays membres de l’UE qui se sont portés au secours d’Athènes, sous l’impulsion de la France et de l’Allemagne. Certaines collectivités locales européennes, comme celle du land de Bade-Wurtemberg, ont même envoyé des agents en renfort pour assister les gardes grecs, tandis que Jimmie Åkesson, leader de l’extrême droite suédoise s’est rendu à Erdine pour distribuer des tracts aux migrants sur lesquels étaient inscrits des messages en anglais : « la Suède est pleine », « Ne venez pas chez nous. Nous ne pouvons pas vous donner plus d’argent, ni vous fournir de logement. Désolé pour ce message. » Signé : « Le peuple suédois ». L’afflux soudain de demandeurs d’asile a également été utilisé par les autorités grecques comme prétexte pour déclarer la suspension provisoire, pendant un mois, de l’enregistrement des requêtes d’asile, en justifiant cette décision en raison d’une « grave urgence de sécurité nationale ».

Outre les « événements d’Évros », la Grèce s’est retrouvée sur le devant de la scène migratoire suite à la hausse des débarquements de migrants sur ses îles de la Mer Égée, en plein essor depuis 2019 (74 613 arrivées, à savoir plus du total cumulé de l’Italie, de l’Espagne, de Malte et de Chypre). D’après le HCR, les hotspots de Lesbos, Samos, Leros, Kos et Chios « accueillent » environ 41 000 personnes alors que la capacité prévue est de 6 200 places maximum. Cela a conduit le gouvernement à organiser le déplacement de plusieurs dizaines de milliers de réfugiés dans des camps situés sur le continent, des transferts souvent troublés par les vives protestations des autochtones. Dans cette ambiance déjà très tendue, le 9 septembre, le camp de Moria à Lesbos a été complètement détruit, suite à un incendie provoqué par certains de ses occupants. Comme par le passé, la solidarité internationale européenne s’est alors manifestée à divers degrés de générosité, surtout vis-à-vis des mineurs isolés non accompagnés : la France, l’Allemagne, l’Autriche, les Pays-Bas, la Belgique, l’Espagne, la Norvège et la Finlande ont répondu « présent », tandis que le reste des membres de l’UE a déclaré ne pas pouvoir (vouloir ?) accueillir ces personnes.

Si en 2019 les analystes des pays européens pensaient que les arrivées de « migrants » dans l’UE par les routes occidentale (Espagne) et centrale (Italie, Malte) se tariraient, en raison notamment des accords passés avec les pays de départ et de la guerre menée contre les opérations de sauvetage conduites par les bateaux des ONG en Méditerranée en 2020, la réalité des faits a démenti ces prévisions.

Tout en enregistrant, à la mi-septembre, un chiffre global des débarquements sur ses côtes (15 900) en baisse20 Ministerio del Interior, Informe quincenal sobre la inmigración irregular 2020. Datos acumulados del 1 enero al 15 septiembre. Madrid, 2020, 10 p., l’Espagne a vu remonter significativement le nombre des migrants qui ont atteint les Canaries sur des épaves ou des radeaux. Les quelque 5 000 immigrés sauvés des eaux au large de ces îles depuis le début de l’année ont mis à rude épreuve les structures d’accueil locales, quasi inexistantes, bien que ce phénomène date désormais de plus de vingt ans. Les ONG présentes aux Canaries (notamment la Commission espagnole d’aide aux réfugiés et la Mission chrétienne moderne) se disent totalement « débordées » et abandonnées par le pouvoir central. D’après les représentants du HCR, ces traversées de plus en plus meurtrières (plus de 500 noyades) amènent en territoire espagnol des personnes dont le profil diffère par rapport au passé : « Nous voyons plus d’arrivées en provenance du Sahel, de la Côte d’Ivoire, plus de femmes, plus d’enfants, plus de profils ayant besoin d'une protection internationale »21 Propos de Sophie Muller, représentante du HCR en Espagne, recueillis le 2 septembre 2020 par Associated Press..

En Méditerranée centrale, la lutte menée par les ministres de l’Intérieur italiens depuis 2017 contre les opérations privées de sauvetage en mer, qui avait atteint son paroxysme sous le mandat de Matteo Salvini, n’a pas donné les fruits escomptés. Si, depuis le 22 juillet, en raison de l’arrêt par la Marine italienne de l’imposant bateau Ocean Viking, affrété par Médecins sans frontières et SOS Méditerranée et naviguant sous pavillon norvégien, plus aucun navire humanitaire ne circulait entre la Libye et l’Italie, toutefois, les jours suivants, les débarquements de migrants sur les côtes siciliennes n’ont eu de cesse de se répéter à une fréquence supérieure par rapport à 2019. La théorie selon laquelle les navires des ONG n’étaient que des « taxis » pour les migrants, s’est ainsi révélée fausse. En effet, à la mi-août, la ministre de l’Intérieur italienne (Luciana Lamorgese) a fait état en 2020 de 21 600 arrivées (+148%), dont la grande majorité (16 300) sans le concours d’ONG ou de sauvetages de la Marine italienne. Parallèlement, le nombre de morts en Méditerranée centrale a énormément grimpé, dépassant les 600 personnes début septembre. Le 17 août, le décès, au large de la Libye, de 45 migrants, dont de nombreux enfants, sur une embarcation de fortune transportant 82 personnes, a une nouvelle fois choqué l’opinion publique et a poussé les navires humanitaires à reprendre massivement leurs actions. Comme les structures d’accueil espagnoles, les hotspots italiens se disent eux aussi « débordés », tandis que, le lendemain du naufrage le plus tragique, le gouvernement a tenté d’endiguer le phénomène par une visite à Tunis de la ministre de l’Intérieur et du ministre des affaires étrangères (Luigi Di Maio) pour rencontrer leurs homologues et proposer 11 millions d’euros en échange de davantage de contrôles.

Aux traversées périlleuses de la mer Égée, des eaux au large des Canaries et du Canal de Sicile, s’ajoutent de plus en plus celles de la Manche sur des « small boats », sources de tensions entre le Royaume-Uni et la France, censée empêcher ces passages en vertu des « accords du Touquet », reconduits par les différents gouvernements depuis 2003. Chaque année, le Royaume-Uni contribue au filtrage des migrants qui du Calaisis tentent d’atteindre la Grande-Bretagne avec une enveloppe de plusieurs millions de livres octroyés à la France, un montant qui, selon le parlement britannique, s’élèverait à quelque 52 millions d’euros22 Cf. la réponse publiée le 2 juin 2020 sur le site du parlement anglais à la question posée par le député Maginnis of Drumglass : « Quels paiements le Royaume-Uni a-t-il effectués à la France pour l’aider à prévenir l’immigration clandestine au cours de chacun des cinq derniers exercices financiers ? » (https://questions-statements.parliament.uk/ written-questions/detail/2020-06-02/HL5038).. Outre-Manche, le gouvernement dirigé par une coalition politique peu favorable à l’immigration, y compris européenne, s’est montré très inquiet face à l’arrivée, entre janvier et septembre 2020, de plus de 5 600 « clandestins » via la Manche, avec un pic de 235 migrants irréguliers pour la seule journée du 6 août. Dans le but de bloquer les « indésirables » sur les côtes françaises, la ministre de l’Intérieur britannique, Priti Patel (descendante d’Indiens du Gujarat) a confié le poste de « commandant de la menace clandestine dans la Manche » (Clandestine Channel Threat Commander) à Dan O’Mahoney, ancien officier des Royal Marines, vétéran du Kosovo et de l’Irak, en lui ordonnant, en collaborant avec les forces de l’ordre françaises, de rendre la route de la Manche « impraticable ». La « crise migratoire » dans la Manche deviendra légalement plus compliquée au moment de l’entrée en vigueur du Brexit, le 1er janvier 2021, qui annulera le règlement de Dublin pour le Royaume-Uni. Entre-temps, le prix d’un passage sur un « small boat » est passé de 500 euros en 2015 à 5 000 en 2020.

Ailleurs en Europe, le nationalisme prévaut lorsqu’il est question d’immigration. En Scandinavie, et notamment en Suède, au Danemark et en Estonie les discours identitaires sont régulièrement « récompensés » dans les sondages et dans les urnes. Dans les « pays de Visegrad » (Hongrie, Pologne, République tchèque et Slovaquie), la peur d’un basculement vers le « multiculturalisme » prime toute considération humanitaire. La Hongrie de Viktor Orbán se montre toujours prête à suspendre la libre circulation prévue dans l’espace Schengen et ses actions à l’encontre des « migrants » ont été condamnées, en mai, par la Cour de justice de l’UE. Le verdict de cette dernière a contraint le gouvernement hongrois à libérer 300 demandeurs d’asile, détenus depuis des années dans des geôles à la frontière avec la Serbie.

En Allemagne, les travailleurs venus de l’Est (Roumains, Polonais et Bulgares) dopent l’économie allemande dans des régions comme la Bavière, la Rhénanie et la Westphalie. Malgré ces évidences et une relative bonne insertion des Syriens dans la société locale, le pays craint toujours de revivre l’afflux important d’extracommunautaires survenu en 2015, au point que l’accueil d’autres Syriens est politiquement devenu un sujet tabou.

Enfin, en Croatie, le contrôle des frontières est très sévère, le pays candidat à l’UE voulant ainsi afficher sa capacité à défendre les futures frontières extérieures de l’UE. La situation de 2 000 migrants, dont 400 sont des mineurs non accompagnés : Afghans, Pakistanais, Syriens et même Algériens, coincés en Bosnie, à Bihac, à la frontière avec la Croatie, est particulièrement critique. Le seul espoir pour ces personnes, concentrées par la police dans des usines désaffectées, de poursuivre leur trajet, est de trouver les ressources suffisantes pour se payer un passeur.

France

Depuis l’ordonnance du 2 juillet 1945, les gouvernements français qui se sont succédé ont modifié la réglementation concernant l’immigration et le droit d’asile plus de 105 fois, signe évident d’une problématique mal appréhendée par les autorités publiques.

L’année 2020 aurait dû voir la promulgation d’une énième réforme, entamée à l’automne 2019, mais elle a été retardée par les grèves contre la réforme des retraites et par la crise sanitaire.

Des « quotas »…, mais pas vraiment des « quotas »

Pour l’ancien Premier ministre, Édouard Philippe, et son équipe, la question de l’immigration se résumerait essentiellement en une lutte contre la « fraude ». La France aurait trop de faux réfugiés, trop de faux touristes, trop de faux mineurs étrangers non accompagnés, trop de faux travailleurs réguliers. Parallèlement, conscients d’un besoin croissant de main-d’œuvre dans différents secteurs ou métiers « en tension », plusieurs députés de sa majorité ont affirmé, le 5 novembre 2019, à la veille de la présentation de vingt mesures du gouvernement au sujet de l’immigration, que « nous devons oser parler de l’immigration économique », question taboue à l’Assemblée nationale depuis 1974. Le nouveau projet de loi sur l’immigration devait ainsi s’attaquer à l’Aide médicale d’État (attribuée uniquement après trois mois de séjour régulier23 Ce qui exclut les visas pour tourisme.), à l’octroi rétroactif du revenu de solidarité active (RSA) pour les demandeurs d’asile, à l’explosion du nombre des mineurs non accompagnés via un système informatique plus performant, capable de repérer les fraudes, ainsi qu’au faible taux des expulsions, en envisageant la création de trois nouveaux centres de rétention administrative. Parallèlement, en concertation avec les différents acteurs économiques, l’État aurait dû dresser chaque année en été, une liste des métiers manquant de personnel, qui justifierait l’embauche d’extracommunautaires. Rechignant à employer le terme de « quotas », la ministre du Travail de l’époque, Murielle Pénicaud, et Édouard Philippe ont déclaré qu’il s’agirait d’un système plus souple que celui des quotas et plus conforme à la réalité du marché du travail national.

Une politique basée sur les statistiques

Plutôt que de s’intéresser aux nombreuses études publiées chaque mois sur la réalité factuelle de l’immigration en France, la politique publique en la matière suit plutôt les chiffres, en s’inquiétant lorsque ceux-ci montrent une tendance à la hausse.

En 2019, la France a délivré 276 576 premiers titres de séjour (+6,8%), notamment aux étudiants (un tiers), et a enregistré 132 614 demandes d’asile (+7,3%), le nombre le plus élevé en Europe en raison de la venue de migrants « dublinés », qui, d’après le Règlement de Dublin, plutôt que de se rendre dans l’Hexagone, auraient dû rester dans le premier pays européen ayant enregistré leur demande d’asile. Plus de 50% des personnes détenues en vue d’être renvoyées ont été expulsées, à savoir 18 900 immigrés (+20%), surtout de nationalité albanienne, algérienne, roumaine (Roms), marocaine, tunisienne et guinéenne. Le groupe national le plus présent dans les dossiers de demande d’asile a été celui des Afghans. Enfin, en 2019, 16 760 migrants ont été reconnus comme étant des « mineurs non accompagnés » (MNA), des garçons pour la plupart (95,5%), venus en majorité de Guinée, du Mali et de Côte d’Ivoire.

Ce n’est donc pas un hasard si les mesures gouvernementales mises en place à la fin de 2019 et au cours de 2020 ont eu pour objectif de réduire le flux des étudiants extracommunautaires, de baisser les dépenses occasionnées par la prise en charge des MNA et de faire baisser le taux de reconnaissance de la qualité de réfugié aux Afghans.

Le bras de fer entre l’État et les départements concernant la prise en charge des MNA se poursuit. L’Aide sociale à l’enfance, placée sous l’autorité départementale, assume les coûts pour plus de 28 000 mineurs sur les plus de 50 000 migrants s’étant déclarés âgés de moins de 18 ans. Il s’agit d’un montant supérieur à 2 milliards d’euros, dont l’État n’assure que 14% du total.

La France ayant ratifié, le 26 septembre 2019, l’accord de coopération entre l’UE et l’Afghanistan, elle pourrait bientôt parvenir à la signature d’un accord de réadmission avec l’Afghanistan, lui permettant ainsi d’expulser plus facilement les déboutés du droit d’asile afghans.

Par ailleurs, le 3 juillet, le Conseil d’État a validé l’augmentation des frais d’inscription des étudiants extracommunautaires décidée le 19 avril 2019, ceux-ci passant de 170 à 2 770 euros pour les licences et de 243 à 3 770 pour les masters et les doctorats. La motivation invoquée pour justifier cette hausse apparaît hermétique : « le Conseil d’État juge que des étudiants “en mobilité internationale”, venus en France spécialement pour s’y former, ne sont pas dans la même situation que des étudiants ayant, quelle que soit leur origine géographique, vocation à être durablement établis sur le territoire national ».

Débats idéologiques stériles24 Cf. les propos de Michel Abouin, haut fonctionnaire et spécialiste des questions d’immigration : « La France rencontre une vraie difficulté à traiter la question migratoire. Elle est paralysée par des débats obscurs », dans AUBOUIN, Michel. 40 ans dans les cités. Dune enfance en HLM au ministère de lIntérieur. Paris, Presses de la cité, 2019, p. 155.

Selon les estimations de la Cour des Comptes, au moins 300 000 sans-papiers vivraient et travailleraient en France. Parmi eux, quelques dizaines de milliers de « migrants » attendent dans la rue de pouvoir poursuivre leur trajet vers d’autres pays et subissent chaque année la valse des évacuations et des hébergements provisoires dans les principaux points de passage.

En même temps, en dépit de toutes les réformes et dispositifs mis en place durant un demi-siècle, certains quartiers des grandes villes cumulent les problématiques d’insertion, de mésententes culturelles, de discrimination, de xénophobie, de repli identitaire, de pauvreté, de chômage, etc.

Cet énorme chantier de travail social et sociétal est de facto très peu abordé, les débats politiques et médiatiques préférant se concentrer sur des versions parfois déformées de concepts et d’expressions parmi les plus vulgarisés et les plus sur le devant de la scène médiatique (« racisme systémique », « islamophobie », « séparatisme islamique », « communautarisme », « mondialisation », etc.), une pratique qui conduit le plus souvent à des polémiques qui n’ont aucun impact sur la vie réelle.

Les migrants à l’épreuve de la crise sanitaire

La crise sanitaire survenue dans le monde en 2020 continue de perturber et d’endeuiller la vie des sociétés humaines, la conditionnant dans tous ses aspects. Par définition, toute « crise » met au jour la fragilité et la vulnérabilité d’un système déterminé. Dans le cas de la crise liée à la diffusion du virus Covid-19, c’est la globalité de l’organisation (institutionnelle, économique, etc.) des États qui est mise à rude épreuve.

Les migrants, quant à eux, plus vulnérables car bénéficiant de moins de droits, d’accès aux services et de ressources, ont pour une grande majorité d’entre eux reçu de plein fouet les effets négatifs du confinement et de la contagion.

Pour des raisons évidentes, et bien que disposant de très peu de recul sur la situation, les articles de presse, les séminaires en ligne et les communications institutionnelles sur l’impact de la crise sanitaire sur la vie des migrants et sur les migrations foisonnent, tout comme les témoignages sur la question. Il nous sera donc impossible de les mentionner tous dans ce bref compte-rendu. Ce phénomène étant en revanche trop récent, les articles scientifiques sont à ce stade sans doute en cours d’élaboration.

Nous essaierons plutôt d’inventorier des phénomènes étroitement liés à la crise sanitaire en nous basant sur ce qu’elle a représenté (et représente encore) en général pour les sociétés nationales les plus touchées.

La crise sanitaire a généré une restriction, voire un arrêt de la mobilité humaine

Lorsque les États ont annoncé la fermeture des frontières et le confinement de la population, beaucoup d’immigrés ont tenté de rentrer dans leur pays d’origine pour retrouver leur famille. Pendant un mois ou deux, les statisticiens des migrations ont observé un phénomène inédit, à savoir des retours supérieurs aux expatriations. À la mi-mars, la route qui conduit les travailleurs de l’Europe de l’Est vers l’Ouest a ainsi été, par exemple, longtemps fermée dans le sens des retours par les autorités locales à l’entrée de la Hongrie de peur d’ouvrir les portes au virus.

Lorsqu’il s’est agi d’entamer la saison des récoltes, nombre d’agriculteurs ont attendu avec impatience que les saisonniers puissent circuler à nouveau. En Italie, la pénurie de main-d’œuvre dans le secteur agricole a poussé le gouvernement à déclencher une procédure de régularisation massive, malheureusement conçue trop hâtivement pour être efficace.

Lorsque la crise sanitaire est apparue, beaucoup de migrants qui avaient déjà entamé leur périlleux voyage, se sont retrouvés bloqués dans des culs de sac, exposés aux intempéries et/ou au feu des armes. C’est, par exemple, le cas de 30 000 Éthiopiens piégés en plein conflit au Yémen, qui ne pouvaient ni aller en Arabie Saoudite, ni revenir en Afrique.

La crise sanitaire a engendré une réduction drastique des activités économiques

La plupart des migrants sont partis pour travailler et gagner l’argent nécessaire à leurs proches. Pour celles et ceux dont la famille ne subsiste que grâce à leurs revenus, ne pas envoyer de fonds est tout simplement inconcevable. En dépit des prévisions, avancées en avril par la Banque mondiale25 Cf. le communiqué de presse de la Banque mondiale publié le 22 avril 2020 sur le site officiel de celle-ci : https://www.worldbank.org/en/news/press-release/2020/04/22/world-bank-predicts-sharpest-decline-of-remittances-in-recent-history., annonçant une dégringolade des transferts de fonds des migrants estimée à -20% par rapport à 2019, malgré la fermeture des agences de transfert d’argent à l’étranger et la quasi impossibilité d’acheminer des ressources financières par les voies informelles, dans l’attente de pouvoir envoyer au pays leurs économies, les migrants ont continué à travailler en dépit des risques encourus. Ils ont assuré des services essentiels et ont contribué à maintenir en vie l’économie des pays hôtes. À titre d’exemple, au Qatar et dans les Émirats Arabes unis, pays très touchés par l’épidémie, les ouvriers du BTP, étrangers pour la plupart, ont dû continuer à travailler sur les importants chantiers des expositions universelles et de la Coupe du monde de football, le tout dans des conditions insalubres dénoncées par l’ONG Human Rights Watch. En Italie, la reconstruction du pont qui s’était effondré à Gênes durant l’été 2018, considérée comme un acte symbolique de prompte réponse politique face à l’adversité, s’est accélérée en pleine période de confinement, bénéficiant de l’apport de plus de 120 maçons immigrés. Dans les pays du « Premier monde », en outre, la présence de médecins et d’infirmiers étrangers a été déterminante dans la gestion de la crise sanitaire. Le Premier ministre britannique lui-même, Boris Johnson, farouchement opposé à l’accueil de nouveaux migrants, lors de son hospitalisation à l’hôpital londonien de Saint-Thomas a remercié en particulier « Jenny de Nouvelle-Zélande et Luis du Portugal, [qui ont veillé sur lui] en continu pendant quarante-huit heures […] quand tout aurait pu basculer ». Plus de 13% du personnel soignant en Angleterre n’est pas de nationalité britannique.

La crise sanitaire a conduit à l’arrêt de la plupart des activités institutionnelles

Durant le confinement, très peu d’organismes publics et privés sont restés actifs, notamment les plus concernés par l’immigration. En France, durant le confinement, l’Office français de l’immigration et de l’intégration (OFII) ainsi que l’Office français de protection des réfugiés et des apatrides (OFPRA) ont réduit considérablement leurs activités, laissant sans réponse des milliers de dossiers, tandis que la Cour nationale du droit d’asile adoptait systématiquement la procédure « à juge unique »26 Cette procédure ne comporte qu’un magistrat siégeant seul. Dans le cas de dossiers complexes, comme c’est le cas de la plupart des dossiers de demande d’asile, elle est plus sujette à des erreurs de jugement.. Les ONG et les associations d’accompagnement, d’aide et/ou défense des migrants ont été directement touchées par la pandémie et ont dû fermer leurs bureaux ainsi que les lieux de distribution de biens et les services de suivi juridique. Au printemps, certains pays, comme l’Espagne, la Bulgarie, le Danemark, la Roumanie, l’Italie, les Pays-Bas, la Hongrie et la Grèce, ont carrément suspendu la possibilité de déposer des demandes d’asile.

La crise sanitaire a entraîné des pratiques de distanciation physique

Bien que l’épidémie de Covid-19 ait fait son apparition en Chine et ait touché en premier les pays d’Asie du Sud-Est, les plus grands foyers de contagion, en termes de chiffres (infections, hospitalisations et décès) sont survenus dans le Vieux Continent, en Italie d’abord, et dans l’ensemble de l’Europe de l’Ouest ensuite. À l’époque, tous les voyageurs provenant de l’UE étaient regardés avec suspicion dans les pays du « tiers monde » et aux États-Unis. Pendant les mois de mars et avril, de façon inédite l’immigration n’a plus été au centre de l’attention des opinions publiques nationales, au point que différents partis d’extrême droite ont vu chuter considérablement leur cote dans les sondages.

A contrario, avec le « déconfinement » tout étranger était perçu comme une menace potentielle d’infection, surtout s’il provenait de pays en voie de développement et se trouvait en situation irrégulière. La population migrante, en plus d’avoir été lourdement frappée par les restrictions du confinement, tout en ayant joui d’une brève période d’invisibilité, s’est vue stigmatisée et instrumentalisée à des fins de propagande électorale.

Pour ne citer que quelques exemples emblématiques, de nombreux journaux français et internationaux ont relaté qu’en Chine, en avril, plus de 2 000 Africains noirs (Nigérians et Kényans en majorité) avaient été victimes d’actes xénophobes dans la ville de Canton, stigmatisés car soupçonnés d’être porteurs du virus27 Le journal kenyan « Saturday Nation » du 11 avril 2020 titrait : « Kenyans in China: save us from hell! » (Kényans en Chine : sauvez-nous de l’enfer !).. En Turquie, les Syriens ont subi le même sort, tout particulièrement dans la ville d’Izmir. Dans la Péninsule arabique, tandis que l’Arabie Saoudite déportait des milliers d’Éthiopiens à Addis-Abeba et utilisait les mêmes avions au retour pour des provisions de viande, au Koweït les travailleurs égyptiens ont été traités tels des pestiférés. D’après un reportage paru dans Le Monde du 12 mai 2020, la célèbre actrice koweïtienne Hayat Al-Fahad aurait même suggéré que « tous les migrants du pays soient envoyés dans le désert pour libérer des lits dans les hôpitaux ». En Italie, le leader de la Ligue, Matteo Salvini, a clairement accusé les migrants d’être à l’origine de la pandémie dans le pays.

La crise sanitaire a creusé une « fracture sociale » entre riches et pauvres

D’après l’INSEE, durant la phase la plus aiguë de l’épidémie au printemps, le taux de mortalité des Français a augmenté de 22% par rapport à la même période en 2019. Pour les immigrés extracommunautaires, cette proportion a été beaucoup plus importante : 114% pour les Africains non maghrébins, 91% pour les Asiatiques, 54% pour les Maghrébins et 26% pour les ressortissants du reste du monde. Plus de la moitié des extracommunautaires décédés étaient âgés de 25 à 49 ans, et donc nombre d’entre eux étaient des travailleurs.

Puisque aucune raison génétique n’explique ce phénomène, les causes de cette disparité sont de nature socioéconomique : environnement insalubre, faible accès aux soins, travail sans protection, promiscuité élevée, etc.

Cette promiscuité est également à l’origine de la diffusion du virus dans les camps de réfugiés, dans les centres de rétention et dans les hotspots. Les migrants qui, par exemple, ont été secourus au large des côtes italiennes présentaient un très faible taux de contamination, parfois proche de zéro. Par précaution, les autorités italiennes ont préféré les placer à bord de navires pour mieux les isoler durant les contrôles. Toutefois, l’épidémie s’est manifestée plus tard sur le continent, dans les « centres d’accueil » ou dans les centres de rétention, atteignant parfois des pics de 80% d’infectés.

Tous les sans-papiers, qui se sont pourtant révélés un atout de taille en temps de crise, ont souffert du manque de protections et, à l’approche de l’été lorsque la situation sanitaire s’est améliorée, ils sont devenus la cible de politiques d’exclusion et d’expulsion. Si l’arrêt de l’économie et la saturation des services hospitaliers ont révélé au monde l’importance réelle de la présence des immigrés, aucune leçon n’a été tirée.

 


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