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Centre d’information et d’études sur les migrations internationales

Des dizaines de personnes tentent de passer le cordon de police après avoir franchi la barrière de Melilla, le 24 juin 2022 - © Javier Bernardo/AP

Panorama des migrations internationales en 2022

Dans le domaine des migrations, comme dans beaucoup d’autres, l’année 2022 porte encore les traces de la période de pandémie de Covid-19 et des restrictions à la circulation des personnes mises en place par la plupart des pays à travers le monde. Parallèlement au redémarrage des activités humaines suspendues en temps de crise sanitaire, les pays aux économies les plus performantes ont recommencé à faire appel aux réservoirs de main-d’œuvre constitués par les populations qui habitent des zones géographiques en voie de développement, tandis que des conflits armés sont venus s’ajouter à ceux déjà en cours, provoquant l’exode de millions de personnes.

Le survol mondial que nous proposons dans cette section, qui ne saurait être exhaustif, ne vise pas tant à fournir des « chiffres » des flux migratoires mondiaux pas plus que leurs « provenances », mais plutôt à mettre en lumière des mécanismes, des spécificités et des éléments anthropologiques, essentiels pour saisir la complexité du phénomène de la mobilité humaine. Si les acteurs principaux de la scène migratoire sont les migrants eux-mêmes et leurs descendants, la direction des opérations leur échappe souvent, ils sont pris dans un engrenage d’intérêts économiques et politiques qui les dépassent.

Avant de nous pencher de manière plus détaillée sur chacun des continents, nous dresserons un bilan succinct des statistiques migratoires mondiales, qui, en dépit de leurs imperfections et lacunes, fournissent un ordre de grandeur des phénomènes qui nous intéressent.

Bref aperçu statistique

Le département de l’ONU chargé des statistiques sur la population mondiale et l’Organisation internationale des migrations (OIM) ont certes publié quelques données et des rapports sur la migration humaine en 2022, mais leurs informations les plus récentes ne vont pas au-delà de 2020. Le Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR) et la Banque mondiale, disposent, en revanche, de relevés plus actualisés.

Stocks de population étrangère

Les derniers chiffres globaux sur les immigrés résidant régulièrement et depuis plus d’un an dans chacun des pays de la planète, font état en 2020 d’un total d’environ 280,6 millions de personnes. D’après les estimations, fin 2022, ce nombre devrait s’élever à 295 millions.

Le stock d’immigrés représente ainsi entre 3,58% (année 2020) et 3,7% (estimation 2022) de l’ensemble de la population mondiale, une proportion qui tend à augmenter progressivement depuis l’an 2000 (2,82%).

D’après ces mêmes sources statistiques, le nombre de femmes immigrées recensées tout au long des trois dernières décennies continue de décroître par rapport aux hommes, passant de 49,3% du total en 1990 à 48,09% en 2020, soit une différence de plus de 10,7 millions d’individus. Cependant, dans certaines régions du monde, comme les pays de l’ancien bloc soviétique (Russie, Ukraine, Kazakhstan, Bulgarie, Roumanie, Biélorussie, Pologne, etc.), le Sud-Est asiatique (Chine, Philippines, Malaisie, Thaïlande, Laos, etc.) et l’Amérique latine (Brésil, République dominicaine, Colombie, Pérou, Honduras, Jamaïque, etc.), les femmes s’expatrient beaucoup plus que les hommes, tout comme au Canada et en Allemagne. Elles se dirigent en particulier dans les zones géographiques qui sont le plus attractives en matière d’emplois dans les services à la personne (domestiques, aides-soignantes de personnes âgées, éducatrices, infirmières et médecins) ou dans le cadre du « marché matrimonial international » : l’Amérique du Nord, l’Europe méridionale et occidentale, l’Océanie, les petits États asiatiques économiquement développés (Hong-Kong, Macao, Singapour, Taïwan) et le sous-continent indien (Inde, Népal).

L’Asie du Sud (sous-continent indien, Afghanistan et Iran) est le principal point de départ de l’émigration mondiale (43,4 millions, dont 17,9 depuis l’Inde), en très nette augmentation depuis 2005 (26,4 millions). Les autres aires géographiques qui enregistrent d’importants flux migratoires sortants sont l’Europe de l’Est (32,2 millions), le Proche et le Moyen-Orient (25,3 millions), l’Asie du Sud-Est (23,6 millions) et, suite à une forte progression récente, l’Amérique latine (17,6 millions). À l’échelle des pays, l’Inde possède la diaspora la plus importante, suivie par ordre décroissant par l’Ukraine, le Mexique, la Russie, la Syrie, la Chine, le Bangladesh, le Pakistan, les Philippines et l’Afghanistan.

Concernant les régions qui accueillent le plus d’immigrés, l’Europe occidentale (Union européenne [19,9%] et les pays non membres de l’UE [4,3% ; total : 24,2%]), l’Amérique du Nord (20,9%) et les pays du Golfe arabo-persique (12,1%) concentrent à eux seuls 57,3% de l’immigration mondiale, à savoir 161 millions de personnes. Les États-Unis constituent de loin le plus important pays d’accueil à raison de 50,7 millions d’étrangers résidents, suivis par l’Allemagne (15,8 millions), l’Arabie Saoudite (13,5 millions), la Russie (11,6 millions), le Royaume-Uni (9,4 millions), les Émirats Arabes Unis (8,7 millions), la France (8,5 millions), le Canada (8 millions), l’Australie (7,7 millions), l’Espagne (6,8 millions) et l’Italie (6,4 millions). Depuis 2015, et sans tenir compte de l’exode ukrainien actuel, les flux migratoires les plus élevés ont été enregistrés en Allemagne, en Arabie Saoudite, dans les pays de l’Europe méridionale et en Australie.

Migration forcée

Parmi l’ensemble des personnes recensées par les Nations unies comme étant « en migration », certaines sont classées comme faisant partie des préoccupations (« people of concern ») du HCR, ayant été contraintes de quitter leur domicile suite à des conflits, des persécutions et des catastrophes naturelles. Si nombres d’entre elles sont comptabilisées dans les 280 à 290 millions d’immigrés internationaux, d’autres ne le sont pas, soit parce qu’elles n’ont pas quitté leur pays (déplacés internes), soit parce qu’elle se trouvent en situation irrégulière, soit encore parce qu’elles n’ont pas résidé à l’étranger plus d’un an. Les « migrants forcés » regroupent une large typologie de cas, dont le caractère de « déplacement contraint » est, de facto, déterminé par sa reconnaissance de la part des institutions internationales et des pays d’accueil. Le HCR établit ainsi huit catégories différentes, chacune avec son total d’individus recensés en 2021 : 1) les réfugiés (21,3 millions), dont la situation correspond à la définition donnée par la Convention de Genève de 1951 relative à cette population ; 2) les demandeurs d’asile (4,6 millions), qui ont fait appel à la protection d’un État hôte pouvant les accueillir avec ou sans reconnaissance de leur qualité éventuelle de réfugiés ; 3) les déplacés internes (51,3 millions) au sein de leur propre pays ; 4) les Vénézuéliens déplacés à l’étranger (4,4 millions) pour lesquels le HCR sollicite au moins une protection temporaire1 Dans cette catégorie, le HCR inclut les personnes d’origine vénézuélienne qui sont susceptibles d’avoir besoin d’une protection internationale en vertu des critères énoncés dans la déclaration de Carthagène, mais qui n’ont pas demandé l’asile dans le pays où elles se trouvent. ; 5) les apatrides (4,3 millions) ; 6) les migrants forcés accueillis informellement par des pays hôtes (6,7 millions), sans un encadrement juridique spécifique ; 7) les réfugiés palestiniens (5,8 millions) sous mandat de l’UNRWA (Office de secours et de travaux des Nations unies pour les réfugiés de Palestine dans le Proche-Orient) ; 8) les migrants forcés qui n’appartiennent à aucune des catégories précédentes (4,2 millions), souvent des personnes rentrées dans leur pays d’origine, mais toujours exposées à l’insécurité.

À la fin de 2021, l’ONU évaluait donc le nombre global de migrants forcés à 95,1 millions. En 2022, en raison de la guerre en Ukraine, ce chiffre a, à n’en pas douter, dépassé la barre des 100 millions de personnes concernées. Cette somme astronomique n’est cependant pas le fruit d’une seule année qui aurait enregistré un record d’exilés de force, mais correspond au cumul de plus d’un demi-siècle d’exodes de migrants qui, pour la plupart, ont trouvé refuge dans des camps, une solution censée être provisoire.

Abstraction faite des Ukrainiens, les données de 2021 du HCR montrent que le contingent des réfugiés le plus important est constitué par des ressortissants syriens (6,8 millions), afghans (2,7 millions), sud-soudanais (2,4 millions), birmans (1,2 million, rohingyas pour la plupart), congolais de la RDC (908 000), soudanais (825 000), somaliens (777 000), centrafricains (738 000), érythréens (512 000) et nigérians (384 000).

Les demandeurs d’asile, en revanche, sont surtout originaires du Venezuela (presque un million) et d’Amérique centrale (Honduras, Nicaragua, Guatemala, El Salvador, Haïti, Mexique), du Moyen-Orient (Afghanistan, Irak, Syrie) et de certains pays de l’Afrique subsaharienne (Congo RDC, Éthiopie, Érythrée). Notons que le nombre de Nicaraguayens (+164,2%), d’Haïtiens (+69%) et de Syriens (+30%) a beaucoup augmenté d’une année sur l’autre.

Quant aux populations déplacées, les statistiques sont le reflet des conflits récents ou d’une insécurité endémique : cela représente plus de 6,7 millions de personnes en Syrie comme en Colombie (_18%, toutefois), 5,4 millions au Congo RDC, 4,3 millions au Yémen, 3,7 millions en Éthiopie (+34%), 3,4 millions en Afghanistan, plus de 3 millions au Nigeria comme au Soudan et en Somalie, 2 millions au Soudan du Sud (+26%) et 1,58 million au Burkina Faso (+47%).

Transferts de fonds

Après le très faible ralentissement enregistré en 2020, en 2021 comme en 2022 – selon les estimations fournies par la Banque mondiale , le montant global annuel des transferts de fonds des migrants est revenu à ses niveaux habituels, consistant en une augmentation de 7% à 10% par an. Fin décembre 2021, le volume financier de ces flux a atteint 773 milliards de dollars (780 milliards d’euros), qui ont surtout bénéficié à des pays avec une importante diaspora (Inde, Mexique, Chine, Philippines, Égypte, Pakistan, Nigeria et Bangladesh), mais aussi à des pays du « premier monde », comme la France (7ème place) et l’Allemagne (9ème place).

Bien qu’importants dans l’absolu, ces apports financiers, qui résultent des économies faites par les expatriés, n’ont pas le même poids sur le produit intérieur brut (PIB) de chaque pays. En effet, pour certains, comme le Liban, certaines républiques d’Asie centrale (Tadjikistan, Kirghizistan), de nombreux États d’Amérique centrale (El Salvador, Honduras, Haïti, Jamaïque, Nicaragua), plusieurs États africains (Gambie, Soudan du Sud, Somalie, Lesotho, Comores) et le Népal, ils constituent entre 20% et 53% de leur richesse nationale. Autrement dit, pour ces États, la contribution économique de leurs émigrés est essentielle.

Survol de la migration mondiale par continent

Nous avons organisé la restitution des faits saillants de la migration mondiale autour d’un parcours géographique débutant en Océanie pour se terminer en Europe, allant ainsi de l’Est vers l’Ouest. À la fin de ce survol, nous nous attarderons sur le cas français.

Océanie

Bien qu’il soit le plus petit des continents, d’un point de vue migratoire l’Océanie est considérée par certains responsables politiques du monde entier comme un modèle à imiter dans la mise en œuvre d’une gestion sélective des flux de migrants.

En Australie, la pratique qui consiste à transférer les personnes arrivées clandestinement sur son territoire dans des centres de rétention situés sur l’île-État de Nauru et en Papouasie-Nouvelle-Guinée suscite de plus en plus de protestations de la part de l’opinion publique. En juillet 2022, 112 personnes étaient toujours emprisonnées à Nauru et 105 en Papouasie-Nouvelle-Guinée. Depuis que les centres existent (2012), plusieurs enfants (46) y sont nés et n’ont connu que la vie autour de ces établissements. Dans le même temps, la gestion de ces centres, confiée à des sociétés privées, rapporte de grosses sommes à ces dernières. À titre d’exemple, l’entreprise qui prend en charge les migrants à Nauru empoche 110 millions de dollars australiens (73,7 millions d’euros) par an, ce qui correspond à environ 658 000 euros par migrant2 Il s’agit de Canstruct International. Cf. DOHERTY, Ben ; BUTLER, Ben, Nauru detention centre operator makes $101m profit at least $500,000 for each detainee, dans The Guardian du 11 février 2022..

En plus d’être soumis à des conditions de vie difficiles, les détenus sont coupés du reste du monde. Leurs éventuels contacts avec des journalistes, des avocats ou des militants d’ONG font l’objet d’une surveillance accrue par une entreprise de sécurité, mandatée par le gouvernement de Canberra.

Des centres de rétention pour étrangers existent également au sein du territoire australien, mais contrairement aux idées reçues, les personnes qui s’y trouvent ne sont pas pour la plupart des clandestins arrivés en Australie par la voie maritime (14%) ; sur les 1 100 détenus concernés, 60% sont plutôt des étrangers arrêtés pour être restés sur le territoire au-delà de la validité de leur permis de séjour, des individus le plus souvent de nationalité néo-zélandaise. Le nouveau Premier ministre australien, Anthony Albanese, a récemment déclaré vouloir assouplir les sanctions prévues en cas de dépassement des délais de validité des permis de séjour.

Asie

Depuis quelques années, le Japon s’interroge sur son attitude vis-à-vis de l’immigration de main-d’œuvre étrangère. Le pays est vieillissant (son taux de natalité de 1,36 nouveau-né par femme est parmi les plus faibles au monde) et manque progressivement de main-d’œuvre, une pénurie accentuée depuis 2011 par l’exode d’un demi-million de travailleurs immigrés, survenu après la catastrophe de Fukushima. Depuis 2017, les gouvernements ont tenté de remédier à cette situation en ouvrant davantage les portes de l’Archipel non seulement aux immigrés qualifiés, mais aussi à ceux qui sont dépourvus de « talents » spéciaux, une pratique qui va à l’encontre de celle de la plupart des pays du « premier monde ». Cela explique que, depuis dix ans, l’afflux de travailleurs étrangers y est en hausse, le nombre d’étrangers (surtout de Chine3 Cf. notamment LIU-FARRER, Gracia, Chinese Newcomers in Japan: Migration Trends, Profiles and the Impact of the 2011 Earthquake, in « Asian and Pacific Migration Journal » 22/2, 2013, pp. 231-257, sur l’arrivée récente de migrants chinois et sur la perplexité quant à leur projet migratoire après les événements de Fukushima., des deux Corées, du Vietnam, du Brésil et du Pérou) avoisinant désormais les 3 millions. La réforme de la loi sur l’immigration, approuvée en 2018, a instauré jusqu’en 2024 des « objectifs » chiffrés, des quotas minimum d’importation de main-d’œuvre pour des secteurs d’activité considérés comme étant « en tension » : services aux personnes, restauration, BTP, nettoyage, alimentation, hôtellerie, etc. pour un total souhaité de 345 150 emplois à pourvoir. Il est intéressant de noter que dans tous ces secteurs le personnel était autrefois classé parmi les « non qualifiés », alors qu’aujourd’hui il s’agit pour les Japonais d’emplois « qualifiés »4 Cf. OISHI, Nana, Skilled or unskilled ?: The reconfiguration of migration policies in Japan, in « Journal of Ethnic and Migration Studies », n° 10/47, 2021, pp. 2252-2269..

Toutefois, ce cadre en apparence favorable à l’immigration, se heurte à une hostilité farouche d’une très large partie de l’opinion publique peu désireuse de voir arriver des étrangers susceptibles d’exposer le pays à la menace communiste chinoise et/ou nord-coréenne ou à d’autres influences idéologiques et culturelles extérieures. Fin 2021, par exemple, Mme Reiko Matsushita, maire de gauche de la ville de Musashino, aux alentours de Tokyo, qui entendait concéder aux étrangers un droit de vote limité aux référendums consultatifs de sa municipalité a dû renoncer à son projet tant sa proposition a soulevé un véritable tollé, allant des partis nationalistes au Parti libéral démocrate, qui gouverne le pays5 INOUE, Keiichiro ; TAKAHASHI, Atsushi, Musashino assembly rejects proposal to let foreigners vote, dans The Asahi Shimbun du 21 décembre 2021.. Plusieurs médias soupçonnent, par ailleurs, les immigrés d’être porteurs de maladies infectieuses, d’affecter la santé des Japonais, tandis que les naturalisations demeurent rares, y compris pour les orphelins nés de parents étrangers6 Pour la question des orphelins devenant des apatrides au Japon cf. ISHII, Sari K., Access to citizenship for abandoned children : how migrants children become stateless in Japanese orphanages, in « Journal of Ethnic and Migration Studies », n° 5, 2021, pp. 970-987..

En matière de nationalisme ethnique et de déséquilibre démographique, le « Pays du soleil levant » ne représente pas un cas isolé en Extrême-Orient. La Corée du Sud, Taiwan et la Chine se trouvent, en effet, dans la même situation. Parmi ces pays, Séoul aspire à attirer une immigration consistante, mais ethniquement homogène. Après avoir été longtemps une région d’émigration, la Corée du Sud s’est développée économiquement et techniquement, et son économie comme son système social nécessitent désormais l’apport de sang nouveau. Cela explique que la population étrangère présente sur son territoire ait connu une croissance exponentielle, passant d’un peu plus de 210 000 personnes en 2000 à près de 2,5 millions en 2020, les contingents les plus nombreux étant originaires de Chine, du Vietnam et des Philippines. En dépit de la variété des nationalités de ces immigrés affichée par les statistiques, de fait les catégories de visa mises en place par le gouvernement laissent entrevoir une volonté politique de filtrer ethniquement les entrées en donnant la priorité aux descendants de Coréens (ceux venant des États-Unis étant les plus ciblés, mais la plupart étant issus de Chine), aux conjointes étrangères de Coréens (presque toutes étant des femmes chinoises, vietnamiennes ou originaires d’autres pays d’Asie de l’Est7 Cf. par exemple LEE, Hyunok, Global householding and gendered citizenship: Family visits as care support for Vietnamese marriage migrants in South Korea, in « Asian and Pacific Migration Journal », n° 1/31, 2022, pp. 52-69.) et aux personnes hautement qualifiées8 Cf. CHUNG, Erin Aeran, Creating hierarchies of noncitizens : race, gender, and visa categories in South Korea, in « Journal of Ethnic and Migration Studies » n° 12, 2020, pp. 2497-2514.. Le gouvernement sud-coréen envisage ainsi de créer prochainement une « agence » étatique d’immigration et de la doter d’importants moyens, afin de « renforcer la compétitivité du pays dans la “guerre des talents étrangers” entre ses pays voisins »9 Cf. LEE, Hyo-jin, Korea needs higher-level govt agency for immigration policies : experts, dans The Korea Times du 9 juin 2022..

Parmi ces derniers, figure le grand géant chinois, un État et un territoire assez grands pour prétendre devenir la première puissance de la planète, et ce, sans trop concéder à la mondialisation. En Chine, tant dans le langage courant que dans la littérature scientifique, le terme « migrant » (yimin) se réfère aux quelque 240 millions de travailleurs venus des zones rurales pour être employés dans les villes. Il s’agit donc de migrants internes qui, en vertu de l’impossibilité légale de résider hors de leur foyer d’enregistrement d’origine (hukou), n’ont pas accès au statut de citoyens de la municipalité où ils travaillent. Le « Royaume du Milieu » a donc reproduit à l’échelle nationale ce qui se passe au niveau de la migration internationale, convaincu que les mouvements de populations resteraient ainsi réversibles à tout moment. La main-d’œuvre provenant des campagnes a été l’un des principaux facteurs qui ont permis l’essor économique chinois, grâce à sa souplesse, son faible coût, ses droits sociaux limités et son statut de population non résidente, susceptible, au besoin, d’être obligée de réintégrer les villages d’origine. Les besoins en main-d’œuvre s’accélérant depuis le début du nouveau millénaire, en 2014 le gouvernement a cru opportun de réformer le système du hukou en octroyant, en l’espace de six ans, 100 millions de hukou urbains supplémentaires à des individus enregistrés en zone rurale10 Cf. HUANG, Yixiong; YANG, Shufei; WANG, Kuiming, Disrupted social integration: A case study of Shanghais point-seeking group, in « Asian and Pacific Migration Journal », n° 2/30, 2021, pp. 199-224.. Ce n’est, par ailleurs, qu’à partir de 2018 que les autorités centrales ont pris officiellement en considération la question de l’immigration internationale en Chine, en créant une agence nationale d’immigration, censée gérer (dans un sens sécuritaire) la présence de la population non chinoise, produire des statistiques sur les franchissements de la frontière nationale, attirer des talents venus d’ailleurs. Les étrangers, présents en très faible nombre, sont d’ailleurs concentrés dans des régions bien définies, dans le Guangdong (Macao, Hong-Kong, Canton, Shenzen) et les métropoles de Shanghaï et Pékin notamment. Suite aux restrictions dues à la crise sanitaire et qui perdurent, beaucoup d’entre eux ont quitté le pays, surtout des Occidentaux11 Cf. LEPLÂTRE, Simon, Covid-19 : à Shanghaï, vague de départs parmi les expatriés soumis au confinement, dans Le Monde du 14 avril 2022..

Mais les mesures draconiennes pour contenir l’épidémie de Covid-19 ne constituent pas la seule raison permettant d’expliquer l’exode interne et international récent depuis les centres économiques névralgiques. Depuis l’arrivée au pouvoir de Xi Jinping en 2012, selon les données du HCR, le nombre annuel de demandeurs d’asile en provenance de Chine serait passé de 15 362 à 107 864, 70% des requêtes étant déposées aux États-Unis12 Cf. Under Xi Jinping, the number of Chinese asylum-seekers has shot up, dans The Economist du 28 juillet 2021.. Les individus persécutés – dissidents, Ouïgours, Tibétains, membres de groupes religieux bannis (xie jiao) et les autres personae non gratae – sont considérés par le régime comme étant des « fugitifs » à traquer et à ramener au pays. D’après l’ONG suédoise Safeguard Defenders le gouvernement chinois aurait ainsi orchestré plus de 2 500 retours forcés, par le biais d’enlèvements, de chantages et d’autres moyens coercitifs13 Cf. Safeguard Defenders, Involuntary returns. Chinas covert operation to force fugitives overseas back home, Madrid, 2022, 69 p..

Parallèlement, la répression contre la minorité ouïgoure du Xinjiang se poursuit sans faiblir en dépit de la publication, en mai dernier, par l’anthropologue allemand Adrian Zenz, des fichiers de la police de cette région (« Xinjiang Police Files »), qui documentent l’emprisonnement et les conditions de vie inhumaines de plusieurs dizaines de milliers de Ouïgours accusés de « séparatisme islamique ».

Les problématiques liées à la pénurie de main-d’œuvre face à une forte croissance économique touchent également le Vietnam, car, selon le ministère local du Travail, des Invalides et des Affaires sociales, entre juillet et septembre 2021, en raison de la pandémie (aux effets tardifs) environ 1,3 million de travailleurs ont quitté Ho Chi Minh-Ville et les principales provinces du sud pour retourner dans leurs villages en zone rurale. Si les autorités vietnamiennes, sous l’influence d’importantes multinationales des télécommunications, cherchent à augmenter le nombre de leurs personnels hautement qualifiés, chaque année le pays voit néanmoins partir pour l’étranger une centaine de milliers de ses ressortissants.

En allant vers le Sud-Est, les Philippines subissent intensément les contrecoups de la crise sanitaire mondiale, qui a mis en difficulté un système bien huilé depuis les années 1970, fondé sur l’exportation de travailleurs (Overseas Filipino Workers). Depuis 2020, l’archipel n’a de cesse de rapatrier des groupes d’émigrés coincés par des restrictions à la mobilité mises en place dans les pays d’accueil, notamment dans la région du Golfe arabo-persique (Koweït, Émirats arabes unis) et en Asie du Sud-Est (Taïwan, Hong-Kong, Macao, Japon). Parallèlement, la pandémie a engendré une surcharge de travail pour le personnel sanitaire des hôpitaux publics et privés, faiblement rémunérés et disposant de moyens insuffisants, une situation qui a poussé de plus en plus d’infirmiers à vouloir partir à l’étranger en quête d’horaires et de salaires plus attrayants. Puisque depuis le début de la crise sanitaire, 40% des infirmiers ont démissionné des hôpitaux privés (majoritaires aux Philippines) en vue de s’expatrier14 Cf. ALIBUDBUD, Rowalt, When the “heroes” “dont feel cared for”: The migration and resignation of Philippine nurses amidst the COVID-19 pandemic, dans Journal of Global Health du 23 mai 2022., en juin 2021 le gouvernement a imposé à l’Administration philippine de lemploi outre-mer (POEA) de n’autoriser le départ que de 5 000 infirmiers maximum, afin d’endiguer les effets du variant Delta du Covid-19. La mesure n’a cependant pas obtenu l’effet escompté, les personnels médicaux candidats à l’émigration ayant temporairement changé de secteur d’activité dans l’attente du moment favorable pour partir15 Cf. ORTIGA, Yasmin Y.; MACABASAG, Romeo Luis A., Temporality and acquiescent immobility among aspiring nurse migrants in the Philippines. in «Journal of Ethnic and Migration Studies», 9, 2021. pp. 1976-1993..

Poussons notre survol plus à l’Ouest. La Malaisie et l’Indonésie, qui sont les plus grandes productrices d’huile de palme au monde (84%), sont, depuis le mois de juillet 2022, entrées en conflit sur le plan diplomatique. La Malaisie connaît une pénurie de main-d’œuvre (1,2 million de travailleurs lui ferait défaut), main-d’œuvre que l’Indonésie hésite à fournir au prétexte que le gouvernement malais ne donnerait pas assez de garanties en matière de protection sociale pour les immigrés indonésiens. Ces derniers sont en effet souvent la proie d’offres d’emploi douteuses en ligne venant des pays voisins (Malaisie et Cambodge), que lAgence gouvernementale indonésienne de protection des travailleurs migrants (BP2MI)16 Cf. le site web https://www.bp2mi.go.id, qui fait souvent état de démantèlements de réseaux de trafiquants de main-d’œuvre. est chargée de traquer.

Entre ces deux pays, la ville-État de Singapour tente elle aussi de trouver un équilibre entre l’impossibilité de vivre sans le concours économique des étrangers et la peur de changements ethniques majeurs parmi sa population. La fermeture des frontières pendant la pandémie a affaibli l’économie locale qui peine à recruter du personnel pour le BTP, la marine, l’industrie pétrochimique et les services aux personnes. Depuis 2020, Singapour a assisté au départ de nombreux travailleurs et a vu se précariser les conditions de vie de ses nombreux immigrés, en particulier les étudiants étrangers et les domestiques, comme les études scientifiques les plus récentes l’ont souligné17 Cf., entre autres, CHACKO, Elizabeth. Emerging precarity among international students in Singapore : experiences, understandings and responses. in «Journal of Ethnic and Migration Studies», n° 20 2021. pp. 4741-4757 ; PARREÑAS, Rhacel Salazar ; KANTACHOTE, Krittiya ; SILVEY, Rachel. Soft violence : migrant domestic worker precarity and the management of unfree labour in Singapore. «Journal of Ethnic and Migration Studies», n° 20 2021. pp. 4671-4687.. En même temps, aux dernières élections de 2020 une large partie des autochtones ont demandé aux candidats d’adopter une politique de l’emploi basée sur la préférence nationale, souhait que le nouveau gouvernement a voulu réaliser en 2022 en promulguant une nouvelle loi sur l’immigration : un système à points qui interdit d’embaucher trop de ressortissants d’un même pays et qui incite au recrutement d’une main-d’œuvre étrangère qualifiée à la condition que la priorité soit donnée aux travailleurs locaux.

Plus au nord, la situation de la Birmanie apparaît beaucoup plus dramatique. Le régime militaire au pouvoir depuis plus d’un an fait face à de nombreuses rébellions, tandis que le pays souffre d’une crise économique majeure à laquelle s’ajoute un isolement international dû à la fermeture des frontières de la plupart de ses voisins. En l’espace d’un an, le nombre de personnes déplacées à l’intérieur du pays en raison des conflits a doublé, atteignant le chiffre de 800 000 individus18 Cf. Organisation internationale du Travail, TRIANGLE in ASEAN Quarterly Briefing Note. Myanmar, January-March 2022, 5 p., en grande partie des Karens provenant de l’État du Kayah, qui aspire à l’indépendance. Parmi ces derniers, beaucoup19 Les autorités thaïlandaises font état d’environ 6 000 migrants birmans interceptés par mois depuis l’automne 2021. Les franchissements irréguliers sont donc beaucoup plus., ainsi que des milliers d’autres birmans, aidés par des passeurs pour une somme allant de 375 à 750 dollars, franchissent irrégulièrement la frontière avec la Thaïlande20 Cf. l’article de l’Agence France Presse du 6 janvier 2022 intitulé No legal pathways’ : Myanmar poverty pushes thousands to Thailand., à la recherche d’un refuge et d’un emploi dans un pays qui a lui aussi besoin de main-d’œuvre pour certains secteurs de son économie (au moins 200 000 ouvriers, selon le ministère du Travail thaïlandais). Parallèlement, le 21 mars dernier, les États-Unis ont officiellement reconnu comme étant un « génocide » le massacre de plusieurs dizaines de milliers de Rohingyas21 Les Rohingyas sont une minorité ethnique d’environ un million de personnes, majoritairement de religion musulmane, qui se disent originaires de l’État nord-occidental birman de l’Arakan. Les nationalistes birmans, pour qui le bouddhisme est un élément identitaire constitutif de la nation, les ont toujours considérés comme des étrangers bangladais, tout en étant rejetés par le Bangladesh. Il s’agit donc d’un peuple d’apatrides qui a cherché l’indépendance à plusieurs reprises. perpétré de 2016 à 2017 par l’armée birmane.

Les réfugiés rohingyas, classés à la fois comme « Birmans » et « apatrides » par le HCR, sont, pour une majorité écrasante, toujours installés au Bangladesh dans le camp de l’île submersible de Cox’s Bazar, où se trouve la plus grande concentration de réfugiés au monde (plus de 920 000 exilés), aux prises avec des crises sanitaires à répétition (Covid-19, sida, dengue, etc.). Le Bangladesh est un pays d’accueil pour de nombreux étrangers, et ce bien malgré lui, puisqu’il fait partie des principaux pourvoyeurs de main-d’œuvre. Fin 2021, il figurait à la sixième place parmi les pays destinataires de transferts de fonds (21,8 milliards de dollars, soit 6,6% du PIB).

Bien que reconnus comme réfugiés par le HCR, les Rohingyas sont également persécutés en Inde, où ils servent parfois de boucs émissaires aux autorités lors d’accrochages entre les nationalistes hindous et les minorités musulmanes. Regroupés dans des camps situés dans l’État de Jammu-et-Cachemire, ils sont régulièrement soumis à des contrôles de papiers par la police locale, qui cherche des prétextes pour conduire nombre d’entre eux dans le centre de détention d’Hiranagar.

En matière de conflit ethno-religieux, en Inde, depuis des années les autorités nationales et locales voient dans les communautés musulmanes présentes sur le territoire une menace étrangère à combattre en mettant en œuvre plus d’expulsions (vers le Bangladesh notamment) et en créant plus de places de prison. En 2022, les épisodes de conflits ethno-religieux ont été tellement fréquents, qu’à la mi-avril les partis d’opposition ont incité le Premier ministre, Narendra Modi, à sortir de son silence face à la haine inter-ethnique tolérée, voire promue par les responsables politiques indiens : « Nous réitérons notre ferme conviction que notre pays ne pourra prospérer que sil respecte, accueille et célèbre pleinement ses nombreuses diversités » (Appel du 16 avril 2022).

Au nord et au sud de l’Inde, le Népal et le Sri-Lanka traversent tous deux une crise économique majeure22 Cf. JHA, Hari Bansh, Nepals economic crisis : Is Nepal the next Sri Lanka ?, dans un article publié dans l’Observer Research Foundation le 2 mai 2022. qui a entraîné un exode de milliers de personnes de façon régulière ou non. Les migrants népalais sont signalés de plus en plus dans des lieux très éloignés de leurs destinations traditionnelles : si certains, sans les documents requis, tentent l’aventure migratoire en direction de l’Europe de l’Ouest, des points de transit entre l’Amérique latine et les États-Unis ou même du Ghana, d’autres, comme les étudiants internationaux, choisissent plutôt le Japon23 Cf. KHAREL, Dipesh, Student migration from Nepal to Japan: Factors behind the steep rise, in « Asian and Pacific Migration Journal » n° 1/31, 2022, pp. 26-51., le Danemark ou l’Ukraine, ou, lorsqu’il s’agit de travailleurs munis d’un permis, la Roumanie et la Pologne. Cette dispersion semble due à une réorientation de la migration népalaise qui tend à délaisser ses routes historiques vers l’Inde, le Vietnam et les pays du Golfe arabo-persique24 Cf. KHADKA, Upasana, Europe now favoured destination for Nepalis. Despite pandemic, workers lured by better earnings, benefits and chance at citizenship, dans Nepali Times du 25 novembre 2020..

Du côté du Sri-Lanka, des années de mauvaise gestion économique, exacerbée par plusieurs crises sanitaires et économiques internationales, ainsi que par la réticence de l’ancien Premier ministre Mahinda Rajapaksa, démissionnaire le 9 mai dernier, à demander l’aide du Fonds monétaire international (FMI), ont poussé désormais l’île au bord de la banqueroute. Parallèlement à la crise politique, au printemps 2022, des embarcations de migrants (600 personnes environ, surtout des Tamouls) ont pris le large en direction de l’Australie, mais ont été interceptées par les marines des deux pays et rapatriées25 Cf. DOHERTY, Ben, Exploited in a crisis: why are Sri Lankans getting on boats bound for Australia ?, dans The Guardian du 25 juin 2022., tandis que d’autres migrants ont préféré mettre le cap sur l’Inde.

Plus à l’Ouest, depuis plus d’un an l’Afghanistan sombre dans une crise humanitaire sans issue. Au-delà des raisons liées au revirement socioculturel imposé par les Talibans, des milliers de personnes aspirent à sortir du pays pour fuir une situation économique catastrophique, 85% de la population n’arrivant pas à subvenir à ses besoins. Depuis le 15 août 2021, les flux migratoires en provenance d’Afghanistan ont été relativement importants (140 000 personnes par mois en moyenne), mais sont allés décroissant, les migrants étant le plus souvent interceptés par les forces de l’ordre locales. Migrer est devenu de plus en plus difficile, voire quasi impossible : le prix moyen pour franchir illégalement la frontière s’élève à environ 9 000 dollars, puisque aux frais du trajet s’ajoutent les dépenses pour se procurer des documents et des visas que les autorités compétentes refusent de délivrer26 Cf. European Union Agency for Asylum, Pakistan - Situation of Afghan refugees. Country of Origin Information Report. May 2022, 2022, EUAA, Luxembourg, 124 p., éléments auxquels il faut ajouter la volonté des pays voisins de ne plus accueillir de réfugiés et d’autres migrants, faute de place.

Parmi ces pays, le Pakistan compte officiellement 1,3 million de réfugiés afghans27 Données fournies par le HCR en 2022., auxquels s’ajoutent quelque 1,7 million d’Afghans non pris en charge par le HCR ou en situation irrégulière. L’Iran, quant à lui, héberge 780 000 réfugiés afghans et 1,9 million de travailleurs de même origine. Le Tadjikistan voisin abrite à peine 8 000 réfugiés afghans, tandis que les autres territoires frontaliers sont, de facto, inhospitaliers. Si le Pakistan a érigé un mur de quatre mètres de haut tout au long des 2 600 km de frontières communes avec l’Afghanistan, l’Iran refoule systématiquement les Afghans sans papiers (6 000 par jour). La route vers l’Ouest demeure par ailleurs très risquée et dangereuse, notamment à l’approche de la frontière entre l’Iran et la Turquie : selon le projet Missing Migrants de l’OIM, de janvier 2021 à mars 2022, 835 migrants afghans sont décédés sur les routes de l’exil, de famine, d’hypothermie et des suites des violences subies. Parallèlement et en dépit de leurs promesses28 Cf. STEWART, Rory, The Afghan Refugee Crisis: How to Resurrect the Global Refugee Resettlement Coalition, 2022, Atlantic Council, Washington, 40 p., les puissances occidentales n’ont accueilli que 10% de leurs anciens collaborateurs afghans. Le tremblement de terre du 22 juin 2022 est venu s’ajouter à une situation humanitaire déjà catastrophique.

À l’ouest de l’Iran, pays d’accueil et de transit notamment pour les Afghans (86% des immigrés), le Kurdistan, pays virtuel, constitue une aire géographique assez mouvementée au niveau migratoire. En Irak, les régions autonomes de Sulaymaniyya et d’Arbil (ou Erbil), dans le Kurdistan irakien, autrefois économiquement et politiquement attrayantes pour tous les Kurdes voisins (iraniens, syriens, turques) en raison de leur production pétrolière et de leur autonomie politique29 Cf. ROUSSEL, Cyril. Lexil des Kurdes dIran, de Syrie et de Turquie au Kurdistan dIrak. in : LACROIX, Thomas ; DAGHMI, Fathallah ; DUREAU, Françoise ; ROBIN, Nelly ; SCIOLDO-ZÜRCHER, Yann (sous la direction de), penser les migrations pour repenser la société’. Tours, Presses universitaires François-Rabelais, 2021. pp. 29-43., sont devenues depuis 2014 des zones de forte émigration à cause de la raréfaction des emplois, de la baisse des salaires et d’un clientélisme politique asphyxiant. Pour environ 4 200 dollars et au péril de leur vie, de nombreux ressortissants des villes d’Halabja, Rania et Arbil empruntent la route de l’exil pour tenter d’atteindre l’Europe et, de préférence, le Royaume-Uni. Beaucoup font partie des victimes des naufrages en Méditerranée et dans la Manche, ou sont refoulés de façon musclée à la frontière entre la Biélorussie et la Pologne, ainsi que dans les villes de transit en Grèce et dans les Balkans30 Cf. GOLSHIRI, Ghazal, Au Kurdistan irakien, les rêves dailleurs dune jeunesse désespérée, article publié dans Le Monde du 29 décembre 2021..

En Turquie, les Syriens kurdes, présents notamment dans les provinces d’Hatay, Gaziantep, Kilis et Sanliurfa, se retrouvent dans une situation relativement meilleure que leurs concitoyens au Liban et en Jordanie. À Gaziantep, dans la zone industrielle de la ville, beaucoup de réfugiés ont eu accès à des emplois, une minorité d’entre eux connaissant même une certaine réussite sur le plan économique31 Cf. HERMANN, Rainer, Syrische Flüchtlinge. Das Wunder von Gaziantep, article dans Frankfurter Allgemeine du 16 avril 2022.. La Syrie, en revanche, compte toujours près de 7 millions de déplacés internes et, d’après les rapports du HCR, seuls 38 000 réfugiés sont revenus dans le pays. Les stocks les plus nombreux de civils déplacés se situent à Idlib, Alep, Lattakia, Damas, Hama et Al-Hasakeh, mais, en l’espace d’un an, plus d’un million de personnes ont dû quitter leur refuge provisoire et parcourir des centaines de kilomètres en quête d’un autre32 Cf. European Asylum Support Office, Syria security situation: country of origin information report : July 2021, 2021, Publications Office, Luxembourg, 402 p..

En même temps, au Liban et en Jordanie la situation de la plupart des réfugiés syriens s’est progressivement détériorée. Dans le cas du Liban, l’origine de cet état de choses est à rechercher dans l’aggravation de la crise économique locale, qui enregistre (selon la Banque mondiale) une perte de 42% du PIB en deux ans et une inflation à un taux de 145%, inférieur seulement à ceux du Venezuela et du Soudan. Dans un tel contexte, non seulement le prix des habitations s’envole, mais aussi celui des loyers de certains abris informels occupés par quelques milliers de réfugiés, qui, suite à la baisse concomitante de leurs revenus, sont expulsés de chez eux33 Cf. MALAS, Saleh ; AL-BUSTANI, Mamoun, Syrian refugees fear Lebanon’s bankruptcy and attached hardships, dans Enab Baladi du 5 mai 2022.. En Jordanie, en revanche, le gouvernement a récemment renoué avec le régime syrien de Bashar al-Assad et se montre donc moins bienveillant vis-à-vis des 673 000 réfugiés syriens se trouvant sur son territoire, dont 132 000 vivent dans des camps. Parmi ces derniers, le plus grand et le plus connu reste celui de Za’atari, créé en juillet 2012, dans le gouvernorat de Mafraq, au nord-est de la capitale Amman, et dans une zone située à une dizaine de kilomètres de la frontière syro-jordanienne. Il accueille 80 000 personnes dans une sorte de « ville » divisée en 12 zones, disposant de 32 écoles, huit établissements de santé et 58 centres communautaires. Selon les agences onusiennes, un tiers des réfugiés du camp ont dû réduire le nombre de leurs repas et beaucoup sont contraints de s’endetter pour acheter un peu de nourriture, dont le prix a augmenté de 22% en quatre mois.

Plus au sud, en Israël, les gouvernements de Naftali Bennet et de Yair Lapid, installés au printemps 2021 et en juillet 2022, ont poursuivi la politique anti-immigration de leur prédécesseur (Benjamin Netanyahou) par le biais de la nouvelle ministre de l’Intérieur, Mme Ayelet Shaked, issue du parti nationaliste de la Nouvelle Droite. Au début de son mandat, Mme Shaked s’est engagée à travailler « pour renvoyer les infiltrés dans leur pays et encourager leur départ volontaire vers des pays tiers sûrs ». En janvier 2022, elle a tenté de faire approuver une série de mesures souvent en contradiction avec les droits de l’homme, en prônant : le durcissement des règles pour l’obtention d’une protection internationale pour les migrants, l’interdiction de travailler pour les demandeurs d’asile durant leur première année de séjour dans le pays, le renvoi des exilés soudanais suite à la signature de l’accord de paix avec Khartoum et l’adoption d’une loi obligeant les étrangers qui trouvent du travail à verser une « caution » à l’État, laquelle ne pourra leur être restituée qu’au moment de leur départ d’Israël.

Dans les pays du Golfe arabo-persique, très dépendants de la main-d’œuvre étrangère34 Les six pays qui composent le Conseil de coopération du Golfe (Qatar, Arabie saoudite, Koweït, Oman, Bahreïn et Émirats arabes unis) accueillent collectivement plus de 25 millions de travailleurs étrangers, environ 10 millions dans la construction et le reste dans les services domestiques, la vente au détail et d’autres secteurs., l’attention des chercheurs et de l’opinion publique mondiale s’est souvent tournée vers le Qatar, qui organise en novembre et décembre 2022 la coupe du monde de football. Les travaux pour cette manifestation sportive, qui se veut également une vitrine de la splendeur économique de l’émirat (200 milliards de dollars investis), ont mobilisé un nombre important d’ouvriers venus d’Asie et d’Afrique. Le pays, qui compte 330 000 autochtones et plus de deux millions de travailleurs étrangers, indiens, bangladais et népalais principalement, a été à maintes reprises pointé du doigt par les organisations internationales35 Cf. POSNER, Michael, As The World Cup In Qatar Approaches, Its Time To Protect Migrant Workers, article paru dans Forbes du 29 mars 2022. en raison de la très faible protection sociale octroyée à ces personnes. Malgré son abolition il y a deux ans, le système de la kafala (« parrainage ») qui lie les travailleurs par contrat à un kafeel (« parrain ») ayant le contrôle total sur les termes du contrat, y compris pour quitter le travail et le pays, continue de facto d’être en vigueur par le biais de la confiscation des passeports des employés36 Voir, entre autres, la page web de la campagne menée par Amnesty International pour que les travailleurs migrants soient dédommagés par la Fédération internationale de football (FIFA) : https://www.amnesty.org/en/latest/campaigns/2022/05/fifa-time-to-compensate-migrant-workers-in-qatar.. Ce système affecte particulièrement les ouvriers du BTP et les domestiques étrangers. Ces derniers (80% étant des femmes) sont, par ailleurs très nombreux dans toute la région : presque 3 millions, dont un tiers en Arabie Saoudite, 750 000 aux Émirats arabes unis et 620 000 au Koweït.

Enfin, en Arabie Saoudite, l’odyssée de la plupart des quelque dizaines de milliers de migrants éthiopiens partis en 2020 et en 2021 pour rejoindre le royaume saoudien, entravés dans leur chemin par les restrictions imposées par la crise sanitaire et la guerre au Yémen, s’est terminée dans des centres de rétention et par un grand plan d’expulsion. En vertu d’un accord de réadmission signé entre Riyad et Addis-Abeba, 100 000 migrants éthiopiens irréguliers ont été renvoyés dans leur pays entre janvier et juin 2022. Avant d’être expulsés, ils ont passé parfois plus d’un an dans des prisons surpeuplées dans des conditions de vie inhumaines37 Cf. HAIRSINE, Kate, Deported Ethiopian migrants tell of suffering in Saudi Arabia detention, dans Deutsche Welle du 26 juin 2022..

Afrique

Territoire où cohabitent des populations d’origine asiatique et africaine, Madagascar est confronté à une famine qui touche le sud de l’île et affecte quelque 1,7 million de Malgaches. D’après un rapport de l’Institut National des Statistiques (INSTAT), publié début août 2022 et se référant au recensement de 2018 (le troisième de son histoire)38 Cf. Institut national de la statistique, Troisième recensement général de la population et de lhabitation (RGPH-3). Rapport thématique sur les résultats du RGPH-3. Thème 09 : Migration à Madagascar, 2022, INSTAT, Madagascar, 164 p., plus d’un demi-million de personnes seraient en fait des migrants internes, mais ce chiffre correspond en réalité à la mobilité résidentielle et internationale de la population depuis 1993. Les difficultés économiques et climatiques extrêmes poussent des milliers de personnes à se déplacer d’un espace rural à un autre à la recherche de nourriture. Les mouvements s’effectuent à partir des districts du sud et des hauts plateaux du centre vers les zones côtières et le nord.

En rejoignant le continent, en Afrique du Sud, depuis des décennies la métropole de Johannesburg a souvent été le théâtre de manifestations violentes de xénophobie à l’égard notamment des ressortissants du Zimbabwe et du Mozambique. Dans les quartiers ou townships d’Alexandra, Diepsloot, Hillbrow et Soweto, les minorités immigrées sont plus présentes et « visibles » à cause des nombreux vendeurs ambulants étrangers de fruits et légumes qui peuplent les zones piétonnières. Perçus comme étant à l’origine de tous les maux (criminalité, trafic de drogue, crise économique, épidémies, etc.), ces immigrés sont regardés avec hostilité par un certain nombre d’autochtones. En juin 2021, sous l’impulsion de Nhlanhla Dlamini Mohlauli, un jeune homme qui se fait appeler « Lux » et qui attise les tensions sur les réseaux sociaux virtuels avec des prêches en langue sesotho, des groupes d’autodéfense se sont formés sous le nom d’« Opération Dudula » (= « refoulement » en langue zouloue) pour chasser les étrangers de la ville39 Cf. FIHLANI, Pumza, Dudula : How South African anger has focused on foreigners, article paru le 13 mars 2022 sur le site de la BBC (https://www.bbc.com/news/world-africa-60698374).. Plusieurs agressions et des actes de sabotage de l’activité économique à l’encontre des immigrés soupçonnés d’être sans papiers s’en sont alors suivis. Le 24 février 2022, des actes xénophobes ont conduit à plusieurs assassinats (le bilan des victimes varie selon les sources, entre une et sept). Si « Lux » a été arrêté en avril, l’opération susmentionnée n’a pas pour autant pris fin. Celle-ci, désormais devenue un véritable « mouvement » contre l’immigration irrégulière, s’est étendue à d’autres provinces du pays.

L’attitude plutôt méfiante de la population sud-africaine vis-à-vis des Zimbabwéens freine énormément leur intégration et détermine leurs perspectives migratoires. Depuis 2020, le Zimbabwe a enregistré plus d’un demi-million de retours, tandis que ses expatriés investissent une importante partie de leurs économies dans la construction d’une maison dans leur pays d’origine en guise de « voie de sortie » en cas de dégradation de leurs conditions de vie à l’étranger40 Cf. JAJI, Rose. Delayed Return : Consolidation of the Zimbabwean Diaspora and Transnationalism. «Revista Interdisciplinar da Mobilidade Humana», n° 62 Agosto 2021. pp. 49-61..

Plus à l’Est, un conflit oublié sévit toujours dans les provinces au nord du Mozambique, dans la région de Cabo Delgado vers la frontière avec la Tanzanie. Depuis 2017, un groupe religieux djihadiste, Ansar al-Sunna (« Auxiliaires de la tradition » islamique), transformé en une armée indépendantiste qui rassemble des autochtones mécontents du gouvernement et des mercenaires étrangers, se bat contre les milices nationales et leurs alliés internationaux (Rwanda, Russie [groupe Wagner], Afrique du Sud, Portugal et USA)41 Cf. MUTASA, Makaita Noel; MUCHEMWA, Cyprian, Ansar Al-Sunna Mozambique: Is It the Boko Haram of Southern Africa ?, « Journal of Applied Security Research », 17, 3, 2021, pp. 332?351.. En 2022, suite aux combats plus de 36 000 déplacés internes seraient ainsi venus s’ajouter, selon le HCR, aux 946 000 déjà recensés, fuyant les exactions perpétrées par les parties en lutte. En même temps, au début du mois de mars 2022, le cyclone Gombe s’est abattu non seulement sur ces personnes, mais aussi sur les réfugiés présents dans les camps de Corrane et Maratane autour de la ville de Nampula (plus de 13 000 migrants forcés), ainsi que sur 736 000 autres personnes qui ont dû quitter leur domicile pour échapper aux inondations.

En progressant en direction du Nord-Ouest, d’un point de vue migratoire la Zambie attire actuellement l’attention des observateurs pour deux raisons : l’importante présence chinoise (un tiers des Chinois du continent) et l’accord de principe de son gouvernement en vue d’accueillir les réfugiés entrés irrégulièrement au Royaume-Uni. Si, d’après l’ONU, les travailleurs chinois employés par des compagnies chinoises de BTP pour bâtir les infrastructures zambiennes, ne compteraient que pour un peu plus d’un millier, les chiffres réels pourraient être bien supérieurs, sans doute aux alentours de près de 20 000 personnes. La plupart de ces immigrés ne sont pas des expatriés hautement qualifiés, mais plutôt de la main-d’œuvre d’origine rurale recrutée parmi les hukou les plus pauvres. Ces ouvriers, des hommes uniquement, vivent quasiment reclus sur leurs chantiers et ont des horaires de travail très exigeants. En dépit de cela, ils trouvent leurs conditions de travail bien meilleures que celles qu’ils auraient pu espérer en Chine42 Cf. YANG, Beibei, Following the state-owned enterprises: Chinese expatriate construction workers in Zambia, « Asian and Pacific Migration Journal », 30, 4, 2021, pp. 428?449..

À la même latitude, sur le versant atlantique, l’Angola traverse une énième période trouble de son histoire, tant au niveau économique que politique. Riche en pétrole et diamants convoités par la Chine43 Cf. DE CARVALHO, Paulo; KOPIÑSKI, Dominik; TAYLOR, Ian, A Marriage of Convenience on the Rocks ? Revisiting the Sino-Angolan Relationship, « Africa Spectrum », 57, 1, 2021, pp. 5?29. et d’autres puissances étrangères, gangrené par la corruption, le pays, qui est gouverné depuis 1975 par un seul parti politique, le Mouvement pour la libération de l’Angola (MPLA) et qui n’a vu se succéder que deux présidents, souffre d’un développement économique inexistant. L’élection présidentielle d’août 2022 a suscité une forte envie de changement. L’Angola compte officiellement à peine 1,77% d’immigrés (670 000), en grande partie des Congolais, mais ce taux n’inclut évidemment pas les sans-papiers, qui seraient plus nombreux que les étrangers en situation régulière. Pour ceux qui ne possèdent pas de titres de séjour, la situation s’est fortement dégradée depuis 2020 (y compris en raison des abus policiers auxquels ils sont exposés), tandis que les réfugiés rwandais accueillis en Angola (un millier) se verront bientôt retirer les « privilèges »44 Les enfants des réfugiés nés en Angola souffrent également du manque de documents. Les collèges exigent des documents d’identité que les enfants d’immigrés ne peuvent pas fournir. Ils doivent donc mettre fin à leurs études à un âge précoce. Ceux qui réussissent à y aller ne parviennent toujours pas à recevoir leur diplôme lorsqu’ils l’obtiennent, de sorte qu’ils ne sont pas en mesure d’aller à l’université ou de trouver un emploi. dont ils bénéficiaient jusqu’alors en raison de leur statut juridique. Tandis que de nombreux Congolais, qui ont migré dans les années 2016-2017 suite aux conflits du Kasaï, envisagent de rentrer au pays, 20 000 Angolais frappés par la sécheresse et appartenant aux minorités ethniques du Sud (provinces de Huíla, Cunene et Namibe) ont en revanche fait le choix de migrer en Namibie.

Parallèlement, dans la République démocratique du Congo (RDC), si statistiquement le nombre de réfugiés accueillis semble diminuer, il n’en va pas de même pour les populations déplacées à l’intérieur du pays et pour les demandeurs d’asile. Les camps de réfugiés sont concentrés à 99% dans les provinces frontalières du Nord et de l’Est, à savoir entre les régions de l’Ubangi et celles du Kivu (513 000 personnes)45 Données du HCR., qui abritent des exilés des pays voisins, les femmes étant plus nombreuses que les hommes (52%). La région qui s’étend des montagnes du Rwenzori (entre l’Ouganda et la RDC) à la ville de Goma continue d’être le théâtre d’affrontements entre plusieurs milices qui franchissent de façon récurrente les frontières ougandaise et rwandaise, et qui provoquent l’évacuation de plusieurs villages. À cause de ces incursions armées, chaque mois, depuis janvier 2022 quelque 36 000 personnes en moyenne ont dû quitter précipitamment leur domicile46 Cf. les rapports de situation 2022 du Bureau de la coordination des affaires humanitaires (OCHA). Beaucoup de journaux et d’articles avancent, entre janvier et juin 2022, le chiffre de 877 000 nouveaux déplacés internes en RDC, en citant tous une même source indirecte. Le rapport auquel ils font référence est, toutefois, introuvable.. Deux groupes de rebelles ont été principalement actifs dans cette région au cours des derniers mois47 Pour une analyse et un historique détaillés des conflits dans les districts orientaux de la RDC, cf. STEARNS, Jason K., The War that doesnt say its Name. The Unending Conflict in the Congo, Princeton, Princeton University Press, 2022, 328 p.. D’une part, les Forces démocratiques alliées (ADF), créées il y a plus de 25 ans en Ouganda, opposées au régime de Kampala et ralliées à l’État islamique, ont fait fuir des milliers de villageois vers la RDC, les poursuivant jusque dans le Nord-Kivu. D’autre part, le Mouvement du 23 mars [2009] (M23), formé d’anciens militaires congolais qui ont repris les armes en 2012 contre leur gouvernement, a lui aussi engendré des migrations internes depuis le même district. Par ailleurs, en mars dernier, non loin de là, en territoire ougandais, la rivière Nyamwamba a débordé sur toute la vallée du Kasese, obligeant environ 10 000 personnes à se réfugier dans les vallées voisines.

À l’est de la RDC, le Rwanda a été au centre de l’attention mondiale en signant, le 13 avril 2022 à Kigali, avec le Royaume-Uni une « déclaration d’entente » (Memorandum of Understanding)48 Cf. le texte officiel de l’accord à la page web https://www.gov.uk/government/publications/memorandum-of-understanding-mou-between-the-uk-and-rwanda/memorandum-of-understanding-between-the-government-of-the-united-kingdom-of-great-britain-and-northern-ireland-and-the-government-of-the-republic-of-r. visant à « relocaliser » dans le pays les demandeurs d’asile que la Grande-Bretagne voudra lui envoyer, afin d’examiner leurs dossiers en tant que « pays d’accueil » final. L’accord (arrangement), d’une durée de cinq ans, prévoit le versement (en une seule fois) de 120 millions de livres sterling (140,5 millions d’euros) et d’une somme entre 20 000 et 30 000 livres supplémentaires (23 400-35 140 euros) pour chaque migrant. Nous reviendrons plus en détail sur cet épisode un peu plus loin dans ce panorama. La signature de ce document a suscité la désapprobation générale de l’ONU et de la grande majorité de ses membres, y compris des partis d’opposition britanniques et rwandais. Accusé de « traite des êtres humains », le président rwandais, Paul Kagame, s’est justifié en arguant que cet accord ne ferait que souligner la générosité de son pays vis-à-vis des exilés49 Cf. Rwanda denies trading people allegation in UK asylum deal, dans Africanews du 22 avril 2022..

Au vu de la situation politique et économique difficile dans leurs pays respectifs, des milliers de Rwandais, Congolais, Ougandais, Kenyans et Somaliens, se sont mis en quête de meilleures perspectives en Tanzanie, notamment dans la région frontalière où se situe la ville de Kagera, sur les rives du lac Victoria, pour y effectuer des travaux agricoles dans des fermes locales. La plupart de ces migrants étant en situation irrégulière, les forces de l’ordre tanzaniennes ont ratissé la région et arrêté quelque 3 000 sans-papiers au cours du premier semestre 2022. D’autres opérations similaires ont été menées à la frontière nord et à Zanzibar, mais le nombre de personnes interceptées a été moindre. Cette politique de la Tanzanie en matière de lutte contre l’immigration irrégulière s’explique par le fait qu’en tant que pays de transit, elle fait office de « gardienne » contre les flux migratoires en direction de l’Afrique australe. Cette politique migratoire est officiellement financée par l’Union européenne50 Cf. l’article Tanzania, Ethiopia, Kenya agree on common roadmap to address irregular migration, à la page web https://ec.europa.eu/trustfundforafrica/all-news-and-stories/tanzania-ethiopia-kenya-agree-common-roadmap-address-irregular-migration_en..

Au large de la Tanzanie et du Mozambique, la migration irrégulière de Comoriens et d’autres Africains vers Mayotte, 101ème département français, se poursuit. Malgré le déploiement par la France de trois intercepteurs en mer et d’une surveillance aérienne 24 heures sur 24, en 2021 comme en 2022 les passages de clandestins en kwassa-kwassa (embarcation locale) se succèdent à une cadence d’au moins 530 par mois. Chaque année, 20 000 personnes arrivées par ce biais depuis les Comores sont rapatriées, mais cela n’est pas le cas des autres ressortissants africains, dont l’expulsion s’avère beaucoup plus coûteuse51 Cf. MÉROT, Grégoire, À Mayotte, le désespoir des migrants africains, dans Le Monde du 25 août 2022.. Le ministre de l’Intérieur français, Gérald Darmanin, compte réduire cet afflux en durcissant à Mayotte la législation sur le droit du sol, de nombreuses femmes comoriennes venant chaque année accoucher sur l’île afin de bénéficier d’un droit au séjour52 Cf. BÉGLÉ, Jérôme ; OLLIVIER, Christine ; RADENOVIC, Plana, Gérald Darmanin : « Il ny aura plus le même droit du sol à Mayotte », dans Le Journal du Dimanche du 21 août 2022.. Au cours des deux dernières années, 140 migrants se sont noyés au large de Mayotte.

En remontant vers le Nord, le Kenya, entouré de pays où les guerres civiles, l’insécurité, les régimes corrompus et les crises économiques structurelles constituent le quotidien des populations, est l’une des principales destinations pour les migrants forcés de la région, dont le nombre s’élève à plus de 550 000 personnes. Fin 2021, estimant que la présence de gigantesques camps comme ceux de Dadaab et Kakuma (440 000 habitants au total) représentait une menace potentielle (terrorisme, délinquance)53 Cf. DENG, Nhial, Refugees in Kenya’s Kakuma and Dadaab camps are still in limbo, dans Aljazeera du 28 mai 2022., le gouvernement kenyan a promulgué une loi (Refugee Act) prévoyant, avant la fin du mois de juin 2022, le démantèlement de ces structures et, en contrepartie, l’octroi d’aides financières, soit pour permettre aux occupants de s’insérer économiquement au Kenya, soit pour leur donner les moyens de retourner dans leur pays54 Cf. entre autres MAJANGA, Juma, Refugees in Kenya Gain Employment Rights as New Law Takes Effect, dans Voice of America du 6 mai 2022.. À l’heure actuelle, les camps en question existent toujours, d’une part parce que l’afflux de réfugiés continue, d’autre part parce qu’une telle décision comporte de nombreux problèmes, liés notamment à la création très ancienne de ces « citadelles ». Néanmoins, en plus d’ouvrir une voie à l’intégration des réfugiés, les autorités nationales ont également fait preuve de générosité, en libérant plusieurs centaines d’Éthiopiens sans papiers détenus en prison et en s’intéressant diplomatiquement au sort et aux conditions de travail de leurs compatriotes ayant émigré dans les pays du Golfe arabo-persique comme domestiques.

Plus au Nord, depuis des décennies la Corne de l’Afrique court le risque de se « balkaniser » en une myriade de petits États mono-ethniques qui revendiquent des territoires souvent partagés avec d’autres ethnies. Tous ces affrontements surviennent dans un contexte de famine et de dépendance à l’égard de l’aide humanitaire, vitale pour la survie de millions de personnes.

En Somalie, la guerre civile est toujours d’actualité, malgré l’installation, depuis la mi-mai 2022, d’un nouveau gouvernement présidé par Hassan Sheikh Mohamoud, qui ne contrôle qu’une petite partie du territoire national. Si, dans la partie septentrionale du pays, les provinces du Somaliland et du Puntland sont pratiquement indépendantes et se battent contre différents groupes djihadistes, parallèlement, au sud de Mogadiscio, de nombreuses villes sont à la merci des milices salafistes « Al-Shabab ». À cette crise politique s’ajoute une sécheresse qui dure depuis plus de cinq ans55 Cf. CROOME, Amy ; HUSSEIN, Muna, Climate crisis, gender inequalities and local response in Somalia/Somaliland, in «Forced Migration Review», 64, June, 2020, pp. 23-26..

L’Éthiopie, quant à elle, ne parvient toujours pas à apporter des réponses aux revendications des nombreux « fronts de libération » présents dans ses différentes régions administratives56 Cf. BREINES, Markus Roos. Ethnicity across regional boundaries : migration and the politics of inequality in Ethiopia. «Journal of Ethnic and Migration Studies», n° 15 2020. pp. 3335-3351.. La révolte, fin 2020, des Forces de défense du Tigré, qui se poursuit contre le pouvoir établi d’Addis Abeba, accusé de faire les intérêts des Oromos au détriment des Tigrés et de leurs alliés, ne constitue que le dernier conflit d’une longue liste. Son déroulement rappelle de plus en plus les pires méfaits commis pendant la guerre civile en Yougoslavie (nettoyage ethnique, mutilations sexuelles, viols, violences gratuites, etc.).

Les deux autres pays qui composent la région, l’Érythrée et Djibouti, maintiennent une certaine unité via la pression exercée par leurs systèmes « dictatoriaux »57 Pour cette raison l’Érythrée est souvent considérée par les instances de beaucoup de pays chargées de l’examen des demandes d’asile comme une « usine à réfugiés », au point que dans l’UE le taux moyen de reconnaissance de la qualité de réfugiés des demandeurs d’asile érythréens dépasse 75%. : le président érythréen, Isaias Afewerki, gouverne depuis 1993 sans avoir jamais été élu, tandis que son homologue djiboutien, Ismail Omar Guelleh, est au pouvoir depuis 1999, se prévalant de scores électoraux rarement inférieurs à 95%, qui attribuent à son parti 100% des sièges au parlement.

Dans ce contexte propice aux migrations forcées, pour les populations en situation de détresse les issues sont limitées et périlleuses : devenir des « déplacées internes » (presque 7,6 millions dans la région, dont 4,5 en Éthiopie) exposées aux agressions des ethnies en lutte ; fuir au Soudan et au Soudan du Sud, où les conflits des pays d’origine se sont exportés et se sont ajoutés à ceux qui enflammaient déjà les pays d’accueil ; s’expatrier au Kenya en évitant les pièges du groupe Al-Shabab, pour un avenir incertain dans des camps de réfugiés en voie de démantèlement ; ou bien, prendre la route désertique vers le port djiboutien d’Obock dans l’optique de s’embarquer pour un voyage extrêmement dangereux en direction du Yémen.

Plus à l’Est, la situation n’est guère meilleure. Le Soudan du Sud est plongé dans une guerre civile à l’origine de la famine et d’exils (des migrations qui ont conduit à des stocks de 2,2 millions de réfugiés et 1,7 million de déplacés internes), qui, au-delà des antagonismes ethniques, est alimentée par des luttes entre les éleveurs des provinces septentrionales et les agriculteurs des districts méridionaux, qui se disputent les ressources économiques disponibles. De son côté, le Soudan, qui continue d’être dirigé par un régime condamné à plusieurs reprises au niveau international pour crimes de guerre et pour compter parmi ses membres Mohammed Hamdan Dagolo, ancien chef des redoutables et tristement célèbres milices Janjawids58 Les Janjawids sont des groupes armés se revendiquant comme « arabes », appuyés par les autorités soudanaises, qui à partir de 2003 ont sévi et terrorisé surtout les populations du Darfour, à l’est du pays., bénéficie d’importantes aides européennes censées permettre au pays de filtrer les flux migratoires au départ de son territoire. Pays d’origine et de transit de migrants, en grande majorité des réfugiés, le Soudan a, en effet, récemment attiré l’attention de certains pays du Vieux Continent (Allemagne, Italie, France et Royaume-Uni), au vu du nombre croissant de demandeurs d’asile provenant de son territoire et atteignant les côtes européennes via la Libye et le Maroc. C’est pour cette raison que, depuis 2016, le régime de Khartoum reçoit plusieurs dizaines de millions d’euros afin de « lutter contre la traite des êtres humains et éradiquer les réseaux de passeurs »59 Cf. sur le site de la Commission européenne la page https://ec.europa.eu/trustfundforafrica/region/horn-africa/sudan_en., de l’argent qu’il utilise en partie pour financer les « Forces de soutien rapides » (RSF), créées en recrutant d’anciens Janjawids et censées surveiller les frontières. « Déployées à la frontière nord-ouest du Soudan, les RSF ont rapidement pris le contrôle des routes, mais ont également outrepassé leur rôle de gardes-frontières. Non seulement les miliciens pro-gouvernementaux ont commencé à demander de largent aux migrants et aux passeurs capables de payer pour éviter une arrestation, mais les RSF se sont directement livrées à des activités de transport de migrants »60 WARIN, Clotilde. Les conséquences des politiques de lUnion européenne sur les trajets migratoires au Soudan et au Tchad. «Migrations Société», n° 179, janvier-mars 2020. p. 98.. En août 2022, l’Italie a envoyé à Khartoum du personnel spécialisé des services secrets pour entraîner les RSF en vue du contrôle du territoire, obtenant en échange des informations pour identifier de nombreux ressortissants soudanais bloqués à l’époque à la frontière de Vintimille61 Cf. ALBERIZZI, Massimo, Con disprezzo dei diritti umani lItalia in segreto arma e addestra i tagliagole janjaweed in Sudan, dans Africa ExPress du 13 août 2022..

En déplaçant notre regard au milieu du désert du Sahara, le Tchad et le Niger sont considérés par les pays d’accueil du « premier monde » comme des « pays de transit » entre le Sud et le Nord. Par le premier transitent les flux migratoires provenant de la Corne de l’Afrique, tandis que le second servirait de passerelle vers le Nord aux migrants d’Afrique de l’Ouest. Pour tenter de déjouer la surveillance des RSF soudanaises, les migrants est-africains passent en général par les villes et villages du nord du Tchad pour atteindre ensuite la Libye, de préférence à Koufra ou à Rebyanah, une oasis située à 160 km de là. En 2022, d’après l’OIM, ils seraient près de 500 par jour à emprunter cette route migratoire, mais il est impossible de comptabiliser les passages. Quant au Niger, son ancien président, Issoufou Mahamadou, reconnaissait lui-même au sommet de La Vallette en 2015 que son pays constituait le point de passage principal des migrants souhaitant rejoindre l’Europe. Depuis, le pays s’est montré favorable à l’adoption des plans européens et onusiens visant à réduire les flux migratoires en partance d’Agadez vers la côte méditerranéenne. En se basant sur l’hypothèse que la part des réfugiés serait prépondérante parmi les exilés qui traversent le Niger, le gouvernement de Niamey a accepté les propositions européennes et du HCR consistant à encourager ces personnes à déposer leurs demandes d’asile sur le sol nigérien et à accueillir les étrangers sortis des geôles libyennes. Ainsi, « l’asile est devenu un élément à part entière d’un dispositif plus global de dissuasion migratoire et de maintien des populations sur place »62 CHAPPART, Pascaline. Le cas archétypique du Niger. in : GISTI, « Le droit d’asile à l’épreuve de l’externalisation des politiques migratoires », Paris, GISTI, 2020. p. 98..

En Afrique de l’Ouest, une grande partie des différents États du Sahel connaissent des situations assez analogues. En raison des multiples crises (économique, politique, sanitaire, climatique, etc.), auxquelles doivent faire face beaucoup de pays de cette zone géographique, ces derniers assistent à une nette augmentation des migrations internes et internationales. C’est le cas notamment du Nigeria, du Mali, du Burkina Faso et de la Guinée Conakry, à la merci d’une insécurité endémique. Autour du lac Tchad, les populations des quatre pays qui ont un débouché sur cette étendue d’eau (Tchad, Cameroun, Nigeria et Niger) doivent composer avec les razzias opérées par plusieurs groupes djihadistes, « Boko Haram » étant le plus connu. Malgré des épisodes récurrents de violence, les autorités locales prennent parfois la décision de démanteler certains camps de réfugiés, comme l’a fait, fin 2021 et début 2022, le gouverneur de l’État du Borno au Nigeria, qui a fait évacuer des campements en distribuant en contrepartie un peu de nourriture aux exilés, censés rentrer « chez eux »63 Cf. FABBIAN, Liza, Le Nigeria vide les camps de déplacés de Maiduguri, dans Le Monde du 31 décembre 2021.. Plus loin, dans la « région des trois frontières » (Burkina Faso, Niger, Mali) et dans le territoire de Macina (Mali), plusieurs conflits ont généré des déplacements dans de multiples directions. Comme ailleurs en Afrique, les raisons des combats ne sont pas seulement religieuses, ou ethniques, elles sont surtout économiques, opposant éleveurs et agriculteurs. L’instabilité politique affecte également la Guinée Conakry (théâtre d’un coup d’État fin septembre 2021) et le Burkina Faso (dont le coup d’État date de fin janvier 2022), ce dernier passant du statut de pays d’accueil de réfugiés à pays de déplacés internes. Parallèlement, toutes les zones boisées de frontière entre le Sahel et les États côtiers du Golfe de Guinée sont contrôlées par différentes bandes de trafiquants. Si le HCR est présent dans la plupart des camps de cette partie du monde, ces derniers se vident et se remplissent rapidement avant et après des attaques, tandis que beaucoup d’opérateurs humanitaires sont eux-mêmes des réfugiés64 Cf. SOUKOUNA, Sadio. Politiques daccueil et travail humanitaire des réfugiés maliens au Burkina Faso. «Migrations Société», n° 188 avril-juin 2022. pp. 155-169..

Puisque le cadre migratoire « explosif » esquissé est perçu par l’Union européenne comme une menace potentielle, le Maghreb, la Libye et la Mauritanie adoptent depuis quelques temps une politique de contrôle plus strict de leurs frontières65 Cf. DONNARD, Aurélia, Létau se resserre autour des migrants et réfugiés en Afrique de lOuest, texte publié par le site MixedMigration.org le 23 mai 2022.. Tous ces pays affichent en 2021 et 2022 une augmentation du taux de renvois et d’interceptions de migrants en situation irrégulière. Du côté du Sénégal, en février 2022, par le biais de la Commission européenne (visite d’Ursula von der Leyen et d’Ylva Johansson), Frontex a proposé ses services pour aider Dakar à patrouiller dans ses eaux66 Cf., entre autres, BENAZET, Pierre, LUnion européenne veut déployer Frontex au large des côtes sénégalaises, publié par Radio France Info le 11 février 2022.. En juin dernier, un document de travail européen (portant le code WK 7990/2022 INIT) montrait d’ailleurs que les négociations dans ce sens sont avancées. Frontex entend faire de même avec la Mauritanie via l’ouverture d’une antenne à Nouakchott.

Pour ceux qui veulent atteindre clandestinement l’UE en débarquant sur les îles Canaries, désormais le point de départ pour traverser l’Atlantique n’est plus tellement la Mauritanie, mais plutôt le Maroc. Si les côtes autour de la ville de Dakhla (Sahara occidental) ont traditionnellement été les plus empruntées jusqu’en 2021, en 2022 les embarcations prennent de plus en plus le large à partir de localités plus au nord, en dehors du territoire du Sahara occidental. C’est pour cette raison que les arrivées de migrants concernent actuellement plus les îles de Tenerife et de Lanzarote que celle de Las Palmas. Depuis quelques mois, l’archipel est devenu le point d’entrée maritime le plus important d’Espagne. Cette année, de janvier à juillet, le ministère de l’Intérieur espagnol a comptabilisé aux Canaries presque 17 000 nouveaux migrants irréguliers (+28% par rapport à 2021), tandis que les chiffres des personnes ayant péri noyées pendant le trajet diffèrent selon les sources, aucune donnée affichant toutefois un nombre inférieur à 500. Les exilés interceptés, pour lesquels 7 000 places de premier accueil ont été mises à disposition, provenaient en majorité du Maroc (27% à 32%), du Mali, de la Côte d’Ivoire, de la Guinée Conakry, du Sénégal, de la Gambie, de la Guinée Bissau, du Cameroun et d’autres pays d’Afrique de l’Ouest. Cependant, parmi eux, il n’est pas rare de trouver des personnes ayant parcouru beaucoup plus de kilomètres, comme celles qui sont parties depuis la Corne de l’Afrique, des Comores, du Yémen et du Bangladesh. Parmi ces exilés, 11% seulement sont reconnus comme réfugiés.

Par ailleurs, le Maroc partage également des frontières terrestres avec l’Espagne par le biais des enclaves de Ceuta et Melilla. La première, qui a fait l’objet d’une forte médiatisation au cours de 2021, a connu jusqu’à septembre 2022 un « calme » relatif bien que plus de 650 franchissements illégaux y aient eu lieu. Les 23 et 24 juin 2022, Melilla, en revanche, a été le théâtre d’un épisode dramatique d’affrontements entre quelque 2000 migrants (d’après les autorités locales), soudanais et nigérians pour la plupart, et les gardes-frontières marocains. La tentative de passage massive, qui s’est soldée par la mort d’une trentaine de migrants, semble avoir été provoquée par le démantèlement, la veille, à Iznuden, des baraquements qui abritaient ces exilés, entraînant un rassemblement des évacués en colère dans la forêt de Nador. Ces événements ont suscité l’indignation internationale, tandis que, dans la quête des responsabilités, les récits, selon les différents acteurs impliqués, présentent des versions diamétralement opposées67 Les journaux et les sites web qui ont relaté ces événements sont légion. Pour la France, citons, par exemple, l’article d’Aurélie Collas et Sandrine Morel sur Le Monde du 28 juin 2022, intitulé : Au Maroc, dans lenclave de Melilla, une tentative dentrée de migrants tourne au drame. Pour une réfléxion plus approfondie, voir, en revanche : TOURÉ, Niandou, Drame macabre à Melilla : des migrants sacrifiés sur l’autel de quelle cause ?, « Migrations Société » n° 189, juillet-septembre 2022, pp. 3-7..

À l’ouest du Maroc, en 2022, l’Algérie et la Tunisie ont voulu montrer leur réussite en matière d’interceptions de migrants en situation irrégulière. En mai, au cours de la première édition quadriennale à New York du Forum dexamen des migrations internationales, le représentant permanent de l’Algérie auprès des Nations unies, Nazir Arbaoui, a rappelé qu’en deux ans son pays avait démantelé 400 réseaux de passeurs. Cependant, au cours des huit premiers mois de 2022, l’agence Frontex a indiqué que plus de 19 000 migrants irréguliers avaient réussi à atteindre les îles Baléares depuis les côtes algériennes, presque tous originaires d’Algérie (deux tiers) et du Maroc. En réalité, tout en ayant pris des engagements avec l’Espagne en vue de contrecarrer les flux migratoires, les gouvernements algérien et marocain tendent à utiliser la migration clandestine vers la péninsule ibérique comme un moyen de pression sur Madrid, selon que l’État espagnol appuie politiquement l’un ou l’autre des deux pays.

De son côté, la Tunisie, qui, depuis deux décennies, est devenue une destination pour la migration subsaharienne68 Cf. CASSARINI, Camille. Limmigration subsaharienne en Tunisie : de la reconnaissance dun fait social à la création dun enjeu gestionnaire. «Migrations Société», n° 179, janvier-mars 2020. pp. 43-58., notamment ivoirienne69 Cf. CASSARINI, Camille. Dynamiques socio-politiques et territorialités de limmigration ivoirienne en Tunisie, «L’Année du Maghreb» n° 27, 2022, pp. 201-221., a lancé cette année des opérations que certains médias et de nombreuses ONG humanitaires ont qualifiées de « rafles » à l’encontre des étudiants et des travailleurs d’Afrique noire. D’après ces sources70 Cf. par exemple, AYADI, Wissal, Tunisie : Les migrants subsahariens confrontés à des difficultés et réclament un meilleur traitement (Entretien avec Ange Seri-Soka), dans GlobalNet du 9 mai 2022 ; DELPUECH, Aïda, Arrestations arbitraires et carte de séjour : des épreuves racistes pour les Subsaharien·nes en Tunisie, dans Inkyfada du 23 février 2022 ; LAURENT, Théodore, Immigration : doutes et perplexité des Subsahariens de Tunisie, dans Le Temps News du 9 avril 2022 ; BLAISE, Lilia, Rafles, insultes, violences… Le traitement des étudiants subsahariens empire en Tunisie, dans Le Monde du 23 février 2022., au moins 300 de ces derniers auraient été interpellés par la police, les intéressés dénonçant des attitudes racistes de la part des forces de l’ordre.

En déplaçant notre regard plus à l’Est, en Libye les « geôles » pour migrants existent toujours et, selon l’OIM, quelque 32 000 personnes y seraient actuellement détenues, tandis que les exilés qui sont renvoyés dans le pays après avoir été interceptés en Méditerranée ou réadmis depuis l’UE, seraient, d’après la même organisation onusienne, victimes d’extorsions, de violences arbitraires, de viols et de tortures. Les migrants qui rejoignent la Libye par le Sud, entrent dans un pays contrôlé par les milices de différents clans ethniques qui se partagent de vastes régions. Les ressortissants de la Corne de l’Afrique qui prennent la décision de migrer, savent ce qu’ils devront affronter. Après avoir subi de multiples exactions en Éthiopie et au Soudan, leur sort est entre les mains des passeurs toubous qui occupent la zone frontalière du nord-est du Tchad et le district libyen d’Al-Koufrah. En revanche, les migrants venant du Nigeria et d’Afrique de l’Ouest, une fois arrivés à Agadez, sont transportés par des trafiquants touaregs jusqu’à Sebha, où ils tentent de trouver un emploi et d’échapper aux violences qui affectent les étrangers. Si les Ouest-Africains se dirigent majoritairement, au terme de leur parcours migratoire, vers la Libye, les Est-Africains considèrent ce pays comme une étape incontournable de leur chemin vers l’Europe, premier « pays » véritablement « sûr »71 Cf. KUSCHMINDER, Katie. Before disembarkation : Eritrean and Nigerian migrants journeys within Africa. «Journal of Ethnic and Migration Studies», n° 14 2021. pp. 3260-3275..

Amériques

En Amérique du Nord, par rapport à l’ensemble du continent, le Canada apparaît actuellement comme le pays le plus favorable à l’immigration. En effet, dans la lettre de mission que le Premier ministre canadien, Justin Trudeau, a adressé, fin décembre 2021, à Sean Fraser, à peine nommé ministre « de l’Immigration, des réfugiés et de la citoyenneté72 « Citoyenneté » est le terme officiel utilisé dans la version française de l’intitulé de ce ministère, mais il correspond plutôt à « nationalité » (citizenship). », des changements en matière de politique migratoire semblent aller dans ce sens. « Nous devons continuer de nous attaquer aux inégalités et aux disparités systémiques profondes qui demeurent présentes dans notre tissu social, notamment au sein de nos institutions fondamentales. » écrit le leader politique canadien, qui poursuit ainsi son texte : « En tant que ministre de lImmigration, des Réfugiés et de la Citoyenneté, vous traiterez de façon prioritaire les travaux en cours visant à renforcer le système dimmigration et de réfugiés du Canada, notamment en accueillant un plus grand nombre de nouveaux arrivants dans toutes les régions du pays, lesquels contribueront à la relance économique du pays après la pandémie de COVID-19 »73 Lettre de mandat au ministre de l’Immigration, des Réfugiés et de la Citoyenneté, signée par le Premier ministre Justin Trudeau et datée du 16 décembre 2021. Il s’agit du texte officiel en français.. D’après le « Plan des niveaux d’immigration » 2021-2023, le gouvernement d’Ottawa s’est fixé comme objectif pour 2022 d’octroyer des permis de résidence d’une durée illimitée à plus de 430 000 immigrés et de faire émerger de l’économie souterraine, via une régularisation massive, quelque 500 000 sans-papiers. Cette « bienveillance » apparente vis-à-vis des travailleurs étrangers traduirait, selon certains sondages, à la fois une tendance moins xénophobe de l’opinion publique nationale et une convergence idéologique sur cette question des libéraux et des conservateurs, les deux principaux partis canadiens74 Cf. HEISLER, Jay, Canadian Parties agree : Immigrants are Welcome Here, dans Voice of America du 6 septembre 2022.. Au-delà de ce qui pourrait ressembler à de « meilleurs sentiments » dus à la reconnaissance pour les services rendus par les migrants durant la pandémie75 Cf. ISAAC, Maike ; ELRICK, Jennifer. How COVID-19 may alleviate the multiple marginalization of racialized migrant workers. «Ethnic and Racial Studies», n° 4-5, March-April 2021. pp. 851-863., le Canada souhaite répondre à la pénurie de main-d’œuvre et de compétences qui l’affecte dans de multiples secteurs économiques par le biais d’un apport consistant de travailleurs étrangers. La nouvelle réforme visant à faciliter les démarches en vue d’immigrer, entamée durant le premier semestre de 2022, a contribué à faire rapidement augmenter le nombre de permis de séjour, grâce à plusieurs simplifications bureaucratiques.

En déplaçant plus au sud notre curseur sur le sol américain, les États-Unis, de par leur politique migratoire, continuent d’influencer la plupart des mouvements de population du continent. Comme promis lors de sa campagne électorale, le président Joe Biden a voulu marquer une nette rupture avec les orientations de son prédécesseur. Son premier engagement a consisté à allouer 4 milliards de dollars à l’aide au développement économique du « Triangle nord », à savoir la région d’Amérique centrale qui comprend le Salvador, le Guatemala et le Honduras, afin de tarir rapidement les flux migratoires venant du Sud. Si la somme annoncée n’a pas encore été versée, le Mexique, se fiant aux promesses de son grand voisin, s’est déjà chargé de convaincre les États concernés afin qu’ils contiennent l’émigration. Dans le même temps, l’Administration Biden, en plus de stopper la construction du mur avec le Mexique, a relancé l’« Action différée pour les arrivées d’enfants » (DACA), un dispositif lancé par Barak Obama en 2012 et bloqué six ans plus tard par Donald Trump, qui permet aux mineurs âgés de seize ans entrés irrégulièrement sur le territoire de rester, d’étudier ou de travailler sur le sol américain pendant deux ans76 Cf. PRICE, Marie; ROJAS, Giancarla, The ordinary lives and uneven precarity of the DACAmented: visualising migrant precarity in metropolitan Washington, « Journal of Ethnic and Migration Studies », n° 20, 2020, pp. 4758?4778.. Si ces décisions ont eu un impact mitigé sur l’opinion publique américaine, une autre mesure édictée par l’actuel président a créé un clivage majeur au sein de la société. Le 23 mai 2022, Joe Biden a, en effet, suspendu une ordonnance basée sur la loi appelée « Titre 42 » relative aux services de santé publique, que Donald Trump avait promulguée le 20 mars 2020, dont le but était de fermer les frontières avec le Mexique et le Canada pour les voyages considérés comme « non essentiels ». La mise en œuvre du Titre 42 (section 265) avait eu pour conséquence l’expulsion rapide des migrants ayant franchi la frontière américaine irrégulièrement. En deux ans, cette décision a entraîné 1,8 million de rapatriements et un million de personnes se sont retrouvées sans papiers, non régularisables ni expulsables.

Avant la suspension de cette ordonnance, les partisans du parti républicain et, notamment, certains gouverneurs et procureurs affiliés à ce même parti, craignant l’arrivée incontrôlée d’une masse de clandestins (qu’ils estimaient à 18 000 par jour), ont essayé, en vain, d’inciter le président américain à faire marche arrière. En guise de protestation, le gouverneur du Texas, Greg Abbott, est allé jusqu’à envoyer des cars remplis de milliers de sans-papiers colombiens, cubains, vénézuéliens et nicaraguayens devant la Maison Blanche et devant les sièges de plusieurs États administrés par des gouverneurs démocrates77 Parallèlement, la maire démocrate de la « ville sanctuaire » de Chicago, Lori Lightfoot, a déclaré à propos des migrants que Greg Abbott lui a envoyés début septembre 2022 : « Nous les avons accueillis à bras ouverts et nous continuerons à le faire. Je refuse de leur tourner le dos à un moment où ils ont le plus besoin de soutien ». Cf. l’article d’Ed Pilkington, They are human beings: Chicago mayor welcomes migrants bussed by Texas, du 2 septembre 2022.. Dans la droite ligne de son homologue texan, le gouverneur de Floride, Ronald Dion DeSantis a formellement déclaré que son État n’était pas un “État sanctuaire”.

L’appel d’air redouté par les opposants à la politique migratoire de Joe Biden s’est effectivement produit, à raison d’un pic de 241 000 entrées clandestines enregistrées au mois de mai 2022 (+1% par rapport à avril), sans toutefois atteindre les niveaux envisagés par ses détracteurs. Néanmoins, il est indéniable que pour beaucoup de migrants la fin des mesures décidées par Donald Trump a représenté un signal d’espoir. Mais en dépit de l’intention affichée par la Maison Blanche d’agir avec un peu plus d’humanité à l’égard des migrants, la frontière méridionale des États-Unis demeure un lieu de passage meurtrier pour nombre d’entre eux. En plus des corps de dizaines de migrants découverts chaque année dans les déserts d’Arizona et du Nouveau Mexique, des nouvelles macabres faisant état de personnes ayant perdu la vie en tentant d’escalader des murs ou de traverser le Rio Bravo ou le Rio Grande se succèdent à une cadence quasi quotidienne. Du 1er octobre 2021 à la fin septembre 2022 (dates qui correspondent à l’année fiscale aux USA), 802 décès de migrants ont été recensés à la frontière américano-mexicaine. À cela s’ajoutent d’autres épisodes dramatiques comme la découverte, le 27 juin 2022, à San Antonio (Texas) à 250 km de la frontière mexicaine, d’un semi-remorque abandonné sous une chaleur proche des 40 degrés, à l’intérieur duquel gisaient 46 cadavres de migrants morts asphyxiés (22 Mexicains, 7 Guatémaltèques, 2 Honduriens et 15 personnes non identifiées), 16 autres ayant pu être sauvés à temps.

Comme dans tous les pays d’immigration, ces événements, aussi graves soient-ils, n’ont eu aucune conséquence sur le plan politique, chacun se renvoyant la responsabilité, la faute incombant, selon les versions, soit à ceux qui prônent des frontières étanches, soit à ceux qui favoriseraient, par leur ouverture, le travail des passeurs.

Entre-temps, en matière de politique d’asile, la Cour suprême a validé, en juillet 2022, la décision décrétée par Joe Biden de mettre un terme aux « Protocoles de protection du migrant » (Migrant Protection Protocols), surnommés « Remain in Mexico »78 Quant aux conséquences de cette politique, cf. PARIS POMBO, Maria Dolores. États-Unis-Mexique : même obsession, mêmes conséquences. in : GISTI, Le droit d’asile à l’épreuve de l’externalisation des politiques migratoires’? Paris, GISTI, 2020. pp. 118-135. et établis par Donald Trump, qui prévoyaient que les demandeurs d’asile provenant de la frontière sud attendent au Mexique que leurs requêtes soient examinées. L’abrogation, qui date de plus d’un an, avait été contestée par l’État du Texas.

Plus au Sud, le Mexique devient chaque jour un peu plus un espace tampon de la migration au départ de certains pays d’Amérique centrale (Guatemala, Honduras, Salvador) et des Caraïbes (Cuba, Haïti) vers les États-Unis. Ces intenses mouvements de population vers le Nord se déroulent dans un contexte dominé par la violence. Celle-ci ne fait pas que caractériser le trajet migratoire, elle est également à l’origine des départs79 Cf. FARET, Laurent. Migrations de la violence, violence en migration. Les vulnérabilités des populations centraméricaines en mobilité vers le Nord. «Revue européenne des migrations internationales», n° 1 2020. pp. 31-51.. Depuis 2018, cette région voit régulièrement se former des « caravanes de migrants », ces derniers se retrouvant dans la ville frontalière hondurienne de San Pedro Sula pour traverser ensuite le Guatemala et passer la frontière mexicaine à hauteur de Tapachula80 Cf. GANDINI, Luciana. Caravanas migrantes : de respuestas institucionales diferenciadas a la reorientación de la política migratoria. «Revista Interdisciplinar da Mobilidade Humana», n° 60 Dezembro 2020. pp. 51-69.. De là, le convoi, qui peut compter entre 3 000 et 10 000 personnes, remonte vers la ville de Mexico, où, parfois, il se scinde en deux, certains poursuivant soit vers le Nord-Ouest (Tijuana), soit vers le Nord-Est (Nuevo Laredo, Reynosa, etc.). Cette stratégie migratoire, au vu des risques encourus, a pour but de protéger les migrants tout au long du parcours. En 2022, de janvier à fin août, au moins deux caravanes se sont formées, que l’État mexicain a essayé d’arrêter en octroyant des visas temporaires aux participants.

En raison de la politique, mentionnée plus haut, du « Remain in Mexico », en 2021 le Mexique a traité plus de demandes d’asile (123 187, +75%) que son voisin américain, dont il a réadmis plus de 114 000 expulsés. Parmi les 230 000 migrants irréguliers arrêtés lors du franchissement de la frontière septentrionale, quelque 115 000 sont actuellement détenus dans ses centres de rétention, les camps de réfugiés comme les « maisons du migrant » étant, quant à eux, désormais surpeuplés. Ces refuges comptent également un nombre croissant d’Haïtiens (51 000 d’entre eux ont demandé l’asile en 2021) et d’individus de différentes nationalités. Par ailleurs, 4 000 Ukrainiens séjournent actuellement dans la ville de Tijuana ; la quasi-totalité d’entre eux ont de la famille aux USA, et sont arrivés après avoir atterri dans un premier temps à Bogotá81 Cf. SALIBA, Frédéric, Lodyssée des réfugiés ukrainiens vers les États-Unis passe par Tijuana, au Mexique, dans Le Monde du 15 avril 2022..

Parallèlement, afin de réduire la pression migratoire qui s’exerce sur son pays, en mai 2022, le président mexicain, Andrés Manuel López Obrador, estimant que la « cause profonde » de l’émigration depuis l’Amérique centrale serait la « misère », s’est lancé dans un tour de sommets diplomatiques avec ses homologues hondurien, guatémaltèque, salvadorien, bélizien et cubain, pour proposer de soutenir financièrement deux projets économiques (« Sembrando Vida » [Semant la vie] et « Jóvenes Construyendo Futuro » [Jeunes construisant l’avenir]) censés contribuer à freiner l’exode depuis ces pays82 Cf. OLIVARES, Emir; URRUTIA, Alonso, Extender programas a Guatemala, Belice y Cuba, meta del Presidente, dans La Jornada du 5 mai 2022..

Toujours en Amérique centrale, mais dans les Caraïbes, Haïti est sans doute le pays du continent le plus touché actuellement par l’émigration après le Venezuela. La diaspora haïtienne est présente pratiquement dans l’ensemble de l’Amérique83 Les statistiques de l’ONU sous-estiment largement le nombre d’émigrés haïtiens, en partie à cause de la situation juridique de ces derniers. À titre d’exemple, selon les Nations unies, en 2019 les immigrés haïtiens au Brésil n’étaient que 73, tandis que la presse et les institutions brésiliennes ne descendent jamais sous la barre des 40 000 dans les estimations de leur présence dans le pays. Cf. également PAUL, Bénédique. Haïti, terre de migrations depuis toujours. in : BEAULIERE, Arnousse (sous la direction de), La Condition immigrée. Regards sur un phénomène complexe. Paris, L’Harmattan, 2020. pp. 141-162, et surtout p. 152., et les migrants haïtiens se retrouvent en nombre dans tous les points de passage majeurs de la migration irrégulière. Si, depuis le tremblement de terre de 2010, les Haïtiens se sont beaucoup tournés vers l’Amérique latine, à partir de 2021 une partie considérable d’entre eux a changé d’itinéraire migratoire pour se rendre aux USA, où, par ailleurs, réside la plupart de leurs concitoyens expatriés. Leurs trajets migratoires sont souvent très périlleux, à commencer par la traversée de la tristement célèbre forêt du Darien, une vaste étendue d’une épaisse végétation située entre la Colombie et le Panama, où ils constituent de loin la grande majorité (62%) des quelque 91 300 migrants qui s’y sont aventurés de septembre 2021 à août 202284 Données fournies par l’OIM. En plus des Haïtiens, les Cubains sont également nombreux, puis viennent loin derrière les Vénézuéliens, les Bangladais, les Sénégalais, les Ghanéens, les Ouzbeks, les Indiens et les Népalais.. En partant de Necoclí, ville sur la côte colombienne du Golfe d’Urabá, il leur faut huit jours de marche sur un « chemin » hérissé d’obstacles (serpents et insectes aux morsures mortelles, félins, brigands, falaises, humidité asphyxiante) où il n’existe pas de sentier tracé, avant d’atteindre le petit village de Canaan au Panama. Là, les policiers les attendent pour évaluer les dangers potentiels qu’ils représentent pour la société locale avant de les envoyer dans le camp de Meteti. Un nombre important de ces exilés meurent pendant le trajet et, au vu des dangers, personne ne cherche à récupérer leurs cadavres.

S’ils se joignent aux « caravanes des migrants » du continent, des milliers d’Haïtiens empruntent également la voie maritime pour entrer sur le territoire américain en passant par Cuba, Les Bahamas ou Porto Rico. Là aussi, les risques sont énormes, des drames surviennent à tout moment (au moins 28 morts en 2022).

Les flux migratoires haïtiens inquiètent en particulier la République dominicaine, sa voisine, qui craint d’être « envahie ». C’est pour cette raison que le gouvernement de Saint-Domingue a entamé, en février 2022, la construction d’un mur tout au long des 392 km de frontière entre les deux pays. Le président dominicain, Luis Abinader, a justifié cette décision en arguant que son pays ne pouvait plus subir les conséquences des crises économiques et politiques de son voisin.

Si la situation migratoire des Haïtiens, bien que dramatique, est très souvent passée sous silence au niveau mondial (opinion publique et rapports des organisations onusiennes), cela n’est pas le cas pour l’exode provenant du Venezuela, devenu massif à partir de 2017. Afin de suivre statistiquement l’évolution de cet important mouvement de population, l’ONU a fédéré la plupart de ses agences pour créer une plateforme, appelée Response for Venezuelians (Réponse pour les Vénézuéliens, abrégé en « R4V »)85 La R4V porte également l’intitulé Inter-Agency Coodination Platform for Refugees and Migrants from Venezuela (« Plate-forme de coordination inter-agences pour les réfugiés et les migrants du Venezuela »)., qui collecte en temps réel des informations communiquées par des antennes régionales couvrant 17 pays latino-américains. Ainsi, d’après les données disponibles fin septembre 2022, 6,8 millions de Vénézuéliens vivraient à l’étranger, surtout en Colombie (36%), au Pérou (19%), en Équateur (7%), au Chili (6%) et au Brésil (5%). Plus complexe est en revanche leur comptabilisation selon les différents statuts juridiques attribués par les pays d’accueil. En effet, si les moins de 200 000 Vénézuéliens reconnus comme réfugiés se trouvent majoritairement en Espagne (44%), au Brésil (24,5%), aux États-Unis (9,5%) et au Mexique (8,3%), les quelque 970 000 demandeurs d’asile de même origine attendent l’issue du traitement de leur dossier principalement au Pérou (55%), aux USA (25%) et au Brésil (8,8%). Tous ces chiffres mettent en évidence le fait que la plupart des pays concernés par la diaspora vénézuélienne (Colombie, Pérou, Équateur, Chili, Argentine et Brésil) ont opté soit pour l’octroi d’une « protection » ou d’un « séjour » temporaires – touchant 2,4 millions de Vénézuéliens au total soit ont laissé le reste de cette population en situation irrégulière.

Les conditions de vie des exilés vénézuéliens continuent actuellement de représenter une urgence humanitaire grave, comme en témoignent de très nombreux récits et rapports. Si au début du phénomène (2017-2018) les pays d’accueil semblaient simplifier les démarches pour les régulariser, ils ont tous par la suite progressivement durci leur politique d’entrée et de séjour à leur égard, notamment le Pérou, l’Équateur et le Chili86 Cf. BAUER, Kelly. Extending and restricting the right to regularisation : lessons from South America. «Journal of Ethnic and Migration Studies», n° 19 2021. pp. 4497-4514 ; ALVES MARTINO, Andressa ; BERTINO MOREIRA, Julia. A política migratória brasileira para venezuelanos : do «rótulo» da autorizaçao de residência temporária ao do refúgio (2017-2019). «Revista Interdisciplinar da Mobilidade Humana», n° 60 Dezembro 2020. pp. 151-166..

Au sud du Venezuela, tout en étant un géant sur le plan de la superficie, d’un point de vue statistique le Brésil n’enregistre ni une immigration massive, ni des exodes importants. Le gouvernement brésilien affiche sur son site web que le nombre de travailleurs immigrés a augmenté de 25% en 2021, mais il ne s’agit que d’à peine 181 000 personnes, provenant majoritairement du Venezuela, d’Haïti et de Colombie87 L’Institut brésilien de statistique et de géographie (IBEG) estime, en revanche, le nombre total d’immigrés au Brésil à quelque 492 000 personnes (0,26% de la population nationale).. Il est, cependant, fort probable que les valeurs réelles soient très sous-estimées. Parallèlement, certaines régions ont un taux d’émigration internationale assez élevé, comme la municipalité de Governador Valadares dans l’État du Minas Gerais, dont les communautés locales doivent beaucoup aux transferts de fonds de leurs concitoyens88 Cf. STARGARDTER, Gabriel, A Brazilian town empties as migration to U.S. accelerates, dans Reuters du 30 novembre 2021 ; JORGENSEN, Nuni V. ; BARBIERI, Alisson F. ; GUEDES, Gilvan R. ; ZAPATA, Gisela International migration and household living arrangements among transnational families in Brazil. «Journal of Ethnic and Migration Studies», n° 19 2021. pp. 4386-4404..

En matière de politique migratoire, le Brésil semble vouloir faire un pas en vue d’améliorer sa législation concernant les droits des étrangers. En mai 2022, sur proposition du président de la Commission des droits de l’Homme et des minorités, Carlos Veras, la chambre des députés a accepté de créer une commission spéciale chargée d’évaluer la possibilité pour le pays de signer la « Convention internationale sur la protection des droits de tous les travailleurs migrants et des membres de leur famille ».

En poussant vers le Sud-Ouest du continent sud-américain, le Chili constitue, d’un point de vue économique, la meilleure destination pour les migrants comme alternative aux États-Unis, et il attire donc un flux constant d’exilés vénézuéliens, ce qui suscite de plus en plus l’hostilité de la population locale. Sous le gouvernement d’une coalition de droite dirigé jusqu’en mars 2022 par Sebastián Piñera, comme sous la présidence actuelle d’une coalition de gauche menée par Gabriel Boric, les lois sur l’immigration ont connu un durcissement progressif, surtout à l’encontre de certains pays d’origine. Désormais, pour entrer au Chili, les ressortissants vénézuéliens, cubains, haïtiens et dominicains doivent d’abord demander un visa de « séjour transitoire » au consulat chilien dans leur pays. Cela signifie qu’ils doivent satisfaire à un nombre important d’exigences, et avant tout prouver qu’ils disposent d’un niveau de ressources économiques plus que suffisant pour faire face au coût de la vie dans le pays d’accueil. De tels obstacles à l’immigration ont eu comme conséquence logique une augmentation des entrées clandestines, une hausse du nombre des sans-papiers et des épisodes de xénophobie, d’exploitation et de violence à leur endroit89 Cf. BERRIOS-RIQUELME, José. Labor market insertion of professional Venezuelan immigrants in northern Chile : precariousness and discrimination in the light of migration policy. «Revista Interdisciplinar da Mobilidade Humana», n° 62 Agosto 2021. pp. 117-132..

La plupart des Vénézuéliens franchissent la frontière chilienne en passant par la Bolivie. Ils empruntent un chemin très dangereux à travers le désert d’Atacama, c’est-à-dire via l’endroit le plus aride au monde, situé à 3 600 mètres d’altitude et exposé à des températures extrêmes (de _25° à +50° degrés). Ils longent l’étendue couverte de sel de Coipasa et atteignent ainsi la ville frontalière de Colchane, non sans avoir perdu la plupart de leurs biens, victimes de bandes criminelles ou des forces de l’ordre90 Ces trajets migratoires sont documentés par plusieurs vidéos consultables sur internet, comme celle, datée de février 2022, proposée par BBC Mundo à l’adresse https://www.youtube.com/watch?v=iHcc3kPa2Kg (lien visité le 28 septembre 2022).. Une fois parvenus au Chili, ils se dirigent vers la ville côtière d’Iquique, où l’accueil de la part des autochtones est partagé entre ceux qui souhaitent aider ces femmes et ces hommes et ceux qui vont même jusqu’à menacer de les tuer91 Cf. GENOUX, Flora, Au Chili, un racisme croissant envers les immigrés, dans Le Monde du 2 décembre 2021..

Europe

La fin de 2021 et l’année 2022 ont été marquées par des événements que les institutions de l’Union européenne (UE) et celles de ses États membres désignent désormais et de manière récurrente sous le terme de « crises ». Face à une actualité migratoire européenne très riche et souvent dramatique qui a globalement touché tous les pays, au lieu de passer en revue les faits saillants pays par pays, nous essaierons de les synthétiser en les évoquant au sein des différentes « crises » survenues et/ou encore en cours.

Ces dernières se sont développées dans un contexte marqué par les retombées de la période de lutte contre la pandémie de Covid-19, par une économie confrontée à une pénurie de main-d’œuvre dans des secteurs d’activité essentiels, par une dénatalité accrue et par une incertitude quant à l’avenir de cette région du monde au vu des conséquences de la guerre en Ukraine et du dérèglement climatique. Les inquiétudes liées à l’évolution du conflit en Ukraine, qui menace de s’étendre au-delà de ses frontières et qui a mis en lumière la réalité de l’interdépendance économique mondiale, n’ont fait que masquer la difficulté des pays européens à parler d’une seule voix sur le plan politique, notamment en ce qui concerne les réponses à apporter en matière d’immigration, d’asile et d’intégration des étrangers. En dépit des déclarations des membres de la Commission européenne, qui estiment que l’UE est aujourd’hui beaucoup mieux armée pour affronter des « crises migratoires » comme celle de 2015, un simple tour d’horizon des médias européens, des documents officiels produits par les instances législatives et des faits enregistrés, nous amène au constat qu’aucun des dossiers cruciaux en matière de migration sur la table de la Commission ne semble en voie de résolution.

Les prises de position politiques montrent que chaque pays se renvoie la responsabilité du traitement des migrants, que les États « externalisent » le plus possible des tâches qui leur incombent pour éviter d’être directement impliqués, et que beaucoup d’entre eux restent sourds aux invitations faites par la Commission européenne visant à répartir les personnes accueillies au sein des différents pays de l’UE. À cela s’ajoute une « crise de l’information » qui entrave le développement de réflexions pertinentes et constructives, les faits et les propos étant déformés par des acteurs médiatiques aux intérêts antagonistes.

Crise de main-d’œuvre (étrangère)

Si dans d’autres continents la crise actuelle de main-d’œuvre et, plus largement, le déficit de population active affectent certains pays plus que d’autres, en Europe ce phénomène est partout présent. Aucun pays n’est épargné par la pénurie de main-d’œuvre dans des secteurs clés, et ce, quel que soit le niveau de qualification.

Pour tenter de remédier à cette situation, depuis le mois d’avril 2022, la Commission européenne est en train d’élaborer un projet de directive visant à permettre l’entrée sur le territoire de l’UE d’une immigration légale qualifiée, espérant ainsi attirer de la main-d’œuvre d’Afrique du Nord, d’Afrique de l’Ouest et du sous-continent indien92 Confirmée par un Twit de la Commission européenne, la nouvelle a été relayée par de nombreux médias. Voir, par exemple, l’article intitulé Bruxelles veut faciliter limmigration légale de “compétences et de talents”, paru dans Infomigrants du 29 avril 2022. Au niveau officiel, cf. la page web https://ec.europa.eu/commission/presscorner/detail/fr/QANDA_22_2655.. Tout en précisant que cette ouverture à l’immigration économique ne concernerait que les étrangers aux « talents » et « compétences » élevés, la Commission, en plus des professions dans les domaines de la santé et des nouvelles technologies, inclut parmi les secteurs économiques « en tension » ceux de la construction et des transports, qui n’exigent pas normalement de personnel hautement qualifié.

La possibilité d’avoir recours à des « travailleurs étrangers », ou, plus précisément, à des « travailleurs extracommunautaires », a été récemment prise au sérieux par la Finlande, pays comptant à peine 5,6 millions d’habitants, qui accuse une perte de 10 000 actifs chaque année et qui aurait aussi besoin de 30 000 infirmiers. Bien que le taux de chômage s’élève à 27,5% parmi la population immigrée, le pays cherche à recruter des travailleurs en Russie, en Inde et en Chine. Helsinki s’est fixé pour objectif de faire venir 10 000 travailleurs par an, en donnant la priorité, sans surprise, à une immigration relativement qualifiée.

Nous retrouvons un scénario similaire en République tchèque, où, en revanche, la volonté d’ouvrir le pays à l’immigration est portée par le patronat. Les postes à pourvoir s’élèveraient à plus de 360 000 et les immigrés venant des pays voisins (Slovaques, Hongrois et Ukrainiens), qui représentent 10% des actifs, ne suffisent pas à combler ce vide. Au-delà du système de quotas en vigueur, de plus en plus de travailleurs viennent désormais des Balkans, de la Moldavie et même des Philippines.

En raison du vide laissé par ses 4 millions d’émigrés, la Roumanie, où 480 000 emplois sont à pourvoir, se tourne également vers l’Asie. Bucarest met discrètement en œuvre une politique de recrutement d’ouvriers extracommunautaires par le biais d’agences privées en plein essor93 Il suffit d’effectuer une recherche sur internet en utilisant l’expression « Agen?ii de recrutare a lucrãtorilor strãini » (« Agences de recrutement de travailleurs étrangers ») pour observer à la fois le nombre considérable de références obtenues et le ciblage de ces agences en direction de certains pays asiatiques. qui opèrent en Asie et drainent vers le pays des ressortissants philippins, vietnamiens et du sous-continent indien.

Les exemples finlandais, tchèque et roumain montrent une situation paradoxale avec des marchés internationaux du travail où chômage et offres d’emploi pléthoriques se côtoient, et où des pays d’émigration peuvent se transformer en pays d’immigration pour répondre à leurs besoins de main-d’œuvre.

Crise biélorusse

Entre l’été 2021 et février 2022, des dizaines de milliers de migrants kurdes (syriens, irakiens), yéménites et d’autres nationalités se sont retrouvés coincés aux frontières polonaise et lituanienne avec la Biélorussie, ce qui, notamment à l’arrivée de l’hiver, a conduit à une situation d’urgence humanitaire. Au-delà de ses conséquences tragiques, qui ont coûté la vie à au moins une vingtaine de personnes, cet épisode94 Les événements survenus à la frontière entre l’UE et la Biélorussie rappellent ceux qui s’étaient produits en janvier et février 2020 le long de la frontière gréco-turque, lorsque Ankara, qui avait voulu punir l’UE pour son appui aux milices ennemies présentes en Syrie, avait laissé passer des milliers de migrants en territoire grec via la rivière Evros. est devenu emblématique de l’instrumentalisation cynique de la migration des « indésirables » à des fins politiques, ainsi que des hésitations sur le plan éthique des autorités compétentes lorsqu’il s’agit de choisir entre préserver une image de fermeté en matière de gestion migratoire et les droits inaliénables des êtres humains.

Nombre d’éléments laissent à penser que ces flux migratoires apparus de façon soudaine à la frontière orientale de l’UE via l’aéroport de Minsk sont le fruit d’une opération orchestrée par le gouvernement biélorusse avec le concours de ses alliés (la Syrie notamment), qui sont également les alliés de la Russie. En effet, à partir de l’été 2021 des informations destinées aux communautés syrienne, irakienne, ouest-africaine, yéménite95 Ces migrants de nationalité yéménite n’ont pas entamé leur voyage depuis le Yémen, mais ils se trouvaient déjà à l’étranger au moment où ils ont eu vent d’une fenêtre ouverte vers l’UE à travers la Biélorussie. et à d’autres nationalités ont commencé à apparaître sur certains « réseaux sociaux » (Telegram et Snapchat au début, puis Facebook, WhatsApp, etc.), annonçant l’ouverture d’une « fenêtre » migratoire vers l’Europe à travers la Biélorussie. Parallèlement, dans de nombreux pays d’émigration, les consulats biélorusses ont délivré des visas à toutes les personnes qui en faisaient la demande, tandis que, dans le même temps, des agences de voyage appartenant à des proches du personnel du corps diplomatique biélorusse ont proposé des trajets sûrs pour la somme d’environ 7 000 dollars. Par la même occasion, des compagnies aériennes comme Belavia (Biélorussie), Cham Wings Airlines (Syrie), Iraqui Airways et Fly Bagdad (Irak) ont affrété des vols quasi quotidiens vers Minsk en partance de Damas, de Beyrouth, de Bagdad, d’Istanbul ou encore, avec des escales, d’Erbil et de beaucoup d’autres villes à travers le monde96 Les vols du Proche-Orient vers Minsk étaient également possibles depuis les aéroports turcs et la compagnie aérienne Turkish Airlines. Le président turc, Recep Tayyip Erdoðan, a nié toute implication de son pays dans l’affaire et a fait suspendre à l’automne les liaisons vers la Biélorussie.. On estime que 20 000 à 30 000 migrants ont ainsi pu atterrir à Minsk entre juin et novembre 2021, après avoir voyagé à bord d’avions où, selon plusieurs témoignages, ils constituaient presque la totalité des passagers.

Une fois arrivés à Minsk, ils ont rapidement compris qu’ils avaient été piégés, car, bien que désireux de se rendre dans l’UE et surtout en Allemagne, la plupart d’entre eux ont été dirigés sans ménagement par les forces de l’ordre locales vers certains points de passage frontaliers avec la Pologne et la Lituanie, la police biélorusse leur donnant même des pinces pour couper les grillages et les barbelés érigés le long de la frontière. Les responsables de l’Union européenne et beaucoup d’observateurs ont qualifié de « guerre hybride » ce procédé employé par le gouvernement de Minsk, cette expression désignant une tactique consistant à attaquer l’ennemi par des moyens non conventionnels97 Cf. VAN PUYVELDE, Daniel, La guerre hybride existe-t-elle vraiment ?, article paru en ligne dans La Revue de l’OTAN, le 15 mai 2022..

Les incidents les plus dramatiques ont eu lieu en novembre 2021 autour de la forêt de Bialovèse (Bia³owie¿a), à la frontière entre la Pologne et la Biélorussie. Pendant plusieurs jours, sous la neige et à des températures au dessous de zéro, quelque 2 000 à 3 000 migrants, exténués, assoiffés et affamés, ont tenté de forcer les postes frontières polonais, où Varsovie, qui avait renoncé à obtenir l’aide de Frontex, avait envoyé 15 000 soldats en prévision d’une crise de longue durée. Sous les yeux du monde entier, l’UE et la Biélorussie ont alors entamé un bras de fer avec une volonté commune : ne pas céder aux pressions de l’adversaire, chaque partie s’accusant mutuellement de violences à l’encontre des migrants, lesquels commençaient à mourir d’hypothermie.

Les tensions à cette frontière orientale de l’UE ont diminué vers le milieu du mois de janvier 2022, lorsque quelque 9 000 migrants ont pu entrer en Pologne et que les compagnies aériennes effectuant la liaison entre le Moyen-Orient et Minsk ont arrêté ces vols. Entre-temps, à partir de décembre 2021, le gouvernement biélorusse avait commencé à rapatrier les migrants qui n’avaient pas pu franchir la frontière de l’UE.

Si les présidents biélorusse, russe et turc ont formellement démenti être à l’initiative de cette « crise » politique qui a pris les migrants en otages, les dirigeants des États membres et les hautes autorités de l’UE n’ont cru ni Alexandre Loukachenko, ni Vladimir Poutine, estimant que les exilés avaient été utilisés par Vladimir Poutine comme « chair à canon »98 Expression très répandue dans les médias français concernant ces événements. en vue de « tester » les réactions occidentales en cas de tentatives d’agression aux frontières de l’UE.

Crise ukrainienne

Le 24 février 2022, sous prétexte de venir en aide aux républiques autoproclamées du Donbass (Donetsk et Lougansk) et d’éradiquer un prétendu régime « nazi » installé à Kiev, le président de la Fédération russe, Vladimir Poutine, donnait l’ordre à ses forces armées de pénétrer en territoire ukrainien, dans le cadre d’une « opération militaire spéciale », dans laquelle la plupart des États membres de l’ONU ont vu une « guerre » de conquête impérialiste. Depuis, le conflit est encore d’actualité et personne n’est aujourd’hui en mesure d’en prévoir la durée ni l’issue.

La guerre a touché un pays qui, en 2020, comptait 44,13 millions d’habitants et une diaspora de quelque 6 millions d’émigrés, répartis principalement en Russie (54,7%), en Europe occidentale (13,8%), en Europe de l’Est (12,4%), en Asie centrale (8,6%) et en Amérique du Nord (8,2%). Au cours des deux premiers mois du conflit, 4,6 millions de réfugiés au moins ont quitté l’Ukraine et 7,5 millions de personnes ont été déplacées au sein de leur propre pays. Tous ces chiffres, fournis par le HCR, ne donnent qu’un ordre de grandeur du phénomène, la situation évoluant rapidement et les statistiques n’étant pas toujours fiables. Dans un premier temps, les exilés se sont rendus dans les pays frontaliers, à raison de 2,65 millions en Pologne, 702 000 en Roumanie, 414 000 en Moldavie (15,3% de sa population), 428 000 en Hongrie, 260 000 en Slovaquie, dont une majorité écrasante de femmes et d’enfants. Selon des estimations, entre 240 000 et 400 000 personnes sont parties volontairement ou ont été déportées de force (par l’armée russe) en Russie.

Deux mois plus tard, fin juin 2022, avec 4,8 millions, le nombre de réfugiés ukrainiens restait stable en apparence, mais il était en réalité le résultat de l’exode de plus de 7,2 millions de personnes et du retour de 2,4 millions d’autres, ayant fait le choix de soutenir leur patrie sur place.

Face à cette nouvelle « crise migratoire », l’Union européenne s’est trouvée moins prise au dépourvu que par le passé dans des circonstances analogues. Soutenue par une opinion publique majoritairement favorable à l’accueil des réfugiés ukrainiens et par l’allocation de 17 milliards d’euros, elle a eu recours pour la première fois à la directive 2001/55/CE relative à des normes minimales pour l’octroi d’une protection temporaire en cas d’afflux massif d’exilés, et l’a appliquée au bénéfice d’environ 3,2 millions d’Ukrainiens. Parallèlement, les institutions communautaires, nationales et locales se sont mobilisées en un temps record pour créer des espaces d’accueil et pour répartir les réfugiés auprès de nombreux organismes comme chez des particuliers qui s’étaient proposés de les héberger.

Fin septembre 2022, l’actualisation des statistiques a revu à la hausse le nombre d’exilés ukrainiens, celui-ci s’élevant en Europe à 7,3 millions, dont 4,2 faisant l’objet d’une protection temporaire de l’UE. Après s’être dans un premier temps concentrés dans les pays frontaliers, les exilés ukrainiens se sont ensuite dirigés, à quelques exceptions près (Turquie, Benelux et ancienne Yougoslavie), vers les principales régions d’installation de leur diaspora : Pologne (1 275 000), Allemagne (1 003 000), République tchèque (428 000), Italie (160 000), Turquie (145 000), Espagne (140 000), Royaume-Uni (123 000), France (102 000)99 Au tout début de l’exode ukrainien, certains observateurs avaient remarqué que, tout comme lors du flux migratoire syrien en 2015, la France paraissait peu attractive pour les exilés. En réalité, la présence d’une diaspora préexistante est un facteur déterminant dans le choix des réfugiés. Cela n’a cependant pas empêché l’Hexagone de voir passer en 2022 de 18 000 (le 24 février) à 102 000 (le 30 septembre) le nombre d’immigrés ukrainiens., Slovaquie (93 000), etc.

Les problématiques suscitées par ce vaste mouvement de populations au sein du Vieux continent sont légion et il est trop tôt pour en esquisser un bilan. Nous n’évoquerons qu’une question, soulevée très souvent, concernant la différence abyssale de traitement par l’UE des réfugiés ukrainiens par rapport aux autres demandeurs d’asile, qui, bien que beaucoup moins nombreux, représenteraient des difficultés insurmontables pour les administrations publiques et les structures d’accueil. À ce propos, interviewé fin juillet sur la chaîne Arte par Nora Hamadi100 Cf. l’émission « 27 » du 31 juillet 2022, intitulée : « Réfugiés ukrainiens : deux poids, deux mesures ? »., Margaritis Schinas, vice-président de la Commission européenne, chargé des questions migratoires et de la promotion du mode de vie européen, a nié que l’UE ait adopté une politique discriminatoire en matière d’accueil. Tout comme d’autres responsables européens, il a rejeté toute accusation de préférence raciale, la seule distinction pertinente étant, d’après lui, la condition juridique régulière ou pas au moment de l’entrée sur le territoire de l’UE. Il a, par ailleurs, paraphrasé une expression devenue célèbre attribuée à Michel Rocard, affirmant que l’Europe est et restera une terre d’accueil, qui, toutefois, ne peut pas accueillir toute la misère du monde. Mais l’argumentation la plus fréquente avancée par les responsables communautaires pour justifier cette différence de comportement de l’UE vis-à-vis des réfugiés et des demandeurs d’asile selon leur origine s’appuie sur la notion de « pays [de transit] sûr », apparue dans des documents législatifs en 1977 et à tort considérée comme liée au texte de la Convention de Genève de 1951. En somme, les migrants ukrainiens auraient rencontré moins de difficultés parce qu’ils n’auraient pas traversé d’autres « pays sûrs » avant d’atteindre l’UE.

Crise méditerranéenne

Après cinq années de diminution constante du nombre des traversées clandestines de migrants en Méditerranée se dirigeant vers l’UE, en 2021 celles-ci ont repris passant de 95 774 en 2020 à 123 318 (+29%). En 2022, la tendance semble également s’établir à la hausse : au cours des sept premiers mois de l’année, 67 500 personnes auraient franchi irrégulièrement la Méditerranée, soit 31% de plus qu’en 2021. Ces arrivées ont concerné surtout l’Italie (64,2%), suivie par l’Espagne (22%), la Grèce (10,5%), Chypre (3%) et Malte (0,3%).

Les migrants interceptés venaient le plus souvent de Tunisie (20%), d’Égypte (14,4%), du Bangladesh (12,5%), de Syrie (6,6%), d’Afghanistan (5,8%), de Côte d’Ivoire (4,7%), d’Iran (4,1%), d’Érythrée (3,3%) et de Guinée Conakry (3,1%).

Si les responsables européens font en général état d’une situation moins inquiétante par rapport à 2015, en réalité le nombre de victimes en mer n’a eu de cesse de s’alourdir, avec 3 231 morts en 2021, soit 2,62% contre 0,37% en 2015. À la fin de juillet 2022, les décès recensés en Méditerranée s’élevaient à 987, sans compter les 339 personnes qui se sont noyées dans l’océan Atlantique durant leur tentative pour rejoindre l’Espagne. Ces tragédies ont, dans leur grande majorité, eu lieu entre les côtes libyennes ou tunisiennes et l’Italie (88% sans les Canaries, 66% en les incluant). Le 27 novembre 2021, ces drames ont fait dire au Pape François, au cours de sa visite à Lesbos : « La Méditerranée est un grand cimetière, un cimetière sans pierres tombales ».

L’immigration irrégulière par la voie maritime vers l’Europe du Sud se déroule dans des contextes différents selon les pays de destination.

Dans le cas de l’Espagne, afin d’endiguer les flux migratoires depuis l’Afrique, le royaume compte notamment sur l’appui de l’Algérie et du Maroc, lesquels, de leur côté, n’hésitent pas à agiter le spectre d’une invasion par bateau, dès que le pays prend position pour ou contre les revendications territoriales marocaines sur le Sahara occidental. Si, à la mi-août 2022, le Premier ministre espagnol, Pedro Sanchez, estimait que les chiffres de l’immigration clandestine à la baisse dans son pays méritaient d’être « salués »101 Cf. l’article publié par La República le 16 août 2022 à la page https://www.larepublica.ec/blog/2022/08/16/pedro-sanchez-celebra-descenso-numero-migrantes-irregulares-llegan-espana, intitulé « Pedro Sánchez celebra descenso en el número de migrantes irregulares que llegan a España »., il est à noter, toutefois, que cette diminution est due à un renforcement des obstacles par la voie terrestre, ce qui a eu pour conséquence l’emprunt plus fréquent de la route des Canaries, plus dangereuse, avec son lot important de victimes.

En Italie, en revanche, les tragédies impliquant un nombre impressionnant de migrants au large de ses côtes se succèdent à une cadence telle, que l’opinion publique finit parfois par les oublier. La plupart des migrants qui tentent de traverser le Canal de Sicile sont interceptés par les gardes-côtes libyens, tandis que les ONG opérant dans ces eaux pour leur venir en aide, dénoncent les appels au secours, lancés par des embarcations en détresse, et restés sans réponse. Parallèlement, en raison des méthodes plutôt brutales de contrôle des frontières pratiquées à présent par la Grèce, depuis quelques mois la Péninsule italienne assiste à l’arrivée de bateaux en provenance de la Méditerranée orientale (Turquie, Grèce, Liban), qui s’échouent parfois bien avant d’atteindre les côtes italiennes102 Fin juillet 2022, le ministère de l’Intérieur italien avait comptabilisé 3 897 migrants arrivés depuis la Méditerranée orientale. Ils n’étaient que 836 durant la même période en 2021.. Au cours de la campagne électorale en vue des élections parlementaires du 25 septembre, les principaux leaders de la coalition de droite, qui les ont remportées, ont annoncé une politique « zéro migrants »103 Giorgia Meloni, chef du parti nationaliste « Frères d’Italie » qui est arrivé en tête dans les urnes, cherche depuis des années à mettre en œuvre une opération de blocus naval qui engagerait toute la marine italienne dans le Canal de Sicile..

À l’est d’une Italie qui cherche à construire une barrière étanche à l’immigration, en Grèce, les responsables politiques au gouvernement annoncent périodiquement y être parvenus. C’est ainsi qu’en juin 2022, le ministre de la Protection civile, Panayiótis « Tákis » Theodorikákos, déclarait que « chaque jour, 900 immigrants sont empêchés d’entrer illégalement à Evros »104 Cf. PERROS, Dimitris, ÈåïäùñéêÜêïò: Óôïí ¸âñï áðïôñÝðåôáé êáèçìåñéíÜ ç ðáñÜíïìç åßóïäïò óôç ÷þñá 900 ìåôáíáóôþí (« Theodorikakos : 900 migrants sont empêchés chaque jour d’entrer illégalement à Evros »), sur le site de la radio ÁÈÇÍÁ 98.4, publication du 17 juin 2022.. Tandis que la justice grecque examine le cas de 24 « humanitaires » (militants d’organisations humanitaires) accusés de « collusion avec les passeurs » et d’espionnage pour avoir prêté secours à des migrants entre 2016 et 2018 en écoutant les fréquences radio de la police côtière, les forces de l’ordre grecques ont été dénoncées à maintes reprises suite à leurs pratiques de refoulements violents de demandeurs d’asile, renvoyés en Turquie après avoir été tabassés, humiliés et s’être fait dépouiller de leurs effets personnels. Les faits, largement documentés notamment par Amnesty International, ont été confirmés par le témoignage – confié aux journalistes du New York Times le 1er décembre 2021 – d’un interprète de Frontex d’origine afghane, arrêté non loin d’Evros, déporté de force en Turquie alors qu’il rentrait de son travail et victime des maltraitances réservées aux migrants expulsés105 Cf. STEVIS-GRIDNEFF, Matina, E.U. Interpreter Says Greece Expelled Him to Turkey in Migrant Roundup, dans The New York Times du 1er décembre 2021..

Les exactions récentes commises par des gardes-frontières grecs ne se sont, toutefois, pas arrêtées là. Fin juin 2022, une enquête conjointe de plusieurs médias (Le Monde, Lighthouse Reports, Der Spiegel, ARD Report München et The Guardian106 Cf. RAFEBERG, Marina, À la frontière avec la Turquie, des migrants enrôlés de force par la police grecque pour refouler dautres migrants, dans Le Monde du 29 juin 2022 ; STATIUS, Tomas, “We are slaves” The Greek police are using foreigners as “slaves” to forcibly return asylum seekers to Turkey, dans Lighthouse Reports du 28 juin 2022 ; CHRISTIDES, Giorgos; VAN DIJKEN, Klaas; DEEB, Bashar; LÜDKE, Steffen; AL-NAJJAR, Mohannad; POPP, Maximilian; SAPOCH, Jack; STATIUS, Tomas; VÖGELE, Nicole, Griechische Polizei setzt Flüchtlinge gegen Flüchtlinge ein, dans Der Spiegel du 28 juin 2022.) a mis au jour une stratégie adoptée par les policiers grecs en poste le long du fleuve Evros pour éviter d’envoyer leurs agents en territoire turc au moment des refoulements : ils ont contraint des migrants à procéder à des expulsions violentes à l’encontre d’autres exilés, en les traînant au-delà de la frontière. Interrogés par les médias, les intéressés se considéraient comme des « esclaves » des garnisons grecques.

Crise dans la Manche

« La France ne laissera pas la Manche devenir un cimetière » déclarait le président de la République française, Emmanuel Macron, au lendemain de la tragédie qui, le 24 novembre 2021, a vu périr par noyade 27 migrants kurdes dans la Manche107 Cf. GEISSER, Vincent. La Manche, nouvelle nécropole des migrants et de nos idéaux européens, mais qui sont les fossoyeurs ? «Migrations Société», n° 186, octobre-décembre 2021. pp. 3-10.. Sous le gouvernement britannique du Premier ministre Boris Johnson et de la ministre de l’Intérieur Priti Patel, en dépit d’annonces visant à mettre fin à la traversée de la Manche en small boats, grâce au déploiement de la marine royale et au renouvellement des accords du Touquet entre la France et le Royaume-Uni, on pouvait lire sur le site web du gouvernement le constat suivant : « De janvier à juin 2022, 12 747 personnes ont été détectées comme arrivant par petits bateaux. Ce chiffre représente plus du double du nombre de personnes détectées au cours des six mêmes mois en 2021 (5 917) »108 Cf. https://www.gov.uk/government/statistics/irregular-migration-to-the-uk-year-ending-june-2022/irregular-migration-to-the-uk-year-ending-june-2022.. En une journée, le 22 août 2022, 1 295 migrants109 Ces migrants et ceux qui traversent la Manche sont généralement des Kurdes (Syriens, Irakiens, Iraniens), des Soudanais, des Syriens non kurdes, des Érythréens, des Afghans et même des Vietnamiens. ont débarqué dans le Kent, malgré une nouvelle loi sur l’immigration qui se veut très stricte.

Cette situation embarrasse les autorités françaises, mais surtout les responsables politiques britanniques, qui semblent avoir fait de la question un point d’honneur. Le tarissement éventuel des flux migratoires irréguliers vers l’Angleterre représenterait, en effet, symboliquement une preuve de l’efficacité du Brexit, motivé par la volonté de « reprendre le contrôle » sur les frontières nationales. Priti Patel a ainsi accusé la France de laisser passer les migrants pour punir son pays d’être sorti de l’UE. Mais au-delà de ces allégations, le Brexit a rendu obsolètes pour le Royaume-Uni à la fois les accords du Touquet et le règlement de Dublin. L’importance attribuée par le gouvernement britannique à la question de l’immigration irrégulière via la Manche est avant tout une question d’affichage politique, comme le montre le faible nombre de demandes d’asile déposées au Royaume-Uni (48 540 en 2021, contre 121 554 en France et 148 159 en Allemagne pour la même période), et qui ne justifie donc pas un tel engouement. Par ailleurs, le déploiement de la marine royale dans la Manche (« Channel Initiative ») voulu par le plan Johnson/Patel contre l’immigration clandestine, semble avoir favorisé les traversées au lieu de les décourager, la Royal Navy ayant dû par la force des choses se transformer en « taxi » pour les migrants110 Cf. TOWNSEND, Mark, Priti Patels plan to end Channel crossings in disarray as navy threatens to walk away, dans The Guardian du 9 juillet 2022..

En 2022, la surveillance accrue de la Manche par les marines française et britannique, ainsi que par les ONG locales, a eu au moins comme effet positif de voir une diminution du nombre de victimes (7 personnes noyées de janvier à septembre 2022).

Crise de l’asile : externalisation de l’accueil des réfugiés

Depuis des décennies, « externaliser » le traitement des demandes d’asile est une pratique désormais courante pour la plupart des pays d’accueil, qui chargent des États tiers d’examiner les dossiers et de « trier » les migrants avant qu’ils ne franchissent leurs frontières. L’externalisation de l’accueil et/ou de la détention des personnes qui ont déposé directement leur demande dans le pays de destination, est, en revanche, plus récente et suscite des questions d’ordre juridique et éthique. Cette pratique a été initiée par l’Australie qui, depuis 2012, envoie sur l’île-État de Nauru les demandeurs d’asile entrés clandestinement, imitée plus tard par la Norvège, qui, entre 2015 et 2018 avait sous-traité aux Pays-Bas la prise en charge des détenus étrangers.

Sous l’impulsion de deux ministres eux-mêmes enfants de réfugiés, à savoir Mattias Tesfaye et Priti Patel, en 2022 le Danemark et le Royaume-Uni ont décidé à leur tour de suivre ce modèle.

Au Danemark, en suivant la politique du « zéro demandeurs d’asile et/ou réfugiés » prônée par l’ancien ministre de l’Immigration et de l’intégration, aujourd’hui ministre de la Justice, Mattias Tesfaye, depuis novembre 2021 la cour nationale du droit d’asile danoise considère que l’Afghanistan et la Syrie sont désormais des pays sûrs, et que les réfugiés ressortissants de ces pays n’ont plus rien à faire au Danemark. Le gouvernement leur a proposé une indemnisation de 20 000 euros pour rentrer dans leur pays, ou alors d’être détenus dans le centre de rétention de Sjælsmark, au nord de Copenhague. Cette dernière mesure est annoncée comme provisoire, dans l’attente de transférer ces personnes dans un pays tiers d’accueil, qui pourrait être le Kosovo, avec lequel, en décembre 2021, le Danemark a déjà conclu un accord pour y envoyer 300 prisonniers étrangers contre la somme de 210 millions d’euros dans le cadre d’un contrat d’une durée de dix ans111 Cf., par exemple, SOMMERAND, Malthe; KALLESTRUP, Cecilie, Danmark har til hensigt at sende 300 kriminelle til Kosovo, men hvad skal der så blive af deres indsatte?, dans DR (Danmarks Radio) du 20 décembre 2021..

Ces orientations des responsables politiques sociaux-démocrates au pouvoir à Copenhague contrastent à la fois avec la forte pénurie de main-d’œuvre que connaît le pays (158 000 demandes d’emploi restées sans réponse au deuxième semestre 2021) et l’accueil réservé aux réfugiés ukrainiens, le nombre de places d’hébergement disponibles pour les migrants forcés étant passé en quelques jours de 2 095, seuil initialement qualifié de maximal, à 20 000.

Au Royaume-Uni, entre-temps, la nouvelle loi sur l’immigration, intitulée Nationality and Borders Act (Loi relative au code de la nationalité et aux frontières) a été approuvée le 28 avril 2022 et elle est entrée en vigueur environ deux mois après. Elle prévoit, entre autres, un traitement différencié des réfugiés, selon qu’ils sont entrés en situation régulière ou pas112 La loi crée donc une sorte de distinction entre réfugiés « de première » et « de seconde classe »., la possibilité de refouler les demandeurs d’asile qui essaient de franchir les frontières irrégulièrement et l’externalisation du séjour des personnes en attente du traitement de leur dossier de demande d’asile. Les réfugiés, reconnus comme tels, mais entrés irrégulièrement sur le territoire du royaume, sont ainsi destinés à être transférés dans un autre pays d’accueil sûr, à savoir, actuellement, le Rwanda.

L’accord avec le Rwanda sur les réfugiés envoyés par la Grande-Bretagne est financé par le « Fonds de transformation et d’intégration économique » qui comporte le versement d’une somme forfaitaire de 120 millions de livres sterling, à laquelle s’ajoutent les frais de fonctionnement des centres rwandais et 30 000 livres pour chacun des 37 500 individus intéressés. Le 14 juin 2022, le premier vol visant à transférer des réfugiés vers le Rwanda devait avoir lieu. Sur les 130 passagers prévus, seuls sept113 Trois Iraniens, deux Irakiens, un Albanais et un Vietnamien. se trouvaient à bord de l’avion sur le point de partir lorsque les autorités locales ont décidé d’annuler l’opération, les autres candidats au transfert avaient quant à eux bénéficié d’un recours en appel. Pour la nouvelle Première ministre britannique, Liz Truss, qui envisage de demander à la Turquie de rejoindre ce plan d’externalisation114 Cf. DATHAN, Matt, Liz Truss to ask Turkey to join Rwanda deportation plan, dans The Times du 16 juillet 2022., reporter ce voyage a été une erreur.

France

Cadre statistique

Fin janvier 2022, les différentes institutions publiques françaises chargées des questions d’immigration (Ministère de l’Intérieur, Office français de limmigration et de lintégration [OFII], Office français de protection des réfugiés et apatrides [OFPRA]) ont rendu publics les chiffres clés de l’année 2021.

Au cours de celle-ci, les préfectures de l’Hexagone ont délivré 270 925 premiers titres de séjour à des étrangers extracommunautaires (maghrébins, ivoiriens et chinois en tête de liste), ou plus exactement 360 569 si l’on compte, pour la première fois, les Britanniques. Parallèlement, 733 070 visas ont été accordés, les ressortissants d’Algérie, du Maroc, de Tunisie et d’Arabie Saoudite figurant aux quatre premières places parmi les nationalités bénéficiaires. En outre, 108 909 primo-arrivants ont signé un « contrat d’intégration républicaine » (CIR) ; tandis que, dans le même temps, 130 385 immigrés ont acquis la nationalité française, dont 74 048 par naturalisation.

Quant aux migrants forcés, en 2021, ils ont déposé 104 381 demandes d’asile auprès des « guichets uniques » préposés à cet effet (GUDA). Il s’agissait le plus souvent d’Afghans, d’Ivoiriens, de Bangladais, de Guinéens (Conakry) et de Turcs. L’OFPRA a, de son côté, statué sur 139 810 dossiers, donnant lieu à 54 379 reconnaissances du droit d’asile (38,9%).

Enfin, l’année dernière, environ 125 000 « obligations de quitter le territoire français » (OQTF) ont été prononcées, dont seulement 13,46% (16 819) ont été mises à exécution.

Si l’on compare ce cadre statistique succinct avec les données antérieures à la pandémie de Covid-19, il montre que globalement en 2021 les chiffres de l’immigration en France sont restés stables.

Par ailleurs, début juillet 2022, l’Institut national détudes démographiques (INED) et l’Institut national de la statistique et des études économiques (INSEE) ont présenté la deuxième édition de leur enquête Trajectoires et Origines (TeO2), menée de juillet 2019 à novembre 2020 sur un échantillon de 26 500 personnes, visant à « mesurer limpact des origines sur laccès aux principaux biens qui définissent la place de chacun·e dans la société ». Les résultats montrent que 32% de la population française de moins de 60 ans aurait des origines immigrées.

La pénurie actuelle de main-d’œuvre et ses paradoxes

Même si le Covid-19 reste actif, d’un point de vue sociétal et économique la « période de la pandémie » semble avoir pris fin en juin 2021. Depuis, en France, comme dans d’autres pays, l’activité économique, qui donnait des signes encourageants de reprise, s’est heurtée à un manque généralisé de main-d’œuvre, de composants et de matières premières. Dans les secteurs de la restauration/hôtellerie, du BTP, de la livraison, de l’entretien (propreté, jardinage, etc.), des services à la personne et de l’agriculture les employeurs cherchent en vain à recruter du personnel. Selon la Direction de l’animation de la recherche, des études et des statistiques (DARES), au premier semestre 2022, 368 100 postes seraient à pourvoir, un chiffre qui semble largement sous-estimé.

Face à ce constat, beaucoup d’entrepreneurs se tournent vers les travailleurs étrangers, notamment extracommunautaires, qui, souvent, sont en situation irrégulière. Les employeurs désireux d’embaucher ces personnes en suivant la procédure légale, se trouvent confrontés à un labyrinthe bureaucratique pour les faire régulariser en s’appuyant sur la « circulaire Valls » de 2012. En 2021, seuls 8 000 travailleurs étrangers sans papiers ont ainsi pu bénéficier de ce dispositif.

Des entreprises, certaines étant assez connues115 Les médias français, les syndicats et les associations de soutien aux travailleurs immigrés mentionnent souvent certaines entreprises : Sepur (propreté), Chronopost (et ses nombreux sous-traitants), Derichebourg (restauration collective), DPD (livraisons), Frichti, Aviland (ramassage de volailles), etc., cherchent en revanche à donner au travail illégal des apparences de légalité, en feignant d’ignorer la condition juridique de ceux qui travaillent de facto pour elles. Plusieurs syndicats se sont emparés de la question, et ont soutenu, tout au long de 2022, des grèves organisées par des sans-papiers se trouvant dans cette situation.

Calais : la « crise migratoire » sans fin

Si le Brexit devait permettre au Royaume-Uni de « reprendre le contrôle » de ses frontières, il a rendu paradoxalement plus attractif son territoire pour les demandeurs d’asile. En effet, avec l’abandon du règlement de Dublin de la part des Britanniques, les migrants à qui les pays de l’UE n’ont pas accordé le droit d’asile, peuvent désormais retenter leur chance en Grande-Bretagne.

Cet aspect ne vient, cependant, que s’ajouter aux raisons bien plus importantes qui poussent certains migrants à vouloir rejoindre, coûte que coûte, le Royaume-Uni, en sachant que Calais et le Calaisis constituent un point de passage privilégié pour réaliser leur projet migratoire.

Tout comme en 2021, en 2022 Calais a été le théâtre de multiples bras de fer entre la police, les associations de soutien aux migrants et ces derniers, majoritairement soudanais, kurdes et érythréens. Les racines des conflits, qui peuvent prendre la forme de manifestations, grèves de la faim et affrontements, sont liées à la stratégie adoptée par les forces de l’ordre qui cherchent à éviter et à démanteler tout « point de fixation » des migrants. De cette logique découle la volonté des autorités publiques d’offrir le moins de services possible à ces personnes afin de conjurer des « appels d’air ».

Les divergences entre les organisations humanitaires présentes dans la région et les institutions étatiques s’étendent également aux estimations du nombre de migrants stationnant dans la région. Si pour les préfectures 500 personnes tout au plus seraient concernées, pour les associations ce chiffre doit être multiplié par trois. Passer de 500 à 1 500 a, en effet, une signification politique, car une statistique revue autant à la hausse démontrerait l’inutilité des actions de démantèlement.

Laïcité et séparatisme

En vue sans doute des échéances électorales du printemps 2022, le gouvernement français a voulu montrer sa détermination face aux menaces d’altération de l’identité culturelle du pays, ressenties par une large partie de l’opinion publique et attribuées à une importante immigration provenant de pays majoritairement musulmans.

Ainsi, depuis l’automne 2021, il a remplacé l’ancien Observatoire de la laïcité, taxé d’être trop bienveillant vis-à-vis des dérives communautaires, par un Bureau de la laïcité, rattaché au ministère de l’Intérieur, censé « agir » plutôt qu’« observer »116 Cf. les propos de Marlène Schiappa, ministre déléguée chargée de la Citoyenneté, recueillis par Le Figaro du 15 juillet 2021 : « Le temps n’est plus à l’observation mais à la laïcité en action ! ».. Il a également entrepris de réformer, à travers un changement de leur composition, les Cellules départementales de lutte contre lislamisme et le repli communautaire (CLIR), qui existent depuis novembre 2019, pour leur confier, comme l’indique une circulaire (N° 6328/SG) du 14 janvier 2022, signée par le Premier ministre, la tâche d’« analyser, conduire ou participer aux opérations de contrôles des structures dans une posture séparatiste ».

Après la quasi-dissolution du Conseil français du culte musulman, en début d’année 2022 le ministère de l’Intérieur a choisi de le remplacer en tant qu’interlocuteur officiel par le Forum de l’islam en France (FORIF), une structure encore plus « consultative » et sans leader charismatique, afin de pouvoir mieux encadrer les aumôniers musulmans et les imams, et s’opposer à la fois au radicalisme et aux ingérences étrangères.

Au-delà des craintes d’attentats, toutes ces démarches ciblent notamment le milieu scolaire où les « atteintes à la laïcité » (menaces, contestations de l’enseignement, refus d’activités, prosélytisme, revendications communautaristes et port de signes religieux ostentatoires) sont en augmentation. Ces mesures achoppent toutefois sur l’impossibilité actuelle de fournir aux acteurs impliqués une formation adéquate et une « protection » effective.

Les candidats à l’élection présidentielle et l’immigration

Parasité par les événements en Ukraine et la crise énergétique accentuée par ce conflit, le débat électoral lors de la présidentielle de 2022 a été moins centré que prévu sur la gestion de l’immigration. Chaque parti et chaque candidat ayant retranscrit sur son site web les points clés de son programme politique, cela a permis à tout un chacun de confronter les positions des uns et des autres sur ce sujet. Le dénominateur commun des propos très diversifiés qui sont apparus sur ces pages virtuelles a été, en général, une connaissance très superficielle de la problématique migratoire, les slogans, raccourcis et autres affirmations gratuites étant prédominants.

À l’extrême droite, Éric Zemmour, fondateur du parti « Reconquête » (à l’instar de la Reconquista espagnole qui s’est opérée au XVe siècle au détriment de la domination arabe), a tout simplement prôné une « remigration » des musulmans vers leurs terres d’origine supposées. De son côté, Marine Le Pen, présidente du Rassemblement national, sur son site « MLaFrance », a mis à la disposition des internautes un petit fascicule de 46 pages, intitulé « Contrôler l’immigration », dans lequel elle proposait un référendum sur celle-ci, afin d’autoriser l’État à priver les immigrés extracommunautaires de leurs droits sociaux, ce qui, selon elle, permettrait 16 milliards d’euros d’économie.

Valérie Pécresse, candidate des Républicains, s’est contentée d’exhumer l’ancien programme de Nicolas Sarkozy à l’élection présidentielle de 2012, incitant à « reprendre le contrôle des flux migratoires » via un système de quotas.

Quant à La République en marche, parti du président sortant, Emmanuel Macron, son slogan, repris d’une vieille phrase de François Mitterrand, est resté inchangé : « humanité et fermeté » : expulser le plus grand nombre possible de migrants irréguliers pour réserver les ressources disponibles aux seuls « vrais réfugiés ».

À gauche, si pour Jean-Luc Mélenchon de La France insoumise la solution aux questions soulevées par les flux migratoires consisterait à développer davantage les pays d’origine, les autres candidats de la gauche ont préféré, du moins sur leur plateforme web, s’abstenir de tout débat.

Accueil et intégration

Fin 2021, la « Commission d’enquête parlementaire sur les migrations » conduite par Sébastien Nadot, député de la Haute-Garonne, et Sonia Krimi, députée de La Manche, a terminé ses travaux après avoir écouté et interrogé durant huit mois un nombre considérable d’acteurs institutionnels et civils œuvrant dans le domaine des migrations. Les séances, disponibles en vidéo sur le site de l’Assemblée nationale, ont au moins le mérite de constituer un matériel d’analyse très riche et assez complet. Parmi les nombreuses conclusions auxquelles la commission est parvenue, notons l’avis défavorable contre les politiques de restriction des visas, les démantèlements des « points de fixation » des migrants, l’augmentation des frais d’inscription à l’université pour les étudiants étrangers, ainsi que la proposition de revenir sur la centralisation des questions migratoires au sein du seul ministère de l’Intérieur.

D’autres audits commandités par l’État en 2022 ont concerné le mécanisme institutionnel d’intégration des étrangers, que les inspecteurs ont considéré comme ayant encore une grande marge d’amélioration tant sur l’apprentissage du français que sur l’insertion professionnelle.

Toutefois, ce qui inquiète le plus les responsables de l’accueil et de l’intégration en France concerne l’accès au logement, qu’il s’agisse de celui des demandeurs d’asile, des réfugiés ou des primo-arrivants. Cette problématique, déjà bien identifiée depuis longtemps, s’est accentuée notamment avec l’afflux de quelque 100 000 exilés ukrainiens, des femmes et des enfants dans plus de 80% des cas, pour lesquels l’insertion difficile sur le marché du travail constitue un obstacle de plus pour trouver un logement.

 


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