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Centre d’information et d’études sur les migrations internationales

Migrants accueillis dans un centre d’hébergement près de Calais - © Flickr

Panorama des migrations internationales en 2017

Migrations « discrètes » et migrations « patentes »

Pour l’« opinion publique », forgée en partie par les discours politiques et médiatiques, il n’existe qu’une migration visible, à savoir une migration qui fait parler d’elle à cause de ses aspects problématiques, voire « gênants » : des arrivées massives et incontrôlées ; d’énormes taux de clandestins ; des dangers potentiels de terrorisme, de maladies, de déclin de la civilisation, etc.

Cependant, malgré le « bruit » généré par ces « flux migratoires », pointés du doigt et stigmatisés par des couches de plus en plus larges de la société, les phénomènes et les épisodes qu’ils représentent sont certes significatifs, mais relativement minoritaires. La migration invisible se déroule, en revanche, de manière plus discrète, emprunte les voies habituelles de la circulation des personnes, remplit les postes et les espaces créés par les besoins des autochtones. Bien qu’elle comporte souvent des drames, des sacrifices, des inégalités et des injustices, elle passe inaperçue, ses protagonistes préférant demeurer invisibles, tandis que ceux qui les côtoient ignorent les difficultés que ces populations traversent.

Les statistiques, citées à maintes reprises pour essayer d’effrayer l’opinion publique par la menace d’une invasion incontrôlée surgissant de toutes parts, montrent en revanche une relative stabilité du nombre des immigrés. Si nous nous en tenons aux données que les Nations unies collectent auprès de leurs États membres, les chiffres globaux des migrations internationales varient peu d’une année à l’autre. Ils prennent en compte tous les types de migration régulière, « volontaire » ou « forcée », de personnes qui, dans leur pays d’accueil, sont détentrices d’un passeport étranger. À ce titre, si un riche industriel qui va s’installer à l’étranger, a de fortes chances de figurer dans ces statistiques, un sans-papiers n’est pas, en revanche, pris en compte, et ce, bien que l’opinion publique considère plus ce dernier comme un « migrant » que son homologue fortuné.

Les dernières données publiés par l’ONU montrent que 60% des quelque 244 millions d’émigrés/immigrés recensés dans le monde se répartissent notamment dans cinq régions aux économies avancées : l’Amérique du Nord (51 millions), l’Europe occidentale (51 millions), les pays du Golfe arabo-persique (27 millions), les « Tigres asiatiques » (Japon, Taïwan, Hong-Kong, Macao, Brunei, Singapour, Malaisie, Thaïlande : 15,5 millions) et les grandes nations d’Océanie (7,7 millions).

Parallèlement, 60% des personnes ayant migré proviennent essentiellement de six régions : l’Asie du Sud (37 millions, avec l’Inde en tête), l’ancien bloc soviétique sans la Russie (35 millions, avec la Pologne et l’Ukraine en tête), l’Amérique centrale (23 millions, avec le Mexique en tête), l’Asie du Sud-Est hors « Tigres asiatiques » (17 millions, avec les Philippines en tête), l’Afrique du Nord (10,4 millions, avec l’Égypte et le Maroc en tête) et la Chine (9,5 millions).

Certains pays comptent un nombre important et à peu près égal d’immigrés et d’émigrés. C’est le cas de la Russie (respectivement 11,6 et 10,6 millions), de l’Ukraine (respectivement 4,5 et 5,8 millions), de la Turquie (respectivement 2,8 et 3,1 millions) et du Nigeria (respectivement 1,07 et 1,09 million).

Dans le panorama des flux migratoires, les grands changements ont trait aux migrations forcées et se traduisent par des variations statistiques importantes, notamment pour trois pays : la Syrie, devenue le premier pays générateur de réfugiés (5,52 millions, dont 2,8 en Turquie, 1 au Liban, 648 000 en Jordanie et 375 000 en Allemagne), le Soudan du Sud (1,4 million de rescapés répartis dans les pays voisins) et, tout récemment, le Venezuela, où, suite à la crise économique et au tournant politique autoritaire, plus d’un million de personnes ont quitté le pays de 2015 à 2016.

Comme on peut le constater en parcourant les tableaux publiés par les Nations unies, au niveau quantitatif, l’Afrique subsaharienne continue d’enregistrer un taux relativement faible de migrations intercontinentales. Pourtant, ses pays sont la cible constante des politiques migratoires de maîtrise des flux de l’Union européenne et de ses États membres.

Les « migrations invisibles » deviennent perceptibles uniquement lorsque des crises ou des intérêts économiques se présentent. L’année 2017 en est un bon exemple avec l’affaire des « travailleurs détachés », qui sont définis par la directive européenne 96/71/CE comme ceux qui « pendant une période limitée, exécutent leur travail sur le territoire d’un État membre autre que l’État sur le territoire duquel ils travaillent habituellement ». Au printemps, le maire d’Angoulême et, à sa suite, plusieurs conseils régionaux1 Voir, par exemple, le Small Business Act promulgué le 9 mars 2017 par la Région Île-de-France, qui entend « Introduire des clauses dites Molière sur les marchés qui le permettent, à savoir sassurer que lensemble des ouvriers comprennent et parlent le français, et si cest impossible, imposer la présence dun interprète ». ont tenté d’entraver ce phénomène, qui voit de nombreux Polonais, Portugais, Espagnols et Roumains (au total plus de 280 000 dans l’Hexagone) travailler sur des chantiers français, par la promulgation de la « clause Molière » les obligeant à s’exprimer en français. Au mois d’août, le nouveau gouvernement français, inquiet de la situation difficile des entreprises nationales du BTP, s’en est pris à son tour à cette catégorie d’ouvriers, considérant que le fait d’être payé au tarif du pays d’accueil, mais de cotiser au taux du pays d’origine, aurait des effets néfastes sur l’embauche des autochtones. Il s’agit de la énième « découverte » d’une situation qui remonte à plus de vingt ans, sans doute vite oubliée au vu des intérêts économiques en jeu.

Qu’est-ce qui est « inédit » ?

Des titres de journaux, des rapports institutionnels mais aussi des textes rédigés par d’éminents chercheurs, utilisent sans précaution linguistique des hyperboles telles « sans précédent », « inédit », « crise humanitaire inouïe », et d’autres expressions équivalentes pour décrire la situation migratoire actuelle.

Un regard sur l’histoire récente, en remontant à quelques dizaines d’années, permet de voir qu’à chaque durcissement des politiques de fermeture des frontières décidé par les pays d’accueil, correspondent des flux massifs de personnes contraintes d’y entrer clandestinement. La fin des migrations circulaires, qui autrefois permettaient aux migrants d’aller et venir, a provoqué l’immigration permanente de populations entières, découragées par un retour au pays.

Les exemples ne manquent pas. Ainsi, aux États-Unis, la suppression du « programme bracero » (1964), qui permettait l’embauche de milliers de Mexicains dans le secteur agricole, a coïncidé avec la restriction des visas pour ces derniers et le début d’une immigration mexicaine massive et irrégulière vers les USA. En Europe, la création de l’espace Schengen et la tentative pour rendre les frontières extérieures de l’UE étanches marquent le commencement, dans les années 1990, de flux migratoires « inédits » depuis l’Est du continent et la Méditerranée. Par ailleurs, en accueillant les Syriens et d’autres réfugiés entrés sur son territoire en 2015-2016, l’Allemagne n’en était pas à sa première expérience : en 1990, elle avait reçu plus de deux millions d’Aussiedler et, peu après, plusieurs centaines de milliers d’anciens Yougoslaves fuyant la guerre civile dans les Balkans. En Italie, les épaves surchargées de passagers sont une image récurrente dans la littérature (romans, essais) et la presse locales depuis le débarquement dans les Pouilles en 1991 du navire Vlora rempli d’Albanais.

En France, la présence de « migrants » à Calais, à Paris ou à la frontière avec Vintimille ne constitue pas une nouveauté : depuis les années 1990 les journaux ne cessent de faire des chroniques « inédites » sur eux, sans se rendre compte du nombre d’analogies d’une année sur l’autre.

Enfin, en Birmanie et au Bangladesh la « crise humanitaire » des Rohingya (désignés parfois par les journaux comme de simples « musulmans ») n’a rien de « sans précédent »2 Cf., entre autres, un article paru dans Le Monde le 5 septembre 2017 à la page 4. : les observateurs en font état depuis plus de dix ans.

Les arrivées massives de personnes « désespérées » ne datent pas d’hier, et elles ne cesseront pas avec les mesures – toujours les mêmes prises par les pays d’accueil pour les endiguer.

Nationalismes et xénophobie

En plus des événements qui ont suscité des migrations forcées, le monde politique avec ses prises de position a lui aussi contribué à alimenter la chronique migratoire en 2017. L’agenda international prévoyait par ailleurs des élections nationales dans plus de cinquante pays. Parmi elles, les scrutins aux USA, en France, au Royaume-Uni, aux Pays-Bas, en Allemagne, en Autriche, en Norvège, en Argentine, au Chili, en Inde, en Iran et en Nouvelle Zélande revêtaient une importance particulière. Presque partout, les candidats en lice ont tenu à qualifier l’immigration de « problème ». En effet, les mouvements politiques anti-mondialisation, qui conçoivent les migrants comme une menace, semblent à présent en plein essor dans de nombreux pays du « premier monde », à savoir la destination privilégiée des migrants. Si les médias dressent régulièrement la liste des « populismes » émergents dans le monde, les observateurs scientifiques préfèrent évoquer la résurgence massive des « nations » et des « nationalismes » qui s’expriment par le slogan : « notre pays d’abord ! » et prônent des orientations protectionnistes. Quel que soit le pays considéré, une majorité de citoyens voit dans le chômage, l’insécurité, la remise en cause de l’« identité nationale », la spéculation financière, le terrorisme, etc., des maux « d’origine étrangère ».

Puisqu’elle transforme l’« étranger » en « source de dangers », cette attitude peut être qualifiée de « xénophobe ». Son ampleur est universelle, présente sous toutes les latitudes et pas seulement dans le « premier monde ». En 2017, outre la politique menée par le Bangladesh et la Birmanie contre les Rohingya, des actions violentes contre les étrangers ont été enregistrées en Afrique du Sud, à Pretoria et à Johannesburg, où les makwerekwere (= sales étrangers, noirs, colorés), accusés d’être à la tête du trafic de drogue, ont été à maintes reprises frappés et pillés.

Qui est un « migrant » ?

Toutes les personnes qui se déplacent et demeurent assez longtemps hors de leur lieu d’origine peuvent être considérées comme des « migrants », peu importe les raisons de leur départ, les ressources dont elles disposent, leur statut juridique, etc.

Parmi tous les cas de figure couverts par ce terme, les « vrais » migrants, à savoir ceux qui ont besoin d’une protection et d’un accompagnement, sont surtout les personnes qui ont quitté leur pays pour des motivations majeures et qui, une fois installées ailleurs, sans la protection des autorités locales et de la société civile, s’exposent à des inégalités de traitement, à l’exploitation, à l’humiliation et à la discrimination à cause de leur origine nationale et ethnique. Cela inclut à la fois les migrants « forcés » et les migrants « volontaires ».

Cependant, depuis quelques années on assiste à un changement sémantique, le terme « migrant » étant opposé à celui de « réfugié ». Sans compter la confusion médiatique des acceptions, dans de nombreux centres d’accueil pour demandeurs d’asile, des formateurs apprennent à des bénévoles à faire la différence entre « migrant » et « réfugié », contribuant à créer une nouvelle figure négative de personne en migration. En effet, cette dernière finit par désigner une catégorie d’individus potentiellement dangereux, des parasites de la société, incompatibles avec les valeurs locales, sources de chaos, et de bien d’autres malheurs. Beaucoup de simples citoyens des pays d’accueil en ont peur, au point de manifester contre leur arrivée, même d’un faible nombre d’exilés démunis. En octobre 2016, par exemple, dans deux petits villages d’Émilie-Romagne (Goro et Gorino), la population s’est insurgée, avec des barricades et de vives protestations, contre la venue de douze « migrants » : quatre femmes (dont une enceinte) et huit enfants, accusés de semer la violence dans les rues.

La diabolisation du « migrant » constitue l’obstacle majeur à toutes les opérations d’accueil des personnes sauvées en Méditerranée et à l’intégration des étrangers dans tous les pays intéressés. Elle coûte énormément aux États des pays d’immigration tant au niveau économique que social. Malgré ce constat, une large partie des autorités locales et nationales préfère miser sur la stigmatisation et le rejet des nouveaux venus, en se justifiant par une volonté de maintien de l’ordre et de préservation de la « civilisation ».

Quid de la « crise » la plus récente ?

Les « migrants » sont devenus une « affaire politique », autrement dit un « prétexte » ou un enjeu dans la négociation d’accords entre les pays. C’est notamment le cas entre l’UE et nombre de pays de la Méditerranée ; ils sont placés sur la table des négociations entre le Royaume-Uni et l’Union européenne ; ils entrent dans les clauses de l’aide conditionnée3 Ce terme désigne la promesse d’aides économiques en échange d’un effort de maîtrise du nombre d’émigrés de la part du pays bénéficiaire. entre l’Afrique subsaharienne et l’Europe, ainsi qu’entre l’Amérique du Sud et l’Amérique du Nord ; etc.

De la Grèce à l’Allemagne : un passage entravé

En vertu de l’accord turco-européen du 18 mars 2016, pour les gouvernements des États membres de l’UE le « flux migratoire » provenant du Proche-Orient est pratiquement tari et le problème « résolu ». Or, s’il est vrai qu’à peine 30 000 nouvelles arrivées ont été enregistrées en Grèce depuis la date susmentionnée, les demandeurs d’asile bloqués sur l’ancienne « route des Balkans », se trouvent dans des conditions d’immobilisme dangereuses et parfois inhumaines. L’UE voulant procéder à des réinstallations très sélectives en les espaçant considérablement dans le temps, les hot spots grecs examinent les demandes d’asile dans des délais d’une « lenteur abyssale » (expression utilisée par un journal de Chios), en maintenant plus de 63 000 exilés « coincés » à l’intérieur du pays. La situation n’est guère meilleure dans les autres pays qui séparent la Grèce de l’Allemagne, où sont confinés plus de 347 000 « migrants ». Le constat est particulièrement grave en Serbie et en Hongrie. Dans le camp d’Adaaevci, village serbe de la municipalité de `id à proximité de la frontière croate, plusieurs tentatives de suicide ont eu lieu et l’inaction a favorisé violences et alcoolisme. Quant à la Hongrie, la Cour européenne des droits de l’homme l’a souvent condamnée pour ses exactions à l’encontre des migrants, mais le Premier ministre, Viktor Orbán, a pourtant introduit une loi, le 7 mars dernier, qui prévoit la détention automatique des demandeurs d’asile : pour qu’ils ne puissent pas déposer de demandes, nombre d’Afghans, d’Irakiens et de Syriens sont obligés de demeurer dans des containers entourés de barbelés.

La situation de ceux qui ont pu atteindre l’Allemagne il y a deux ans est plutôt contrastée. Les centres d’accueil pour demandeurs d’asile et réfugiés, gérés par des sociétés privées peu habituées à s’occuper des migrants, laissent à désirer. Par ailleurs, d’après la CIMADE, le GISTI et Dom’Asile, le nombre des déboutés du droit d’asile s’élèverait à plus de 450 000 personnes, devenues ipso facto des « sans-papiers ». En effet, au cours de l’été 2017, Angela Merkel, en prévision des élections législatives de fin septembre, n’avait pas manqué de répéter ce qu’elle avait déclaré l’hiver précédent : « une situation comme celle de l’été 2015 ne peut et ne doit plus se reproduire »4 Assemblée du Parti CDU du 6 décembre 2016., laissant entendre qu’une politique d’expulsions et de maîtrise des flux depuis l’Afrique serait désormais mise en place.

La route de la migration par la mer se déplace vers l’Italie et l’Espagne

Parallèlement, l’attention des médias et des responsables politiques s’est tournée vers le Canal de Sicile d’où plus de 100 000 « migrants » auraient débarqués sur les côtes italiennes depuis le début de l’année. Depuis 2015, le gouvernement de la Péninsule ne cesse d’appeler à l’aide ses partenaires de l’UE face à l’afflux de migrants auquel le pays est confronté. Toutefois, les propos d’Emma Bonino, ancienne ministre des affaires étrangères de 2013 à 2014, ont reçu peu d’échos à l’étranger. Dans une interview du 5 juillet dernier accordée au Giornale di Brescia, elle a révélé qu’« en 2014-2016 le gouvernement italien [présidé par Enrico Letta, puis par Matteo Renzi] avait lui-même demandé à l’UE que les débarquements s’effectuent tous en Italie et que la coordination des opérations soit basée à Rome, au siège de la coordination nationale de la Garde Côtière, violant ainsi les accords de Dublin ». D’après Emma Bonino, cette erreur politique vient d’un mauvais calcul consistant à considérer l’arrivée massive de migrants comme un phénomène ponctuel, tandis que l’opération « Mare nostrum », dont elle se dit fière, a été arrêtée en raison de coûts trop élevés. Sous la présidence de Paolo Gentiloni, le tout nouveau ministre de l’Intérieur, Domenico (Marco) Minniti, ancien membre du parti communiste, s’est employé à stopper ces « flux » via des négociations avec le gouvernement libyen de Tripoli et en décourageant l’action des ONG qui contribuaient au sauvetage de milliers de personnes depuis leurs bateaux, qui naviguaient à quelques kilomètres des côtes africaines. Suite à la promulgation, le 31 juillet dernier, d’un « code de conduite » à l’adresse de Médecins Sans-Frontières (France), Proactiva Open Arms (Espagne/Catalogne), Save the Children (USA), SOS Méditerranée (France/Allemagne), Sea Watch (Allemagne), Sea-Eye (Allemagne), LifeBoat (Allemagne), Jugend Rettet Iuventa (Allemagne/Malte), et Malta Offshore Aid Station (MOAS, Malte) et après avoir incité les autorités judiciaires européennes à enquêter sur les subventions que ces ONG recevaient, le ministre a réussi à faire battre en retraite tous ces organismes, soupçonnés de favoriser l’exode, et à envoyer en Libye des navires de guerre italiens. Le lendemain de ce « succès », s’exprimant dans un langage tiré du football, Paolo Gentiloni déclarait à la télévision nationale : « Gouvernement : 2, passeurs : 0 », tandis que Domenico Minniti était encensé par les journaux comme « celui qui avait été en mesure d’arrêter les flux ».

En réalité, les résultats obtenus par le gouvernement doivent être radicalement redimensionnés. Dans plusieurs cas, les mêmes passeurs, qui en Libye organisaient les traversées mortelles de la Méditerranée, sont aujourd’hui financés par l’UE pour arrêter et emprisonner les candidats à la migration. Ainsi, ils continuent de faire un « score plein », les migrants demeurant les vrais perdants dans chaque cas de figure. Parallèlement, après une brève pause, les « flux »5 En Italie, tant les journalistes que les hommes politiques omettent désormais systématiquement l’adjectif « migratoires » accolé au terme « flux » (flussi), à tel point que même le décret annuel du gouvernement relatif aux quotas d’étrangers à admettre au travail saisonnier est communément appelé « decreto flussi ». vers l’Italie ont repris massivement et une partie des débarquements s’est transférée en Espagne6 La vidéo des migrants qui, le 10 août, débarquent sur une plage de Cadix au milieu des vacanciers a fait le tour du monde..

Cette dernière est désormais confrontée à une hausse du franchissement des frontières dans les enclaves de Ceuta et Melilla, malgré des barrières considérées comme infranchissables7 D’après le HCR, entre janvier et août 2017 plus de 13 700 « migrants » seraient entrés en Espagne, dont 28% par la mer..

La France, pays de transit vers le Royaume-Uni

Dans l’Hexagone, parler de « migrants » revient à mentionner presque automatiquement les villes et les régions de Calais, Paris et à la frontière avec Vintimille. Les « jungles » reviennent cycliquement aux mêmes endroits où les autorités les démantèlent. Calais en est à sa septième évacuation « définitive », menée en rasant les campements, en éparpillant leurs habitants sur l’ensemble du territoire national et en rendant difficile l’accès aux services essentiels (eau, toilettes, électricité, santé, etc.). La raison de ces retours répétés est évidente : la volonté de se rendre au Royaume-Uni. Ce dernier, quant à lui, prône une politique migratoire contradictoire : il accueille une migration invisible très importante, mais il ne tolère pas la moindre migration visible. En février, le gouvernement de Theresa May en est même arrivé à fermer la porte à plus de 2 500 mineurs isolés, sous prétexte de faire monter les enchères du Brexit.

L’accueil des demandeurs d’asile

Sur le front de l’accueil des rescapés de la Méditerranée, chaque pays concerné croit avoir trouvé un modèle efficace pour les « traiter ». Jugés novateurs, ces systèmes se traduisent en des appels d’offre lancés par les gouvernements à l’adresse de toute institution ou de tout organisme capable de présenter un projet plausible. Les structures dont les projets sont retenus, reçoivent un montant proportionnel au nombre de personnes assistées. Parfois, les acteurs qui s’engagent à accompagner les démarches et l’insertion des demandeurs d’asile, sont également tenus de participer aux procédures d’expulsion si les assistés ne respectent pas les accords ou si les commissions compétentes pour la reconnaissance du statut de réfugié rejettent leurs demandes. D’après des enquêtes réalisées sur le terrain dans plusieurs pays européens, cette organisation présente au moins trois points critiques : a) les projets sont évalués sur la base de la taille des organismes qui répondent aux appels d’offre et non sur leur compétence spécifique ; b) le financement, proportionnel au nombre des assistés, ne tient pas compte des capacités d’accueil réelles ; c) la menace d’une expulsion contraint les intéressés à accepter leur parcours d’insertion sans véritablement y adhérer.

Événements à contre-courant

Dans un contexte général d’acharnement anti-immigration, qu’incarne le nouveau président américain Donald Trump, de nombreux épisodes et initiatives montrent toutefois qu’une minorité de la société s’oppose à la diabolisation de l’immigré.

Tandis qu’en Amérique du Nord, en France8 Cf. les polémiques autour du livre Supercroissance de l’économiste Feÿçal Hafied. et en Allemagne le débat sur les coûts et les bénéfices économiques de l’immigration continue d’attiser les esprits, le 20 juillet dernier, en Italie, le président de l’Institut national de prévoyance sociale (INPS) a pris une position inattendue, en déclarant que les immigrés « offrent » chaque année 1% au PIB du pays, car ils versent 8 milliards de cotisations et ne reçoivent en contrepartie que 3 milliards de pensions et d’aides sociales. Ces affirmations ont conduit plusieurs citoyens de la Péninsule à revoir leur image du « migrant parasite ».

Le 18 février dernier, à Barcelone, plus de 160 000 personnes (chiffre des forces de l’ordre) ont manifesté contre l’inaction du gouvernement en faveur de l’accueil des réfugiés (l’Espagne s’était engagée à en héberger 17 000, mais le compteur s’est arrêté à 700), en criant « prou excuses, acollim ara », « assez d’excuses, maintenant accueillons ! ».

Aux États-Unis, en matière d’immigration, la nouvelle présidence et ses partisans ont déclaré vouloir mettre de l’ordre dans le « chaos » laissé par l’administration Obama, bien que le bilan de celle-ci soit plutôt sévère à l’égard des migrants, avec 2,8 millions d’expulsés et une politique de renforcement des contrôles aux frontières. Face aux promesses de poursuivre la construction du mur à la frontière avec le Mexique, de mettre fin à la régularisation de 800 000 mineurs déjà accueillis par les USA dans le cadre du « Dreamers bill », d’interdire le territoire aux ressortissants de certains pays, etc., beaucoup d’Américains ont exprimé publiquement leur désaccord. Plusieurs administrations locales ont même décidé de s’opposer aux dispositions fédérales en déclarant vouloir protéger les immigrés irréguliers, et en devenant ainsi des villes sanctuaire (« Sanctuary cities »), qui leur donnent asile.

Dans certaines régions où la tendance démographique montre un vieillissement alarmant de la population, l’arrivée de jeunes couples, d’enfants et de familles de réfugiés est perçue comme une revitalisation du territoire. En 2015, dans l’île suédoise de Gotland, par exemple, plus d’un millier d’exilés envoyés dans un centre d’accueil local ont permis de remplir les écoles avec 500 nouveaux élèves. Deux ans plus tard, lorsque l’État a décidé de déporter de façon plutôt brutale ces familles en Laponie, la région a vivement protesté et beaucoup de ses habitants se sont mobilisés pour faire revenir ne serait-ce qu’une partie des réfugiés.

En France, les actions solidaires d’une partie de la société civile ne sont pas toujours connues et médiatisées, en dépit de leur ampleur, dont témoigne, par exemple, la cartographie du site du Sursaut Citoyen (sursaut-citoyen.org) qui recense plus de mille « initiatives citoyennes ». De son côté, la presse cite souvent les bonnes conditions d’accueil des réfugiés syriens et irakiens (yézidis en particulier) en Bretagne, sous l’impulsion du préfet Jean-Jacques Brot.

 


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