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Centre d’information et d’études sur les migrations internationales

Migrants syriens et afghans essayant de traverser la Hongrie - © Wikimedia Commons

Panorama migratoire international en 2016

Après la diffusion par Eurostat des chiffres « sans précédent » relatifs aux flux de « migrants » qui, tout au long de 2015, sont arrivés sur le sol européen, en 2016 l’attention des opinions publiques mondiales s’est beaucoup focalisée sur les développements de ces mouvements. Cet intérêt planétaire en direction du « théâtre » européen découle du rôle important que l’Europe joue aujourd’hui encore comme « vitrine du développement humain », exemple autoproclamé d’espace de droit, de démocratie, de paix, de liberté, d’éthique, de respect de la dignité humaine, dont le reste du monde devrait s’inspirer. Par ailleurs, l’Union européenne représente toujours un « laboratoire politique » que regardent même les États les plus développés des autres continents. L’Union européenne est censée justifier ses choix sur la base des principes éthiques qu’elle s’est donnés. Beaucoup d’observateurs extérieurs suivent donc avec attention les événements européens pour voir si les États du Vieux continent parviennent à concilier une opinion publique peu encline à l’accueil des « migrants » avec les principes d’ouverture à l’Autre (quelle que soit son origine) qui régissent leurs constitutions.

Rappel des faits

Si nous devions rédiger un chapitre intitulé « Crise en Europe face à l’afflux des “migrants” » au sein d’un hypothétique manuel scolaire d’histoire, nous serions cantonnés à évoquer un petit nombre d’événements marquants, malgré la richesse des documents, des témoignages, des déclarations, des sommets politiques et des analyses. En dépit d’un historique circonstancié qui ne sera jamais exhaustif, un bref résumé permet de mettre au jour une succession d’actions et de réactions très pragmatiques, qui émergent à la lecture d’un nombre important de prises de position, de rapports et de résolutions.

Les flux de migrants en 2015

Suite à une série de conflits meurtriers et de situations politiques intolérables sans précédent qui ont cours dans la plupart des pays qui, dans un rayon très large, entourent l’Europe, l’année 2015 a battu tous les records en matière de flux de migrations forcées enregistrés depuis la Deuxième Guerre mondiale. Si, au niveau mondial, le Haut Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR) a avancé le chiffre global de plus de 65 millions de personnes contraintes de quitter leur lieu de vie (dites « déracinées »), en ce qui concerne l’Union européenne, Eurostat a évoqué le chiffre significatif de 1,22 million de demandeurs d’asile, indiquant, implicitement, que les « migrants » qui ont posé le pied sur son sol ont été en réalité beaucoup plus nombreux. Parmi ces demandeurs d’asile, les Syriens étaient majoritaires (presque 30%), suivis par les Afghans (14,6%) et les Irakiens (10%), mais aussi par les ressortissants de certains pays européens (Kosovo et Albanie : 5,6% et 5,4%), du Pakistan (3,8%), d’Érythrée (2,7%), du Nigeria (2,3%), d’Iran (2%), etc.

Aux chiffres sur les migrants encore en vie, il faut malheureusement ajouter les presque 4 000 morts par noyade.

« Wir schaffen das »

Au milieu de la panique générale qui s’est emparée des gouvernements de toute l’Europe au moment de l’arrivée des « migrants » et qui a conduit certains à demander l’aide de leurs homologues, chacun accusant ses partenaires de faire preuve de manque de solidarité, le 31 août 2015, lors d’une conférence de presse, la chancelière allemande Angela Merkel a déclaré que le défi était de taille, mais que l’Allemagne était assez forte pour le relever (« Wir schaffen das ! », « nous y arriverons ! »). Cette prise de position inattendue, malgré les rumeurs de calcul politico-économique sous-jacent, a pris au dépourvu l’ensemble des partenaires européens, dont les points de vue étaient jusque-là très hétérogènes et divergents, chacun se renvoyant la balle en matière de responsabilités. L’afflux imposant de réfugiés, que ni l’Agence européenne pour la gestion de la coopération opérationnelle aux frontières extérieures (Frontex), ni Europol, ni les forces de l’ordre nationales ne semblaient être en mesure de maîtriser, a divisé l’Union européenne en plusieurs blocs : pays d’entrée (Grèce et Italie), pays de transit (pays des Balkans, Hongrie et Autriche), pays d’accueil direct (Allemagne, Danemark, Suède), pays opposés au « partage du fardeau » (Pologne, République tchèque, Slovaquie et, encore, Hongrie, Bulgarie, etc.), pays disposés à accueillir un faible quota (Benelux, France, Espagne), pays contestant l’Union sur toute la ligne comme s’il n’en faisait plus partie (Royaume-Uni). Dans ce contexte, Angela Merkel a probablement estimé que seul son pays avait les moyens d’absorber la première grande vague d’immigration, en attente d’une solution définitive. Responsable d’un choix difficile quitte à devenir une tête de turc même pour ses alliés les plus proches, la chancelière a vite pris l’initiative de recourir à l’expédient qui avait autrefois tari « efficacement » la migration via le Maroc et la Libye : un accord avec un « pays frontière » de l’UE pour retenir sur son sol les flux migratoires en échange d’aides économiques substantielles.

L’accord avec la Turquie

Pays relativement stable dans le panorama bouleversé du Proche-Orient, en 2015 la Turquie est apparue comme le seul candidat possible pour jouer le rôle de « garde-frontière » de l’Union européenne, susceptible d’empêcher les flux de Syriens, Irakiens, Afghans et beaucoup d’autres migrants passant par l’Anatolie et arrivant sur les côtes des Îles grecques de l’Égée, Lesbos en première ligne. Les relations turco-allemandes qui s’apparentent quasiment aux relations franco-maghrébines, ont été une raison supplémentaire pour qu’Angela Merkel mène directement les négociations avec Recep Tayyip Erdoðan afin que son pays accepte de bloquer sur son sol ne serait-ce que les Syriens et “réadmette” les « migrants » déboutés du droit d’asile se trouvant en Grèce. En échange, la Turquie devait recevoir 3 milliards d’euros, ses ressortissants devaient être exemptés du visa européen1 Le texte du document dit plus exactement que : « la libéralisation du régime des visas sera accélérée à l'égard de l'ensemble des États membres participants afin que les obligations en matière de visa pour les citoyens turcs soient levées au plus tard à la fin du mois de juin 2016 ». et le processus d’adhésion à l’Union devait reprendre de manière effective.

Parallèlement, afin d’endiguer les migrations vers l’Europe depuis la « route méridionale » représentée par le Canal de Sicile, des accords ont été envisagés entre l’Union européenne et la plupart des pays d’origine des « migrants », peu importe que ces régimes soient peu respectueux des droits de l’Homme.

Une fois les nouvelles arrivées maîtrisées, le « plan Merkel » prévoyait de transformer l’Italie et la Grèce en zone de tri des demandeurs d’asile, par le biais de hot spots, de répartir dans des centres situés au sein des différents pays membres (y compris chez les récalcitrants) les personnes admises à déposer un dossier et de renvoyer en Turquie les déboutés. Mais avant que cette opération ne puisse se concrétiser, plusieurs mois se sont écoulés et d’autres événements sont venus compliquer la donne.

Les attentats, la crise du « système Schengen » et le succès des partis xénophobes

Tandis que l’Union européenne et chacun de ses États membres faisaient leurs calculs sur le coût économique de ce qu’aujourd’hui encore tous appellent « la crise des migrants », ceux-ci étant estimés à plus de 3 millions pour la période allant de l’automne 2015 à décembre 2017, l’équilibre trouvé par le « plan Merkel » est demeuré fragile, tandis que les relations intra-européennes se sont progressivement dégradées. Si certains journaux ont évoqué les profits faramineux que la « crise des migrants » pouvait engendrer pour tous ceux qui dans le secteur privé les prenaient en charge, il est clairement apparu qu’afficher une « ligne dure » à l’égard de l’immigration rapportait encore davantage politiquement, d’autant plus si elle était doublée de propos eurosceptiques. Alors que les accords avec la Turquie et les pays d’origine des migrants n’étaient pas encore finalisés ou en vigueur, plus de 6 000 personnes ont parfois débarqué chaque jour sur les Îles grecques, donnant l’impression d’une perte totale de contrôle des frontières européennes, avec la formation d’une sorte de « couloir », ou, selon l’avis de certains, d’une « autoroute » des migrants, allant de l’Île de Lesbos jusqu’en Allemagne, en passant par des « stations » bien déterminées.

Les attentats du 13 novembre 2015 à Paris ont donné le coup de grâce à une entente européenne sur le sort des « migrants ». « Paris change tout » titraient les journaux, en voulant signifier que la « crise » se transformait désormais en « guerre » ; et, de fait, la question migratoire n’aura de cesse d’être amalgamée au terrorisme. Le lendemain des attentats, les ministres de l’économie français et allemand (Emmanuel Macron et Sigmar Gabriel) réfléchissaient déjà à la création d’un fond unique de 10 milliards d’euros « pour la lutte contre le terrorisme et l’aide aux réfugiés ». Les événements qui ont meurtri Paris ont été suivis par d’autres épisodes graves du même genre en France, en Allemagne et en Belgique, tandis que la nuit du Nouvel An à Cologne a été marquée par des actes de violence sexuelle à l’encontre d’une centaine de femmes, perpétrés par un groupe d’hommes « musulmans d’origine immigrée ».

Si en Europe de l’Est aucun gouvernement ne s’est déclaré disposé à « relocaliser » sur son sol des réfugiés musulmans, en Europe du Nord, pays aux traditions d’accueil des migrants forcés, les règles se sont durcies, au point que la ministre de l’intégration danoise Inger Stojberg en est arrivée à faire confisquer les biens des demandeurs d’asile.

Partout sur le Vieux Continent les partis xénophobes ont continué à gagner du terrain. Tandis que des hommes politiques de gauche comme de droite ont répété tel un refrain que l’Europe ou leur pays « ne pouvait plus accueillir de migrants », une grande partie de l’opinion publique a préféré miser sur ceux qui avaient fait du refus de l’immigré leur cheval de bataille. Parallèlement, des murs se sont élevés aux frontières de certains États, d’autres commençant à suspendre temporairement la libre circulation (accords de Schengen).

Comme si cela ne suffisait pas, les propos de Donald Trump dans le cadre de la campagne présidentielle américaine, l’annonce du référendum au Royaume-Uni sur sa sortie ou son maintien au sein de l’UE, ainsi que les échos sur le traitement très dur réservé par l’Australie aux demandeurs d’asile ont contribué à raviver cet « incendie » xénophobe et eurosceptique.

La réunion du 25 février 2016 à Bruxelles à laquelle ont été conviés les ministres de l’Intérieur européens a été emblématique des tensions existantes sur le thème des réfugiés et a montré les dissensions entre les partenaires, qui, s’invectivant, se sont rejetés les responsabilités, pour finalement ne parvenir à s’accorder que sur la constitution d’un nouveau « corps de garde-frontières européen ».

L’accord du 18 mars 2016

Finalement l’accord entre l’Union européenne et la Turquie en vue d’un « plan global pour réduire la migration vers l’Europe » a été ratifié par les deux parties le 18 mars 2016. Aux dires de ses partisans, c’est une réussite, car dès le lendemain de sa signature l’Organisation internationale pour les migrations a enregistré une chute drastique des arrivées dans les Îles grecques : 26 971 en mars, 3 360 en avril. À partir de ce moment, en Grèce, les « migrants » se sont divisés entre ceux qui ont déposé une demande d’asile « avant » le 20 mars 2016 et ceux qui ne l’ont fait qu’« après ». Pour ces derniers, le renvoi direct en Turquie est prévu. L’accord, censé ne pas violer la convention de Genève de 1951, prévoit, par ailleurs, que l’UE admette tout Syrien présent sur le sol turc en situation particulière de vulnérabilité, tandis qu’en échange chaque Syrien débouté du droit d’asile sera renvoyé en Turquie (« un Syrien pour un Syrien »).

En dépit des résultats statistiques satisfaisants, l’accord a tout de suite rencontré l’hostilité de la quasi-totalité des ONG travaillant avec les migrants. Leur appréciation négative sur le plan éthique a été corroborée par les déclarations du Premier ministre tchèque, Bohuslav Sobotka, qui, le 29 mars, s’est réjoui du fait que désormais « le point de vue “humanitaire” sur les migrants n’était plus dominant ».

Pour l’Union européenne, en effet, l’accord a représenté la « fin » du problème des flux migratoires depuis la Turquie et, par conséquent, les différentes agences communautaires, ainsi que les membres des forces de l’ordre de plusieurs États, ont donc pour mission d’évacuer les Îles de la mer Égée des migrants qui s’y trouvent.

Par ailleurs, le 13 juin, l’Union européenne a dévoilé ses nouveaux plans pour, d’une part, intégrer les migrants, et d’autre part, empêcher leur arrivée, et a proposé l’octroi de 8 milliards d’euros sur cinq ans à des pays comme le Soudan, l’Érythrée, l’Éthiopie puis, plus tard, à d’autres comme la Jordanie, le Niger, le Nigeria, le Liban, le Mali, le Sénégal et la Tunisie. Selon Frans Timmermans, vice-président de la Commission européenne, cette mesure vise à récompenser les pays qui luttent contre les « causes profondes » de la migration.

Le « calme » avant la tempête

L’accord turco-européen a eu les conséquences escomptées à la fois sur le plan migratoire et sur le plan politique au sein du Vieux Continent. La « route méridionale », qui partait de Libye (mais aussi d’Égypte et de Tunisie) et qui conduisait en Sicile et en Crète, a vu ses flux de migrants s’intensifier jusqu’à atteindre de nouveaux chiffres records. L’Italie a demandé le soutien des États-Unis pour que la situation en Libye s’améliore via la création d’un État unifié. Entre-temps, les polices grecques et italiennes ont redouté l’ouverture d’une voie d’accès à l’espace Schengen à travers l’Albanie.

Les attentats terroristes survenus au cours de l’été, très meurtriers malgré leur faible sophistication, ont mis en difficulté les ministères de l’Intérieur français et allemand notamment, tandis que la vie quotidienne dans les pays européens a continué d’être marquée par la peur d’actions terroristes. L’horizon sombre pour l’Union européenne a empiré après l’annonce de la sortie du Royaume-Uni de l’UE, dont le choix a été justifié, entre autres, par l’incapacité de Bruxelles à maîtriser les flux de migrants. Ainsi, Londres est désormais protégé de telles arrivées par sa position géographique éloignée de la Méditerranée et par les accords du Touquet signés en 2003 avec la France, celle-ci étant censée garantir le contrôle de la frontière maritime avec le Royaume-Uni. Les villes frontalières de l’Hexagone situées sur la côte en face de l’Angleterre, sont donc depuis plus de vingt ans (bien avant 2003) confrontées à l’afflux de demandeurs d’asile en attente de traverser la mer.

Au mois de juillet, renforcé après l’échec du coup d’État en Turquie, Recep Tayyip Erdoðan, qui, au passage, a pu constater la faible sympathie des gouvernements européens à son endroit, a menacé d’annuler l’accord du 18 mars si au mois d’octobre suivant la dispense de visa européen pour les ressortissants turcs n’était pas effective.

Aujourd’hui, si du côté des frontières orientales la situation peut dégénérer à n’importe quel moment, au sein de l’Union européenne la machine en matière d’accueil tourne au ralenti, chaque pays membre se disant prêt à se désengager de toute entente dès que les sondages s’avèreront contraires à l’accueil des réfugiés. En Hongrie, le Premier ministre Viktor Orbán, après s’être attribué le mérite de la diminution de l’afflux des migrants grâce à la construction d’un mur à la frontière de son pays, tente désormais de maintenir la tension xénophobe par le lancement, en octobre, d’un référendum sur l’accueil du quota de réfugiés imposé par Bruxelles. À New York, lors du début de l’Assemblée générale de l’ONU le 19 septembre, la Première ministre britannique, Theresa May, est revenue sur la question des « migrants » en insistant, comme s’il s’agissait d’une chose inédite, sur les « solutions » que tous les responsables politiques invoquent depuis toujours : intervenir en amont sur les « causes de la crise » (= convaincre les gouvernements des pays d’origine de retenir leurs candidats à l’émigration), traiter les dossiers de demande d’asile ailleurs que sur son territoire et refouler les « migrants économiques ». Et pour compléter ses propos, la ministre ajoute : « Le Royaume-Uni ne peut plus accueillir de migrants ».

Brève lecture des faits

Autrefois, en France, les travailleurs étrangers et les réfugiés présents sur le territoire étaient appelés « immigrés », pour souligner leur origine allochtone et leur installation durable dans le pays d’accueil. Le terme « migrant » était employé uniquement au sein des services de l’Église catholique, car il correspondait à la traduction d’un équivalent latin, présent dans les textes émanant du Saint-Siège. Aujourd’hui, en revanche, ce vocable vise à définir les personnes qui, menacées par un grand nombre de dangers, frappent aux portes de l’UE.

Grammaticalement, le mot « migrant » est un participe présent, qui indique donc une action toujours en cours, une situation encore « provisoire », voire « précaire ». Implicitement, les « migrants » n’ont pas « vocation » à venir dans un autre pays pour y trouver refuge et devenir, ne serait-ce que pour une brève période, des « immigrés ». Le droit de séjour reste une prérogative des État nationaux, qui seuls ont le pouvoir de l’octroyer. Il est significatif de remarquer que ni la convention de Genève de 1951 relative au statut des réfugiés, ni le Protocole de New York de 1967 qui en élargit l’application, ne font allusion à un droit de séjour pour les personnes reconnues comme pouvant se prévaloir de la protection internationale.

Cette condition de précarité expose des personnes déjà vulnérables à subir les conséquences du pragmatisme étatique des pays d’accueil potentiels, pour lesquels la priorité est donnée aux calculs électoraux et à la diminution des coûts. Plus les démarches pour la reconnaissance du statut de réfugié sont longues, et plus les individus qui les ont entamées demeurent longtemps tels des sans-papiers sans prise en charge par l’administration publique. La stratégie mise en place par les pays vers lesquels se tournent les réfugiés, vise manifestement à réduire le plus possible le nombre de personnes auxquelles on reconnaît ce statut : on rejette la grande majorité des demandes (parfois via des subterfuges comme les mauvaises traductions des récits des victimes de persécutions), on rend l’accueil moins attractif, on allonge arbitrairement la liste des pays « sûrs », on garde les demandeurs en dehors des frontières nationales, on invoque des raisons d’ordre public et de sécurité pour intervenir à leur encontre, on laisse se répandre les soupçons de terrorisme, d’intégrisme et de contagion bactérienne au détriment des populations en quête d’asile.

Parallèlement, le langage xénophobe de la part de responsables politiques des pays du Premier monde est de plus en plus toléré par l’opinion publique et se traduit dans les sondages par une hausse de la cote de popularité de ces derniers. Des propos de déportation, de fermeture, de guerre aux envahisseurs, etc. sont proférés sans aucun risque de sanctions. Parmi les dérives principales de ces discours figure le lien de plus en plus étroit établi, en dépit de tout fondement rationnel et scientifique, entre « migrations » et « terrorisme », ou bien entre « migrations » et menace à la soi-disant « identité nationale ». Or, le fait de migrer n’a aucun rapport avec celui de commettre des attentats, tandis que la présence de minorités dans une société implique la redéfinition de certaines règles et attitudes, mais pas la mise en discussion de l’appartenance à un groupe national.

Ne disposant que de très faibles connaissances en la matière, les hommes politiques les plus puissants de la planète affirment que, pour sortir de la « crise », il faut « lutter contre les causes profondes de la migration ». De leur point de vue, cela signifie rechercher des interlocuteurs politiques dans les pays d’origine des migrants pour que ceux-ci retiennent les candidats potentiels à l’émigration, moyennant le versement d’importantes sommes d’argent. Ce « marchandage » opéré notamment par l’UE avec des chefs d’État étrangers souvent responsables des persécutions qui affectent leurs compatriotes, est officiellement justifié sous prétexte d’épargner des vies humaines durant les périples entrepris par les migrants afin d’atteindre les frontières des véritables « pays sûrs ». Toutefois, l’histoire migratoire et les recherches dans ce domaine montrent que la migration « spontanée », même quand elle est motivée par des raisons économiques, n’est jamais un phénomène de masse : lorsque des millions de personnes se déplacent, cela est dû soit à des facteurs graves (guerres, catastrophes, violence généralisée), soit à une organisation internationale de recrutement de main-d’œuvre. Dans ces deux cas, la construction de murs, la sophistication des dispositifs de surveillance des frontières ou les expulsions n’ont qu’un effet limité et ont des répercussions sur la vie des victimes. Il ne faut donc pas confondre la circulation « naturelle » des personnes — qu’aucune loi de la nature n’empêche de se déplacer sur la surface de la planète — avec la migration générée par les conflits, les catastrophes ou la cupidité d’entreprises à la recherche d’employés mal payés et mal assurés. La migration de masse trouve ses « causes profondes » dans des luttes armées, l’insécurité présente dans trop de pays ainsi que l’inégalité de traitement réservée aux travailleurs étrangers relégués en bas de l’échelle socioprofessionnelle. La soi-disant « communauté internationale » devrait plutôt investir dans une pacification du monde et dans une amélioration des conditions de travail dans chaque pays, sans différence de traitement en fonction de l’origine des travailleurs.

Il est évident que, face aux tentations d’affichage d’objectifs chiffrés (nombre d’expulsions, nombre de rejets de demandes d’asile, nombre de personnes arrêtées à la frontière, etc.) censés rassurer l’opinion publique littéralement « terrorisée » par la menace que représenteraient les « migrants »2 Il est toujours intéressant de noter que les régions les moins touchées par l’immigration ont, le plus souvent, les taux les plus élevés d’opinions xénophobes., les gouvernements sont disposés à faire d’énormes écarts avec l’éthique. Les réunions et les sommets des responsables politiques des pays concernés par l’afflux de migrants se soldent trop souvent par un renvoi de la balle. Tout le monde sait que l’UE, y compris ses partenaires, ainsi que l’ensemble du Premier monde ont largement les moyens pour faire plus et que la tactique de la désorganisation et de la xénophobie pour éviter les « appels d’air » s’avère non seulement inutile, mais préjudiciable.

Après les dégâts générés par les prises de position et les choix basés sur la « fermeté » vis-à-vis de l’accueil des « migrants », qui n’ont eu pour effet que d’augmenter les attitudes agressives à leur encontre, il reste toujours un travail titanesque à accomplir pour mettre en place une action politique compétente et efficace sur ces problématiques, qui devrait comprendre : l’étude rationnelle des questions, le concours des instances spécialisées couvrant toute la palette des aspects impliqués par le phénomène (et pas seulement l’aspect sécuritaire), l’information correcte, la sensibilisation à la solidarité, le dialogue au sein de la société civile et avec les nouveaux arrivants, une réorganisation de l’appareil de l’accueil (ce qui permettrait par ailleurs de véritables économies), une formation à tous les niveaux.

Les autorités publiques, surtout locales, qui ont compris ces quelques principes représentent des lueurs d’espoir dans un horizon qui demeure sombre. Au sein de la société civile, de nombreux exemples d’engagements et d’initiatives sont le fait non seulement de bénévoles d’ONG, mais aussi de fonctionnaires et de simples citoyens qui ont relevé le défi de l’accueil, de l’échange interculturel et fait fi des critiques de ceux qui les considèrent comme complices des fauteurs de troubles.

 


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Syrian and Afghan migrants trying to cross Hungary - © Wikimedia Commons