Des Palestiniens fuyant Khan Younis, en raison de l’opération terrestre israélienne, arrivent à Rafah, dans le sud de la bande de Gaza, le 22 janvier 2024 - © Photo : Reuters.
Gaza, les déplacements comme politique d’anéantissement
Face à l’horreur, le devoir de parole
Vincent GEISSER
« L’être humain ne doit jamais cesser de penser. C’est le seul rempart contre la barbarie. Action et parole sont les deux vecteurs de la liberté. S’il cesse de penser, chaque être humain peut agir en barbare ».
Hannah Arendt, Eichmann à Jérusalem. Rapport sur la banalité du mal, 1963.
D’aucuns parmi les abonnés et les lecteurs de Migrations Société pourraient légitimement se demander si la vocation d’une revue spécialisée sur les questions migratoires est de traiter des développements et des conséquences d’un conflit « si lointain », risquant ainsi de faire monter les passions identitaires et d’importer des tensions géopolitiques au sein de la société française. C’est un reproche qui est souvent adressé aux universitaires et aux intellectuels qui osent aujourd’hui parler publiquement des « problèmes » du Proche-Orient en général, et de la « question israélo-palestinienne » en particulier, soupçonnés d’entretenir un agenda militant caché et d’imposer à l’opinion publique un discours partisan sous couvert de la science1 AGENCE FRANCE PRESSE, “Attaque du Hamas : les universités mises en garde sur le « maintien de l’ordre » à l’approche du 7 octobre”, Le Parisien, le 4 octobre 2024.. Pire encore pour des chercheurs : être accusés de céder à une posture compassionnelle, en raison d’une supposée proximité avec leur population et leur terrain d’enquête. Suspectée de véhiculer une « palestinophilie »2 Ironie de l’histoire des mots, au début du XXe siècle, le terme « palestinophiles » désignait les Juifs européens qui prônaient le « retour » sur la terre de Palestine. Aujourd’hui, il revêt plutôt un sens péjoratif, qualifiant les soutiens inconditionnels de la cause palestinienne. Voir : Telkes-Klein, Eva, “Émile Meyerson, philosophe des sciences et palestinophile (Lublin, 12 février 1859 Paris, 2 décembre 1933)”, Archives juives, vol. 48/2, 2e semestre 2015, pp. 136-139. engagée — pour ne pas dire « enragée » — ou une palestinophilie candide et naïve, la parole des universitaires est aujourd’hui totalement discréditée, provoquant chez les enseignants-chercheurs des phénomènes d’autocensure, d’autocontrôle et de retrait, tendances relativement inédites dans le champ universitaire français3 LEMAHIEU, Thomas ; FLEURY Élisabeth ; MOUSSAOUI, Rosa, “Recherche : à l’Université, les spécialistes dénoncent une pression inédite”, L’Humanité, le 4 décembre 2023..
Sur ce plan, le domaine des études migratoires n’échappe pas à cette injonction au silence4 CHERKI, Alice, “L’injonction au silence”, Lignes, n° 34, 2011, pp. 89-94.. En effet, depuis les événements dramatiques du 7 octobre 2023, les spécialistes français des migrations ont peu pris la parole sur les mouvements de population de grande ampleur qui touchent l’espace israélo-palestinien : les numéros et les dossiers de revues, les articles et les ouvrages sont plutôt rares dans un champ intellectuel et universitaire pourtant habitué aux publications « sur le vif » et aux tribunes publiques. Il est vrai que les conditions d’accès aux terrains d’enquête sont devenues difficiles, voire impossibles5 ROMANI, Vincent, “Enquêter dans les Territoires palestiniens. Comprendre un quotidien au-delà de la violence immédiate”, Revue française de science politique, vol. 57, n° 1, 2007, pp. 27-45.. À cela s’ajoute probablement un état de sidération prolongé face à l’horreur6 Sur le phénomène de sidération des chercheurs face à des événements dramatiques, voir à titre comparatif : GIOL, Charles, “Sidération, réflexion, introspection : les chercheurs en études slaves face à la guerre en Ukraine”, Le Nouvel Observateur, le 24 février 2023 : https://www.nouvelobs.com/idees/20230224.OBS69962/sideration-reflexion-introspection-les-chercheurs-en-etudes-slaves-face-a-la-guerre-en-ukraine.html. qui, même plusieurs mois après les événements du 7 octobre 2023, contribue à paralyser la pensée scientifique, limitant tout processus d’objectivation ou le rendant illégitime. Pourtant, les données et les témoignages ne manquent pas. Certes, ils proviennent généralement d’informateurs et de sources de seconde main, mais ils permettent de se faire une idée assez précise du drame humain qui se déroule aujourd’hui à Gaza : la mise en œuvre par les autorités israéliennes d’une politique de déplacements forcés et systématiques des populations locales qui, à terme, risque de conduire à l’anéantissement de toute vie sociale dans la plus grande partie du territoire gazaoui conquis et détruit. Ce scénario catastrophe n’est pas né de l’esprit de responsables d’organisations proches du Hamas ou de l’Autorité palestinienne, de militants engagés pour la « cause » ou d’intellectuels « palestinophiles », mais il émane d’études produites par des organismes des Nations unies7 Programme des Nations unies pour le développement (PNUD), Gaza War: Expected Socioeconomic Impacts on the State of Palestine, le 16 octobre 2024 : https://www.undp.org/arab-states/publications/gaza-war-expected-socio-economic-impacts-state-palestine-october-2024. et des grandes ONG internationales, peu soupçonnables de sympathie pour le mouvement islamiste. Il est notamment décrit avec force détails par Human Rights Watch (HRW) dans un rapport paru en novembre 2024 et intitulé Désespérés, affamés et assiégés : le déplacement forcé des Palestiniens à Gaza par Israël : celui-ci ne se veut ni un plaidoyer, ni un réquisitoire contre la politique de l’État d’Israël, mais il s’agit d’une étude approfondie de la situation à Gaza réalisée entre novembre 2023 et juin 2024, reposant sur de nombreux entretiens avec des Palestiniens déplacés à Gaza, l’analyse de contenu des ordres d’évacuation publiés par les autorités israéliennes et le décryptage d’un corpus d’images satellite, de vidéos et de clichés photographiques, dont les sources ont été recoupées et vérifiées8MRAFFKO, Clothilde, “L’ONG Human Rights Watch accuse Israël de crime contre l’humanité et de nettoyage ethnique à Gaza”, Le Monde, le 14 novembre 2024.. En bref, une étude qui, à certains égards, pourrait s’apparenter aux notes de terrain d’un chercheur en sciences sociales. Les données ainsi rassemblées permettent de déconstruire la notion d’« évacuation » fréquemment avancée par le gouvernement israélien, induisant l’idée qu’il s’agirait de déplacements temporaires, conformes au droit international humanitaire — notamment à l’article 49 de la Convention (IV) de Genève — qui autorise un belligérant à déplacer provisoirement des populations civiles, sous certaines conditions, en vue de les protéger des combats9 Extraits de l’article 49 de la Convention (IV) de Genève : « Les transferts forcés, en masse ou individuels, ainsi que les déportations de personnes protégées hors du territoire occupé dans le territoire de la Puissance occupante ou dans celui de tout autre État, occupé ou non, sont interdits, quel qu'en soit le motif. Toutefois, la Puissance occupante pourra procéder à l'évacuation totale ou partielle d'une région occupée déterminée si la sécurité de la population ou d'impérieuses raisons militaires l'exigent. Les évacuations ne pourront entraîner le déplacement de personnes protégées qu'à l'intérieur du territoire occupé, sauf en cas d'impossibilité matérielle. La population ainsi évacuée sera ramenée dans ses foyers aussitôt que les hostilités dans ce secteur auront pris fin. La Puissance occupante, en procédant à ces transferts ou à ces évacuations, devra faire en sorte, dans toute la mesure du possible, que les personnes protégées soient accueillies dans des installations convenables, que les déplacements soient effectués dans des conditions satisfaisantes de salubrité, d'hygiène, de sécurité et d'alimentation et que les membres d'une même famille ne soient pas séparés les uns des autres ». Source : https://www.ohchr.org/fr/instruments-mechanisms/instruments/geneva-convention-relative-protection-civilian-persons-time-war.. Or, rien de tel ne transparaît dans les observations dressées par les enquêteurs du Human Rights Watch et par les spécialistes de la question. Les « évacuations » renvoient ici, en réalité, à des expulsions et des déplacements forcés et massifs des populations gazaouies, afin qu’elles ne reviennent plus se « réinstaller » sur leur territoire de vie, comme le montre l’anthropologue Caitlin Procter du Migration Policy Centre : « Nous devons absolument cesser d'utiliser le terme “évacuation”. Les responsables israéliens l’ont utilisé en permanence, mais l’ont complètement détourné en forçant les Palestiniens à se déplacer sans cesse, parfois jusqu’à dix fois […]. Le terme “évacuation” suppose un passage temporaire d’un lieu dangereux à un lieu sûr avant de revenir chez soi, mais cela ne correspond en rien à la situation actuelle. […] Les lieux d’où ces civils ont été déplacés ont été complètement anéantis, il n'y a donc aucune possibilité pour ces personnes de rentrer chez elles »10 MILLAR, Paul, “Israël commet un « nettoyage ethnique » à Gaza, dénonce un rapport de Human Rights Watch”, France 24, le 14 novembre 2024 : https://www.france24.com/fr/moyen-orient/20241114-hrw-denonce-nettoyage-ethnique-crime-de-guerre-gaza-armee-israel..
Loin de protéger les civils palestiniens des conséquences dramatiques des opérations militaires d’Israël et du contrôle autoritaire du Hamas, les déplacements incessants et systématiques conduisent à les insécuriser davantage sur le plan psychologique et humanitaire. De ce point de vue, les conclusions du rapport de Human Rights Watch sont sans appel : « Au contraire, la politique d’Israël consistant à affamer la population tout en la déplaçant démontre un échec à protéger les civils et prouve une fois de plus que les ordres d’évacuation équivalent à un déplacement forcé. Exacerbant l’impact du siège général de Gaza sur les personnes déplacées, pendant plus d’un an d’hostilités, l’armée israélienne a, à plusieurs reprises, ordonné aux Palestiniens de se déplacer vers des zones où les infrastructures civiles n’étaient pas dimensionnées pour une grande population »11 HUMAN RIGHTS WATCH, “Hopeless, Starving, and Besieged”. Israel’s Forced Displacement of Palestinians in Gaza, op. cit., p. 24.. À partir de nombreux témoignages recueillis sur place, les auteurs du rapport parlent même d’une politique de terreur mise en œuvre dès les premiers jours par l’état-major israélien, qui n’a fait que s’intensifier au fil du temps : « Il ressort clairement des récits ci-dessus ainsi que de nombreux autres entretiens menés par Human Rights Watch avec des Palestiniens à Gaza que les premiers jours de la guerre, à l’approche et immédiatement après l’ordre d’évacuation générale du 13 octobre, ont été marqués par la terreur, la mort et la panique, les gens n’ayant [eu] que peu de temps pour évacuer leurs maisons au milieu de frappes aériennes et de bombardements continus »12 Ibid., p. 53..
Au total, c’est près de 90 % de la population gazaouie qui a été déplacée, soit 1,9 million de Palestiniens, qui n’ont eu aucune possibilité de revenir chez eux ou de s’installer dans des zones sûres. Les ordres d’évacuation — plusieurs centaines émis par l’armée israélienne depuis le 13 octobre 2023 — ont constitué, en réalité, des déplacements forcés, l’euphémisation des formules étant une manière pour les autorités israéliennes d’entretenir l’illusion qu’elles se conformaient au droit international (Convention de Genève), voire, dans un registre plus cynique, qu’elles se construisaient une image de « protecteur » des civils palestiniens face à la « tyrannie du Hamas », argument repris en boucle par de nombreux hommes politiques et médias français13 RAFY, Serge, “Le Hamas, pire ennemi du peuple palestinien”, Le Point, le 12 octobre 2023.. Pour HRW, de telles pratiques, même émanant d’un État prétendument « démocratique », constituent à l’évidence un crime contre l’humanité : « Les autorités israéliennes ont collectivement puni et transféré de force la majorité de la population de Gaza en raison de son identité de Palestiniens. Ces politiques et pratiques systémiques enferment, dépossèdent, séparent de force, marginalisent et infligent d’autres souffrances aux Palestiniens. Sur la base des éléments présentés dans ce rapport, Human Rights Watch appelle à l’ouverture d’une enquête sur les persécutions liées aux déplacements forcés, qui constituent un crime contre l’humanité »14 Ibid., p. 152..
L’hypothèse d’une politique de déplacements forcés revêtant à la fois un caractère systématique et planifié par les autorités israéliennes, et ce bien avant les événements dramatiques du 7 octobre 2023, semble se vérifier au regard des opérations de destructions massives et méthodiques accomplies par Tsahal15 Abréviation en hébreu de Tsva ha-Haganah le-Israël, signifiant « forces de défense d’Israël ». et les services spéciaux, et qui ne concernent que rarement des objectifs militaires et stratégiques. Les infrastructures militaires du Hamas ne constituent finalement que des cibles extrêmement minoritaires dans la longue liste des bâtiments détruits depuis le 7 octobre 2023, comparés aux lieux de vie et de culture. Car tout semble fait pour que les Palestiniens « évacués » (terme impropre) ne puissent revenir chez eux, ravivant dans l’esprit des Gazaouis la mémoire traumatique de la Nakba16 Que l’on traduit généralement par « catastrophe », même si le terme revêt plusieurs sens, comme le montre Nada Yafi, directrice du Centre de langue et de civilisation arabes à l'Institut du monde arabe (IMA) : YAFI, Nada, “Nakba’, le mot de l’année 2023”, Orient XXI, le 18 décembre 2023 : https://orientxxi.info/magazine/nakba-le-mot-de-l-annee-2023,6950. (nombreux parmi eux sont des descendants des réfugiés ayant fui leur terre suite aux événements de 1948 et de 1967), celle de l’impossible retour sur la terre de ses ancêtres : « La destruction généralisée par Israël d’infrastructures civiles, notamment de zones résidentielles, de terres agricoles et de bâtiments culturels, rendant de vastes parties de Gaza inhabitables, est également en conflit direct avec ses obligations de mener ses opérations d’une manière compatible avec le retour des civils »17 HUMAN RIGHTS WATCH, “Hopeless, Starving, and Besieged. Israel’s Forced Displacement of Palestinians in Gaza”, op. cit., p. 34.. Par un curieux retournement mémoriel et symbolique18 LENOIR, Gwenaelle, “En Palestine, la Nakba n’est pas « un souvenir du passé », mais une tragédie qui se répète, Mediapart, le 2 janvier 2024 : https://www.mediapart.fr/journal/international/020124/en-palestine-la-nakba-n-est-pas-un-souvenir-du-passe-mais-une-tragedie-qui-se-repete., ce terme arabe Nakba a d’ailleurs été repris par certains responsables israéliens non pour faire repentance des crimes commis en 1948 par les milices sionistes (Irgoun, Haganah, Palmah, etc.)19 Morris, Benny, The Birth of the Palestinian Refugee Problem, 1947-1949, Cambridge: Cambridge University Press, 1989, 400 p. mais comme projet d’avenir, envisageant ouvertement la colonisation des « territoires libérés » à Gaza : « Si la Nakba est actuellement occultée par l’opinion publique israélienne, prisonnière de son propre traumatisme après l’attaque violente du 7 octobre, elle est revendiquée sans la moindre retenue par certains officiels israéliens, comme Ariel Kallner, membre du Parlement israélien, ou le ministre de l’agriculture et ancien dirigeant du Shin Bet, Avi Dichter, qui se réjouit de “dérouler une nouvelle Nakba “contre les Palestiniens” »20 YAFI, Nada, “Nakba’, le mot de l’année 2023”, Orient XXI, 18 décembre 2023, art. cit..
« Nouvelle Nabka » ou pas, l’opération « Glaive de fer »21 LYOCOS, Capucine, “Gaza : « Glaive de fer », quatrième volet d’une série d’opérations israéliennes”, La Croix, le 13 octobre 2023., décidée par le gouvernement israélien dès le 11 octobre 2023, s’est traduite par une politique de destruction systématique des habitations, des infrastructures publiques, des lieux de culture et de savoir, des édifices religieux (églises et mosquées), des voies de communication, mais aussi et surtout des terres agricoles de la bande de Gaza, déjà éprouvée par plusieurs années de blocus, comme le décrivent les universitaires Dalia Alazzeh et Shahzad Uddin : « Gaza était déjà asphyxiée sur le plan économique avant le début de la guerre. Le blocus imposé par Israël en 2007 avait fortement limité l’importation et l’exportation de marchandises, et les pêcheurs s’étaient vu imposer une zone de pêche autorisée limitée à 6 milles nautiques – des conditions limitant la capacité des Palestiniens à gagner leur vie. En raison du blocus, le PIB par habitant de Gaza (mesure de la richesse d’un pays) avait baissé de 27 % entre 2006 et 2022, et le taux de chômage avait atteint 45,3 %. Cela a donné lieu à une situation où 80 % des habitants dépendaient de l’aide internationale »22ALAZZEH, Dalia ; UDDIN, Shahzad, “Palestine : après un an de conflit, une économie exsangue”, The Conversation, le 3 décembre 2024 : https://theconversation.com/palestine-apres-un-an-de-conflit-une-economie-exsangue-242431.. L’expression « prison à ciel ouvert » fréquemment employée pour décrire la situation de la bande de Gaza avant le 7 octobre 202323 DESJOYAUX, Laurence, Entretien avec Christophe DELOIRE, président de Reporters sans frontières, “Gaza était une prison à ciel ouvert, c’est maintenant une guerre à portes fermées qui s'y joue”, La Vie, le 19 janvier 2024. devrait être remplacée aujourd’hui par celle de « cimetière à ciel ouvert »24 Selon l’expression de Josep Borrell, chef de la diplomatie européenne : AGENCE FRANCE PRESSE, “Gaza est désormais un « cimetière à ciel ouvert », affirme Borrell”, L’Orient-Le Jour, le 18 mars 2024. au regard de l’importance des pertes humaines et des destructions matérielles occasionnées par les opérations militaires israéliennes. Au 1er décembre 2024, c’est près de 70 % du parc immobilier qui a été gravement endommagé ou carrément détruit par Tsahal, rendant les lieux totalement inhabitables. De même, le système de santé public et privé est totalement sinistré, de nombreux décès de civils gazaouis étant causés par l’impossibilité de leur prodiguer des soins ou de leur procurer des médicaments, notamment pour les patients atteints de maladies chroniques. Dès avril 2024, soit après six mois de guerre contre les populations civiles, l’ONG Médecins sans frontières alertait déjà l’opinion internationale sur l’état désastreux du système de santé gazaoui, provoquant ce qu’elle qualifiait de « meurtres silencieux » : « Après plus de six mois de guerre, le système de santé de la bande de Gaza est dévasté, bombardé, attaqué et mis hors service par l’armée israélienne. Seuls 10 hôpitaux sur 36 sont encore fonctionnels, faisant peser un poids immense sur les structures de santé pouvant encore accueillir des patients. L’accès à l’eau potable et à la nourriture, restreint en raison de l’état de siège, prive la population de ressources essentielles. Dans ce contexte, et selon les observations des équipes de Médecins Sans Frontières, de nombreuses maladies se propagent et entraînent de multiples décès »25 Médecins sans frontières, “Gaza : les « meurtres silencieux » de la guerre”, Site Web de Médecins sans frontières, le 30 avril 2024 : https://www.msf.fr/actualites/gaza-les-meurtres-silencieux-de-la-guerre.. Plus grave encore, c’est tout le système d’approvisionnement et de distribution en eau potable et en vivres qui a été visé par les opérations israéliennes, sans parler des larges surfaces de terres agricoles (champs et vergers) qui ont été intentionnellement rendues non cultivables ou même rasées par des bulldozers israéliens, confirmant la volonté du gouvernement de Benjamin Netanyahu de punir les civils gazaouis pour leur supposée complicité avec le Hamas. Il s’agit bien d’une pratique de « punition collective » selon le rapport de Human Rights Watch : « Une évaluation réalisée à Gaza a révélé que 1,4 million de personnes sont confrontées à une pénurie d’eau potable et à des conditions dangereuses pour accéder aux installations sanitaires. Le droit international humanitaire exige qu’Israël, en tant que puissance occupante à Gaza, veille à ce que les besoins fondamentaux de la population civile soient satisfaits. Il s’agit d’une obligation qui contraint également Israël à protéger le droit des Palestiniens à l’eau et à prendre des mesures délibérées, concrètes et ciblées pour assurer la pleine réalisation de ces droits. Priver une population de l’accès à l’eau équivaut à une punition collective de la population civile, un crime de guerre »26 HUMAN RIGHTS WATCH, “Hopeless, Starving, and Besieged. Israel’s Forced Displacement of Palestinians in Gaza”, op. cit., p. 104..
Même si cela peut paraître secondaire au regard des milliers de vies humaines enlevées et des nombreux blessés et traumatisés que compte aujourd’hui la population gazaouie — majoritairement des femmes et des enfants27 ORGANISATION DES NATIONS UNIES, “Près de 70 % des victimes de la guerre à Gaza sont des femmes et des enfants”, ONU Info, le 8 novembre 2024 : https://news.un.org/fr/story/2024 novembre 1150406., qui ne sont pourtant pas des combattants du Hamas ou du Jihad islamique —, les opérations militaires israéliennes ont également visé, dès les premiers jours de la guerre, les lieux de culture et de savoir, cherchant ainsi à effacer toute une partie de la mémoire et du patrimoine palestiniens. Outre la destruction de la grande majorité des écoles primaires, des établissements secondaires et des universités, ce sont aussi les centres d’archives, les bibliothèques, les musées, les lieux de culture et de culte (églises et mosquées) qui ont été délibérément dès avril 2024visés par les bombardements et les opérations terrestres de Tsahal, comme si le gouvernement israélien voulait faire disparaître de Gaza — l’une des plus vieilles villes du Proche-Orient fondée vers 1500 av. J.-C28 FILIU, Jean-Pierre, Histoire de Gaza, Paris : Éd. Fayard, 2012, 576 p. et mentionnée plusieurs fois dans la Bible — toute trace de présence palestinienne : « Parce que le patrimoine culturel fait partie d'une communauté, le fait de l'endommager a des effets psychosociaux qui peuvent interférer avec le rétablissement post-conflit. Le patrimoine culturel est transmis d'une génération à l'autre, et sa destruction brise la chaîne générationnelle. La destruction généralisée, qu'elle soit ou non liée aux hostilités, à Gaza concerne la plupart des sites du patrimoine culturel. Le 8 décembre 2023, une frappe aérienne israélienne a en grande partie détruit la plus ancienne mosquée de Gaza, la mosquée Omari. La mosquée Omari était à l'origine une église byzantine du Ve siècle et était un monument emblématique de Gaza : plus de 4 000 mètres carrés d'histoire, d'architecture et patrimoine culturel. Le 20 octobre 2023, une frappe aérienne israélienne a endommagé l’église orthodoxe de Saint-Porphyre, la plus ancienne église en activité à Gaza »29 FILIU, Jean-Pierre, Histoire de Gaza, op. cit., pp. 120-121.. L’anthropologue Marion Slitine, chercheuse associée au Centre Norbert Élias (CNRS, Aix Marseille Université), parle ainsi de « culturicide » : « Ce qui se passe en Palestine – et à Gaza en particulier est un acte qui va au-delà de la destruction physique et qui s’apparente bel et bien à un génocide culturel. Le musellement des voix créatives palestiniennes s’intègre à une politique générale visant à briser également les Palestiniens sur le plan psychique et émotionnel et s’inscrit dans un processus colonial de destruction qui suppose l’annihilation de l’identité palestinienne. En coupant le peuple palestinien de sa propre culture, en tentant de rompre les liens entre son passé et son présent, Israël cherche à effacer tous ses horizons et à le déposséder de son avenir, tout en créant de nouveaux traumatismes qui perdureront sur des générations »30 Slitine, Marion, “Gaza : un culturicide sous nos yeux. Quand Israël anéantit la culture palestinienne”, Revue du Crieur, n° 25, 2024, p. 53.. En somme, la politique israélienne des déplacements forcés de population est inexorablement liée à la politique d’effacement de la mémoire et du patrimoine gazaouis, visant à faire disparaître de la bande de Gaza toute trace de « palestinité ».
Face à l’horreur à Gaza, que faire ?
Il est vrai que ces derniers temps, au-delà même du contexte israélo-palestinien, la parole des chercheurs, et plus particulièrement de celles et ceux qui travaillent sur les migrations et les mouvements de population, fait l’objet de suspicion de la part des pouvoirs publics et de certains leaders d’opinion31 SAVEROT, Damien, “Israël-Palestine : « Les universités doivent garantir un espace d’expression pour éviter l’instrumentalisation »“, La Croix, le 10 octobre 2024.. L’on assiste à un processus de « sécurisation » du champ des sciences sociales et humaines qui favorise parfois des attitudes d’autocontrôle, d’autocensure et de retrait32 FRANGEVILLE, Vanessa ; MERLIN, Aude ; SFEIR, Jihane, VANDAMME, Pierre-Étienne, La liberté académique : enjeux et menaces, Bruxelles : Éd. de l’Université de Bruxelles, 2021, 258 p. ; Gautier, Claude ; Zancarini-Fournel, Michelle, De la défense des savoirs critiques. Quand le pouvoir s’en prend à l’autonomie de la recherche, Paris : Éd. La Découverte, 2022, 272 p. ; ALDRIN, Philippe ; FOURNIER, Pierre ; GEISSER, Vincent ; MIRMAN, Yves, L’enquête en danger. Un nouveau régime de surveillance dans les sciences sociales, Paris : Éd. Armand Colin, 2022, 379 p., aboutissant à renoncer purement et simplement à travailler sur un objet jugé trop polémique. Cette mise en suspicion de la parole universitaire sous-entend un agenda militant caché, les spécialistes des migrations, des questions internationales et plus encore ceux traitant des enjeux palestiniens étant fréquemment assimilés malgré eux à des « arabophiles », des « islamo-gauchistes », des « palestinophiles » ou, pire encore, des « hamasophiles »33 GEISSER, Vincent, Discours d’introduction à la journée d’étude “La Palestine au prisme des sciences sociales”, Aix-Marseille Université : Institut de recherches et d’études sur les mondes arabes et musulmans (IREMAM), le 25 novembre 2024 : https://www.iremam.cnrs.fr/fr/journee-detudes-la-palestine-au-prisme-des-sciences-sociales.. En deux mots, sur ces questions réputées « brûlantes », la recherche en sciences humaines et sociales est de plus en plus identifiée par les autorités publiques françaises à une entreprise militante qui soutient des projets politico-idéologiques. L’évocation de la « neutralité axiologique » sur la question palestinienne ou d’autres sujets d’actualité se transforme bien souvent en positivisme anesthésiant et sclérosant, réduisant le chercheur au silence, et finissant lui-même par être terrorisé. Or, l’injonction au silence sur la situation à Gaza ou tout autre objet ne résout rien. D’abord, parce qu’elle nous détourne de notre vocation de savant : le chercheur est un être parlant, un être écrivant et un être communicant les résultats de sa recherche aux autres membres de la société. C’est le fondement même de sa mission, c’est d’ailleurs pour cela qu’il est recruté par l’Université et les institutions scientifiques. Ensuite, parce que le silence nourrit davantage d’inimitiés, d’incompréhensions, de quiproquos et de contresens, et au final contribue à renforcer la « charge conflictuelle » dans nos sociétés. Pour réduire la violence, il convient au contraire de faire circuler la parole scientifique dans le champ académique et, au-delà, vers les autres champs sociaux (associatif, médiatique, politique, etc.). Si la sociologie et les sciences sociales en général sont des sports de combat34 CARLES, Pierre, La sociologie est un sport de combat, CP Productions et VF Films Productions, 2001., il s’agit presque toujours d’un combat pacifique. Enfin, parce que cette injonction au silence est souvent liée à des représentations culturalistes de la société française qui nourrissent les fantasmes de la guerre des communautés35 MOHAMMED, Marwan ; TALPIN, Julien, Communautarisme ?, Paris : Presses universitaires de France, 2018, 112 p. et des séparatismes ethnoreligieux36 Geisser, Vincent, “Un séparatisme « venu d’en haut ». Rhétorique identitaire pour élites en mal de légitimité populaire”, Migrations société, n° 183, janvier-mars 2021, pp. 3-15.. Ainsi, nous sommes constamment renvoyés à nos supposées identités primaires (juifs, musulmans, chrétiens, etc.), voire à nos instincts primaires (extrémistes juifs versus extrémistes arabo-musulmans) : dans cette lecture très identitariste des enjeux sociétaux, un universitaire de confession juive serait nécessairement un soutien de Benjamin Netanyahu et un universitaire musulman ou travaillant sur le monde arabo-musulman un soutien inconditionnel du Hamas ou un islamo-gauchiste en puissance37 MARDAM BEY, Soulayma, “L'importation du conflit israélo-palestinien n'existe pas”, L’Orient Le Jour, le 15 novembre 2024. Sur ce sujet, voir aussi : HECKER, Marc, Intifada française ? De l’importation du conflit israélo-palestinien, Paris : Éd. Ellipses, 2012, 506 p.. Ces représentations essentialistes et culturalistes, qui mettent en scène nos supposées appartenances ethnoreligieuses et nos sympathies politiques pour telle ou telle cause, sont non seulement caricaturales mais elles produisent l’effet inverse : elles légitiment le traitement identitaire de nos identités professionnelles et de nos missions scientifiques et, à terme, aboutissent à cloisonner les espaces de recherche, d’écriture et d’enseignement.
Depuis sa création en 1989, la revue Migrations Société a vocation à rassembler des acteurs associatifs, culturels et universitaires qui ont toujours revendiqué une approche humaniste des phénomènes migratoires. À force de nous autocensurer, de nous taire, d’accepter passivement l’injonction au silence face à l’horreur à Gaza, nous risquons non seulement de perdre une partie de notre scientificité, mais aussi et, surtout, une part majeure de notre humanité. Nous avons choisi d’assumer notre devoir de parole.
Marseille, le 7 décembre 2024.
Le groupe Manouchian en février 1944 - © Licra
La « deuxième mort de Missak Manouchian », immigré et résistant
Ambivalences et non-dits d’une panthéonisation consensuelle
Vincent GEISSER
Lorsqu’au printemps 2022, le chef de l’État, Emmanuel Macron, a annoncé publiquement son désir de faire entrer le couple Missak et Mélinée Manouchian au Panthéon1LES DÉCODEURS, “Missak et Mélinée Manouchian au Panthéon : quels sont les critères pour y entrer ?”, Le Monde, le 20 février 2024, https://www.lemonde.fr/les-decodeurs/article/2024/02/20/missak-et-melinee-manouchian-au-pantheon-quels-sont-les-criteres-pour-y-entrer_6092143_4355771.html ; BISEAU, Grégoire ; HOPQUIN, Benoît, “Missak et Mélinée Manouchian, un couple de résistants au Panthéon ?”, Le Monde, le 22 décembre 2022, https://www.lemonde.fr/m-le-mag/article/2022/12/22/missak-et-melinee-manouchian-un-couple-de-resistants-au-pantheon_6155347_4500055.html., les militants des associations de solidarité, les porteurs de mémoire2Citons par exemple la pétition “Pour l’entrée du résistant Missak Manouchian, héros de l’Affiche rouge au Panthéon”, lancée en 2017 par la Fédération nationale des anciens combattants français d’origine arménienne, https://www.mesopinions.com/petition/politique/entree-resistant-missak-manouchian-heros-affiche/30301#., les universitaires travaillant sur l’histoire et la sociologie des migrations ou encore les citoyens ordinaires attachés à l’identité cosmopolite de notre société, ont éprouvé une immense satisfaction au regard d’un acte symbolique, réparant en partie l’une des plus grandes injustices de l’histoire contemporaine : l’occultation volontaire de la contribution de la main-d’œuvre immigrée à la Résistance et à la libération de la France. Pourtant, à mesure que la commémoration annoncée revêtait le statut d’évènement officiel, axé entièrement sur la personnalité du président de la République et mis en scène par les plus hautes autorités de l’État avec l’aide d’une société de communication privée, un sentiment de malaise a commencé à gagner celles et ceux qui avaient initialement émis l’idée d’un hommage national à Missak Manouchian et à tous les résistants immigrés engagés dans le combat contre le nazisme3DEJEAN, Mathieu ; ESCALONA, Fabien, “Manouchian au Panthéon : un geste mémoriel empreint d’hypocrisie politique”, Mediapart, le 20 février 2024 : https://www.mediapart.fr/journal/politique/200224/manouchian-au-pantheon-un-geste-memoriel-empreint-d-hypocrisie-politique.. Faire entrer le « métèque arménien » au Panthéon oui, mais pour véhiculer quel message, quelles valeurs ?
Ce malaise est aujourd’hui d’autant plus fort que l’hommage officiel à Missak Manouchian intervient dans un contexte sociopolitique de criminalisation de l’immigration légale et illégale, marqué par une remise en cause partielle du droit du sol et l’imposition d’une forme de « préférence nationale » qui ne sont pas seulement l’œuvre de l’extrême droite mais celle d’une politique d’État clairement assumée par le gouvernement et le président de la République. La radicalisation identitaire4NABLI, Béligh, La république identitaire. Ordre et désordre français, Paris : Éd. du Cerf, 2016, 173 p. n’est donc plus exclusivement le fait d’une minorité d’extrémistes, obscurs héritiers du régime de Vichy et de groupuscules néo-fascistes : elle est désormais encouragée et légitimée par le discours de la majorité présidentielle et de ses alliés de circonstance, la droite dite « républicaine » et le Rassemblement national (rn). Oui, il y a quelque chose de malsain à rendre un hommage national à Missak Manouchian en travestissant les principes et les valeurs pour lesquels le militant apatride a lutté durant toute sa vie. Ses combats se trouvent vidés de leur sens, transformés en vaste opération de détournement mémoriel : on exhume la figure héroïque de Manouchian pour mieux conforter un supposé « consensus national » qui se construit précisément contre la figure de l’Autre (le clandestin, l’immigré, l’étranger, le sans-papiers, l’islamo-gauchiste, le citoyen français solidaire des exilés, etc.)5BERNARD, Philippe, “Missak Manouchian au Panthéon : l’identité composite des résistants de l’Affiche rouge constitue un retentissant rappel de ce que signifie être français’”, Le Monde, le 11 février 2024, https://www.lemonde.fr/idees/article/2024/02/11/pantheonisation-de-manouchian-l-identite-composite-des-resistants-de-l-affiche-rouge-constitue-un-retentissant-rappel-de-ce-que-signifie-etre-francais_6215945_3232.html..
Il est vrai qu’au regard de la nouvelle doxa identitaire vulgarisée par une partie de la classe politique française, Missak Manouchian n’aurait probablement pas été digne de figurer dans « l’arc républicain »6DUPONT, Marion, “L’arc républicain’ un concept destiné à exclure certains du champ de la légitimité politique’” (entretien avec Cécile ALDUY), Le Monde, le 13 décembre 2023, https://www.lemonde.fr/idees/article/2023/12/13/l-arc-republicain-un-concept-destine-a-exclure-certains-du-champ-de-la-legitimite-politique_6205527_3232.html. et aurait très certainement été recalé au brevet de « bonne francité ». Il aurait été tout simplement exclu de sa propre cérémonie d’hommage. Contrairement au Rassemblement national, parti fondé en 1972 par des nostalgiques du maréchal Pétain et ouvertement anti-immigrés, dont la présidente du groupe parlementaire à l’Assemblée nationale, Marine Le Pen, figurait pourtant en bonne place parmi les personnalités conviées à l’hommage républicain7D’ANGELO, Robin ; SEGAUNES, Nathalie, “Marine Le Pen à la cérémonie d’entrée des Manouchian au Panthéon : ultime étape de la normalisation du RN ?”, Le Monde, le 20 février 2024, https://www.lemonde.fr/politique/article/2024/02/20/manouchian-au-pantheon-la-normalisation-contrariee-de-marine-le-pen_6217449_823448.html., les héritiers légitimes des combats politiques de Missak Manouchian étaient faiblement représentés, invisibilisés, voire pour certains d’entre eux carrément écartés. On peut donc légitimement s’interroger sur le message renvoyé par ce dispositif mémoriel, à l’instar de Philippe Bernard, journaliste spécialiste de l’immigration : « […] La signification de la cérémonie voulue par Emmanuel Macron serait autrement plus forte s’il cessait de louvoyer entre les postures morales qu’il adopte dans ses discours mémoriels et les actes par lesquels il installe les responsables du RN et certains de ses thèmes au centre de sa stratégie politique. Combattre l’extrême droite suppose un cap clair. Et non pas conforter ses obsessions ou oublier son histoire sinistre dès qu’il s’agit des joutes politiques d’aujourd’hui »8LE MONDE, “Emmanuel Macron face aux leçons des Manouchian” (Éditorial), Le Monde, le 21 février 2024, https://www.lemonde.fr/politique/article/2024/02/21/emmanuel-macron-face-aux-lecons-des-manouchian_6217695_823448.html.. En somme, « Manouchian est mort, vive Manouchian ! », mais il s’est mué en héros national dépouillé de ses idéaux et du sens profond de ses combats politiques et idéologiques contre l’extrême droite et le racisme d’État.
Il ne s’agit pas de crier à la récupération politique et partisane d’une figure héroïque de la résistance au fascisme — critique sans doute trop facile — mais de s’interroger sur les effets d’entropie (perte de sens) et de réduction mémorielle induits par le processus de panthéonisation. Car, celui-ci renvoie inévitablement — quelle que soit la personnalité panthéonisée — à une mémoire excluante et sélective, comme le note très justement Gaël Gaillaud, auteur d’une étude sociologique sur la question : « Outre cette impossibilité de se confondre avec la mémoire nationale, la mémoire prônée par le Panthéon est doublement excluante. Premièrement, elle est une mémoire sélective, mettant en avant un nombre limité de figures aux dépens d’autres, ce dont témoigne l’activisme en faveur de telle ou telle figure […]. Deuxièmement, elle est une mémoire excluante par l’élection de valeurs spécifiques auxquelles le pouvoir politique confère une connotation positive, élection qui s’effectue toujours aux dépens d’autres valeurs et contribue donc à façonner les bords d’une société acceptable »9Gaillaud, Gaël, Simone Veil au Panthéon. Analyse de la fabrique d’une mémoire nationale, consensuelle et héroïsante, mémoire de diplôme, Sciences Po Aix, 2020, 216 p. (voir p. 46). . En résumé, panthéoniser ce n’est pas seulement sélectionner une personnalité sur une liste de candidats, c’est aussi opérer un choix parmi ses valeurs et ses combats, reconstruire sa biographie personnelle et sa trajectoire militante, afin qu’elles répondent aux attentes politiques du moment qui sont déterminées par les seuls dignitaires étatiques10RECKER, Fabien, “Gisèle Halimi : pourquoi Macron lui refuse le Panthéon”, Public Sénat, le 26 août 2021, https://www.publicsenat.fr/actualites/non-classe/gisele-halimi-pourquoi-l-elysee-ne-souhaite-pas-lui-ouvrir-le-pantheon-190204.. En ce sens, depuis les années 1980, la panthéonisation rime presque toujours avec présidentialisation : « […] L’entrée au Panthéon devient un rituel politique récurrent, présent à chaque mandat présidentiel. La cérémonie est alors l’occasion pour le pouvoir présidentiel de se manifester, de mettre en avant une certaine image de la République et des valeurs qu’elle porte, tout en rendant hommage à une personnalité consensuelle souvent portée par des groupements d’intérêts ou acteurs spécifiques […]. L’entrée au Panthéon est en effet un moyen pour le président de la République d’imposer, ou du moins proposer, une mémoire officielle »11Gaillaud, Gaël, op. cit (voir p. 21)..
De ce point vue, l’hommage officiel au héros arménien et le dispositif mémoriel qui l’accompagne nous renseignent davantage sur le « panthéonisateur » que sur le « panthéonisé ». Pour le dire autrement, le Manouchian qui est entré au Panthéon, ce 21 février 2024, est un Manouchian « macronisé », désidéologisé et dépolitisé, vidé de toute charge subversive. Dans le discours présidentiel, la référence récurrente à son intimité amoureuse avec Mélinée — il est vrai que ce passage nous a tous émus12Macron, Emmanuel, Déclaration du président de la République en hommage à Missak Manouchian, résistant d'origine arménienne fusillé en février 1944 par l'occupant nazi, pour son entrée au Panthéon avec sa femme Mélinée, Paris, le 21 février 2024, https://www.vie-publique.fr/discours/293108-emmanuel-macron-21022024-missak-manouchian-entree-au-pantheon. — met volontairement en avant le registre romantique au détriment du registre idéologique : le Manouchian intime reconstruit par la rhétorique présidentielle contribue à évacuer les questions qui fâchent : le racisme d’État13Tévanian, Pierre, “Les Manouchian au Panthéon : récupération politique ou victoire militante ? Les deux !”, L’Obs, le 21 février 2024, https://www.nouvelobs.com/opinions/20240221.OBS84756/tribune-les-manouchian-au-pantheon-recuperation-politique-ou-victoire-militante-les-deux.html., la répression policière14BERLIèRE, Jean-Marc, Polices des temps noirs, France 1939-1945, Paris : Éd. Perrin, 2018, 1392 p., la collaboration des fonctionnaires français avec l’occupant nazi15Musée national de la Résistance, Les organes de répression de l’État français, décembre 2018, https://www.musee-resistance.com/wp-content/uploads/2018/12/organes-repression_Etat-francais.pdf., l’antisémitisme et la xénophobie des autorités de l’époque, et surtout le traitement discriminatoire subi par les résistants immigrés, y compris dans leur propre parti16SEMO, Marc, “Les sacrifiés de l’affiche rouge”, Libération, Le 16 septembre 2009, https://www.liberation.fr/cinema/2009/09/16/les-sacrifies-de-l-affiche-rouge_581827/., c’est-à-dire tous ces fléaux sociaux et politiques contre lesquels luttait précisément Manouchian. Or, les combats du « métèque arménien », du débouté de la nationalité française17La nationalité française lui fut refusée à deux reprises, fait qui a d’ailleurs été rappelé de manière allusive par Emmanuel Macron dans son discours du 21 février 2024 : “Des dernières heures, dans la clairière du Mont-Valérien, à cette Montagne Sainte-Geneviève, une odyssée du vingtième siècle s’achève, celle d’un destin de liberté qui, depuis Adyiaman, survivant au génocide de 1915, de famille arménienne en famille kurde, trouvant refuge au Liban avant de rejoindre la France, décide de mourir pour notre Nation qui, pourtant, avait refusé de l'adopter pleinement”. Cf. Macron, Emmanuel, op. cit. et du résistant clandestin, font étonnamment écho à l’actualité des années 2020. C’est pour cette raison qu’ils viennent perturber le processus de panthéonisation, construit sur un mode consensuel, car le militant Manouchian ne répond en rien aux critères de la « bonne francité » ou de « l’immigré méritant » promus aujourd’hui par la politique identitaire du gouvernement, de la droite sécuritaire et de l’extrême droite (rn et Reconquête)18Tévanian Pierre, “Manouchian n’est pas un héros de roman national’”, Les mots sont importants, le 21 février 2024, https://lmsi.net/Manouchian-n-est-pas-un-heros-de-roman-national.. Aux yeux de ces derniers, Manouchian serait considéré actuellement comme un « mauvais Français »19FASSIN, Didier, “Nous sommes tous de mauvais Français”, Télérama, n° 3133, le 27 janvier 2010. et un danger pour la cohésion de « l’arc républicain » : exilé, immigré politisé, communiste critique20Bien que fidèle à la ligne politique du parti, Missak Manouchian émettait aussi des divergences à l’égard de la direction du Parti communiste français. Sur ce point, voir le documentaire de Boucault, Mosco L., Des terroristes à la retraite, Zek Productions, 1985, 81 minutes, rediffusé récemment par ARTE. Voir aussi le témoignage de sa veuve : CHEMIN, Ariane, “Le passé retrouvé de Missak et Mélinée Manouchian, qui entrent aujourd’hui au Panthéon”, Le Monde, le 9 février 2024, https://www.lemonde.fr/m-le-mag/article/2024/02/09/le-passe-retrouve-de-missak-et-melinee-manouchian_6215558_4500055.html. , esprit libre et, pire encore, terroriste ! En deux mots : un « arméno-gauchiste », menaçant nos valeurs nationales ! La panthéonisation suppose donc une opération de « lissage mémoriel », où les éléments les plus gênants de la biographie de l’élu sont reconstruits sur le registre de l’héroïsme individuel, voire dans certains cas carrément occultés, afin de les faire converger avec la visée consensuelle de l’acte commémoratif.
à juste titre, certaines personnalités intellectuelles et morales ont déploré que le couple Manouchian entre seul au Panthéon, sans leurs 23 camarades de l’Affiche rouge, pourtant tous fusillés au Mont-Valérien, à l’exception d’Olga Bencic, l’unique femme du groupe, qui sera décapitée en mai 1944 dans la prison où elle était incarcérée à Stuttgart21Besse, Jean-Pierre ; Grason, Daniel, “BANCIC Olga [BANCIC Golda, dite Pierrette]”, Le Maitron, le 8 décembre 2021, https://maitron.fr/spip.php?article15575.. Ils ont choisi d’interpeller Emmanuel Macron à ce sujet : « […] Monsieur le Président, c’est ce message que contredit le choix de faire entrer au Panthéon Missak et Mélinée Manouchian, et eux seuls. Eux-mêmes ne l’auraient sans doute ni compris ni souhaité. Isoler un seul nom, c’est rompre la fraternité de leur collectif militant. Distinguer une seule communauté, c’est blesser l’internationalisme qui les animait. Ce groupe de résistants communistes ne se résume pas à Manouchian qui, certes, en fut le responsable militaire avant que la propagande allemande ne le promeuve chef d’une bande criminelle. Et le symbole qu’il représente, à juste titre, pour nos compatriotes de la communauté arménienne est indissociable de toutes les autres nationalités et communautés qui ont partagé son combat et son sacrifice »22COLLECTIF (Tribune), “Missak Manouchian doit entrer au Panthéon avec tous ses camarades” Le Monde, le 23 novembre 2023, https://www.lemonde.fr/idees/article/2023/11/23/missak-manouchian-doit-entrer-au-pantheon-avec-tous-ses-camarades_6201857_3232.html.. Certes, cet appel à une panthéonisation collective des « martyrs de l’Affiche rouge » peut paraître juste et légitime, mais il semble faire fi des évolutions récentes. Comme nous l’avons souligné précédemment, l’entrée au Panthéon renvoie principalement à une mémoire excluante et sélective visant à isoler l’individu du groupe en privilégiant une approche individualisante, voire individualiste, de la construction du héros national. Sur le plan légal et formel, il n’existe pourtant aucune opposition à ce qu’un groupe de femmes et d’hommes puisse entrer collectivement au Panthéon. Par exemple, en 2007, les Justes, ces citoyens ordinaires qui ont sauvé des Juifs durant l’occupation nazie, ont été honorés collectivement23Comité français pour Yad Vashem, “Il y a 15 ans les Justes de France honorés au Panthéon”, le 18 janvier 2022, https://yadvashem-france.org/les-justes-de-france-au-pantheon.. Cependant, sur le plan idéologique, la commémoration des héros nationaux est souvent contradictoire avec la célébration de l’action collective, protestataire et subversive. Isoler les époux Manouchian du reste du groupe, c’est aussi privilégier une lecture dépolitisante de la Résistance sur un registre purement intimiste et romantique (la passion amoureuse pour une femme et la patrie) au détriment d’une lecture historique (la lutte des classes, la condition immigrée, la solidarité des groupes minoritaires face à l’oppression, etc.). La panthéonisation vise presque toujours à conforter le mythe national24CITRON, Suzanne, Le mythe national. L’histoire de France en question, Paris : Éd. Ouvrières, 1987, 318 p. plutôt qu’à rendre justice aux femmes et aux hommes qui ont fait l’histoire, surtout lorsqu’il s’agit d’étrangers et d’immigrés. En ce sens, elle constitue un acte d’assimilation et de francisation forcé — on ne demande pas l’avis au panthéonisé —, dont l’objectif est de conforter le roman national25TÉVANIAN, Pierre, “Manouchian n’est pas un héros de roman national”, art. cité..
À la présidentialisation de la procédure de panthéonisation correspond donc presque toujours une personnalisation/individualisation des héros détachés de toute appartenance communautaire, partisane et politique. C’est la condition même de la fabrication d’un consensus national : pour devenir un héros français, Missak Manouchian doit être dépouillé post-mortem de ses identités communautaires, politiques et idéologiques, du moins celles qui viennent contredire la doxa d’un républicanisme aux accents nationalistes, que l’on fait trop souvent passer pour un universalisme26GATINOIS, Claire, “La panthéonisation de Missak Manouchian célèbre l’esprit universaliste de la Résistance”, Le Monde, le 19 juin 2023, https://www.lemonde.fr/politique/article/2023/06/19/la-pantheonisation-de-missak-manouchian-celebre-l-esprit-universaliste-de-la-resistance_6178250_823448.html.. Pas de doute qu’au regard de son attachement passionné à sa culture d’origine, Manouchian apparaîtrait aujourd’hui comme un « communautariste en puissance » : « rédacteur de la presse arménienne et membre de la direction de la branche française du HOK27Comité de secours pour l’Arménie affilié à l’Internationale communiste., il joue un rôle-clé dans la communauté arménienne. Mais s’il chérit sa culture, au point de vouloir compter parmi les auteurs d’une nouvelle littérature arménienne, il rejette le nationalisme. Son application à traduire en arménien des œuvres françaises témoigne avant tout d’une volonté de dialogue et d’échanges »28ATAMIAN, Astrig, “Missak Manouchian, poète et communiste atypique, entre au Panthéon”, Le Monde, le 21 février 2024, https://www.lemonde.fr/politique/article/2024/02/21/missak-manouchian-poete-et-communiste-atypique-entre-au-pantheon_6217680_823448.html.. Son entrée au Panthéon suppose de réduire son arménité revendicative à une sorte de vestige folklorique, certes honorable mais conduit à se fondre dans le creuset républicain. Comme le rappelle le philosophe Pierre Tévanian, lui-même d’origine arménienne, le Manouchian du Panthéon est un héros désincarné, dont la biographie officielle n’a plus grand-chose à voir avec la réalité de son histoire militante, communautaire et collective29Il est vrai que le Premier ministre de la République d’Arménie ainsi que diverses personnalités franco-arméniennes ont été invités à la cérémonie de panthéonisation de Manouchian, mais l’arménité célébrée par le président de la République française emprunte un registre très folklorisant sans réflexion approfondie sur le rôle des “minorités nationales” dans la résistance contre le fascisme et le nazisme. : or, « il a milité en France avec les siens — sa classe, mais aussi sa communauté — et il a créé la revue ???? (Tchank) dans sa langue d’origine. Sous l’occupation il s’est organisé en “non-mixité”, sans les Français, au sein du FTP/MOI, Francs-Tireurs Partisans/Main-d’Œuvre Immigrée. Bref : tout ce que nos panthéoniseurs d’aujourd’hui vomissent, sous le nom de “mondialisme”, “immigrationnisme”, “gauchisme”, “communautarisme” ou “séparatisme”. Je ne suis pas contre les hommages et les lieux de mémoire — loin, très loin de là. Mais pas n’importe comment. Qu’on célèbre donc Manouchian et les siens, qu’on le fasse mille fois puisqu’ils le méritent, mais qu’on le fasse pour ce qu’ils furent vraiment — qui mérite bien plus l’hommage que ce Manouchian relooké, icône factice d’un imaginaire politique régressif et mortifère ».
Plus encore, la panthéonisation de Missak Manouchian apparaît comme une procédure de dépossession et d’appropriation abusive par les cercles dirigeants d’un travail de mémoire de longue haleine accompli par les acteurs sociaux. De ce fait, « elle est problématique […] puisqu’elle tend à occulter, par la mise en scène du rite, le travail de délégation et les dynamiques sociales dont l’intronisation au Panthéon est l’aboutissement »30Gaillaud, Gaël, op. cit. (voir p. 40).. En 2024, Manouchian est devenu un « héros acceptable », célébré par les médias mainstream, les partis politiques et les intellectuels du sérail. Son héroïsme est désormais posé comme une évidence républicaine, avec l’onction du chef de l’État qui a décidé seul, avec le concours d’une agence de communication privée31Pour la panthéonisation de Simone Veil comme pour celle de Missak Manouchian, c’est une agence privée de communication événementielle (Shortcut Events) qui a remporté l’appel d’offres. Sur le rôle des entreprises privées dans les procédures de panthéonisation, voir : Gaillaud, Gaël, op. cit. (voir pp. 77-82)., du dispositif commémoratif et des invités triés sur le volet32LES DÉCODEURS, art. cité.. Or, ce ne fut pas toujours le cas. Pendant longtemps, Manouchian a été un héros « caché » par la direction nationale du Parti communiste, oublié par la plupart des cercles de la Résistance française et totalement méprisé par les milieux dirigeants, parce qu’associé à une arménité radicale et subversive, loin de l’image idéale du « résistant français » que l’on souhaitait promouvoir et transmettre aux générations futures. La redécouverte du rôle majeur de Missak Manouchian et de ses camarades immigrés dans la lutte contre le nazisme et le régime collaborationniste de Vichy doit surtout au travail mémoriel de l’extrême gauche radicale, des militants indépendantistes arméniens entraînés dans les camps palestiniens du Liban, des milieux communautaires luttant pour la reconnaissance du génocide arménien33Toulajian, Sophie-Zoé, “Convoquée par l’extrême gauche française et par la lutte armée arménienne, la figure de Missak Manouchian est porteuse de plusieurs histoires”, Le Monde, le 21 février 2024, https://www.lemonde.fr/idees/article/2024/02/21/convoquee-par-l-extreme-gauche-francaise-et-par-la-lutte-armee-armenienne-la-figure-de-missak-manouchian-est-porteuse-de-plusieurs-histoires_6217744_3232.html. et de quelques rares universitaires qui se sont intéressés très tôt à l’histoire des FTP-MOI34Wieviorka, Annette, Ils étaient juifs, résistants, communistes, Paris : Éd. Denoël, 1986, 390 p. ; Courtois, Stéphane ; Peschanski, Denis ; RAYSKI, Adam, Le Sang de l'étranger. Les immigrés de la M.O.I dans la Résistance, Paris : Éd. Fayard, 1989, 477 p. ; Peschanski, Denis, “Francs-tireurs et partisans français”, in : Dictionnaire historique de la Résistance, Paris : Éd. Robert Laffont, 2006, pp. 187-188..
En définitive, la panthéonisation est moins un processus de récupération partisane que de dénaturation de la mémoire militante et du sens profond des luttes sociales et politiques, notamment celles pour la défense de l’héritage cosmopolite de la société française. Si, à certains égards, la panthéonisation du 21 février a pu être perçue par certains d’entre nous comme la « deuxième mort de Missak Manouchian », le dépouillant définitivement de son corps militant et subversif au profit d’un corps désincarné et démembré, reposant sur un catafalque républicain lisse, dépolitisé et déminé de toute charge contestataire, elle constitue aussi une renaissance ; tel un puissant ressort imaginaire d’un combat collectif contre les visions puristes de l’identité nationale et la tentation autoritaire qui gagnent aujourd’hui nos dirigeants politiques et une partie de nos concitoyens : « Manouchian est vivant, vive Manouchian ! ».
Marseille, le 5 mars 2024
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