Image d’un camp de Rohingyas au Bangladesh - © Flickr
Panorama des migrations internationales en 2018
Les migrations internationales : un enjeu de plus en plus politique
D’un point de vue strictement numérique, en 2018 les migrations internationales n’ont pas enregistré dans leur ensemble de variations spectaculaires à la hausse quant au nombre d’individus concernés. D’ailleurs, ce serait plutôt le contraire. En effet, selon les statistiques nationales des principaux pays d’accueil, la plupart des frontières que les États considèrent comme « sensibles » ont fait l’objet de franchissements moindres par rapport à 2017.
Malgré ces « résultats », que plusieurs gouvernements mettent en avant pour afficher auprès de l’opinion publique leur efficacité en matière de maîtrise des flux migratoires, la « question des migrants » continue de faire la une des médias dans les pays d’immigration et est au cœur des débats politiques nationaux et internationaux, au détriment d’autres considérations majeures qui affectent les sociétés et les économies mondiales.
Question en soi éminemment « sociale » et sociétale, l’immigration a, historiquement, toujours été plutôt traitée selon une approche sécuritaire. Depuis une période récente, elle constitue également un enjeu « politique » entre deux tendances idéologiques majeures dans un affrontement lourd de conséquences.
« Souverainistes » contre « mondialistes »
Actuellement, les clivages n’opposent plus les marxistes aux capitalistes, ni une droite conservatrice à une gauche réformiste. Désormais, ce sont deux idéologies différentes qui s’affrontent autour de l’enjeu que représentent les frontières nationales. D’un côté, et en pleine ascension, les nationalistes ou « souverainistes » (terme dont se revendiquent les partis vainqueurs aux dernières élections en Hongrie, en Italie et en Autriche), aussi appelés « populistes » eu égard à leurs revendications « anti-système » ; de l’autre, les mondialistes qui adaptent leur positionnement politique pour tenter de contrer leurs adversaires en prenant des positions opposées. Les premiers prônent la préférence nationale, le protectionnisme, l’autarcie, le révisionnisme historique, l’indépendance vis-à-vis des puissances étrangères, le retour aux valeurs traditionnelles comme la famille, tout en adoptant un langage direct et des gestes provocateurs. Les seconds préconisent l’ouverture internationale, la sobriété des propos, la cohésion sociale, une conception managériale de la politique, et une adaptation des valeurs traditionnelles aux changements sociétaux.
Après s’être longtemps cantonné à la presse et à la télévision, le débat public s’étend désormais aux « réseaux sociaux » virtuels, où se mélangent toute sorte d’informations hétéroclites, souvent inspirées par les émotions suscitées par les faits divers. Les responsables politiques s’expriment de plus en plus en temps réel à travers ces outils, en prenant moins le temps de la réflexion et de la pondération. Le volet « communication » est ainsi devenu un élément incontournable de l’action politique en tant que stratégie suscitant des émotions fortes, immédiates et tranchées afin d’obtenir le plus large consensus possible.
Dans ce contexte politique relativement nouveau et bouleversé, la question migratoire joue le rôle de révélateur des orientations des deux idéologies susmentionnées, chacune justifiant ses propos selon une éthique qui lui est propre. Ainsi, les souverainistes refusent les accusations de racisme et de xénophobie, pour se définir comme de véritables « patriotes ». Ils disent agir pour défendre le pays face à la menace que représentent les « migrants », qui sont des ennemis ou des colonisateurs venus pour remplacer la civilisation du pays d’accueil ; face à cette menace il ne faut pas selon eux hésiter à agir « en état de légitime défense ». Les mondialistes, en revanche, pointent du doigt l’idéologie nationaliste comme étant une dérive autoritaire dangereuse promouvant la haine entre les peuples, et ils craignent que cette « lèpre »1 Expression utilisée par Emmanuel Macron lors d’un discours tenu à Quimper le 21 juin 2018, se référant au populisme croissant dans le monde. ne crée une fracture irrémédiable au sein de la société : les « migrants » servent alors de prétexte au mécontentement populaire et doivent être sacrifiés sur l’autel de la cohésion nationale. Dans les deux cas, les « migrants » se retrouvent dans la position d’éternels boucs émissaires.
Les « migrants » au centre de l’attention
Dans le langage courant, le terme « migrant » a perdu récemment sa valeur sémantique originelle (individu qui quitte son pays pour aller s’établir assez longtemps ailleurs, peu importe son statut et ses motivations) pour désigner désormais une catégorie plutôt restreinte de personnes2 Voilà pourquoi nous utilisons les guillemets., un sous-groupe très minoritaire parmi toutes celles qui traversent chaque jour les frontières nationales ou qui résident à l’étranger.
Comme la forme grammaticale l’indique, « migrant » est un participe présent qui désigne un statut indéfini, provisoire, en quête d’une destination finale. Il s’agit de personnes perçues par les autochtones comme des « misérables », des « désespérés » prêts à tout, la pointe émergée d’un iceberg géant3 Beaucoup d’« experts » considèrent, par exemple, l’Afrique comme une « bombe démographique » prête à exploser sur l’Europe. En France, le dernier en date a été Hubert Védrine, qui s’est expliqué dans un article paru dans Le Monde le 29 juin 2018. de populations du tiers monde restées dans un état « sauvage » qui demanderaient à être « prises en charge » par les sociétés et les contribuables des pays développés. Quelques milliers d’individus suffisent à eux seuls à susciter auprès de l’opinion publique le sentiment qu’ils sont de trop, à faire répéter au citoyen lambda comme au haut fonctionnaire qu’« il n’y aura pas de place pour tout le monde demain »4 Phrase prononcée le 5 mars 2018 par Louise Arbour, Canadienne, haute représentante de l’ONU pour les migrations internationales, dans le contexte de l’élaboration du « Pacte mondial sur les migrations »..
En réalité, dans chaque pays il existe une migration et une circulation de personnes5 La « circulation de personnes » indique dans ce cas tous les déplacements qui ne correspondent pas à une migration, qui, elle, entraîne un changement durable du lieu de vie. numériquement plus importantes, et de loin, que celles des « migrants », et pourtant totalement « invisible » aux yeux des autochtones. Ainsi, en 2017, par exemple, les touristes internationaux ont été 1,2 milliard dans le monde, dont plus de 87 millions pour la seule France6 Données du Centre de documentation économie et finance (CEDEF).. À ces entrées au titre du tourisme, s’ajoutent les millions de voyageurs étrangers pour affaires, les immigrés ayant des facilités pour s’installer sur le sol d’un autre pays en vertu de leur nationalité et de leurs revenus, les étudiants et les itinérants. Toutes ces personnes en déplacement ont en commun de pouvoir voyager régulièrement, l’obtention d’un visa étant pour elles aisée, voire superflue. Un certain nombre d’entre elles, quand elles ne le sont pas déjà, deviendront plus tard des immigrés, en choisissant de s’installer durablement dans le pays hôte.
Au cours de la même période, dans les pays riches (UE, Amérique du Nord, Australie, pays du Golfe), les nouveaux « migrants » (selon l’acception définie plus haut) recensés n’ont été, en revanche, que moins de 650 000, dont près de la moitié arrêtés à la frontière entre les États-Unis et le Mexique. Malgré leur faible nombre, leur condition vulnérable et leur manque de moyens à cause des exactions subies pendant le trajet, partout dans le monde, pour des raisons que nous exposerons plus avant, ils font peur à la majorité des membres des sociétés d’accueil.
Moins de « migrants » et plus de morts et de prisonniers
Si leur condition de personnes en détresse les fait apparaître tels des « pauvres » à assister, toutefois les « migrants » ne représentent pas pour autant la « misère du monde », car toute migration suppose des moyens économiques, culturels et sociaux. En général, les « migrants » appartiennent à un petit pourcentage d’individus issus de classes sociales suffisamment aisées pour quitter leur pays, mais pas assez riches pour obtenir un visa et se rendre dans le pays de destination de leur choix. Parmi eux, ceux qui peuvent se le permettre entrent illégalement dans le pays de destination soit par avion soit par la voie terrestre en contournant les frontières les plus dangereuses, et vont s’ajouter aux millions de sans-papiers estimés dans le monde. Les autres, en revanche, affrontent un voyage beaucoup plus risqué, prêts à sacrifier leur argent, leur dignité, voire même leur vie, pour fuir une situation personnelle ou familiale considérée comme insoluble.
Les États-Unis et l’Union européenne, pour ne citer que les cas les plus emblématiques, se félicitent d’avoir réduit considérablement le flux de « migrants » par une politique de « fermeté », basée sur la contribution des pays frontaliers agissant en guise de filtres au passage des « indésirables », moyennant plusieurs formes de compensations financière, politique ou économique. En 2017, les statistiques évoquent 341 084 tentatives de franchissement de la frontière entre les États-Unis et le Mexique, contre 611 689 en 2016. S’agissant de l’Union européenne, 171 635 personnes ont débarqué irrégulièrement sur les côtes européennes en 2017, contre 363 504 en 2016.
Si ce « succès » est exploité à des fins électorales par tous les partis au pouvoir, quelle que soit leur couleur politique, la médaille a aussi son revers : au cours des huit premiers mois de 2018, le nombre de morts à la frontière a considérablement augmenté par rapport à la même période de 2017. Selon le Missing Migrants Project de l’Organisation internationale pour les migrations, 2 466 décès de migrants ont été recensés de janvier à août 2018 au passage des frontières méditerranéenne (1 546), américaine (266), mais également dans d’autres régions du monde (654). Si les drames en mer sont les plus médiatisés en Europe, les déserts du Sahara et du Nord du Mexique laissent de plus en plus émerger les ossements de milliers de migrants ayant perdu la vie avant d’atteindre la frontière officielle. Selon les estimations, pour l’Afrique, les migrants morts sur les routes dans le désert seraient au moins le double de ceux qui ont péri en Méditerranée.
D’après les autorités des pays dits « d’accueil », le sort « naturel » de la majorité des migrants ayant survécu aux violences, aux tortures, aux viols et aux expressions les plus cruelles dont l’agressivité humaine est capable, consiste en une longue détention en vue d’être expulsés. Plus que la nourriture ou l’assistance médicale, c’est le coût des centres de rétention eux-mêmes qui inquiète les États en matière de budget. Si les prisons « ordinaires » sont déjà insuffisantes, coûteuses et surpeuplées, construire des centres surveillés pour les migrants représenterait un poids économique trop important. En 2017, la France comptait 70 000 détenus « ordinaires » – chiffre record , et le gouvernement n’envisage pas de créer de nouvelles structures. Dans ce contexte, 30 000 déboutés du droit d’asile représenteraient un chiffre inouï dans des centres de rétention.
Toutefois, partout où il y a passage de migrants on enregistre la création « sauvage » de prisons. Le rêve de beaucoup de responsables politiques au pouvoir dans les pays d’immigration7 Matteo Salvini, ministre italien de l’Intérieur, Viktor Orbán, premier ministre hongrois, Sebastian Kurz, chancelier fédéral autrichien, pour ne citer qu’eux, se sont dits favorables au système dit du « No way » en vigueur en Australie. Cf., entre autres, l’article de Sasha Polakow-Suransky in The Guardian du 12 octobre 2017 intitulé « How Europe’s far right fell in love with Australia’s immigration policy ». serait de disposer de véritables îles ou pays-prisons pour pouvoir y stocker des migrants : comme Nauru et la Papouasie pour l’Australie, l’île de Bhasan Char pour le Bangladesh, l’île de Jeju pour la Corée du Sud, les centres en Afrique du Nord pour l’Europe, etc.
Cette politique de « maîtrise des flux migratoires » ne semble par ailleurs pas être perturbée par l’éventuelle présence de migrants vulnérables : malades, mineurs, femmes enceintes. Au contraire, plusieurs propositions récentes avancées dans beaucoup de pays vont à l’encontre du droit au regroupement familial et tendent à séparer les enfants de leurs parents.
Ces quelques considérations et clés de lecture aideront sans doute le lecteur à comprendre le bref panorama qui suit.
Hors Europe : le triomphe du nationalisme
Depuis quelques années et, notamment, depuis fin 2016, l’ONU, sous l’impulsion de l’OIM, travaille à l’élaboration d’un « Pacte mondial en vue d’une migration sûre, ordonnée et régulière8 La version anglaise n’emploie pas le terme « regular », mais « safe », « sans danger ». » dont la version finale a vu le jour le 31 juillet dernier et devrait être adoptée en décembre 2018 par les pays membres de l’Organisation. Le document est, sans surprise, le fruit d’un compromis entre les exigences des droits universels de l’homme et le principe de la souveraineté des États, ainsi qu’une tentative de présenter les migrations internationales sous un jour positif en tant que « source de prospérité, d’innovation et de développement durable dans notre monde globalisé ». Si d’un côté le Pacte reconnaît le caractère « pluridimensionnel » de la migration humaine, qui ne peut pas être traitée uniquement selon une optique sécuritaire, et demande pour tout migrant vulnérable assistance, accueil et inclusion, il réaffirme toutefois « le droit souverain des États de déterminer leur politique migratoire nationale ». En définitive, aucune accusation directe ou indirecte n’est portée à l’encontre des politiques migratoires actuelles, le document laissant plutôt entendre que les dérives en la matière proviennent surtout du manque d’informations des migrants, pour lesquels l’aventure migratoire ne devrait jamais être « un acte de désespoir ».
Panorama extra-européen
Le cadre général de la migration mondiale fourni par les statistiques de l’ONU montre toujours les mêmes pôles majeurs d’immigration et d’émigration. Les premiers se situent en Europe de l’Ouest, en Amérique du Nord, dans les pays du golfe arabo-persique, dans les « tigres asiatiques » (Japon, Hong-Kong, Macao, Taiwan, Brunei, Singapour, Malaisie, Corée du Sud) et en Australie. Les deuxièmes se concentrent en Asie du Sud, en Amérique centrale, en Europe orientale, en Afrique du Nord et en Asie du Sud-Est hors « tigres asiatiques » (Philippines et pays de l’ancienne Indochine).
Toutefois, le panorama des migrations forcées évolue quant à lui d’une année sur l’autre, sans que les anciennes situations de conflit ne se résolvent (liste non exhaustive : Syrie, Irak, Yémen, Afghanistan, Ukraine, Libye, Soudan, Érythrée, Somalie, Éthiopie, Nigeria, Mali, Congo, Zimbabwe, etc.). En 2017 et en 2018, des exodes massifs concernent les populations du Venezuela, du Yémen et les Rohingyas, tandis qu’un flux ininterrompu se poursuit depuis les régions frappées par la violence et la crise économique, deux éléments qui vont souvent de pair.
Politiquement, les tendances nationalistes et identitaires se renforcent dans nombre de pays, à commencer par les plus grandes puissances mondiales : les États-Unis, la Russie et la Chine.
L’Amérique du Nord et la politique anti-immigration de Donald Trump
Si le gouvernement du Premier ministre canadien, Justin Trudeau, se montre relativement opposé aux mouvements et aux orientations xénophobes qui émergent dans son pays et qui sont en plein essor chez son voisin américain, le président états-unien Donald Trump se présente quant à lui comme le leader mondial de « son pays d’abord ». Ce faisant, il mène une action politique agressive vis-à-vis des « migrants », à la fois dans les discours (provocations) et dans les faits. Sa politique anti-immigration est dirigée vers tous ceux qu’il qualifie d’« indésirables ». Entre novembre 2017 et février 2018, en utilisant des termes désobligeants à l’encontre de plusieurs pays du tiers monde9 Dans une réunion tenue à la Maison Blanche le 12 janvier 2018, Donald Trump s’est exclamé : « Why do we want all these people from shithole countries coming here? » (« Pourquoi devrions-nous vouloir que tous ces gens de pays de merde viennent ici ? »), il a supprimé le statut de protection temporaire aux 60 000 Haïtiens ayant fui le tremblement de terre de 2010. Il a fait de même avec 348 559 Salvadoriens et Honduriens, ainsi qu’avec 5 300 Nicaraguayens et 1 048 Soudanais. Parallèlement, fin juin 2018, il a obtenu de la Cour suprême la validation de son Travel Ban, à savoir l’interdiction pour les ressortissants de six pays qualifiés de « dangereux » : la Libye, l’Iran, la Somalie, la Syrie, le Yémen et la Corée du Nord (l’Irak a été retiré de la liste dans un deuxième temps), d’entrer sur le territoire américain. En outre, en prenant position dans le conflit palestinien en faveur de l’État d’Israël tout en accusant l’ONU d’être un adversaire de la nation juive, Donald Trump a réduit de moitié (60 millions de dollars contre 120 millions auparavant) le soutien financier américain octroyé à l’Office de secours et de travaux des Nations unies pour les réfugiés de Palestine dans le Proche-Orient (UNRWA).
Cela étant, la cible principale de Donald Trump demeure l’immigration provenant du Mexique, ce qui explique sa focalisation sur le projet de construction d’un mur frontalier entre les deux États. Pour arriver à ses fins et faire valider le budget conséquent que cette entreprise requiert, il a été prêt à prendre en otage des centaines de milliers de migrants irréguliers. Il a conditionné au déblocage des fonds fédéraux pour la construction du mur du Mexique d’une part, le sort de ceux surnommés les « dreamers » — 800 000 mineurs (et ancien mineurs) sans-papiers invités à sortir de la clandestinité grâce à un programme d’octroi d’un statut de protection temporaire instauré en 2012 et, d’autre part, la possibilité de régularisation de 1,8 million de sans-papiers, en durcissant au passage les conditions d’entrée et de séjour par la limitation du regroupement familial et par la suppression de la loterie permettant de gagner un titre de séjour permanent. En juin 2018, il a ensuite suscité l’indignation générale (y compris dans son propre camp) en ordonnant la séparation, dans des centres distincts, des membres des familles d’immigrés irréguliers arrêtés à la frontière, en éloignant les enfants de leurs parents. Durant les mois suivants, il n’a fait marche arrière que par des concessions au compte-gouttes. Entretemps, en attendant la construction du mur-frontière, huit monolithes de neuf mètres de hauteur sur neuf mètres de largeur, surnommés America First Fortress, ont surgi près de San Diego.
L’Amérique du Sud et l’accueil mitigé de plusieurs populations en fuite
La situation économique et politique au Venezuela a fait fuir 35 000 personnes par jour. D’après les données disponibles fin août 2018, les migrants vénézuéliens seraient 1,1 million en Colombie, 550 000 en Équateur, 280 000 au Pérou et 52 000 dans l’État brésilien de Roraima. Malgré la solidarité des gouvernements voisins10 Cf. Déclaration de Quito sur la mobilité humaine des citoyens vénézuéliens dans la région faite le 4 septembre 2018 par les représentants des gouvernements de l’Argentine, du Brésil, du Chili, de la Colombie, du Costa Rica, de l’Équateur, du Mexique, du Panama, du Paraguay, du Pérou et de l’Uruguay réunis dans la capitale péruvienne. Dans ce document les participants ont décidé, entre autres, d’« accueillir de manière adéquate les citoyens vénézuéliens en situation de mobilité humaine, en particulier les personnes les plus vulnérables, telles que les enfants et les adolescents, les personnes âgées, les personnes handicapées et les personnes souffrant de maladies graves ». et l’affinité culturelle avec les pays d’accueil, les Vénézuéliens font aujourd’hui l’objet de manifestations de xénophobie, au Brésil et au Pérou notamment.
Au Guatemala, les autorités font face à la situation désastreuse vécue par d’anciens émigrés au lourd passé de violences, de dépendance aux stupéfiants et de viols, expulsés en grand nombre des États-Unis et renvoyés sans aucune ressources. Tous les jours, « les avions des déportés » en provenance des États-Unis débarquent un millier de personnes, qui, selon les enquêtes menées dans le pays, envisagent presque toutes de reprendre la route vers le Nord.
La diaspora haïtienne se dirige quant à elle vers plusieurs pays de l’Amérique latine, où elle y trouve un accueil en général peu favorable. En Guyane française, les Haïtiens sont la première cible d’un décret du 25 mai 2018 « portant expérimentation de certaines modalités de traitement des demandes d’asile » dans ce département, qui réduit à sept jours au lieu de 21 la possibilité de déposer une demande d’asile auprès de l’OFPRA, une fois que le demandeur s’est fait enregistré auprès de la Préfecture. Après un départ massif vers le Brésil, et notamment vers l’État de São Paulo, des centaines de milliers de migrants haïtiens quittent le pays, malgré l’adoption récente par le gouvernement fédéral d’une loi d’immigration (13445/2017), qui se présente comme l’une des plus novatrices au monde. L’une de leurs destinations principales est désormais le Chili, où ils sont passés de 4 053 en 2015 à 111 746 en 2017, même si leur vie s’apparente à celle de tous les sans-papiers et qu’ils sont péjorativement appelés « negritos ».
Asie et Proche-Orient : des régions aux exodes multiples
Les guerres en Syrie et au Yémen ainsi que les tensions interethniques au Proche-Orient en 2018 ont souvent fait la une des journaux, tout comme l’exil des Rohingyas. Le nombre des exilés s’accroît, tandis que les possibilités d’accueil diminuent.
Après l’insurrection fin 2016–début 2017 de l’« Armée du salut des Rohingyas de l’Arakan » en Birmanie, l’État birman a riposté très durement par des massacres d’une cruauté inouïe (bébés jetés dans le feu …), ce qui a poussé plus de 700 000 Rohingyas à partir vers le Bangladesh, où la population les a accueillis avec réticence. Suite à ces événements, les Rohingyas ont conflué dans le camp de réfugiés le plus grand au monde, Kutupalong, à 35 km au sud de la ville de Cox’s Bazar, près de la frontière birmane. Les autorités du Bangladesh envisagent de transférer 100 000 individus vivant dans le camp sur l’île de Bhasan Char, qui a émergé des eaux il y a dix ans et qui est régulièrement inondée. Le 2 février dernier, les gouvernements bangladais et birman ont signé un accord en vue du retour de 688 000 Rohingyas en Birmanie d’ici deux ans.
En Chine, depuis quelques années, en dépit des statistiques officielles qui affichent un taux d’étrangers de 0,5%, des opérations contre les minorités vivant sur le territoire de l’ancien Empire du Milieu sont en cours. Dans l’État du Xinjiang, au nord-ouest du pays, 10,6 millions de musulmans turcs ouïgours (soit 46% de la population de cette région) font l’objet d’arrestations massives sous prétexte de complots djihadistes. La même politique du soupçon vis-à-vis de l’islam et de toutes les religions considérées comme « étrangères » s’applique également à l’État de Ningxia, où les musulmans locaux se sont mobilisés pour empêcher la démolition d’une mosquée.
Parallèlement, l’arrivée en Corée du Sud (pays qui n’a pas de tradition d’accueil des migrations forcées) d’un millier de réfugiés yéménites ayant transité par l’Indonésie a suscité une vive réaction xénophobe parmi les autochtones. Des manifestations anti-immigrés et anti-musulmans ont eu lieu en juillet 2018 à Séoul, les nombreuses pancartes brandies par les participants demandant aux réfugiés de rentrer chez eux.
Si le Yémen est toujours un pays en pleine guerre civile (l’Arabie Saoudite et l’Iran s’y affrontent de manière indirecte) ses exilés peinent à trouver un refuge à l’étranger. Le royaume saoudien les expulse régulièrement et vient d’adopter, fin 2017, une loi établissant une « taxe sur les familles des travailleurs étrangers » : 45 ¬ par enfant (qui pourrait passer à 90 ¬ en 2019).
Plus au Nord, en Israël, le gouvernement de Benjamin Netanyahu s’est fixé comme objectif, fin janvier 2018, d’expulser 38 000 demandeurs d’asile érythréens et somaliens, en recrutant des inspecteurs censés les identifier. Des centaines de rabbins se sont opposés à la mesure en arguant que les juifs « savent bien ce que veut dire voir le monde fermer ses portes à ceux qui sont obligés de fuir leur patrie ». Saluée uniquement par Donald Trump, l’initiative a échoué face aux refus du Rwanda, du Burundi et de l’Ouganda de « reprendre » ces « infiltrés ».
Bien qu’en Syrie les opérations militaires soient loin d’être terminées, quelques exilés tentent timidement de revenir vers leur lieu d’origine, sans aucune garantie non seulement d’être protégés, mais aussi de ne pas subir la spoliation de leurs biens, décidée par le régime de Damas par une loi promulguée en avril 2018.
L’Afrique, continent considéré comme le point de départ des « migrants »
D’après les statistiques mondiales de l’ONU, l’Afrique subsaharienne ne constitue pas un pôle majeur de départ de la migration internationale. La plupart des études souligne que dans cette partie du monde, 80% des mouvements migratoires franchissant des frontières nationales relèvent de la « migration circulaire » classique : des groupes ethniques parcourent traditionnellement des trajets traversant plusieurs États pour ensuite revenir à leur point de départ. En revanche, toute l’Afrique méditerranéenne, zone charnière entre les continents africain, européen et asiatique, est concernée par des mouvements migratoires importants, en matière d’entrées comme de sorties. L’Union européenne, depuis les débuts de sa construction, continue de considérer l’Afrique subsaharienne comme la pourvoyeuse de « migrants » dans son acception la plus négative, et à négocier avec les pays d’Afrique du Nord pour que ces derniers retiennent par tous les moyens les « désespérés » qui tentent de traverser la Méditerranée. Cette stratégie qui repose sur des mécanismes d’aide conditionnée a permis d’obtenir le consentement des gouvernements marocain, algérien, libyen (du moins de l’une des factions qui contrôlent le pays) et nigérien.
Dans de vastes régions d’Afrique, des guerres, des insurrections, des dictatures et des crises économiques endémiques poussent les populations à chercher des ressources pour leurs familles ou leurs clans restés au pays là où les salaires sont plus élevés et où il existe un État de droit. Parallèlement, même lorsque les économies locales sont plus développées, la migration devient un atout pour la croissance, car elle y apporte les capitaux nécessaires pour transformer le pays (infrastructures, etc.).
L’une des régions les plus conflictuelles du continent africain, la Corne de l’Afrique, est en plein éclatement ethnique. Si la Somalie connaît depuis des décennies de violents affrontements ethnico-religieux, l’Érythrée, où sévit une dictature (travaux forcés, service militaire indéfini, confiscation arbitraire des biens, etc.) compte presque 10% de ses habitants à l’étranger (réfugiés). L’Éthiopie, quant à elle, après l’adoption du « fédéralisme ethnique », est confrontée à des rivalités qui opposent, dans le Sud, les habitants du Gedeos à ceux du Guji, donnant lieu à plus d’un million de déplacements internes.
Des réfugiés éthiopiens, somaliens, congolais, burundais et soudanais vivent dans les camps situés autour de plusieurs zones de conflit et l’un d’entre eux, Kakuma, fondé en 1992 au nord du Kenya, compte 185 000 personnes qui arrivent malgré tout à y organiser une vie sociale et professionnelle.
Au cours de 2018, l’attention des médias s’est toutefois focalisée, à juste titre, principalement sur trois pays d’Afrique du Nord : la Libye, l’Algérie et le Niger.
Lors du sommet Europe-Afrique de la Valette en octobre 2015, le Niger a été le seul pays membre de l’Union africaine à soutenir la proposition européenne de créer des centres d’enregistrement pour les demandeurs d’asile sur le continent africain. Peu avant, sous la pression de l’UE, le gouvernement de Niamey avait promulgué la loi 2015-36 du 26 mai 2015 interdisant le « trafic illicite de migrants », frappant ainsi l’une des activités économiques principales de la ville d’Agadez, point de départ des flux migratoires vers la Libye et l’Algérie. Contre la somme de 660 millions d’euros octroyés par des États de l’UE, les autorités nigériennes ont confisqué de nombreux véhicules utilisés par les « passeurs » et ont mis sous surveillance les routes principales menant vers le Nord. La réduction sensible des voyages de migrants vers la Libye n’a cependant pas affecté les bénéfices perçus par les réseaux de passeurs, qui ont réagi par une forte augmentation de leurs tarifs (mille euros minimum) et qui empruntent désormais des routes secondaires plus périlleuses.
Si l’Algérie spolie et refoule régulièrement des migrants hors de ses frontières, les informations qui concernent la Libye sont, de loin, bien plus dramatiques. De véritables guerres ont cours entre de puissants chefs de trafiquants, qui alternent développement de leurs activités et répression de celles de leurs rivaux, gagnant d’importantes sommes d’argent des migrants et du gouvernement. Nombre de prisons pour migrants ont fait leur apparition sur le territoire libyen, où se mêlent tortures, chantages violents pour obtenir des rançons des proches des prisonniers et pratiques esclavagistes. Ces exactions sont également commises à l’encontre de ceux qui sont ramenés vers les côtes libyennes après avoir tenté la traversée de la Méditerranée.
L’Union européenne en quête de « Dublin IV » pour ne pas s’effondrer
Depuis ce qui a été appelée à tort la « crise migratoire » de 2015, l’Union européenne est soumise à des forces centrifuges qui mettent son existence en danger. « Européistes » et « eurosceptiques » s’affrontent, notamment sur le terrain de la « politique migratoire », qui est désormais réduite à la question de la gestion des flux de « migrants », supposés ne compter parmi leurs rangs qu’une part infime de « vrais réfugiés ».
Presque partout au sein des 28 États membres de l’UE, le dossier « migrations » est géré par les ministères de l’Intérieur, sauf dans de rares cas où la sécurité nationale relève du domaine de la Justice. Quelle que soit la coalition politique au pouvoir, à l’exception de la péninsule ibérique, de la Grèce et des Pays-Bas, les responsables actuels de la « politique migratoire » sont des personnalités connues pour leur « fermeté » ou leur « intransigeance » à l’égard des migrants. Les « eurosceptiques », qui critiquent le « laxisme » ou l’« angélisme » de leurs adversaires au sujet des exilés, sont aux commandes au sein du « groupe de Visegrad » (Pologne, Hongrie, République tchèque et Slovaquie), en Italie, en Autriche, en Belgique, en Norvège et, de facto11 La chancelière allemande Angela Merkel a dû à plusieurs reprises se plier aux requêtes de son ministre de l'intérieur, le conservateur bavarois Horst Seehofer (CSU), qui réclame une politique plus stricte à l’égard des demandeurs d’asile., en Allemagne. Ailleurs, les « européistes » suivent les mêmes orientations dans l’espoir de gagner les voix d’une opinion publique devenue « allergique » aux migrants, comme le montrent, entre autres, les différentes expériences de calcul du « ressenti » sur le nombre « perçu » d’étrangers indésirables présents sur le territoire national. Mais chaque tentative des européistes pour reprendre en partie les politiques de fermeture prônées par les eurosceptiques s’est soldée par des échecs électoraux.
L’arrivée au pouvoir en Italie du parti de la « Ligue », qui emploie exactement les mêmes formules que le Rassemblement national en France et que l’Alliance civique hongroise, a coïncidé avec l’ouverture d’une période faite de provocations et de chantages en matière d’accueil des migrants sauvés en mer, dans le but déclaré de refonder le règlement de Dublin.
Les événements saillants de l’actualité migratoire européenne sont légion et, pour des raisons de brièveté, nous les résumerons thématiquement en ne citant que quelques exemples emblématiques.
Situation migratoire européenne
En Europe, l’opinion publique ne se focalise ni sur l’immigration d’Européens ou d’extracommunautaires disposant de revenus confortables, ni sur les questions urgentes liées à l’intégration des étrangers. En effet, les chiffres cités par les médias et les analyses statistiques portent surtout sur les « entrées irrégulières », sur les centres d’accueil, sur les demandes d’asile et sur les reconduites à la frontière.
Afin de contourner le canal de Sicile, les embarcations de migrants se dirigent de plus en plus vers l’Espagne, qui, en août 2018 a enregistré plus de 21 000 débarquements, contre 18 000 en Italie et – malgré leur invisibilité médiatique 23 000 en Grèce. Nous sommes donc loin des pics des années précédentes. Toutefois, il ne s’agit pas du fruit d’une politique « qui sait maîtriser les flux » comme le prétendent certains gouvernements. Au niveau des reconduites à la frontière, Allemagne, France et Italie arrivent difficilement à atteindre le chiffre de 30 000 expulsions par an, malgré des mesures de plus en plus appuyées en ce sens ; dans ce domaine, les promesses des partis d’extrême droite ciblant des centaines de milliers de renvois demeurent utopiques.
Dans les Balkans, la situation des migrants arrêtés sur leur chemin vers l’UE est également particulièrement préoccupante. En Bosnie-Herzégovine, dans les villes de Bihac et Velika Kladuaa, à la frontière avec la Croatie, 8 000 réfugiés et migrants fuyant l’Afghanistan, l’Irak et la Syrie, sont arrivés au cours des premiers mois de 2018. Victimes de violences en tout genre (constatées par le HCR, l’UNICEF, Save the Children et InterSOS), ils vivent dans des bâtiment délabrés, insalubres, et tentent quotidiennement de passer la frontière.
Droits versus consensus électoral
Le bénéfice électoral immédiat que suscite tout positionnement affirmé contre l’immigration incite de nombreux hommes politiques à remettre en question la législation nationale et internationale sur les droits de l’homme. En Belgique, le secrétaire d’État à la migration, Théo Francken, membre du parti xénophobe de la Nouvelle alliance flamande, a déclaré en juin dernier que, pour décourager l’immigration et dénicher les passeurs, il faudrait « contourner l’article 3 de la Convention européenne sur les droits de l’homme » relative à la torture. En Italie, Matteo Salvini, ministre de l’Intérieur, ainsi que plusieurs membres de son parti, ont qualifié les migrants de « profiteurs qui viennent foutre le bordel », de gens qu’il faut « renvoyer après leur avoir donné un sachet de cacahuètes et une glace » ou d’intrus contre lesquels la police doit procéder à un « nettoyage ethnique contrôlé et financé, comme eux sont en train de le faire avec les Italiens »12 Les exemples sont multiples et bien documentés..
Le mépris affiché des responsables politiques vis-à-vis des migrants contribue à développer un climat social conflictuel, où actes racistes et discriminatoires se multiplient et sont cautionnés par des millions de « followers » sur les réseaux sociaux. Beaucoup de décideurs cherchent alors à durcir la législation relative aux immigrés les plus vulnérables ou aux minorités d’origine immigrée : en Autriche, le Premier ministre, Sebastian Kurz, élargit la liste des « pays sûrs » pour débouter un maximum de demandeurs d’asile et expulse des dizaines d’imams turcs13 Bien que la motivation officielle s’inscrive dans la lutte contre le terrorisme, les propos utilisés visent à afficher une volonté de « faire le ménage » dans la nébuleuse des immigrés. ; en Islande, la ministre de la Justice, Sigríður Ásthildur Andersen, n’autorise l’accès du territoire qu’aux seuls demandeurs d’asile gravement malades ; en Suède, le gouvernement ne consent à ce que les anciens mineurs isolés étrangers (9 000) restent dans le pays que s’ils obtiennent un statut d’étudiant ; en Hongrie, le Premier ministre, Viktor Orbán, qui s’est déjà distingué par ses mesures d’incarcération de réfugiés, fait approuver une loi, baptisée « Stop-Soros », qui pénalise toute aide aux migrants ; en France et en Belgique, la législation punit tous ceux qui hébergent ou aident des migrants irréguliers, etc.
Seuls défenseurs des « migrants », les ONG humanitaires, les associations et nombre d’instances des Églises catholique et protestante sont perçues comme une menace par les têtes de file des politiques de maîtrise des flux migratoires. En Italie, Matteo Salvini, le ministre de l’Intérieur, comme son prédécesseur, Marco Minniti, les ont même accusées d’être de mèche avec les trafiquants et d’être en partie responsables des nombreux morts en Méditerranée14 En réalité après le retrait des ONG des eaux libyennes le nombre des morts en Méditerranée a doublé..
Si les ONG qui opèrent au large des côtes libyennes s’appuient sur les règles internationales de la navigation qui imposent aux bateaux croisant d’autres embarcations en difficulté de leur porter secours et de débarquer leurs équipages dans un « port sûr », les gouvernements italiens et maltais se montrent prêts à déroger à ces règles en refusant les débarquements sur leurs côtes et en réclamant le retour des migrants dans les ports libyens15 Le HCR parle de 10 466 refoulements au cours du premier semestre 2018..
De fait, ONG et associations représentent aux yeux de certains responsables politiques les « témoins gênants » de choix et d’actes parfois sans scrupule.
Le principe de la « migration choisie »
Tandis que les migrants pauvres, extracommunautaires et souvent musulmans sont considérés comme des indésirables, d’autres étrangers voient au contraire leur entrée sur le territoire européen facilitée, voire incitée.
Au cours de l’été 2018, beaucoup d’agriculteurs se sont plaints de la pénurie de main-d’œuvre pour la récolte des tomates, des raisins et de bien d’autres produits de la terre. De même, les entrepreneurs du secteur de l’hôtellerie ont manifesté leur regret de ne pas avoir pu profiter du boom touristique faute de main-d’œuvre disponible. Le secteur du BTP réclame lui aussi plus de bras et tire profit du fait que la moitié des étrangers qui composent ses effectifs appartient désormais à des pays moins riches de l’UE. Sur ce point, et de manière paradoxale, même les gouvernements soutenus par l’extrême droite sont favorables à l’embauche de travailleurs étrangers. Ainsi, en Pologne, pays qui ne souhaite pas accueillir de quotas de « migrants » et qui souffre d’une baisse de sa population active à cause de l’émigration, les dirigeants ont conclu un accord de main-d’œuvre avec les Philippines le 28 juillet 2017, en soulignant qu’il s’agissait d’un peuple industrieux et catholique.
Certains phénomènes montrent que la perspective de tirer un avantage économique fait tomber les barrières liées à l’identité culturelle et nationale. Chypre et Malte, par exemple, ont vendu en 2018 plus d’un millier de passeports européens à des extracommunautaires fortunés, moyennant des prix exorbitants.
La réexhumation d’Ellis Island
Divisés par les accusations réciproques et par des polémiques ininterrompues, les États membres de l’UE semblent s’accorder sur une chose : le Règlement Dublin (dit Dublin III) est insuffisant, voire non équitable. Le dossier migratoire devient ainsi le catalyseur des rancunes nationales autrefois tues pour des raisons diplomatiques. Une « fronde » opposée à l’hégémonie franco-allemande prétend refonder l’UE sur de nouvelles bases, que Viktor Orbán, dans un discours tenu le 28 juillet 2018 à Baile Tusnad (Roumanie), résume comme étant la protection : « de la culture chrétienne de l’Union par un rejet de l’idéologie multiculturelle », « du modèle de la famille traditionnelle et des enfants, qui ont le droit d’avoir un père et une mère », « des secteurs économiques nationaux stratégiques », « des frontières nationales avec un rejet de l’immigration » et de l’« égalité entre toutes les nations au sein de l’UE »16 Qui, d’après lui, serait gouvernée par la France avec l’argent de l’Allemagne..
Préparé par des rencontres où les pays de l’Est étaient parfois absents, le sommet européen des 28 et 29 juin 2018 à Luxembourg devait clarifier les positions des uns et des autres sur la question des « migrants » et envisager la réforme du Règlement Dublin. Avant sa tenue, plus d’un leader européen agitait le spectre de la fin officielle de l’Union. La présidence tournante bulgare avait produit pour l’occasion un texte visant à améliorer Dublin III. Il s’agissait d’une proposition de répartition de quotas obligatoires, calculés en fonction de nombreux paramètres, qui interviendrait en cas d’afflux massif de migrants. Faute de consensus, les pays de l’Est étant opposés au principe même de quotas et l’Italie demandant à ce que cette répartition ne soit pas uniquement effective en cas d’afflux massif, la proposition était vouée à l’échec. En dépit des déclarations positives des participants (« notre idée a été retenue »), le sommet n’a débouché que sur un accord de répartition « sur une base volontaire ».
Entretemps, l’Autriche, qui assure la présidence tournante pour le deuxième semestre 2018, a préparé un projet alternatif, loin d’être inédit, car fondé sur le principe de l’externalisation : une sorte d’« Ellis Island » européenne située dans un pays tiers, mais considérée comme un « port sûr », où les migrants seraient triés, renvoyés en grande partie vers des « plateformes de retour » en Afrique du Nord (la Tunisie et le Maroc ont déjà fait part de leur refus), et pour une petite partie répartis équitablement au sein de l’UE. Soutenu par la « fronde » européenne et présenté officieusement lors d’un sommet rassemblant certains ministres de l’Intérieur à Innsbruck le 14 juillet 2018, le projet prévoyait comme lieu commun de débarquement un port en Albanie.
France : « humanité » et « fermeté »
L’INSEE, le ministère de l’Intérieur, l’OFPRA et d’autres institutions ont publié les statistiques principales relatives à l’immigration en France en 2017. L’Hexagone a délivré 262 000 nouveaux titres de séjour (+13,7%)17 35% au titre du regroupement familial, 34% pour raisons d’études, 15% pour motifs humanitaires, 11% pour des raisons de travail, 5% pour d’autres motifs., a émis 3 420 395 visas (principalement à des ressortissants Chinois, Algériens, Marocains, Russes et Indiens ; +11,2%)18 Cf. L’essentiel de l’immigration n° 2018-10, DGEF-Ministère de l’Intérieur, disponible en ligne sur le site du ministère de l’Intérieur., a examiné 100 412 demandes d’asile (+17% ; Albanais, Afghans, Haïtiens et Soudanais en tête), a octroyé près de 43 000 protections à différents degrés, et a reconduit à la frontière 27 373 migrants (+10,8% : « dublinés », Roms, etc.).
Les principes de la politique migratoire française actuelle
Dès la fin de 2017 et au cours de 2018 le nouveau gouvernement français a défini ses orientations en matière de migrations. Comme pour d’autres volets de la politique gouvernementale, dans ce domaine les projets se veulent « ambitieux »19 C’est l’un des adjectifs les plus fréquents dans les textes que nous avons examinés. et visent à réformer tant le dossier « immigration et asile » que celui de l’« intégration ».
Dans plusieurs discours, mais notamment dans celui du 9 avril 2018 au Collège des Bernardins à Paris et dans celui du 23 juin 2018 à Quimper, Emmanuel Macron a expliqué que « Notre exigence est justement dans une tension éthique permanente de tenir ces principes, celui d’un humanisme qui est le nôtre et de ne rien renoncer en particulier pour protéger les réfugiés, […] [mais] il faut aussi accepter que prenant notre part de cette misère, nous ne pouvons pas la prendre tout entière […] et il nous faut aussi tenir la cohésion nationale du pays où parfois d’aucuns ne parlent plus de cette générosité que nous évoquons ce soir mais ne veulent voir que la part effrayante de l’autre, et nourrissent ce geste pour porter plus loin leur projet ». Il s’en est pris aux « donneurs de leçons » qui « m’expliquent qu’il faut accueillir tout le monde sans voir les fractures de la société française ». En d’autres termes, la France donnera sa (petite) contribution à l’accueil de ceux « qui en ont le droit », tout en faisant attention à ne pas aller trop loin, pour ne pas heurter le mécontentement populaire grimpant.
Cet « humanisme réaliste »20 C’est l’expression utilisée par le Président de la République lui-même. se traduit dans les axes de la nouvelle « loi pour une immigration maîtrisée, un droit d’asile effectif et une intégration réussie », adoptée le 1er août 2018, après des mois de débats qui ont parfois divisé la majorité au pouvoir. Afin de faire face à un flux de « migrants » et de demandeurs d’asile qui, selon les estimations, devrait se poursuivre et qui risque de congestionner les instances logistiques et administratives de la République, la loi s’appuie sur quatre clés de voûte : a) accélérer considérablement le processus de la demande d’asile21 Cette décision a entraîné des grèves à la Cour nationale du droit d’asile et à l’OFPRA. ; b) limiter au maximum le nombre des personnes qui bénéficieront d’une protection ; c) favoriser toute mesure d’expulsion des déboutés ; d) collecter toutes les données relatives aux irréguliers et aux demandeurs d’asile ayant mis le pied en France22 Ce souci du « fichage » avait conduit le gouvernement à promulguer, le 12 décembre 2017, une circulaire, dite « circulaire Collomb » à destination des préfectures instaurant le contrôle des migrants dans toutes les structures d’accueil, publiques et privées.. Les mesures les plus dures sont justifiées par la volonté de bien accueillir ceux, peu nombreux, qui seront acceptés.
Mal accueillie par la quasi-totalité des associations qui travaillent depuis longtemps dans le domaine des migrations et qui déplorent le fait de ne plus être reconnues comme un interlocuteur privilégié dans l’élaboration des politiques publiques23 Cf. l’article collectif Face aux politiques publiques, le malaise grandissant des associations paru dans Le Monde, 5 mai 2018, rubrique « Idées », p. 7., la nouvelle loi serait censée être une réponse réaliste aux problématiques de l’immigration et de l’asile. Mais elle est critiquée de toutes parts, son réalisme étant lui aussi mis en doute. Le Défenseur des droits, Jacques Toubon, dénonce : « Les politiques élaborent des textes dont la motivation première est de se rapprocher de la demande de l’opinion publique et non pour répondre à un besoin de terrain. Nous nous retrouvons face à des textes de loi qui ne correspondent pas à la réalité. Il s’agit d’organiser les parcours migratoires et cela exige, avec courage, de reconnaître la réalité de la migration. Cela signifie qu’il faut arrêter de faire croire qu’on est capable de “maîtriser les flux migratoires”, comme on le dit depuis 1974, pour s’atteler au vrai sujet : construire une politique publique qui organise les parcours migratoires ». François Héran, titulaire de la chaire « Migrations et Sociétés » du Collège de France lui fait écho : « Un préjugé répandu voudrait que les politiques aient le sens des réalités et que les chercheurs vivent en lévitation. Dans le dossier de l’immigration c’est tout le contraire ».
Les « migrants » en France : Calais, Paris, les Alpes
Certains « migrants » se considèrent vraiment comme tels, car n’ayant pas encore atteint leur destination finale. C’est le cas d’un grand nombre parmi les milliers de personnes qui traversent la périlleuse frontière alpine entre l’Italie et la France, qui « séjournent » quelques mois dans la capitale, puis qui se rendent dans la Manche où ils attendent sur les côtes de pouvoir se rendre au Royaume-Uni.
En janvier 2018, en visite à Calais, le Président de la République avait déclaré : « l’État ne laissera en aucun cas reconstituer la jungle ». De facto, à Calais, à Grande-Synthe et dans les villes du littoral calaisien la « jungle » — qui signifie en anglais « un camp de vagabonds » continue d’exister, malgré le bras de fer quotidien entre les 1 130 policiers présents et les associations de soutien aux migrants. En 2017, plus de 115 000 tentatives de passage vers le territoire anglais ont eu lieu (elles auraient concerné plus d’un millier de personnes). Cette situation risque de perdurer, les accords du Touquet ayant été renforcés à l’issue d’un sommet franco-britannique qui s’est tenu à Sandhurst le 18 janvier 2018. D’après le ministère de l’Intérieur, la « jungle » serait l’œuvre des « passeurs », tandis que les associations affirment au contraire qu’elle rassemble tous ceux qui ne peuvent pas se payer leurs services.
À Paris, lorsque la « Bulle de la Chapelle », lieu d’accueil de migrants sans-abri, a cessé ses activités fin mars 2018, ce sont 1 885 « migrants » au moins qui ont été recensés par France Terre d’Asile, et qui ont longtemps occupé le boulevard Ney, les bords du canal Saint-Martin et les ponts de la Porte de la Chapelle. Afghans, Érythréens, Soudanais en majorité, ils reviennent souvent du Calaisis pour fuir les conditions « infernales » de la jungle. La Mairie de Paris et le ministère de l’Intérieur ont affiché des positions divergentes les concernant, la première demandant leur prise en charge par l’État, le second que la mairie demande leur évacuation. Après des mois d’immobilisme, une évacuation du « camp du Millénaire » (Paris 19) est survenue fin mai 2018, opération coordonnée par l’OFII. Tout comme pour Calais, il ne s’agit que d’une « solution » très provisoire.
À la frontière avec l’Italie, du Briançonnais jusqu’à Menton, plusieurs milliers de migrants ont affronté les conditions difficiles d’un passage clandestin à travers les montagnes enneigées ou les côtes escarpées et surveillées du littoral franco-italien, où plusieurs cadavres d’hommes, de femmes et d’enfants ont été retrouvés. Des points de passage où ont parfois été installées des banderoles invitant les migrants à ne pas venir en Europe. Sous prétexte de lutter contre le terrorisme, l’État refoule au-delà des Alpes des dizaines de milliers de personnes, suscitant parfois de vives réactions de la part des autorités italiennes. La police aux frontières, qui a reçu en juin 2018 la visite du Contrôleur général des lieux de privation de liberté, avoue être soumise à des « obligations de résultats » chiffrés quant au nombre de renvois à effectuer.
Face à des migrants en situation de détresse, des personnes se sont mobilisées pour leur porter secours, courant le risque d’être arrêtées pour « délit de solidarité ». En effet, une disposition du Code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile prévoit une sanction de cinq ans de prison et 30 000 euros d’amende à l’encontre de ceux qui aident, directement ou indirectement, un étranger à entrer, circuler ou séjourner irrégulièrement en France. En juillet 2018, le Conseil constitutionnel a en partie censuré les principes que cette loi sous-tend.
Une politique d’intégration dans la continuité du passé
En vue de réformer la politique d’intégration en vigueur, le ministère de l’Intérieur a confié au député Aurélien Taché la mission de rédiger un rapport sur cette question, paru en février 2018, intitulé « 72 propositions pour une politique ambitieuse d’intégration des étrangers ». En dépit des apparences que suggèrent le nombre élevé des propositions et le terme « ambitieuse », le document présente de nombreuses lacunes et limites quant à la connaissance de la thématique. En effet, l’intégration n’y est pas définie conceptuellement (« au risque de réalimenter des débats théoriques souvent improductifs »), et le rapport, qui tombe dans plusieurs pièges terminologiques, se contente d’aller dans le sens d’un approfondissement de la politique d’intégration menée actuellement et héritée des gouvernements précédents, en insistant sur quelques points : apprentissage du français, accès à l’emploi et au logement24 Pour le rapport Taché comme pour l’OFII, la question du logement est particulièrement délicate et redoutée, car la liste d’attente pour obtenir des places au sein du parc HLM est déjà très longue. Donner la priorité aux réfugiés risquerait alors de faire monter la colère des citoyens en attente d’un logement social., intérêt prioritaire pour les statistiques et le numérique (création de « start-up », services fournis via des applications pour smartphones, etc.). Le rapport admet que ces propositions « ambitieuses » nécessitent dans la pratique une hausse budgétaire, estimant, à juste titre, que l’intégration est « le parent pauvre du dispositif français d’accueil et d’intégration des étrangers en France ».
Finalement, en juin 2018, ces propositions ont pris la forme d’une « feuille de route », le gouvernement ayant réduit considérablement le budget envisagé et s’étant focalisé sur l’augmentation du nombre d’heures de cours de français et d’éducation civique destinées aux primo-arrivants.
Parallèlement, le travail de Gérard Collomb, ministre de l’Intérieur, a beaucoup ciblé la revitalisation du Conseil français du culte musulman, la population immigrée de confession musulmane étant considérée comme insuffisamment intégrée. Le ministre a insisté pour que ce Conseil combatte l’intégrisme, forme des imams français, trouve des financements locaux pour les lieux de culte et structure plus efficacement sa représentativité.
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