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Centre d’information et d’études sur les migrations internationales

Des migrants honduriens réjoignent la “caravane” en marche vers les USA - © Getty Images

Panorama des migrations internationales en 2019

L’univers des migrations, un catalyseur de paradoxes

Le monde des migrations est un révélateur des multiples paradoxes de la civilisation actuelle. Parmi les plus évidents, le constat des progrès technologiques dans le domaine des transports, qui va de pair avec la tendance des États à vouloir restreindre la libre circulation des personnes. Plus les voyages deviennent aisés, et plus les gouvernements s’emploient à entraver et rendre périlleux le trajet de millions d’individus.

Parallèlement, si l’essor de la « communication » numérique et l’interconnexion entre les individus permettent un accès global à l’information, cela s’accompagne néanmoins de la diffusion croissante d’informations simplifiées, voire erronées. La question des migrations, particulièrement sensible, est très largement concernée par cette absence de précision, de rigueur et d’honnêteté intellectuelle.

Bien que les migrations constituent un phénomène humain constant et structurel, elles sont très souvent présentées comme étant une réalité inédite, inattendue et provisoire. De même, alors que la littérature sur le sujet montre que les migrations sont la conséquence de choix économiques et politiques qui impactent négativement la vie de millions d’individus, elles continuent à être présentées comme une fatalité, découlant des catastrophes naturelles, de la pauvreté, des guerres et des changements climatiques.

Dans ce contexte, la focale placée sur la lutte contre les migrants « clandestins », « illégaux », « subis » ou « indésirables », participe au contraire à accroître le nombre par l’élaboration et la mise en œuvre de « politiques d’irrégularisation ». De manière paradoxale, alors que ces migrants irréguliers se trouvent dans une situation extrêmement précaire et de vulnérabilité maximale, la perspective de leur afflux, même modeste, semble en mesure d’effrayer de puissants États-nations qui craignent de voir leur vie politique, économique et sociale complètement bouleversées.

Autre contradiction qui émerge du panorama actuel des migrations, ancrée dans les mentalités et les pratiques de tous les pays d’immigration (y compris les moins riches), celle qui consiste à discriminer de facto les étrangers en fonction de leur revenu, tout en justifiant officiellement cette pratique sous couvert d’« incompatibilité culturelle ». C’est ainsi que, dans la pratique, pour une grande partie de l’opinion publique, l’argent intègre, tandis que la pauvreté exclut, quelle que soit la proximité culturelle entre les étrangers et les autochtones.

Tendances politiques et sociales

En matière de migrations, l’année 2019 a vu la continuation de tendances et de phénomènes identifiés depuis des années, voire des décennies. Encore une fois, un décalage majeur apparaît entre la réalité des migrations et les discours politiques la concernant. D’un point de vue électoral, la « cause des migrants », pourtant épousée par un nombre croissant de militants, est toutefois considérée par la grande majorité des partis comme synonyme de « défaite politique », de « stratégie qui fait perdre consensus », de « vérité inaudible » aux oreilles d’une société nationale inquiète sur son présent et son avenir, qui se perçoit menacée par les « pauvres venus d’ailleurs ».

Si la quasi-totalité des questions considérées comme « problématiques » concernant l’immigration relèvent en réalité du volet intégration (sociale, culturelle, etc.) des étrangers et, parfois, de leurs descendants, les solutions proposées ont tendance à se focaliser sur la lutte contre l’immigration irrégulière et présentent la migration clandestine comme la responsable de tous les maux qui affectent les États-nations : chômage, pauvreté, terrorisme, insécurité, etc. Les réponses politiques à l’immigration consistent en effet à durcir les conditions d’entrée et de séjour des étrangers sur le territoire national, à renforcer le contrôle des frontières et des voyageurs qui les franchissent, à accélérer les procédures d’expulsion des migrants en situation irrégulière et à endiguer les flux migratoires dès les pays de départ ou de transit, tout en concevant l’accueil des primo-arrivants surtout en termes d’assistanat. L’accent est ainsi mis sur les approches économiques, démographiques et sécuritaires, les migrants n’étant considérés ni dans leur diversité ni dans leur situation « existentielle » au niveau éthique, anthropologique, psychologique, géographique, historique, sociologique, ethnologique, pour déboucher sur des « grammaires » sociales et juridiques alternatives. Les études approfondies qui portent sur ces thématiques font toutes le constat que l’intégration des étrangers peut être facilitée de manière significative par la mise en œuvre de politiques d’inclusion prévoyant le jus soli, la régularisation, l’accès à la nationalité et à toutes formes de droits et de participation sociale. À l’inverse, le débat politique et public actuel semble creuser un clivage juridique et social entre étrangers et autochtones, entre ceux qui appartiennent au « club exclusif de la nation » et ceux qui « ont vocation » à en être écartés.

Dès que la question migratoire aborde des aspects éthiques et sociaux, nous assistons à des opérations sémantiques de « déshumanisation » et de « criminalisation » des personnes étrangères désignées comme indésirables. En Occident, plusieurs responsables politiques au pouvoir stigmatisent les stratégies de contournement des lois employées par les migrants irréguliers et par les personnes qui leur viennent en aide, mais ils font l’impasse sur les raisons plus profondes qui conduisent ces individus à enfreindre certaines dispositions légales. C’est pour contester cette affirmation que, par exemple, des milliers de participants à l’une des « caravanes » parties du Honduras entre fin 2018 et début 2019 pour rejoindre les États-Unis brandissaient des pancartes pour signifier qu’ils étaient des travailleurs et non des criminels.

Même s’ils sont perçus comme des indésirables, les migrants en situation irrégulière représentent toutefois une main-d’œuvre convoitée par nombre de secteurs de l’économie nationale des pays développés qui ont des difficultés à recruter sur les marchés du travail locaux. Comme les statistiques le montrent1 Cf. parmi les études les plus récentes, FRANCE STRATÉGIE, Limpact de limmigration sur le marché du travail, les finances publiques et la croissance. Rapport pour lAssemblée nationale, Paris, juillet 2019, 222 p., les travailleurs immigrés se situent soit au sommet (profils extrêmement qualifiés) soit au plus bas (profils exigeant peu ou pas de qualification) de l’échelle des qualifications, là où il existe une pénurie effective d’employés. Dans le même temps, les immigrés sont plus touchés par le chômage que les nationaux, ce qui montre que cette catégorie de travailleurs constitue bien une force de travail flexible, susceptible d’absorber les fluctuations générées par les conjonctures économiques.

En raison de cette contradiction typique des pays d’immigration, qui se montrent à la fois réticents à accueillir les migrants, quels qu’ils soient, mais qui ont besoin de cette main-d’œuvre étrangère, les politiques migratoires menées par les États montrent leurs limites, préférant ne pas traiter en profondeur les questions majeures de ce dossier, pour se cantonner à l’affichage de petits gestes démagogiques justifiés par des arguments qui déforment la réalité. Des études anciennes et récentes s’intéressant aux mouvements souverainistes2 Cf. par exemple SIMONNEAU Damien ; CASTELLI GATTINARA Pietro, Prendre part aux logiques dexclusion : les mobilisations anti-migrants en France, en Italie et aux États-Unis in « Critique internationale » 84, juillet-septembre 2019, pp. 105-124. (parfois appelés « populistes » ou tout simplement « nationalistes »), dont les idées en matière de restriction de l’immigration sont partagées bien au-delà des partis d’extrême droite, mettent en lumière un travail réfléchi de « construction de la crise » afin de parvenir à une « gouvernementalité par l’inquiétude ». Ce procédé consiste à maintenir l’opinion publique dans un état d’alerte permanent, via la production de récits qui redoutent des menaces disproportionnées et ciblent des ennemis extérieurs facilement identifiables, déjà objet du mécontentement populaire. En 2018 comme en 2019, en plus des migrants et des personnalités accusées d’« angélisme pro-migrants », plusieurs ONG humanitaires ont été pointées du doigt, et en particulier celles effectuant des sauvetages en Méditerranée. Ce processus a pour conséquence de poser les termes du débat sur l’immigration selon une approche identitaire, ce qui conditionne aujourd’hui gravement un dialogue et un avancement sereins des processus d’intégration, entravant les études, les recherches, les projets et les initiatives en faveur des immigrés, tout en générant de fortes tensions sociales.

Aperçu statistique

Au niveau mondial, seules les agences onusiennes fournissent un aperçu actuel des migrations internationales. Bien que les données chiffrées disponibles soient récentes, elles ne sont jamais complètement exhaustives et ne prennent pas en compte l’année écoulée.

Le chiffre de 272 millions de « migrants » recensés en 2018 dans le monde par l’ONU ne représente en réalité que la somme approximative des étrangers résidant de manière régulière et depuis plus d’un an sur le territoire d’un pays étranger (on parle de « stock »). En revanche, ne sont pas inclus les migrants qui sont en « chemin » ou en transit, qu’ils soient aux abords de la Méditerranée, à la frontière entre le Mexique et les États-Unis, dans le désert du Sahara ou encore dans les montagnes d’Asie centrale.

Les chiffres onusiens peuvent être lus selon différentes perspectives. En prenant dans un premier temps en compte le nombre de personnes résidant actuellement à l’étranger en situation régulière, les principales aires d’immigration sont l’Amérique du Nord (59 millions), l’Europe occidentale (49 millions), la Péninsule arabique (28 millions), la Russie (12 millions) et l’Australie (7 millions). Les principaux pays d’émigration, quant à eux, sont l’Inde (17 millions), le Mexique (13 millions), la Russie (12 millions), la Chine (10 millions), le Bangladesh (8 millions), la Syrie (7 millions), le Pakistan, l’Ukraine et les Philippines (6 millions). Si ces données correspondent à l’image que nous avons souvent des statistiques de la migration, qui place les pays « riches » parmi les pays de destination et les pays « pauvres » parmi les pays de départ, il faut néanmoins avoir présent à l’esprit qu’officiellement il y a dans le monde plus d’Anglais expatriés que d’Afghans3 Quelqu’un pourrait objecter que l’Afghanistan compte moins d’habitants que le Royaume-Uni. Toutefois, si nous prenons l’Indonésie, pays quatre fois plus peuplé, la part de ses émigrés équivaut à la moitié de ceux de Grande-Bretagne et Irlande du Nord., plus de Français que de Somaliens, etc. Par ailleurs, étant donné que les tableaux de l’ONU s’arrêtent à 2017, ceux-ci font l’impasse sur la situation actuelle au Venezuela.

En revanche, si nous comparons les chiffres de 2015 et ceux de 2017 pour tenter de mesurer les flux de migrants, la perspective change considérablement, car nous voyons alors quels pays ont gagné ou perdu le plus de migrants au cours des deux années recensées. C’est ainsi que, parmi les dix premiers pays d’émigration, la Syrie fait un bond à la deuxième place devant la Pologne, tandis que le Soudan du Sud (5ème), la Turquie (6ème) et l’Indonésie (9ème) font également leur apparition au sommet de la liste ; l’Italie (17ème) laisse apparaître une expatriation supérieure à celle du Congo RDC. Toujours selon cette perspective, la liste des dix premiers pays d’immigration apparaît encore plus surprenante : l’Allemagne (1ère) est plus attractive que les États-Unis, la Péninsule arabique est bien représentée aux premières places, la Turquie (4ème) et l’Ouganda (5ème) devançant le Royaume-Uni (6ème) ; la France, quant à elle, se retrouve au fin fond du classement, ayant vu récemment diminuer son stock d’étrangers.

Une troisième perspective est encore possible. Si nous prenons en compte les données de la Banque mondiale relatives aux transferts de fonds des migrants, celles-ci dressent un cadre plus proche de l’actualité statistique des flux migratoires, car elles sont plus récentes (2018, parfois milieu de 2019 pour certains pays), concernent surtout les nouveaux arrivants (peu importe leur statut juridique) et font clairement émerger la dépendance économique entre un pays et les ressources de sa diaspora, notamment lorsque l’on tient compte du poids des transferts de fonds dans les PIB nationaux. Il en résulte que, pour certaines aires géographiques, l’émigration est une ressource économique essentielle, notamment pour les petits États insulaires, les républiques ex-soviétiques d’Asie centrale, les pays d’Amérique centrale et des Antilles, l’Europe de l’Est, l’Afrique de l’Ouest, le sous-continent indien (sans l’Inde), les Philippines et le Yémen. Parallèlement, selon ces chiffres, les pays d’où proviennent les transferts de fonds les plus conséquents, et donc où l’immigration est particulièrement active, sont ceux de la Péninsule arabique, suivis par les États-Unis, les pays européens historiquement les plus attractifs (Allemagne, Suisse, France, Royaume-Uni et Benelux), mais aussi la Russie, la Malaisie, l’Italie, Israël et la Pologne.

Actualité migratoire dans le monde

Chaque année tous les pays sont concernés par des mouvements de populations et enregistrent souvent des phénomènes significatifs qui mériteraient d’être approfondis. Un compte-rendu détaillé des événements survenus s’avérant trop ambitieux, nous nous cantonnerons à un survol de l’actualité migratoire mondiale en procédant par aires géographiques, conscients des limites de cette synthèse. Avant d’entamer ce tour d’horizon virtuel de l’actualité migratoire dans chaque continent, signalons en décembre 2018 les résistances auxquelles l’ONU a été confrontée au moment de faire approuver par ses membres deux pactes mondiaux sur les migrations, l’un concernant les migrants en général, l’autre les réfugiés en particulier. Alors que ces textes, juridiquement non contraignants, étaient critiqués par un certain nombre d’acteurs de la société civile engagés dans le domaine des migrations, un nombre important de pays4 41 pays n’ont pas signé les « pactes de Marrakech », dont cinq se sont prononcés contre : les États-Unis, la Hongrie, Israël, la République tchèque et la Pologne. ont refusé de les signer, considérant qu’ils étaient trop « positifs » à l’égard des migrants.

Amériques

La migration intra-américaine est toujours très dense dans un continent où les disparités économiques et sociales sont très marquées et, surtout, où les aspirations de ses habitants à une vie plus sûre et plus stable constituent un puissant levier vers la mobilité.

En 2019, l’exode vénézuélien massif et les vicissitudes de la politique migratoire mexicaine, écartelée entre les problématiques humanitaires liées aux flux migratoires des pays situés au sud de ses frontières et les pressions des États-Unis pour les endiguer, ont tout particulièrement attiré l’attention des médias et des chercheurs.

Fuyant une crise économique, politique et sociale pour l’instant sans issue, depuis 2017 plus de 3,5 millions de Vénézuéliens ont quitté leur pays pour rejoindre plusieurs destinations sur le continent sud-américain, où ils font désormais l’objet d’instrumentalisations électorales. En Colombie, où, selon les autorités locales, ils seraient plus de 1,3 million, le nouveau président, Iván Duque (droite conservatrice), les présente comme la preuve que le chavisme, en tant que courant politique, doit être combattu. Au Pérou, où leur nombre s’élève à près de 500 000, Ricardo Belmont, l’un des anciens candidats à la mairie de Lima, a affirmé lors de sa campagne que « les Vénézuéliens viennent prendre le travail des Péruviens » et que « plus d’un million de Vénézuéliens arriveront d’ici la fin de l’année, profitant de tous les avantages que les Péruviens n’ont pas ». En réalité, ces immigrés, en grande majorité diplômés du deuxième cycle, intègrent l’économie informelle, puisque plus de 80% d’entre eux viennent grossir les rangs des sans-papiers. Les autres pays qui enregistrent d’importants contingents de Vénézuéliens sont l’Équateur (250 000), le Chili (150 000), l’Argentine (95 000), le Panama (76 000), le Brésil (75 000, presque tous dans l’État de Roraima) et même les deux petites îles voisines de Trinité-et-Tobago (40 000).

Dans le même temps, des milliers de migrants centre-américains s’aventurent dans la traversée du Mexique pour rejoindre les États-Unis. Tandis que depuis une dizaine d’années les Mexicains qui rentrent des USA sont plus nombreux que ceux qui y partent, la situation de pays comme le Honduras, le Salvador, le Guatemala et le Nicaragua, qui connaissent des niveaux inouïs de violence et sont tenus par des systèmes politico-économiques hautement corrompus, pousse un nombre croissant d’individus à émigrer à travers le Mexique vers les États-Unis. Avec l’aide des réseaux sociaux virtuels, le 13 octobre 2018, plusieurs milliers de Honduriens ont répondu à l’appel anonyme d’une affiche comportant la silhouette d’un migrant solitaire sur un fond rouge, qui les invitait à se réunir près de la gare routière de San Pedro Sula pour une « marche du migrant » (caminata del migrante) en direction du Mexique. Sur l’affiche on pouvait lire : « nous ne partons pas parce que nous le voulons, ce sont la violence et la pauvreté qui nous expulsent ». C’est ainsi qu’a démarré une première « caravane » de migrants, incluant des personnes de tous âges et des familles entières. Elle s’est mise en route en chantant l’hymne national hondurien tout en scandant le premier slogan de campagne de l’ancien président américain, Barack Obama, « Yes, we can ». Peu après, deux autres cortèges ont suivi en direction de Tijuana, ville-frontière mexicaine avec les États-Unis. Cet événement, qui a suscité une réponse disproportionnée de Donald Trump, menaçant de répondre militairement à cette « invasion », a mis en lumière le quotidien des migrants d’Amérique centrale : violence, exploitation, spoliation, viol, atteinte à la dignité humaine, conduisant parfois à la mort. Pour pouvoir émigrer, certains individus vont même jusqu’à accepter l’impensable : pour ne citer qu’un exemple, puisque les mineurs entrés en situation irrégulière sur le sol étasunien sont moins exposés au risque d’expulsion, plusieurs familles originaires de pays d’Amérique centrale confient, voire même « vendent », leurs enfants à des adultes essayant de franchir la frontière. Cela explique pourquoi les autorités américaines procèdent à des tests ADN sur les familles clandestines et tentent de séparer les enfants des adultes qui les ont accompagnés. Au milieu de cette « crise » médiatique, le nouveau président mexicain, Andrés Manuel López Obrador, élu en décembre 2018 et appuyé par une coalition classée à gauche appelée « Ensemble nous ferons l’histoire », a montré combien son pays était dépendant des États-Unis : après avoir dans un premier temps accueilli les membres des caravanes et ouvert les frontières méridionales, il a fait volte-face six mois plus tard, sous la menace de sanctions économiques américaines. Pris entre l’afflux soudain de 300 000 migrants guatémaltèques et les pressions étasuniennes, M. López Obrador a ordonné le déploiement de 6 000 gardes à la frontière avec le Guatemala et de 15 000 agents autour des points stratégiques de passage au Nord vers les États-Unis. Les dirigeants mexicain et guatémaltèque ont ensuite tenté de passer sous silence ces actions répressives en déclarant vouloir s’attaquer aux causes des migrations, à savoir la « misère », tout en niant la violence qui règne dans des pays comme le Guatemala, le Honduras et le Salvador, pays pourtant classés comme « pays sûrs » par les USA afin d’éviter de devoir appliquer la Convention de Genève de 1951 relative au statut de réfugié. Si, après ces mesures, les statistiques relatives aux entrées clandestines aux États-Unis et au Mexique ont officiellement chuté, la pression migratoire s’est en revanche déplacée de la côte Ouest à la frontière entre le Mexique et le Texas, marquée par le Rio Grande. C’est là que, le 23 juin 2019, une nouvelle image, au moins aussi puissante médiatiquement que le cliché d’Aylan Kurdi, petit garçon échoué sur une plage turque en 2015, est apparue aux yeux du monde : celle des corps sans vie d’Angie Valeria Martinez, salvadorienne âgée de 23 mois, et de son père Oscar, noyés dans le Rio Grande.

Loin de remettre en cause les orientations de la politique migratoire américaine, ce fait divers de la migration a renforcé la détermination de Donald Trump de construire un mur à la frontière entre les États-Unis et le Mexique, qualifié de « nécessité vitale ». Sur l’autel de cette exigence, le président américain a sacrifié le bon fonctionnement de son pays en s’engageant, entre le 22 décembre 2018 et le 25 janvier 2019, dans un bras de fer avec la majorité du Congrès pour le financement du mur, qui a donné lieu au plus long government shutdown (suspension des activités gouvernementales) de l’histoire du pays. Malgré ce fort activisme, la construction du mur, dont le devis s’élève à 5,7 milliards de dollars, se fait attendre. Plus récemment, le président américain s’est dit opposé à l’accueil d’exilés bahaméens frappés par le cyclone Dorian en août dernier, tandis que le Sénat américain a rejeté un projet de loi prévoyant l’octroi d’une protection temporaire aux migrants vénézuéliens.

Afrique

Les statisticiens des migrations manquent souvent de données sur l’Afrique, notamment pour des pays tels la Mauritanie, le Zimbabwe, la Centrafrique, le Tchad, la République du Congo (Brazzaville), la Guinée Équatoriale, l’Érythrée, le Gabon, la Libye, la Somalie et le Soudan du Sud. Dans la plupart de ces cas, les cases vides des tableaux reflètent la réalité de pays aux instances étatiques faibles ou aux régimes dictatoriaux qui ne laissent pas filtrer de telles informations. Le continent, considéré dans l’imaginaire européen comme la source par excellence des flux migratoires mondiaux, est pourtant le moins concerné par la migration intercontinentale. Il possède un certain nombre de pôles d’attraction pour la migration économique, comme le Ghana, l’Afrique du Sud, l’Angola, la Côte d’Ivoire, le Congo RDC et le Sénégal, même si ces destinations sont également des pays de départ. Dans le même temps, le Maghreb et le Machrek constituent le point d’arrivée de routes migratoires extrêmement dangereuses à destination de l’Union européenne, laquelle met en œuvre une politique d’externalisation du contrôle de ses frontières pour que le trajet des migrants concernés prenne fin aux abords de la Méditerranée.

D’après la Banque mondiale, trois pays sont particulièrement touchés par l’émigration extracontinentale : le Nigeria (à destination des États-Unis), l’Égypte (à destination de la Péninsule arabique) et le Maroc (à destination de la France, l’Espagne, l’Italie et le Benelux). La France est par ailleurs la destination principale des ressortissants du Maghreb, du Sénégal, du Mali, du Cameroun, de Madagascar, des Comores et de la Guinée Conakry.

Entre 2018 et 2019, tandis que la situation demeurait sans solution au sein des nombreux camps surpeuplés de réfugiés disséminés dans le nord-est du continent, plusieurs événements ont caractérisé la vie des personnes en migration au départ des différentes régions africaines. Ainsi, à l’automne 2018, les gouvernements érythréen et éthiopien sont parvenus, après vingt ans de contentieux, à conclure un accord de « réconciliation » officielle avec la réouverture de leurs frontières réciproques. Quelques dizaines de milliers de personnes opposées au régime d’Isaias Afewerki, le président érythréen, ont saisi cette opportunité pour fuir vers la Libye et l’Europe en passant par le Soudan. Tout comme pour les autres migrations, les chercheurs qui étudient la migration érythréenne ont pu constater que cette dernière s’appuie sur de véritables « infrastructures de la mobilité »5 Expression forgée par Tekalign Ayalew Mengiste., c’est-à-dire un réseau d’agences, de passeurs et de relais locaux disséminés le long de la route migratoire. Avant de partir, les migrants doivent recueillir des informations sur les itinéraires, les passeurs, le calendrier des étapes, le comportement à adopter lors des interactions avec les passeurs, la meilleure façon de cacher l’argent, ainsi que les vêtements, les médicaments et la nourriture à transporter. Parfois, leurs proches leur envoient des ressources supplémentaires en cours de route.

Au Cameroun, outre les attaques récurrentes perpétrées par les membres du groupe terroriste Boko Aram qui sèment la terreur au nord du pays, une guerre civile sévit en Ambazonie, république autoproclamée, composée de deux provinces occidentales anglophones. Les séparatistes comme l’armée gouvernementale se sont rendus coupables d’exactions qui ont provoqué le déplacement de près de 450 000 habitants, dont 25 000 ont trouvé refuge au Nigeria.

Parallèlement, à l’exception de l’Égypte, qui semble pour l’instant ne pas avoir cédé aux pressions de l’UE, tous les pays de la côte méditerranéenne africaine ont mis en place des actions d’éloignement des migrants subsahariens. C’est ainsi que, d’après les récits de plusieurs associations locales de défense des droits de l’homme, le Maroc, en plus de prendre part à la surveillance des enclaves espagnoles de Ceuta et Melilla, tente de réduire la présence de clandestins en procédant à des arrestations massives pour ensuite relâcher les prisonniers dans les terres désertiques du sud du pays. De la même manière, l’Algérie expulse fréquemment des centaines de migrants provenant de toute l’Afrique de l’Ouest vers le désert du Niger. Pour sa part, la Libye compte un grand nombre de centres de rétention pour migrants ; ceux qui arrivent à s’en échapper tentent ensuite de traverser la Méditerranée ou retournent au Niger, pays qui reçoit, malgré lui, les déboutés des États voisins.

Parmi les migrants africains qui quittent actuellement leur pays pour atteindre l’Europe, beaucoup proviennent de Guinée (Conakry). Pour atténuer ce phénomène, l’Organisation internationale pour les migrations (OIM) a lancé sur place une campagne médiatique, financée par l’Union européenne, visant à décourager les départs. Intitulée « Ne pars pas », elle mise sur l’apport d’artistes locaux et de chanteurs en particulier, qui ont même laissé les agents de l’OIM écrire leurs textes. Or, comme le montre les retours d’expériences similaires déjà mises en œuvre, ce type de campagne n’a en général aucune incidence notable sur les flux migratoires.

De son côté, l’Afrique du Sud reconnaît de moins en moins de réfugiés, avec un taux inférieur à 16% à l’issue du traitement des dossiers présentés en majorité par des exilés éthiopiens, congolais, bengalais et zimbabwéens. En même temps, la situation des enfants apatrides s’aggrave : d’après une enquête menée par le Scalabrini Center du Cap, 39% des enfants de migrants ne disposent pas de papiers d’identité et seuls 25% d’entre eux possèdent un certificat de naissance.

Océanie et Asie

Australie

À plusieurs égards, l’Australie est érigée comme un modèle de politique d’« immigration choisie » réussie. En raison de sa position géographique, l’île-continent maîtrise plus aisément ses frontières face à l’arrivée d’embarcations transportant des réfugiés. Dans la continuité de ses prédécesseurs, le premier ministre australien, Scott Morrison, dans son programme pour 2019-2023, a mis en place un système de quotas annuels de 160 000 immigrés, constitué en grande partie de personnes très hautement qualifiées (108 000) et d’étudiants étrangers, pour lesquels des bourses sont prévues6 Cf. Australian Government. Department of Home Affairs. Australia’s 2019-20 Migration Program. 2019, Canberra, 7 p.. Par ailleurs, le gouvernement ne souhaite pas que les nouveaux arrivants s’installent dans les villes les plus peuplées, mais qu’ils contribuent au peuplement des régions désertiques. À l’inverse, pour les « indésirables », la politique du « No Way » ou de l’externalisation systématique des centres de rétention appelée « Solution du Pacifique », instaurée en 2001 et poursuivie sous des dénominations différentes jusqu’à l’actuelle « Frontières souveraines », prévoit l’incarcération des migrants irréguliers dans des îles hors du territoire australien. Le constat des conditions de vie déplorables (émeutes, automutilations, suicides, etc.) des incarcérés et l’intervention des États-Unis en vue de la réinstallation des demandeurs d’asile les plus vulnérables (familles, enfants) ont conduit à la diminution du nombre des prisonniers et à la fermeture de plusieurs centres dans les îles Christmas, Manus et Nauru. 600 personnes seraient toutefois encore enfermées dans ces lieux.

Asie

L’Asie est la région où les phénomènes migratoires sont les plus importants, surtout dans le sens des départs. En 2019, l’attention des observateurs s’est particulièrement concentrée sur certaines aires géographiques : les territoires autour du Golfe du Bengale (Bengladesh et provinces voisines de l’Inde et de la Birmanie), la région autonome ouïghoure du Xinjiang en Chine, l’Iran (affecté par les répercussions des sanctions économiques à son encontre), ainsi que l’ensemble du Proche-Orient, de la Péninsule arabique à la Turquie, en passant par Israël et la Syrie.

En Chine comme dans le sous-continent indien, les conflits ethniques continuent de s’intensifier, tandis que la religion devient l’élément révélateur de l’appartenance ethnique. Les turcophones (musulmans) ouïghours, installés depuis des millénaires dans ce qui était autrefois appelé le « Turkestan oriental », sont aujourd’hui considérés par le gouvernement de Pékin comme des « immigrés » qui « résistent » à l’assimilation, même lorsqu’ils sont internés par milliers dans des « centres de rééducation ». La construction de mosquées et d’églises dans l’Empire du Milieu est par ailleurs entravée sous prétexte qu’il s’agit de « religions étrangères ».

Au Bangladesh, les réfugiés Rohingyas, dont le nombre s’élève à plus d’un million, exilés dans le pays depuis deux ans après les massacres perpétrés en 2017 par l’armée birmane, seraient désormais censés retourner au Myanmar, alors qu’ils se concentrent encore massivement dans le département de Cox’s Bazar. En effet, d’après les autorités locales et les ONG présentes sur place, la quasi-totalité des familles inscrites sur la liste des retours étaient introuvables au moment du départ : toutes étant terrifiées à l’idée de repartir en Birmanie.

Plus au Nord, dans l’État indien de l’Assam, le gouvernement local a mis en place une « politique d’irrégularisation » à l’encontre de la minorité musulmane, supposée être composée d’immigrés « illégaux » provenant du Bangladesh. Malgré le retrait, en 2005, de la loi de 1983 appelée « Détermination par les tribunaux des immigrés illégaux » en vigueur uniquement dans l’Assam et visant à expulser les Bengalais y résidant, l’État a donné pouvoir à sa police des frontières de confier à des tribunaux spéciaux la faculté de déclarer « étrangers » et « clandestins » les descendants de bangladais dont les parents ne résidaient pas sur le territoire de l’Assam avant le 25 mars 1971, date de la séparation entre l’Inde et le Bangladesh. C’est ainsi que plusieurs jeunes musulmans (la séparation de 1971 s’étant opérée selon le critère de la religion) ont été conduits dans des centres de détention aménagés au sein des prisons.

En Iran, la chute du rial (35% de dévaluation sur le dollar en avril 2018) suite aux sanctions américaines et européennes, a poussé un nombre important d’immigrés afghans à rentrer dans leur pays, dans l’attente de repartir vers d’autres destinations plus propices. Cette crise a touché tout aussi durement les expatriés iraniens résidant dans les Émirats arabes unis, dont le nombre, selon les statistiques officielles, a été réduit d’un tiers (de 117 000 à 73 000). Victimes d’embûches administratives et de suspensions de leurs comptes bancaires, beaucoup ont préféré se rediriger vers la Turquie et vers d’autres pays frontaliers de l’Iran.

Au Proche-Orient, les Syriens présents notamment dans les camps au Liban et en Jordanie n’ont pas de perspectives immédiates de retour dans leur lieu d’origine et leur quotidien est marqué par une forte précarité. Les gouvernements des pays hôtes, craignant une installation définitive des exilés, empêchent les réfugiés syriens de construire des habitats en dur et, plus généralement, annihilent toute tentative d’insertion économique durable de leur part. En revanche, les 3,6 millions de Syriens présents en Turquie bénéficient pour la plupart d’une « protection temporaire » (seuls 100 000 ont un titre de séjour illimité, tandis que 92 000 ont été naturalisés) et vivent dans les provinces frontalières avec la Syrie ou bien dans les régions d’Istanbul, d’Izmir et de la Méditerranée.

En Israël, depuis le mois d’octobre 20187 Cf. LEE Yaron, Israel Set to Deport Dozens of Filipina Migrant Workers and Their Children, article paru dans « Haaretz » le 18 février 2019., les arrestations et les expulsions d’enfants d’immigrés nés sur le sol israélien ont provoqué les protestations assez inhabituelles de nombreuses employées de maison philippines, qui représentent presque un quart des travailleurs étrangers en situation régulière (28 000 environ). Plus d’un millier de migrantes ont manifesté le 6 août à Tel-Aviv en brandissant des pancartes avec l’écriteau « N’expulsez pas les enfants » (« Al guerash ett hildim »). Plus généralement, le milieu des domestiques philippines est de plus en plus en ébullition à travers le monde en raison des conditions de travail qu’elles subissent. Plusieurs d’entre elles ont tenté de porter des revendications, y compris à Hong-Kong, où leur statut juridique les réduit à l’état de quasi esclaves.

Europe et Méditerranée

En 2019, dans une Union européenne souvent présentée comme le théâtre d’affrontements entre européistes et souverainistes – ceux-ci jouissant d’une conjoncture très favorable dans les sondages , les débats sur la scène publique se sont focalisés sur : les réfugiés et les demandeurs d’asile sauvés en Méditerranée ; les querelles entre États membres quant à la répartition des migrants une fois arrivés sur le sol européen ; l’identité culturelle du Vieux continent face à l’arrivée d’individus extracommunautaires ; les propositions politiques en vue d’un durcissement encore plus marqué des conditions d’entrée et de séjour des étrangers.

La Méditerranée

Dérouler la chronique des événements survenus au cours des derniers mois en Méditerranée ayant trait aux migrants tentant de rejoindre les côtes européennes depuis les côtes africaines s’avérant trop long, nous nous cantonnerons donc à énoncer les tendances qui caractérisent les migrations en Méditerranée, ces dernières étant l’objet d’instrumentalisations et de contre-vérités.

Tout d’abord, le taux de mortalité8 À ne pas confondre avec le nombre des morts qui, lui, a diminué en raison de la baisse du nombre des traversées. a augmenté en 2019 au cours des traversées clandestines en Méditerranée. Si, selon Frontex, les franchissements irréguliers des frontières extérieures des États membres de l’UE diminuent drastiquement à travers les « routes » occidentale (vers l’Espagne) et centrale (vers l’Italie et Malte), passant de quelque 80 000 en 2018 à environ 18 500 fin septembre 2019 (-76%), le nombre de morts, qui, selon l’OIM, est passé de 1 847 en 2018 à 967 en septembre 2019, équivaut en proportion à un bond de 2,3% à 5,3% du total des passages. Il s’agit néanmoins de chiffres purement indicatifs (le HCR, les ministères de l’Intérieur européens, les ONG, Eurostat et les médias présentant des statistiques divergentes), basés sur des estimations, dans la mesure où les États membres peinent par nature à quantifier des flux migratoires irréguliers. Le journal « Le Monde » livre, par exemple, le témoignage du gardien du cimetière de la ville côtière de Zarzis en Tunisie, qui donne une sépulture aux noyés que la mer rejette quotidiennement : « J’ai enterré près de 400 cadavres, et là des dizaines vont encore arriver dans les jours qui viennent. Ce n’est pas possible, c’est inhumain et nous ne pouvons pas gérer ça tous seuls »9 BLAISE, Lilia, Sur les plages de Djerba, la Méditerranée rejette les corps des migrants, article publié dans « Le Monde » du 8 juillet 2019..

De plus, malgré les dispositifs de contrôle des frontières et le renforcement de la lutte contre l’immigration irrégulière, les réseaux de « passeurs » ont toujours une longueur d’avance, car ils ne s’appuient pas sur les ONG, mais plutôt – comme les enquêtes spécialisées le montrent sur des fonctionnaires corrompus qui bénéficient à la fois de l’argent des migrants et des subventions octroyées pour la maîtrise des flux migratoires. C’est ainsi que, lorsque l’ancien ministre de l’Intérieur italien, Matteo Salvini, affichait une politique de « tolérance zéro » face à l’immigration clandestine, déclarant qu’aucun migrant ne lui avait échappé, de facto, à côté des migrants qui arrivaient escortés par les ONG, la Marine militaire et les bateaux des gardes-côtes transalpins, de nombreux autres clandestins continuaient d’atteindre la Péninsule via le système dit des « navires fantômes », affrétés par des passeurs, qui à proximité de la plage de destination, et hors de portée des forces de l’ordre, mettaient l’eau plusieurs chaloupes chargées de migrants.

Un autre élément saillant émerge à la lecture de la composition des personnes défiant les dangers de la mer qui sépare l’Afrique de l’Europe. D’après les observations et les statistiques effectuées en 2019 par le HCR, les migrants qui traversent la Méditerranée sont d’abord et avant tout des hommes (53,7%), puis des enfants (27,6%)10 Abstraction faite des querelles récurrentes sur la détermination de l’âge de certains exilés mineurs. et enfin des femmes (18,7%). Ce pourcentage important d’enfants, supérieur à celui des femmes, pourrait paraître quelque peu étonnant. Toutefois, comme nous l’avons évoqué dans le cas des migrants d’Amérique centrale, les enfants offrent une meilleure garantie d’être acceptés par les autorités des pays d’immigration.

Autre considération, celle qui concerne la provenance des migrants qui arrivent via la Méditerranée. Selon les « routes » empruntées, la composition par nationalité des personnes en situation irrégulière interceptées au moment de franchir la frontière varie. Aux confins orientaux de l’UE (Grèce et Bulgarie), portes d’entrée principales pour l’Europe par la voie maritime (61%), les individus recensés sont surtout des ressortissants du Proche-Orient (Afghans, Syriens, Palestiniens, Irakiens, etc.) mais aussi des Congolais. À la frontière occidentale, en revanche, à savoir depuis l’Espagne (28%), les Africains de l’Ouest (Guinéens, Marocains, Maliens, Ivoiriens et Gambiens) constituent le contingent de migrants le plus nombreux. Enfin, au sud (Italie et Malte ; 11%), hormis la présence escomptée de Maghrébins, nous trouvons des citoyens du sous-continent indien (Bangladesh, Pakistan), des Irakiens et des Érythréens. Si la proximité géographique explique en grande partie ces données, la présence inattendue de migrants empruntant des points de passage plus éloignés, laisse entrevoir une organisation plus élaborée de leur trajet par l’intermédiaire d’agences spécialisées.

Enfin, mentionnons les attaques institutionnelles portées par les ministres de certains États membres de l’UE en direction de plusieurs ONG qui se consacrent au sauvetage en mer des migrants. L’hostilité affichée à l’encontre de ces organisations remonte à janvier 2018, lorsque le procureur de Catane, M. Carmelo Zuccaro, personnellement convaincu d’une collusion entre les ONG et de vastes trafics d’êtres humains, a lancé de nombreuses enquêtes, sans qu’à ce jour la moindre preuve d’une telle complicité entre acteurs humanitaires et réseaux criminels n’ait émergé. Malgré le caractère infondé de ces allégations, l’ancien ministre de l’Intérieur italien Marco Minniti, puis son successeur Matteo Salvini et, enfin, l’actuel ministre de l’Intérieur français, Christophe Castaner11 Des affirmations semblables contre les ONG en Méditerranée ont été aussi prononcées par Emmanuel Macron, Marine Le Pen et Daniel Cohn-Bendit. ont affirmé que les ONG faisaient le jeu des trafiquants d’êtres humains en Méditerranée. Cet acharnement injustifié à l’encontre de ces organisations a permis aux gouvernements concernés d’obtenir trois avantages : a) de s’attaquer à une cible facilement identifiable et maîtrisable ; b) de présenter l’action des organismes « pro-migrants » comme une atteinte à la souveraineté nationale (cf. en particulier le cas du navire Sea-Watch 3 commandé par la capitaine Carola Rackete qui, fin juin, a forcé le blocus naval italien au large de Lampedusa) ; c) d’éloigner le plus possible du théâtre des opérations des observateurs gênants.

Europe

Les mois qui ont précédé les élections européennes (fin mai 2019) ont été caractérisés par la très vive bataille politique entre souverainistes et européistes, combattue notamment sur le terrain de l’immigration. Malgré l’importante percée de l’extrême droite et d’autres formations dites « anti-système », les partis « traditionnels » ont remporté la compétition électorale en développant une stratégie qui a porté ses fruits, notamment en Scandinavie : en matière d’immigration reprendre les idées des adversaires, tout en évitant le ton de ces derniers. Partout en Europe, à l’exception du Portugal, le maître-mot est « durcir » le traitement réservé aux « migrants » indésirables, tout faire pour que le Vieux continent soit pour eux le moins attractif possible. En dépit d’un discours inaugural, le 15 juillet dernier, dans lequel la nouvelle présidente de la Commission européenne, l’allemande Ursula von der Leyen mentionnait son expérience personnelle (elle a accueilli dans sa maison un réfugié syrien), elle n’a fait que reprendre presque à l’identique le programme qui fut celui de Nicolas Sarkozy durant sa présidence (2007-2012) : a) établir un nouveau pacte européen sur la migration et l’asile ; b) créer un poste de commissaire (confié à Margaritis Schinas) dédié à la « protection des valeurs européennes » ; c) renforcer l’agence Frontex ; d) investir dans le développement des pays d’origine des migrants ; e) restreindre le droit d’asile pour améliorer l’accueil de ceux qui sont reconnus réfugiés.

Cette situation arrive au terme d’une évolution sociétale qui trouve ses racines dans la séparation nette, conceptuellement erronée, entre « réfugiés » et « migrants économiques », entre des étrangers qui « auraient droit et mériteraient » d’être accueillis et d’autres qu’il faudrait rejeter pour le bien-être des premiers. En parallèle, le malaise économique d’une partie croissante de la population européenne, qui se perçoit comme victime des engrenages de la mondialisation, fait cycliquement son apparition tout en reprenant à son compte les inquiétudes en matière de sécurité. Ce mécontentement, au lieu d’être pris au sérieux par des politiques sociales adéquates, est alimenté et instrumentalisé pour souligner les dysfonctionnements, le chaos, la détérioration des services, l’incivilité et le non-respect des codes culturels locaux. Or, les éventuelles solutions en matière d’intégration sont déplacées vers les frontières des nations européennes.

Dans le même temps, un phénomène qui se développe dans l’UE est relativement passé sous silence : si les pays d’Europe de l’Ouest peinent à recruter de la main-d’œuvre pour des centaines de milliers de postes, l’est du continent se vide de sa population active à des niveaux parfois très alarmants (Roumanie, Moldavie, Ukraine, Bosnie), mettant à mal la cohésion des familles mais aussi, de manière plus large, l’économie locale de ces pays.

 

Ces quelques observations synthétiques permettront de comprendre le bref aperçu migratoire européen que nous allons présenter en quelques lignes.

En Grèce, la situation dans le camp de réfugiés de Lesbos reste inchangée. Le nombre d’exilés qui y vivent augmente (de 5 000 en 2018 à presque 7 000 en 2019), plus de 43% d’entre eux étant des mineurs. Dans le même temps, selon l’OIM et le HCR, 70 000 migrants seraient en route depuis la Grèce vers l’Europe centrale, via la Macédoine, l’Albanie, le Monténégro, la Serbie et la Bosnie. Si ces pays enregistrent en ce moment des taux d’accueil de migrants élevés, ils assistent également au départ de beaucoup de leurs ressortissants allant travailler en Croatie et en Slovénie. Sur place, après un séjour régulier de cinq ans, qui leur ouvrira la voie de la naturalisation, ces derniers pourront poursuivre leur migration plus à l’Ouest.

Plus au Nord, la Hongrie de Viktor Orbán, malgré un discours de fermeture et de rejet des populations non chrétiennes, incite les étudiants asiatiques, latino-américains et maghrébins à rejoindre le système universitaire hongrois, par l’octroi de nombreuses bourses. La Pologne, peu encline à recevoir des demandeurs d’asile provenant de la zone méditerranéenne, vit une situation économique et migratoire paradoxale : elle fournit les pays d’Europe de l’Ouest en main-d’œuvre dans le secteur du bâtiment, mais elle est de plus en plus demandeuse d’ouvriers ukrainiens pour ce même secteur (100 000 postes à pourvoir laissés vacants par ses citoyens).

En Scandinavie, traditionnelle région d’accueil pour les réfugiés, la tendance au durcissement des conditions d’entrée et de séjour de ces derniers et au recours aux expulsions immédiates s’accentue. Au Danemark, malgré le recul du Parti du peuple (nationaliste) à l’issue du scrutin électoral européen, un certain nombre de dispositions visent à encourager le départ des réfugiés et des demandeurs d’asile. La législation en la matière se densifie et se complexifie, notamment en raison des mesures voulues par l’ancienne ministre de l’Immigration, Inger Støjberg, qui a quitté ses fonctions fin juin. Le nouveau gouvernement ne semble pas vouloir revenir sur les orientations récentes de la politique migratoire du pays. De manière analogue, en Finlande, bien que la popularité du parti des « Vrais Finlandais » soit mise à mal en raison de l’accueil en 2016 de 32 000 réfugiés, le gouvernement durcit les lois sur le regroupement familial et les possibilités de recours contre les décisions des instances statuant sur le droit d’asile. De manière analogue, la Suède multiplie depuis quatre ans les mesures qui ont pour conséquence de précariser l’installation des réfugiés, provoquant un exode lent et constant, notamment d’Afghans, vers d’autres pays de l’UE.

En Allemagne, l’opinion publique se dit convaincue que l’accueil exceptionnellement généreux d’exilés syriens et venant d’autres régions du Proche et du Moyen-Orient promu en 2015 par la chancelière Angela Merkel doit rester une exception à ne plus reproduire. Pour Sarah Wagenknecht, membre du parti de gauche « Die Linke », la décision d’Angela Merkel a été le fruit d’une « perte de contrôle » délétère pour la situation économique de la classe ouvrière allemande, exposée à un nivellement par le bas de ses salaires et de sa sécurité sociale. Même la « dauphine » de la chancelière, Annegret Kramp-Karrenbauer, ose critiquer sa décision en estimant qu’elle s’est « faite avoir » ; elle préconise pour sa part des frontières nationales moins poreuses, la réduction des prestations sociales aux réfugiés, la limitation des recours en matière de droit d’asile, l’expulsion immédiate des étrangers extracommunautaires reconnus responsables d’agressions sexuelles ou contre la police. L’Autriche, quant à elle, vient d’adopter une loi (fin septembre 2019), inspirée depuis un an par la formation d’extrême droite « le Parti de la liberté d’Autriche » (FPÖ), qui prévoit la réduction du montant des allocations familiales en fonction de l’origine des travailleurs, au détriment notamment des employées hongroises, slovaques et slovènes.

Au Sud de l’Europe, l’Italie, l’Espagne et Malte ne veulent plus accepter d’être transformées en « hot-spots » de l’Union européenne. Après le « geste » bienveillant du gouvernement espagnol présidé par le socialiste Pedro Sanchez, proposant en juin 2018 un port d’accueil pour l’Aquarius, Madrid met désormais en œuvre une politique visant à réduire de moitié les entrées clandestines depuis le Maroc, afin de répondre aux exigences émanant de ses partenaires européens.

Jusqu’en août 2019, plus que d’autres pays, l’Italie a fait la une des médias sur la question de l’accueil des navires humanitaires chargés de migrants sauvés de la noyade dans les eaux internationales. Par l’instauration d’une politique dite des « ports fermés » et par l’entrée en vigueur des « décrets sécurité » 1 et 2, la coalition « jaune-verte » rassemblant le Mouvement Cinq Étoiles et la Ligue a fait tout son possible pour attirer l’attention des autres membres de l’Union européenne, critiqués pour laisser le pays seul en première ligne face aux flux migratoires irréguliers. Ce faisant, le parti de Matteo Salvini a vu son score électoral plus que doubler en une année, passant de 17% (avril 2018) à 38% (mai 2019). Le gouvernement italien a également durci les règles de l’asile tout en suspendant le financement du réseau SPRAR (Système de protection des demandeurs d’asile et des réfugiés) en vigueur depuis 2002, réseau qui se base sur la coopération entre institutions, communautés locales et organismes de la société civile en vue de l’accueil et de l’intégration des migrants forcés.

À la mi-août 2019, alors que l’ancien ministre de l’Intérieur italien opposait un énième refus de débarquement au navire de l’ONG Open Arms au large de Lampedusa, les divergences en matière de politique migratoire entre Matteo Salvini et Giuseppe Conte, président du Conseil, ont mis à mal le gouvernement, qui s’est dissout en quelques jours. La nouvelle coalition « jaune-rouge », au sein de laquelle le Parti démocrate remplace la Ligue, peut compter sur de meilleures relations avec les gouvernements des principaux pays européens de l’Ouest (France, Allemagne et Espagne), ainsi qu’avec Ursula von der Leyen, dont elle a soutenu la candidature au poste de commissaire de l’UE. La nouvelle ministre de l’Intérieur italienne, Luciana Lamorgese, s’est félicitée, fin septembre, que sa proposition d’un système de répartition des migrants entre les États membres de l’Union européenne selon des pourcentages déterminés sur une base volontaire ait reçu un accueil favorable auprès de certains pays, tels que Malte, la France, l’Allemagne et l’Espagne.

France

Malgré un fort activisme exhibé par le gouvernement français en matière d’immigration, les objectifs affichés pour 2018 et 2019 (diminution des demandes d’asile, augmentation des expulsions, accélération du traitement des dossiers, etc.) semblent loin d’être atteints. En dépit d’un intitulé ambitieux : « Pour un droit d’asile effectif, une immigration maîtrisée et une intégration réussie », à l’épreuve des faits la loi du 10 septembre 2018, dite « loi Collomb » — la 28ème en 28 ans en matière d’immigration et d’asile, censée désengorger les instances chargées de traiter les dossiers de demande d’asile, augmenter le nombre d’expulsions et rendre le pays moins attractif pour les migrants clandestins ou peu qualifiés — ne parvient pas à tenir ses promesses. Si partout en Europe les demandes d’asile diminuent, la France voit quant à elle augmenter leur nombre de façon relativement importante : selon l’OFPRA, en 2018, 122 743 dossiers ont été déposés (les Afghans, les Géorgiens, les Guinéens et les Ivoiriens étant les demandeurs les plus nombreux), soit une hausse de près de 22 % par rapport à 2017. Les réformes visant à accélérer les procédures de traitement des demandes d’asile peinent quant à elles à être digérées par les administrations intéressées, qu’il s’agisse des entretiens vidéo ou des rythmes de travail impartis aux fonctionnaires. De son côté, le dispositif de « retour volontaire » (critiqué par la plupart des associations pour son caractère, au contraire, assez « coercitif »), censé cibler surtout des populations extra-européennes, a plutôt profité aux ressortissants des pays balkaniques non membres de l’UE (75% des quelques 10 700 « retours volontaires » réalisés en 2018). De même, les mesures prises au sujet des principaux points de passage des migrants et d’installation de leurs camps (évacuations, expulsions, etc.) n’ont eu aucun effet notable : dans le Calaisis, comme à la frontière avec l’Espagne ou l’Italie ou dans les quartiers au nord de Paris (2 200 personnes environ recensées dans la capitale), les problématiques demeurent les mêmes que celles des années, voire des décennies précédentes.

D’autres décisions prises au cours de ces derniers mois paraissent tout aussi difficiles à mettre en œuvre, en raison d’un décalage avec la réalité. La plupart des universités s’opposent, en effet, à l’entrée en vigueur de la hausse des cotisations pour les étudiants extracommunautaires, tant pour des raisons d’équité que pour maintenir l’objectif d’attirer en France les individus les plus brillants. Parallèlement, les projets de loi souhaitant s’attaquer à l’Aide médicale d’État pour les étrangers en situation irrégulière ou essayant d’endiguer le phénomène de l’« immigration pour raisons de santé », risquent eux aussi de conduire le gouvernement sur une pente très glissante.

À ce cadre aux avancées plutôt mitigées de la politique migratoire française de ces derniers mois s’ajoutent les résultats peu concluants du « Grand débat » concernant l’immigration ou l’intégration. Comme le sondage en ligne réalisé en 2010 sur l’identité nationale française, qui n’avait entraîné aucun progrès en la matière, parmi les 116 509 réponses publiées sur les pages web du Grand Débat 2018-2019, les 2 493 relatives à l’immigration ne vont presque jamais au-delà d’une série de propos télégraphiques banals et contradictoires.

En dépit de cela, les discussions actuelles dont l’immigration fait l’objet ces dernières semaines dans les deux hémicycles parlementaires semblent prendre appui sur les tendances (pourtant très disparates) qui émergeraient du sondage susmentionné. Au vu des expériences passées, on peut penser que les débats tourneront autour de l’opportunité d’instaurer un système de quotas, qu’il s’agisse de la migration économique ou forcée. Jusqu’à présent, dans tous les pays qui ont adopté cette solution, sa mise en place n’a servi qu’à masquer aux yeux de l’opinion publique la réalité d’une augmentation effective du nombre de sans-papiers.

 


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