Quelque 400 migrants sur un bateau au large de l’île de Lampedusa, en Italie, le 28 août 2021 - © EPA-EFE - Concetta Rizzo
Panorama des migrations internationales en 2021
Bref aperçu statistique
Il est encore trop tôt pour évaluer statistiquement l’impact de la pandémie de Covid-19 sur les migrations internationales. Les données, notamment celles relatives aux déplacements de populations, sont encore peu actualisées, en dépit des dates très récentes de parution des fichiers sur les sites institutionnels.
Transferts de fonds
Au printemps 2020, la Banque Mondiale, seule grande organisation internationale à s’être déclarée particulièrement inquiète quant au sort des migrants avait prédit une chute spectaculaire, à hauteur de presque 20%, des transferts de fonds des expatriés provenant des pays à faible et moyen revenu1 Cf. https://www.worldbank.org/en/news/press-release/2020/04/22/world-bank-predicts-sharpest-decline-of-remittances-in-recent-history.. Or, ces prévisions se sont révélées erronées, la baisse – la première depuis vingt ans ayant été d’à peine 1,6% par rapport au montant enregistré en 2019 (539 milliards de dollars contre 548). Cela ne fait que confirmer le caractère dit « contracyclique » des transferts de fonds des diasporas immigrées, celles-ci compensant par plus de sacrifices financiers le manque de ressources généré par les crises économiques.
Nous entamons ainsi ce bref regard statistique annuel sur les migrations par des considérations tirées des tableaux de la Banque Mondiale, car ces derniers sont à la fois les plus à jour et les plus aptes à restituer les enjeux économiques de la mobilité humaine.
D’un point de vue global, les flux d’argent attribués aux envois monétaires effectués par l’ensemble des immigrés (y compris ceux originaires de pays à haut revenu) ont subi en un an une diminution de 2,4%, s’élevant fin 2020 à 701 milliards de dollars. Cette baisse semble due en particulier aux transferts en direction de la Chine (– 8,9 milliards) et du Nigeria ( 6,6 milliards).
Les principaux pays bénéficiaires de cette manne financière ont été ceux du sous-continent indien (Inde, Pakistan et Bangladesh), suivis par la Chine, le Mexique, les Philippines, l’Égypte, l’Allemagne et la France. Mais les chiffres absolus ne montrent pas la part que représentent les transferts de fonds des migrants dans le PIB de certains pays, où, dans plus de 35 cas, ils représentent entre 10% et 37% de la richesse produite annuellement. Il s’agit notamment de pays très pauvres comme la Somalie, le Soudan du Sud et les républiques de l’Asie centrale (Kirghizistan, Tadjikistan, Ouzbékistan), ou encore du Liban, de plusieurs pays d’Amérique centrale (El Salvador, Honduras, Haïti, Jamaïque, Nicaragua, Guatemala, République dominicaine), d’Europe de l’Est (Kosovo, Moldavie, Géorgie, Monténégro, Arménie, Ukraine, Albanie) et d’Afrique de l’Ouest (Gambie, Cap-Vert, Libéria, Sénégal).
Migrations des personnes
Les chiffres de 2019 et 2020 sur la migration internationale publiés par l’ONU doivent être pris avec précaution en raison de sources hétérogènes qui ne permettent pas toujours d’avancer des affirmations catégoriques. Tout en tenant compte de cette réserve, nous essaierons de relever les tendances les plus significatives qui se dégagent des tableaux les plus récents.
Si l’on considère les modèles mathématiques, à la fin de l’année 2021 quelque 286,5 millions de personnes en situation régulière au regard du séjour vivraient depuis plus d’un an dans un pays étranger. Elles étaient 280,6 millions en décembre 2020 et constituaient 3,6% de l’ensemble de la population mondiale.
Si beaucoup, aujourd’hui encore, parlent de « féminisation de la migration », – expression critiquée par les chercheurs car les femmes ont toujours migré, et même massivement , en réalité, depuis 2008 les données officielles attestent d’une légère mais constante « masculinisation » des flux migratoires, le pourcentage de femmes immigrées dans le monde passant de 49,4% en 1995 (maximum) à 48,1% en 2020 (minimum), ce qui correspond à une différence par sexe de 10,8 millions de personnes. Le phénomène est particulièrement marqué au niveau de l’émigration depuis l’Asie du Sud-Est et semble déterminé par les évolutions du marché mondial du travail.
En un an (2019-2020), les grandes aires géographiques d’origine et de destination des flux migratoires sont restées les mêmes, enregistrant toutefois par endroits des variations parfois sensibles. Les aires géographiques qui comptent le plus grand nombre de départs demeurent le sous-continent indien (15,7% du total, soit plus que l’ensemble de l’Afrique) et l’Europe de l’Est (14,9%), d’où proviennent certaines des communautés immigrées parmi les plus nombreuses (Inde : 17,9 millions ; Bangladesh : 7,4 millions ; Pakistan : 6,3 millions ; Russie : 10,1 millions ; Ukraine : 6,1 millions ; Pologne : 4,8 millions). En revanche, les régions du monde qui accueillent la grande majorité des expatriés (61,4%) sont, dans l’ordre, l’Europe occidentale (64,9 millions), l’Amérique du Nord (sans le Mexique : 58,7 millions) et le Proche/Moyen-Orient (48,7 millions, surtout dans le Golfe arabo-persique). Les États-Unis restent en tête du classement par nombre d’habitants étrangers (plus de 50 millions), suivis par l’Allemagne, l’Arabie Saoudite, la Russie, le Royaume-Uni, les Émirats arabes unis, la France, le Canada, l’Australie et l’Espagne.
Dans ce panorama statistique à l’apparence figé, des variations importantes par rapport à 2019 sont à noter. L’Amérique latine a vu progresser de plus de 18% les flux de départ, suite notamment à l’exode des Vénézuéliens (enfin pris en compte par les tableaux de l’ONU), tandis que l’Afrique australe connaît une baisse majeure des expatriations (- 13,1%), due sans doute aux crises économique et sanitaire qui ont frappé la région. Sur le front de l’immigration, en revanche, l’Asie de l’Est (Chine, Mongolie, Corée du Sud et Japon : +10,7%), l’Afrique du Nord (+7,1%) et l’Europe occidentale (+6,3%) ont connu une augmentation assez prononcée des arrivées de migrants réguliers, ces derniers se déplaçant souvent à l’intérieur de ces mêmes régions2 Par exemple, 40% des immigrés dans l’UE sont des ressortissants de pays membres..
Au niveau des flux annuels de population selon l’origine nationale, en 2020 nous avons assisté à l’émigration massive de Vénézuéliens, d’Afghans, de Philippins et de Vietnamiens (plus de 500 000 par groupe), tandis que les Mexicains, les Portugais et les Bangladais ont été les plus nombreux à rentrer, suivis par les Mozambicains, les Zimbabwéens et les Chinois.
Migrations forcées
Le Haut Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (HCR) publie tous les six mois les dernières statistiques sur les migrants forcés, une catégorie très hétérogène qui inclut les réfugiés tels que définis par plusieurs conventions internationales (dont la convention de Genève de 1951), les demandeurs d’asile, les exilés palestiniens, les populations déplacées au sein de leur propre pays, les expatriés vénézuéliens dont le statut juridique est encore indéterminé, les apatrides et plusieurs autres cas qui ne correspondent à aucune des catégories susmentionnées. N’oublions pas que chaque année dans le monde les camps de réfugiés voient grossir leurs effectifs et que certains existent depuis plus d’un demi-siècle, le rythme des réinstallations dans des pays sûrs (34 000 par an en moyenne) étant nettement inférieur au taux d’augmentation du stock de ces populations (250 000 en 2020). Cette situation a engendré des générations d’enfants qui naissent dans ces camps et qui héritent du statut et de la condition de réfugiés. Leur nombre croît chaque année de plus de 300 000, et cette tendance est à la hausse.
En juin 2021, les migrants forcés comptabilisés par le HCR étaient au nombre de 89,7 millions, soit 7,7 millions de plus que l’année précédente, hausse qui s’explique par la progression des déplacés internes (+12%, soit 48,5 millions) et des personnes incluses dans la catégorie « autres » (+35%, soit 8,3 millions), fait qui témoigne de l’explosion récente des typologies de la migration forcée. Les réfugiés proprement dits étaient 20,6 millions, avec une augmentation devenue plus nette depuis 2020 (+ 235 000 contre + 55 000 en 2019). Seul le nombre de demandeurs d’asile avait légèrement diminué (–1%), pour s’établir à 4,1 millions. Les variations rapportées par les statistiques sont en partie conditionnées par la répartition des presque 6 millions de Vénézuéliens ayant quitté massivement leur pays depuis 2017. Si 3,8 millions d’entre eux figurent dans la catégorie ad hoc réservée aux ressortissants de cette nationalité ayant fui le pays après l’effondrement de l’économie vénézuélienne, les autres restants sont comptés respectivement : 850 000 en tant que demandeurs d’asile, 171 000 en tant que réfugiés et 1,1 millions en tant qu’« autres » exilés du ressort du HCR.
Panorama migratoire par aires géographiques
Après une année 2020 caractérisée par une circulation des personnes entre les États entravée par les restrictions faisant suite à la crise sanitaire, tous les observateurs s’accordent sur le fait qu’en 2021 la migration internationale s’est intensifiée, de nombreux rapports soulignant que toutes les conditions étaient réunies pour que des exodes y compris massifs se produisent depuis certaines aires géographiques de la planète.
Si sur le plan migratoire l’attention politique mondiale est à présent focalisée sur les répercussions du retour au pouvoir des talibans en Afghanistan, d’autres crises économiques, humanitaires et politiques poussent déjà des milliers de personnes à quitter leurs foyers.
Bien que la pandémie liée au virus de la Covid-19 soit loin d’être éradiquée, les économies des pays aux PIB les plus élevés montrent des signes évidents de reprise, requérant de la main-d’œuvre souvent « indisponible »4 Cette indisponibilité n’est pas la conséquence de la pénurie de travailleurs autochtones, mais d’un manque d’intérêt de ces derniers pour certains métiers peu attrayants. sur place. L’Europe occidentale, l’Amérique du Nord, le Golfe arabo-persique cherchent désormais à recruter du personnel notamment dans les secteurs du BTP, de l’agriculture, de la restauration, de la manufacture, de la livraison et de l’assistance aux personnes.
Plus la migration est perçue comme « massive » par les pays d’accueil, plus ces derniers, craignant de ne pouvoir maîtriser les flux de migrants, adoptent des politiques de fermeture. Cela entraîne inévitablement l’émergence de nouvelles routes migratoires alternatives aux voies d’entrée légales sur les territoires de destination, ce qui par conséquent majore les dangers et les prix des trajets, exposant les exilés à des situations de détresse, de vulnérabilité et à des périls mortels. Afin de réduire le coût humain des migrations, depuis quelques années les organisations onusiennes et internationales ont timidement inclus la question migratoire parmi les « objectifs généraux de développement durable » (Sustainable Development Goals, SDG) censés être atteints dans un proche avenir.
Parmi les 17 objectifs inscrits à l’Agenda 2030 de l’ONU, approuvés en 2015 par ses États membres5 Il s’agit d’une approbation de principe, chaque article détaillé de l’Agenda devant être soumis à la ratification de chaque État., figure la recommandation de « faciliter la migration et la mobilité de façon ordonnée, sans danger, régulière et responsable, notamment par la mise en œuvre de politiques de migration planifiées et bien gérées ». Cette exhortation constitue l’une des sept « cibles » de l’objectif 10 portant l’intitulé « Réduire les inégalités dans les pays et d’un pays à l’autre ». Une commission d’experts internationaux, qui s’est réunie de 2015 à 20186 Cf. PÉCOUD, Antoine, « Une nouvelle « gouvernance » des migrations ? Ce que disent les organisations internationales », Mouvements, 2018/1 (n° 93), p. 41-50., a ainsi formulé des critères d’évaluation des avancements des États vers les objectifs à atteindre. Ce travail a permis d’identifier deux « indicateurs » chiffrables (dénommés 10.7.1 et 10.7.2) : l’un mesure, sur la base du salaire des migrants, combien ces derniers sont contraints de dépenser pour décrocher un contrat de travail, tandis que l’autre comptabilise les pays parvenus à « mettre en œuvre des politiques migratoires planifiées et bien gérées ». L’indicateur 10.7.2 représente donc une sorte de « note » attribuée à la politique migratoire de chaque pays, calculée, entre autres, sur la base des conditions requises suivantes : l’existence parmi les institutions nationales d’une structure dédiée spécialement à l’immigration (comme l’OFII en France), l’accès effectif des immigrés aux droits sociaux, la présence d’une coordination interministérielle sur les questions migratoires, l’élaboration d’une stratégie d’intégration des étrangers et, surtout, la mise en place d’un filtrage « efficace » des flux migratoires. À titre d’exemple, au vu de ces critères l’Allemagne fait figure de bon élève, sauf en ce qui a trait à sa « gestion des crises migratoires » (car elle accueillerait trop généreusement de réfugiés !), tandis que la France, elle aussi bien notée, se voit seulement reprocher de planifier ses politiques sans trop consulter la « société civile ». Comme nous pouvons le constater, plus que proposer des orientations politiques, cet indicateur ne fait que cautionner la politique migratoire actuellement menée par les pays du premier monde. La lecture des rapports, publiés conjointement par l’ONU, l’OIM et l’OCDE, sur la progression des États vers les valeurs indiquées par la cible 10.7.2 donne le sentiment que pour nombre de pays l’objectif en question serait à présent pratiquement atteint.
Cela ne semble toutefois pas aller de pair avec la réalité et les problématiques qui émergeront du panorama migratoire mondial présenté ci-dessous. Nous parcourrons rapidement l’ensemble des continents, pour terminer par la France.
Asie
En 2021, le continent asiatique, toujours très dynamique sur le plan migratoire en dépit de la crise sanitaire, a connu une recrudescence assez marquée des nationalismes, ceux-ci inscrivant parfois les appartenances ethnique et religieuse dans leur définition de l’identité nationale.
En Extrême-Orient, au Japon, la société ne semble jusqu’à présent pas prête (psychologiquement) à accepter le constat de la présence durable de plusieurs centaines de milliers de travailleurs immigrés et de leurs familles sur son territoire. Tout en se concevant encore comme un pays mono-culturel et mono-ethnique étanche aux contacts avec le monde extérieur, l’archipel japonais compte pourtant de plus en plus d’étrangers, venus notamment de Chine, de Corée du Sud, du Vietnam, du Brésil et du Pérou. D’après l’OCDE, depuis 2011 le stock d’immigrés apparaît ici en progression constante (par comparaison, les entrées annuelles représentent plus du double de celles de la France). Toutefois, la faible propension du Japon à intégrer les nouveaux arrivants est perceptible, comme le montrent les exemples suivants. Comme partout ailleurs, dans le marché du travail japonais la main-d’œuvre étrangère joue le rôle de variable d’ajustement, et lors des crises économiques, comme en 2020 et au début de 2021, les travailleurs allochtones sont les premirs à subir des vagues de licenciements massifs. La situation de l’importante minorité des plus de 220 000 Nikkeijin, ressortissants latino-américains descendants de Japonais s’étant exilés dans le Nouveau Monde au début du XXe siècle, est encore plus révélatrice. Plusieurs enquêtes révèlent ainsi qu’en dépit de leur phénotype proche de celui des nationaux, ils vivent plutôt la marge des principales villes industrielles et se sentent encore exclus, traités comme une « population de passage ». Par ailleurs, en mars dernier, les autorités japonaises se sont rendues responsables d’une bavure à l’encontre d’une immigrée sri-lankaise, Wishma Sandamali, professeure d’anglais au chômage victime de violences conjugales. Placée dans le centre de détention de Nagoya en vue d’être expulsée, elle est décédée suite à des problèmes gastriques, sans que le personnel de la prison intervienne en dépit de ses cris.
Plus à l’Ouest, en Chine, lorsqu’on parle de « travailleurs migrants » (míngông) on se réfère communément aux ouvriers issus des campagnes (détenteurs d’un passeport interne – hukou – rural) allant travailler dans les grandes villes. En raison de la crise sanitaire, leur nombre a diminué de 5,2 millions, passant de 290,8 millions en 2019 à 285,6 millions en 2020. En ce qui concerne, en revanche, les étrangers, le gouvernement chinois continue de se montrer très méfiant, voire hostile, vis-à-vis de toute population pouvant être classée comme « non-Han », bien que les statistiques officielles fassent état d’à peine 0,8 million d’immigrés sur une population totale de 1,4 milliard d’habitants. Dans cette optique, la politique ethnique d’encadrement forcé des Ouïghours se poursuit au Xinjiang, documentée par les témoignages accablants qui paraissent régulièrement dans les médias du monde entier. Ces derniers décrivent les « centres de rééducation » où les membres de la minorité ouïghoure sont enfermés comme de véritables camps de concentration, les murs affichant un règlement intérieur très rigide : « Il est interdit de parler ouïgour ; il est interdit de prier ; il est interdit d’entamer une grève de la faim… ». Parallèlement, la répression anti-immigrés a également pris pour cible les « Africains noirs », très peu nombreux (bien qu’officieusement estimés à environ 500 0007 Cf. BODOMO, Adams, Historical and Contemporary Perspectives on Inequalities and Well-Being of Africans in China, « Asian Ethnicity », vol. 21, n° 4, 2020, pp. 526-541.), mais devenus plus visibles en raison des liens commerciaux plus étroits entre l’Empire du Milieu et le continent africain. La pandémie de Covid-19 est désormais devenue un prétexte pour fermer les frontières aux ressortissants d’Afrique et, surtout, pour ne pas prolonger les permis de séjour des commerçants d’Afrique de l’Ouest, particulièrement concentrés dans la ville de Canton. À côté des « Noirs », les Birmans représentent une autre menace migratoire pour les autorités chinoises. Qu’il s’agisse d’éviter la propagation du virus de la Covid-19, de prévenir d’éventuels afflux de réfugiés ou de faire obstacle aux trafiquants de drogue, depuis septembre 2020, sans trop donner d’explications, la Chine a érigé un mur de 659 kilomètres le long de la frontière avec le Myanmar. Cette construction vise sans doute à renforcer le contrôle d’une frontière considérée comme aisément franchissable, tant dans le sens des entrées que des sorties.
Dans une « autre Chine », à Hong-Kong, suite à la loi de sécurité nationale adoptée fin juin 2020 par l’exécutif local et limitant sensiblement la liberté d’opinion, parmi les 5,4 millions de citoyens détenteurs d’un « visa BNO » (British National Overseas) – pouvant ouvrir les portes du Royaume-Uni pour y réclamer, au bout de cinq ans, une naturalisation beaucoup envisagent de s’expatrier à Londres. Ainsi, on estime que l’exode hongkongais vers les îles britanniques pourrait se poursuivre au rythme de 100 000 personnes par an.
D’un point de vue migratoire, les Philippines ont été l’un des pays où les conséquences de la crise sanitaire mondiale ont été les plus sensibles. En 2020, l’archipel a connu un flux inédit de rapatriements (plus de 790 000), supérieur pour la première fois depuis des décennies au nombre de nouveaux départs (550 000, contre 2,2 millions en 2019). Ces retours, ajoutés aux multiples confinements décrétés, ont fait doubler le taux de chômage, qui est passé de 5,1% à 10,3%.
Si la pandémie a provoqué le retour au pays de migrants, d’autres se sont retrouvés coincés et confinés, comme à Taïwan. L’île compte plus de 711 000 travailleurs migrants, pour la plupart originaires des Philippines, d’Indonésie, du Vietnam et de Thaïlande. Ils représentent 8 % de la main-d’œuvre, dont plus de 60 % sont employés dans le secteur industriel, spécialement dans la fabrication de micropuces électroniques. Plusieurs reportages8 Voir à titre d’exemple l’article de Ying-Yu Alicia Chen, daté du 30 juillet 2021, Dans les usines de Taïwan, les ouvriers migrants discriminés par les mesures contre une nouvelle flambée de contaminations au coronavirus, à la page web https://www.equaltimes.org/dans-les-usines-de-taiwan-les#.YSeUyLjz6So. font état de leurs conditions de travail particulièrement pénibles, leur existence se réduisant à des allers-retours entre l’usine de production à la chaîne et le dortoir.
Plus à l’Ouest, en Malaisie, suite au coup d’État survenu en Birmanie, le gouvernement a décidé, fin février, de refouler un millier de Birmans en invitant le gouvernement birman à envoyer ses navires militaires pour venir les chercher. Plusieurs ONG et l’organisation Amnesty International ont constaté par la suite que parmi les rapatriés se trouvaient des immigrés en situation irrégulière, mais aussi des réfugiés enregistrés par le HCR ainsi que des membres issus de « minorités vulnérables » du Myanmar. Accusé de violer la législation internationale, le gouvernement malais s’est empressé de déclarer qu’aucun Rohingya n’avait été remis aux autorités birmanes.
Entretemps, au Bangladesh, sur l’îlot submersible de Bhasan Char à côté de Cox’s Bazar, loin des projecteurs des médias, la situation des 600 000 Rohingya amassés dans le plus grand camp de réfugiés au monde empire. Incendies, inondations, propagation du variant Delta du coronavirus et pénurie de biens essentiels rendent très difficile la vie de ses habitants. Les organisations humanitaires actives sur place font état de leur impuissance face à un chantier trop vaste, et le fait qu’elles ne parviennent pas à prêter secours à tout le monde génère des tensions entre les groupes plus ou moins « chanceux ». Beaucoup de ces réfugiés tentent de s’évader du camp pour aller rejoindre les rangs des boat people, un phénomène paradoxalement accentué par la crise sanitaire. Dans un rapport publié à la mi-août9 UNHCR, Left Adrift at Sea: Dangerous Journeys of Refugees Across the Bay of Bengal and Andaman Sea, Bangkok, 2021, 32 p., le HCR dresse un portrait très sombre du sort de ces embarcations de fortune : entre janvier 2020 et juin 2021, plus de 3 000 voyages entre le Golfe du Bengale et la Mer des Andamannes auraient échoué, se soldant par un bilan de 218 morts et 385 disparus. Plus des deux tiers des rescapés étaient des femmes et des enfants.
L’Inde, quant à elle, est encore aux prises avec les dégâts causés par la crise sanitaire. L’économie de ce géant démographique comptant plus d’un milliard d’habitants est basée sur une mobilité géographique interne trois fois supérieure à celle de la Chine et sur les transferts de fonds d’une diaspora de plus de 17 millions d’émigrés. Les confinements répétés et les entraves au passage des frontières internationales ont mis ce système à rude épreuve. Parallèlement, l’immigration dans l’est du pays, autour des États de l’Assam à majorité hindoue et du Mizoram à majorité chrétienne, continue d’être perçue comme source de tensions. D’une part, les deux derniers chefs de gouvernement qui se sont succédés à la tête de l’Assam, issus du Parti populaire indien (le Bharatiya Janata Party, qui prône un nationalisme hindouiste), ont pris pour cible la minorité musulmane autochtone ainsi que les immigrés bangladais de même religion, en instituant la déchéance de nationalité pour les premiers et le refus de toute régularisation pour les seconds. D’autre part, au Mizoram, l’afflux en février de quelque 3 000 Birmans chrétiens fuyant la répression au Myanmar, a suscité la réaction du ministre indien de l’Intérieur, qui a enjoint tous les États limitrophes de la Birmanie à renvoyer immédiatement « tous ces migrants illégaux ». Le gouverneur du Mizoram s’est, toutefois, opposé à une telle mesure, en protestant que « l’Inde ne peut pas fermer les yeux sur cette crise humanitaire qui se déroule sous nos yeux, dans notre propre arrière-cour » et, jusqu’à présent, il a refusé d’obtempérer aux ordres venus de New Delhi.
Plus au Nord, la Russie, confrontée à une pénurie exceptionnelle de main-d’œuvre dans le secteur du BTP, a donné son feu vert, fin avril 2021, pour le recrutement de travailleurs migrants provenant du Tadjikistan. Après la réouverture des frontières entre les deux pays (la fermeture avait été décrétée suite à l’explosion du coronavirus), 300 000 Tadjiks ont alors repris le chemin de la migration, des hommes pour la plupart. Comme nous l’avons mentionné dans l’aperçu statistique, pour l’économie tadjike cet apport financier venant de l’étranger est fondamental.
En Afghanistan, depuis le retrait des troupes américaines la situation politique dans le pays s’est rapidement dégradée, les talibans revenant au pouvoir. L’exode de réfugiés afghans depuis le mois d’août n’est pas une nouveauté, puisque de nombreux groupes d’exilés se trouvent depuis des années dans les pays limitrophes (au moins 1,4 million au Pakistan et 800 000 en Iran). Fin 2020, l’UE accueillait déjà, quant à elle, 540 000 Afghans, la moitié résidant en Allemagne (35 500 en France). Comme pour n’importe quelle autre migration forcée, l’évolution des flux migratoires depuis l’Afghanistan dépendra des ressources financières et du niveau socioculturel des individus concernés, le franchissement clandestin des frontières internationales et le séjour dans les régions de transit ayant un coût très élevé.
L’une des frontières les plus dangereuses pour les réfugiés afghans est, par ailleurs, celle avec l’Iran. La République islamique iranienne a en effet l’intention d’adopter un « plan pour gérer les immigrés illégaux », présenté fin novembre 2020, qui, en criminalisant l’entrée irrégulière sur le territoire national, vise spécialement les exilés de son voisin afghan. La nouvelle loi, si elle est validée, permettrait aux gardes-frontières de tirer sur les migrants irréguliers, sanctionnerait par une lourde amende (2 000 euros environ) les personnes interceptées et poursuivrait ceux qui leur viendraient en aide. Parallèlement, le régime de Téhéran ne cesse de renvoyer chaque année au-delà de ses confins orientaux des centaines de milliers de réfugiés ou de simples travailleurs étrangers. La crise sanitaire a montré le traitement réservé aux immigrés par les autorités iraniennes, privés de toute aide en dépit d’un chômage qui les a davantage frappés que les autochtones. Le gouvernement a par ailleurs décidé de s’attaquer plus fermement aux activités des contrebandiers kurdes, dits « Kolbars », qui survivent grâce au commerce frontalier entre la Turquie et l’Azerbaïdjan.
Au-delà de la frontière orientale iranienne, l’Irak, où cohabitent déplacés internes, réfugiés, travailleurs immigrés en proportions importantes, est pour sa part considéré par nombre de pays occidentaux comme une plaque tournante du trafic d’êtres humains, qu’il s’agisse de migrants, de femmes réduites à la prostitution ou d’enfants employés par les groupes armés du Kurdistan irakien10 Cf. l’un des rapports sur l’Irak du Département d’État américain à la page https://www.state.gov/reports/2021-trafficking-in-persons-report/iraq.. Durant l’été 2021, l’Irak a fait l’objet de pressions de la part de l’UE, via le corps diplomatique lituanien, pour suspendre les vols de touristes et les voyages organisés par les passeurs en direction de la Biélorussie.
En Syrie, la guerre civile entame sa dixième année et le territoire reste fractionné en de nombreuses portions et enclaves contrôlées par le gouvernement de Damas (soutenu par la Russie, l’Iran et le Hezbollah libanais), les milices kurdes (épaulées par les USA), plusieurs groupes de rebelles djihadistes et les armées turque, irakienne et israélienne. Les plus de 13 millions de Syriens et le demi-million de réfugiés palestiniens restés dans le pays sont pour la plupart des déplacés internes confrontés à une crise humanitaire qui frôle la famine. Au Nord-Ouest, les conditions dans les camps autour de la ville d’Idlib demeurent particulièrement dramatiques, 4 millions de personnes dépendant du seul « couloir humanitaire » onusien encore ouvert, celui de Bab al Hawa à la frontière avec la Turquie. Malgré les réticences de Damas, de la Russie et de la Chine, le 9 juillet 2021, l’ONU a pu prolonger de six mois son mandat dédié à l’assistance des déplacés. Parallèlement, la presse internationale s’est beaucoup intéressée à un autre camp situé dans les régions du Nord-Est, au sein de la zone occupée par les forces kurdes. Il s’agit de celui d’Al-Hol, qui rassemble environ 70 000 personnes, essentiellement des réfugiés irakiens (48%), des déplacés syriens (38%) et nombre de femmes et d’enfants étrangers, maintenus en détention car liés aux combattants de l’État islamique11 Cf. VIANNA DE AZEVEDO, Christian, ISIS Resurgence in Al Hawl Camp and Human Smuggling Enterprises in Syria: Crime and Terror Convergence?, « Perspectives on Terrorism », Vol. 14, n° 4, August 2020, pp. 43-63.. Depuis l’année dernière, ce camp a été le théâtre de violentes tensions, à l’origine de près de 120 meurtres.
Passage terrestre majeur entre le Proche-Orient et l’Europe, la Turquie, aidée financièrement par l’UE, abrite un nombre important d’exilés syriens. Les enfants de ces derniers intègrent de plus en plus massivement les classes des écoles turques, premier signe d’une installation à long terme. Depuis le changement politique survenu dans leur pays, des Afghans commencent à affluer dans les provinces orientales de la Turquie, autour de la ville de Van, rejoignant ainsi leurs compatriotes déjà présents dans le panorama migratoire local. Leurs témoignages font état d’une volonté de travailler quelques années sur place, à Ankara ou à Istanbul, dans des entreprises de BTP, qui en ce moment ne demandent qu’à les recruter.
Si la Turquie est la porte qui conduit vers l’Europe, la Péninsule arabique constitue le point d’entrée de l’Afrique vers l’Asie. Au Yémen, toujours déchiré par un conflit qui a généré 3,6 millions de déplacés internes, le flux de migrants éthiopiens, venus du Tigré et (après avoir pris la mer au port somalien de Bossasso) débarqués sur l’autre rive du Golfe d’Aden, s’est considérablement estompé en période de pandémie. Mais pour ceux qui se trouvent maintenant pris au piège dans le désert et dans les contrées yéménites, leur vie se résume à la misère, aux dangers et à la mort. Les cimetières de milliers de ces exilés, enterrés par leurs passeurs, se multiplient, tandis que les autorités locales, dont l’emprise sur le territoire est très affaiblie, essaient de maintenir les migrants à l’écart des autochtones de peur de propager le virus. Les mieux lotis travaillent en tant que bergers dans des fermes, tout en devant souvent s’acquitter de rançons exigées par les rebelles houthis.
Enfin, dans beaucoup de pays du Proche-Orient (Liban, Israël, Jordanie, Émirats Arabes Unis, Bahreïn, Koweït), les domestiques d’origine immigrée ont subi de plein fouet les conséquences de la crise sanitaire, confrontées à des licenciements, des baisses de salaires et à une détérioration générale de leurs conditions de vie.
Afrique
Pour la première fois de son histoire, l’OIM a publié, fin novembre 2020, un « Rapport sur la migration en Afrique » sous-titré « Remettre en question le récit »12 Cf. OIM, Rapport sur la migration en Afrique : Remettre en question le récit, Addis-Abeba, 2020, 238 p., traduction non officielle de l’original en anglais « Africa Migration Report - Challenging the narrative ».. Dans le premier chapitre de cet ouvrage, les rédacteurs se demandent « Qu’est-ce qui ne va pas avec le récit sur la migration en Afrique ? », en avançant plusieurs considérations que les observateurs et les chercheurs soulignent depuis longtemps. Après une analyse approfondie des mouvements migratoires africains, l’image qui en ressort est, en effet, aux antipodes des idées reçues, lesquelles voudraient, en particulier en Europe, que la plupart des migrants intercontinentaux viennent d’Afrique. Parmi les chiffres les plus représentatifs, figurent d’abord ceux concernant le stock des émigrés africains, qui ne représenteraient que 14% de la mobilité humaine internationale, et ensuite ceux relatifs à leur statut juridique, qui montre que 94% d’entre eux traversent les frontières nationales de façon régulière. Ces données doivent toutefois être prises avec précaution, compte tenu des énormes défis auxquels est confronté le travail statistique dans ce continent.
En 2020 et 2021, la fermeture généralisée des frontières entre les États africains décrétée à plusieurs reprises a considérablement affecté les migrations internationales et la vie des immigrés. Le déficit en structures hospitalières dont souffre le continent a incité plus qu’ailleurs les gouvernements à bloquer les entrées d’étrangers sur leurs territoires nationaux. Ces tendances apparaîtront plus clairement dans le survol par pays que nous présenterons ci-dessous en partant de l’Afrique australe pour terminer par le Maghreb.
En Afrique du Sud, la pandémie a été l’une des raisons principales de la diminution statistique, sans doute ponctuelle, de l’immigration. Frappé par des variants très contagieux du virus et confronté pendant longtemps à une pénurie de doses de vaccin, le pays a décidé de s’attaquer plus fortement à l’immigration irrégulière. Dans les villes les plus touchées par la criminalité, les épisodes de xénophobie sont devenus monnaie courante, encourageant de nombreux immigrés économiques et demandeurs d’asile à manifester leur malaise. Préoccupé par une recrudescence de l’immigration clandestine, fin 2020, le Parlement a adopté une loi visant à mieux contrôler les frontières nationales, en réorganisant les instances chargées de leur application et en leur donnant plus de pouvoirs. Parmi les groupes d’immigrés les plus inquiets pour leur avenir figurent les quelque 180 000 Zimbabwéens détenteurs depuis 2018 d’un permis de séjour spécial pour affaires, études et compétences particulières. Ce document, qui arrivera à échéance fin 2021, ne sera pas renouvelé.
En portant notre regard plus au Nord, la situation des migrants forcés au Mozambique évolue. Si le nombre de réfugiés congolais et rwandais tende à diminuer dans les camps, le conflit en cours dans la région septentrionale de Cabo Delgado entre l’armée régulière et les troupes islamistes d’Ansar al-Sunna a provoqué le déplacement de quelque 700 000 civils, pour lesquels le HCR s’est déjà mobilisé.
Des conflits, plus endémiques, se poursuivent également en République démocratique du Congo, affectant des milliers de personnes. Si après la rébellion dite « Kamuina Nsapu »13 Kamuina Nsapu est le nom d’une lignée de chefs coutumiers de l’ethnie des Bajila Kasanga que l’on retrouve au Congo RDC dans la nouvelle province du Kasaï. Selon la tradition locale, le chef politique, qui dispose d’un pouvoir presque royal, est choisi parmi les membres d’un clan particulier à l’issue d’une confrontation plus ou moins tendue entre prétendants. L’ethnie majoritaire du Kasaï se distingue culturellement et linguistiquement des autres populations de la mosaïque ethnique congolaise, et tient fortement à son autonomie. En 2015 et surtout en 2016, le gouvernement de Kinshasa a promulgué plusieurs lois visant à contrôler la nomination des chefs Kamuina Nsapu, en déclenchant une rébellion sanglante non encore terminée. le Grand Kasaï est encore loin d’être pacifié, les provinces orientales du Nord et du Sud Kivu, ainsi que de l’Ituri sont à la merci de plus de 120 groupes armés, composés à la fois de militaires rescapés de plusieurs pays (Ouganda, Rwanda, Burundi), de milices tribales, de soldats djihadistes, etc. Selon la Croix-Rouge, le Congo RDC compterait plus de 5 millions de déplacés internes.
Plus on avance vers le Nord-est des Grands Lacs et plus l’instabilité politique domine. Depuis plus d’un demi-siècle, la Corne de l’Afrique connaît des conflits qui dépassent par leur ampleur ceux du reste du continent. La guerre de sécession du Tigré, en plus de créer des mouvements de populations internes en Éthiopie, a bouleversé la vie des quatre camps de réfugiés érythréens situés dans cette province, qui hébergent 96 000 personnes. Plusieurs sources font, en outre, état de dizaines d’individus tués dans les camps de Shimelba et Hitsats. De peur de rester en zone de belligérance ou, pire, d’être refoulés dans leur pays d’origine, beaucoup de ces réfugiés ont choisi de se rendre discrètement à Addis-Abeba pour y demeurer comme n’importe quel migrant irrégulier. Parallèlement, plus à l’Est, dans le port d’Obock (Djibouti), des centaines de rescapés venus de tous les pays voisins tentent d’atteindre la Péninsule arabique par la voie maritime à l’aide de passeurs locaux. Dans les eaux qui séparent l’Afrique de l’Asie, de janvier à septembre 2021, par le biais de son projet spécifique « Missing migrants », l’OIM a recensé 105 décès de migrants par noyade. Si de nombreux Éthiopiens essaient de traverser le Golfe d’Aden, un nombre beaucoup plus important, estimé à quelque 200 000 personnes, ont regagné leur pays en raison des restrictions sanitaires instaurées dans les pays étrangers où ils travaillaient. D’après les ONG locales, pour 15 000 femmes migrantes ce retour a également signifié le passage du secteur des emplois domestiques au marché sexuel.
Au Sahel, les attaques des groupes djihadistes à l’encontre de la population civile et des militaires se multiplient, notamment dans deux régions situées au carrefour de plusieurs frontières étatiques : la zone partagée entre le Nigéria, le Cameroun, le Niger et le Tchad, où sévissent deux factions issues du groupe « Boko Haram » (territoire du Borno) et d’autres rebelles tchadiens du Kanem, et, plus à l’Ouest, l’aire au croisement des limites territoriales du Mali, du Niger et du Burkina Faso. Depuis 2017, les conflits armés et les razzias sont à l’origine d’un nombre croissant de réfugiés (914 000 au total, au rythme de + 7% par an) et de déplacés internes (2,4 millions, ce qui représente en septembre 2021 le double du chiffre de 2020). Si la situation humanitaire s’aggrave surtout au Tchad et au Burkina Faso, le Niger est perçu par les organisations onusiennes et par l’UE comme un point stratégique majeur tant au niveau migratoire que géopolitique, au vu de sa position charnière entre les lieux de conflit ainsi qu’entre l’Afrique de l’Ouest et la côte méditerranéenne.
Dans les pays côtiers de l’Afrique de l’Ouest, en revanche, en particulier en Côte d’Ivoire, en Guinée Conakry et au Sénégal, l’OIM, l’UE, des ONG et certains pays européens lancent ou soutiennent périodiquement des projets et des campagnes visant à sensibiliser la jeunesse locale aux dangers encourus en voulant emprunter en situation irrégulière la voie de la migration vers l’Europe. Plusieurs rapports et recherches se demandent pourquoi, malgré une situation politique relativement stable, des revenus acceptables et des aides conséquentes versées par le Vieux Continent censées freiner l’émigration, l’exode depuis ces pays continue, en dépit des risques mortels lors de la traversée du Sahara, de la Méditerranée ou du bras d’océan qui sépare les côtes africaines des îles Canaries (104 morts et 398 disparus en mer en 2021). Les réponses évoquent une « tendance culturelle encline à l’émigration », l’aventure migratoire étant considérée par beaucoup de jeunes tel un rite de passage, une épreuve (“tounkan” en soninké), à l’issue de laquelle ceux qui réussissent et ramènent de la richesse, deviennent des héros. En réalité, l’explication la plus plausible de cet exode semble plutôt être le manque de véritables perspectives d’avenir pour la jeunesse locale, au vu de l’échec de la réinsertion des migrants de retour, de la mauvaise utilisation des financements internationaux et de l’absence d’emplois en dehors des circuits informels.
Aux yeux des migrants subsahariens que nous venons d’évoquer l’Afrique du Nord, du Maroc à la Libye, représente toujours un pôle d’attraction migratoire, mais elle est aussi une région affichant une forte propension à l’émigration, surtout en direction de l’Europe. Tous les pays qui la composent reçoivent de l’UE ou de ses pays membres des subventions substantielles en vue de faire barrage à l’exode clandestin sur les côtes italiennes ou espagnoles (à titre très indicatif : 435 millions pour la Libye, 343 pour le Maroc, 177 [montant probable] pour l’Algérie et 91 pour la Tunisie)14 Ces chiffres sont tirés des bulletins d’information publiés par la Commission européenne concernant le Fonds fiduciaire (d’urgence) de l’UE. Si ces fascicules sont uniquement disponibles en ce qui concerne la Libye (https://ec.europa.eu/trustfundforafrica/sites/default/files/july_2020_eutf_factsheet_libya_2.pdf), le Maroc (https://ec.europa.eu/trustfundforafrica/sites/default/files/eutf-facsheet_27102020-morocco.pdf) et la Tunisie (https://ec.europa.eu/trustfundforafrica/sites/default/files/eutf_tunisia.pdf), nous pouvons néanmoins déduire le montant alloué à l’Algérie sur le site de la Commission. Calculer les sommes octroyées par l’UE à des pays tiers dans le cadre de sa « gestion » ou « gouvernance » des flux migratoires est une opération assez complexe, tant en ce qui a trait aux contributeurs (le fonds fiduciaire de l’UE n’est pas le seul impliqué) qu’en ce qui concerne l’affectation effective des subventions au domaine des migrations. Pour cette raison, dans les circuits institutionnels comme dans les circuits militants, les montants dont il est question peuvent différer significativement de ceux que nous avons retenus.. En Tunisie et en Algérie, une corrélation semble exister entre la hausse des départs et l’aggravation de la situation politico-institutionnelle. En Tunisie, au cours de l’année 2021, tout en enregistrant dans des villes comme Sfax et Sousse une meilleure insertion économique des 30 000 à 40 000 immigrés subsahariens sans papiers présents sur le territoire, nous avons toutefois assisté dans la région d’El-Kamour à un ras-le-bol des jeunes face au chômage, tandis que dans les banlieues de Tunis le sentiment d’un avenir impossible s’est davantage enraciné. De plus en plus de Tunisiens ont, par conséquent, choisi l’option du harraga (devenir un migrant clandestin en brûlant ses propres documents d’identité), s’embarquant en direction des côtes siciliennes. En Algérie, de façon analogue, la déception qui a fait suite aux espoirs suscités par le mouvement (hirak) pacifique ayant conduit à la démission du président Abdelaziz Bouteflika, a redonné du souffle à l’émigration, des dizaines de milliers de personnes ayant quitté les ports d’Oran et de Mostaganem pour rejoindre les côtes d’Almeria, de Murcia et des Baléares.
Entretemps, de son côté, la Libye se retrouve au cœur de rapports accablants rédigés par des organisations de lutte contre la torture dénonçant les exactions que les migrants y subissent quotidiennement. Les quelque 20 centres de détention réservés aux migrants irréguliers ont en effet été le théâtre de maltraitances, de viols, d’extorsions et d’enlèvements multiples. La « Direction de lutte contre la migration illégale » (DCIM) du ministère de l’Intérieur libyen, tout en n’étant pas étrangère à ces abus, les a elle-même qualifiés de « hotspots pour les trafiquants » et en a annoncé la fermeture durant l’été 2021. Toutefois, à ce jour, ces centres sont encore ouverts.
Au printemps 2021, c’est en revanche la migration depuis le Maroc qui a fait la une de la chronique médiatique internationale. Le 17 mai, en signe de protestation contre les soins dispensés en Espagne à Brahim Ghali, président de la République sahraouie et du Front Polisario, le Royaume chérifien a en effet ouvert temporairement ses frontières avec les enclaves espagnoles de Ceuta et Melilla à quelque 11 000 migrants, dont 1 200 mineurs marocains15 À chaud, les autorités locales et les journaux avaient avancé les chiffres de 8 000 migrants dont 2 000 mineurs. Ensuite, si le nombre des premiers a été revu à la hausse, celui des seconds a été, lui, redimensionné.. Cet exode, survenu de manière assez dramatique, en partie par la voie terrestre et en partie par la mer, à la nage, s’est soldé, une semaine plus tard, par le renvoi sur le territoire marocain de plus de 90% des personnes concernées, sans aucun véritable « tri » des intéressés. Même Achraf – le jeune garçon dont les images avaient fait le tour du monde en le montrant en train de tenter de rejoindre Ceuta à la nage en utilisant des bouteilles en plastique comme flotteur – a été refoulé et pris en charge par une ONG marocaine. Au-delà de son caractère massif et dramatique, cet épisode ponctuel n’a fait que confirmer l’existence d’un phénomène déjà bien établi depuis quelques années, à savoir la migration vers l’Europe de mineurs marocains non accompagnés.
Amériques
Quatre facteurs au moins ont actuellement une influence majeure sur les migrations dans les Amériques : l’élection du démocrate Joe Biden en tant que nouveau président des Etats-Unis, les conditions d’insécurité et la crise économique ayant cours dans ce que les USA appellent le « Triangle Nord de l’Amérique centrale » (Honduras, Guatemala et El Salvador), l’énième tremblement de terre à Haïti, les répercussions de l’exode vénézuélien dans les pays voisins.
Après la politique de Donald Trump, qui s’affichait comme clairement nationaliste et xénophobe, l’élection du nouveau chef de l’exécutif étasunien a suscité de multiples espoirs, le manifeste électoral des candidats Joe Biden et Kamala Harris plaçant en effet la question migratoire au cœur de leurs engagements. Faisant référence aux décisions de son rival, Joe Biden affirme dans ce texte que « C’est un manquement moral et une honte nationale lorsqu’un père et sa petite fille se noient en cherchant nos côtes. […] Trump a mené un assaut incessant contre nos valeurs et notre histoire en tant que nation d’immigrés ». Le nouveau président américain rejette la criminalisation des sans-papiers et souligne l’importance des travailleurs étrangers pour l’économie du pays : « On estime que près de la moitié des personnes sans-papiers vivant aux États-Unis aujourd’hui ont dépassé la durée de validité de leur visa, et n’ont pas franchi illégalement notre frontière. […] Les recherches suggèrent que “la contribution annuelle totale des travailleurs nés à l’étranger est d’environ 2 000 milliards de dollars”. […] Des secteurs clés de l’économie américaine, de l’agriculture à la technologie, dépendent de l’immigration ». Afin de s’attaquer aux « causes » (drivers) profondes de l’exode vers les USA, le nouvel exécutif propose d’aider financièrement ledit « Triangle Nord » en lui octroyant quatre milliards de dollars sur quatre ans. D’une façon à peine voilée, le programme promet donc des régularisations et un coup de pouce au développement des pays situés au sud de la frontière américaine dans l’espoir qu’un changement économique positif dans ces pays entraîne la fin des flux migratoires.
Sur cette trame de fond nous verrons le déroulé des faits migratoires marquants de l’année 2021 dans le Nouveau Monde en allant du Nord au Sud.
Si l’immigration illégale est toujours un sujet qui fait l’objet de larges débats en Amérique du Nord, au Canada comme aux États-Unis, une vague de protestations contre le racisme, envers les Noirs notamment, a déferlé sur les principales institutions publiques.
En juin 2021, suite à l’assassinat de plusieurs membres d’une famille pakistanaise volontairement percutés dans leur voiture par un pick-up à London (Ontario), Justin Trudeau, le Premier ministre canadien, a affirmé que cette « attaque lâche et islamophobe n’était pas un cas isolé », promettant la promulgation de nouvelles mesures contre la haine raciale et ethnique. Ces meurtres ont particulièrement touché l’opinion publique locale, car la famille Afzaal, au Canada depuis quatorze ans, était considérée comme étant parmi les plus « intégrées » dans la société (au vu du niveau d’éducation élevée de ses membres et de leurs interactions sociales).
Dans le même temps, aux États-Unis, après les mouvements de protestation qui ont émergé ces dernières années contre les violences dont se sont rendus coupables des agents de police blancs en interpellant des civils noirs, le débat identitaire sur l’histoire et les institutions américaines est en plein essor. C’est ainsi notamment que les élus et les hommes politiques républicains pointent du doigt des formations « à l’égalité raciale et à la diversité » dispensées actuellement dans certaines écoles ainsi qu’aux employés fédéraux. D’après eux, ces cours ne feraient que cautionner et propager la théorie de la « discrimination systémique » ou « critical race theory » (CRT), forgée dans les années 1970, qui, en s’inspirant de l’idéologie marxiste, prône une lutte des non-Blancs et des races « dominées » contre leurs oppresseurs, en vue de renverser un système institutionnel et social qui ne ferait que perpétuer les discriminations et les inégalités existant depuis la période de la colonisation et de l’esclavage.
L’explosion de la pandémie de Covid-19 a, toutefois, révélé en Amérique d’autres formes de racisme et de xénophobie, qui ont plutôt eu pour victimes les populations d’origine ou de phénotype asiatique. Beaucoup de ces personnes, catégorisées comme des « AAPI » (Asian Americans and Pacific Islanders), n’ont pas seulement fait l’objet d’insultes et de manifestations de haine, mais aussi d’agressions (crachats ou éternuements au visage). L’épisode le plus grave est survenu le 16 mars 2021 à Atlanta, où six femmes descendantes d’immigrés coréens et chinois ont été mortellement poignardées.
Si la cause de l’antiracisme n’a reçu qu’un soutien « moral » de la part du chef de la Maison Blanche, en matière de politique migratoire, le plan d’action du président Joe Biden et de la vice-présidente Kamala Harris est, lui, bâti sur trois piliers. Premièrement, comme énoncé plus haut, les USA s’engagent à soutenir, voire presque à « diriger », les programmes de développement de certains pays d’Amérique centrale, de manière à éviter tout exode vers le Nord. Deuxièmement, dans l’attente que les conditions soient réunies pour que l’émigration marque le pas, les autorités américaines entendent réduire au maximum les flux migratoires illégaux. À ce sujet, Kamala Harris, au cours de sa rencontre au Guatemala, le 14 juin 2021, avec le président guatémaltèque, Alejandro Giammattei, a voulu clairement décourager les départs de migrants, les invitant à rester chez eux étant donné que « les aides sont en chemin ». « Stay home, do not come !» (Restez chez vous, ne venez pas !) a-t-elle martelé, parce que « les États-Unis continueront à faire respecter leurs lois et à sécuriser leurs frontières ». Troisièmement, le gouvernement américain désire mettre en place un parcours sur une durée de huit ans, censé permettre à des millions d’immigrés qualifiés de bénéficier d’un permis de séjour temporaire pendant cinq ans, pour ensuite se voir accorder une carte verte, à la condition qu’ils remplissent certains critères, qu’ils aient un casier judiciaire vierge et qu’il se soient acquittés du paiement de leurs impôts. Ils pourraient alors prétendre à la naturalisation trois ans plus tard. Pour être admissibles à ce dispositif, les immigrés devraient démontrer avoir résidé aux États-Unis avant le 1er janvier 2021, une mesure destinée à éviter qu’ils ne se ruent à la frontière.
Si la nouvelle administration installée à Washington a rapidement commencé à détricoter les mesures anti-immigration adoptées par Donald Trump (mur avec le Mexique, séparation des familles d’immigrés illégaux, suspension des lois dites DACA et des avantages pour les bénéficiaires du Dream Act16 Le dispositif appelé DACA (« Deferred Action for Childhood Arrivals », action différée pour les arrivées d’enfants) remonte à 2012 et offre un sursis aux mineurs sans papiers quant à leur refoulement, pour qu’ils puissent suivre une scolarisation et/ou une formation professionnelle. Le DACA est le successeur du DREAM Act, loi de « développement, secours et éducation pour les mineurs étrangers », dont l’acronyme signifie « rêve » en anglais, qui proposait à la même catégorie de bénéficiaires une éventuelle naturalisation au bout du parcours de qualification.), elle a en même temps voulu calmer l’enthousiasme des candidats à l’immigration, en durcissant les contrôles aux frontières et en augmentant les subventions allouées aux gardes-frontières mexicains, guatémaltèques et honduriens. Au mois de mars déjà, des messages destinés à dissiper l’euphorie avaient pris corps avec l’arrêt de plus de 10 000 enfants et adolescents à la frontière mexicaine. Un mois plus tard, au même endroit, quelque 179 000 migrants irréguliers venant dans leur grande majorité du Mexique et du « Triangle Nord » ont été interceptés, le nombre le plus élevé depuis quinze ans. Malgré le recours à des expulsions immédiates et le renouvellement des accords avec le Mexique relatifs à l’externalisation du traitement des demandes d’asile adressées aux USA (dans le cadre de l’opération dite « Remain in Mexico »), les arrivées de migrants, qui ont souvent concerné des mineurs non accompagnés (au rythme de 500 par jour), se sont également poursuivies tout au long de l’été 2021, dépassant même les records du printemps.
Entretemps, en Amérique centrale, en janvier et mars 2021, à partir de la région autour de San Pedro Sula au Honduras, au moins deux « caravanes » composées de plusieurs milliers de migrants souhaitant rejoindre les États-Unis se sont formées et ont tenté, en vain, de franchir les barrages policiers dressés au Guatemala. La répression des forces de l’ordre guatémaltèque a été parfois violente, causant nombre de blessés. Les membres de la caravane, après en avoir appelé à la compréhension des agents mobilisés, ont justifié leur tentative de traverser le pays en répétant : « Il n’y a pas de travail au Honduras ». Une troisième « grande caravane » s’est constituée, fin août, au Mexique dans la ville côtière de Tapachula, juste au-delà de la frontière guatémaltèque. Là encore, les gardes-frontières mexicains ont utilisé des moyens répressifs. En septembre, les caravanes n’ont cessé de se succéder (quatre par semaine), désormais composées même de ressortissants vénézuéliens, cubains et haïtiens17 Le 22 septembre 2021, 10 000 Haïtiens se sont présentés en un seul jour au point de la frontière étasunienne de Del Rio-Ciudad Acuña, au Texas, en suscitant, le lendemain, l’indignation de l’opinion publique suite à la diffusion d’images montrant des agents américains à cheval chassant les migrants à coups de fouet. Ces derniers ont été progressivement tous expulsés vers leur pays d’origine. fuyant les catastrophes économiques et naturelles qui se sont abattues sur leurs pays respectifs. D’après Médecins sans frontières, Tapachula abrite au moins 40 000 demandeurs d’asile, dont une partie significative de femmes et d’enfants, qui voient leur situation se détériorer inexorablement.
Plus que le dernier séisme, ce sont les effets économiques de l’épidémie de coronavirus qui ont poussé des milliers de travailleurs haïtiens à quitter certains pays d’accueil d’Amérique latine (notamment le Brésil et le Chili) pour reprendre le chemin de l’exil vers l’Amérique du Nord. Pour ce faire, nombre d’entre eux ont « choisi » la « voie colombienne » consistant à passer illégalement la frontière avec le Panama en traversant le golfe d’Urabá pour s’introduire dans la très dangereuse forêt appelée « le bouchon de Darién », truffée de pièges naturels et territoire de bandes de trafiquants. Les autorités panaméennes estiment que les passages clandestins par cette route, réputée pour être « bon marché », ont été en 2021 au nombre de quelque 3 000 par mois. Du côté colombien, les ONG locales tirent la sonnette d’alarme alors que des migrants, dont des ressortissants haïtiens ainsi que des Ouest-Africains et des Népalais, affluent par milliers à Necocí, petite municipalité située en zone frontalière.
Pour le gouvernement de Bogota le transit de ces Haïtiens n’est cependant qu’un souci mineur face au défi que représente la présence sur son territoire de presque deux millions d’exilés vénézuéliens, que l’opinion publique locale considère comme étant une source de délinquance et de propagation du coronavirus. Au début de 2021, le président Iván Duque a dévoilé un plan d’action se voulant ouvert, bienveillant et solidaire vis-à-vis des migrants vénézuéliens, qui s’est traduit par une « régularisation » généralisée des personnes en situation irrégulière, devenues ainsi bénéficiaires d’une « protection temporaire ». L’objectif affiché d’une telle mesure est de permettre à ces personnes d’acquérir dans dix ans un visa de résident.
Même s’il n’a pas connu autant d’arrivées d’exilés que la Colombie, le Brésil a été très affecté par la crise sanitaire et ses lourdes conséquences sur le plan économique. Si les autorités s’interrogent sur l’intégration des immigrés – surtout haïtiens, vénézuéliens et boliviens , en 2021, l’heure n’a toutefois pas été à l’immigration, mais plutôt à l’exode. Plutôt surpris, les médias nationaux ont pris acte du fait que les étrangers arrivés récemment sont repartis vers le Nord et que, depuis le début de 2021, plus de 25 000 Brésiliens ont été interceptés à la frontière méridionale des États-Unis.
Plutôt que de se diriger vers le Nord, de nombreux migrants font désormais le choix de se rendre dans les pays du sud de l’Amérique latine, le Chili en particulier. Depuis 2020, pour contourner la fermeture des frontières décrétée par les autorités de Santiago, des groupes de Boliviens et d’autres nationalités ont commencé à entrer dans le pays en passant par le poste-frontière de Hito Cajones dans les Andes, situé à plus de 5 000 mètres d’altitude et où la température est généralement inférieure à 20 degrés. Conduits par des trafiquants et défiant les tourmentes, ces migrants doivent souvent être secourus et plusieurs meurent d’hypothermie. Quelque 125 000 immigrés boliviens résident au Chili, mais nombreux sont ceux à être rentrés chez eux en raison des restrictions dues à la lutte contre la Covid-19. En 2021, la reprise de l’économie chilienne a vu revenir le flux de main-d’œuvre depuis le pays voisin, indispensable pour différents secteurs d’activité.
Europe
Si l’on en juge à partir des déclarations de plusieurs chefs d’État de l’UE qui, lors de certains franchissements massifs ponctuels de ses frontières par des migrants, parlent d’« agression » contre l’intégrité territoriale européenne18 Parmi de nombreux exemples, citons la déclaration de la ministre de la défense espagnole, Margarita Robles, au lendemain de l’entrée massive de migrants irréguliers à Ceuta fin mai 2021 : « Il s’agit d’une attaque contre les frontières espagnoles et contre les frontières de l’Union européenne. C’est inacceptable au regard du droit international » ; mentionnons encore les propos d’Ylva Johansson, commissaire européenne aux Affaires intérieures, fin août 2021 : « M. Loukachenko [président de la Biélorussie] utilise des êtres humains pour accomplir un acte d’agression extrême envers l’UE », « L’UE doit intervenir avant que les réfugiés afghans n’arrivent aux frontières extérieures » ; évoquons enfin, toujours en août 2021, la phrase de Michalis Chrisochoidis, ministre grec de la Protection civile, prononcée pendant son tour de reconnaissance du mur anti-migrants érigé à la frontière avec la Turquie : « Nos frontières resteront inviolables »., on pourrait croire que l’Europe se trouve constamment en état de siège.
Aux yeux des hommes politiques du Vieux continent, les « crises migratoires » ne cessent de se multiplier et le nouveau Pacte sur l’immigration et l’asile présenté le 23 septembre 2020 ne serait pas en mesure d’y faire face. Ce document, qui se veut un outil efficace en vue des défis migratoires que l’UE se prépare à relever, ne satisfait ni les gouvernements des pays membres – car jugé trop vague , ni les ONG spécialisées sur la question – considéré comme peu respectueux des droits des migrants. La lecture de ce document met en effet en lumière le manque de recours à de véritables experts sur les questions migratoires (aucune organisation reconnue comme productrice de savoir en la matière n’a été consultée) et un décalage manifeste entre la réalité et la perception de celle-ci de la part de ses auteurs. Si 2021 marque le 30ème anniversaire du début des traversées massives de migrants en Méditerranée (en 1991, plus de 20 000 exilés avaient débarqué en un seul jour sur les côtes italiennes), pour le Pacte ce phénomène ne date que de 2014, année zéro pour lui de l’histoire migratoire. Pire, celui-ci confond flux et stocks de migrants. Ainsi, en 2019, 272 millions d’individus se seraient installés dans un autre pays en l’espace de douze mois. Au-delà de ces remarques, le Pacte ne se réfère pratiquement qu’à la catégorie des migrants irréguliers. Il insiste sur les rapatriements et les retours, de préférence « volontaires », pour que les coûts soient « soutenables ». Il affirme, en outre, que les renvois, censés être plus rapides et plus conséquents, donnent un signal clair aux trafiquants en vue de les décourager, ce qui, en réalité, ne fait qu’augmenter leurs bénéfices. Le Pacte estime par ailleurs que, grâce à la création des hotspots, l’UE est beaucoup mieux préparée aujourd’hui face aux « crises migratoires » et que les opérations menées en Méditerranée en concertation avec la Libye sont un franc succès. D’après le texte, Frontex, bras opérationnel des rapatriements et sur le point de se doter de 10 000 nouveaux agents, aurait sauvé plus de 600 000 migrants depuis 2015. Aucun instrument de « maîtrise et de normalisation de l’immigration » vraiment « nouveau » n’apparaît dans le Pacte, qui fait un large usage de tournures au conditionnel. Il apparaît plutôt comme une « mise à jour » des dispositifs existants : décisions plus rapides concernant les demandes d’asile (via les critères des « pays sûrs » et des « pays à faible taux de reconnaissance du statut de réfugié »), actualisation informatique des bases de données sur les migrants, financement des pays tiers (surtout africains) à hauteur de 9 milliards d’euros sur cinq ans pour qu’ils collaborent à l’endiguement des flux migratoires, ouverture des portes de l’UE à la migration hautement qualifiée. Le point sur lequel se concentraient les principales attentes des partenaires européens, à savoir la question du « partage » ou de la « solidarité » dans l’effort de gestion des nouvelles arrivées, reste de fait éludé : aucune disposition contraignante n’apparaît, mais seulement une invitation à contribuer au moins financièrement aux frais des rapatriements.
Le nouveau Pacte sur l’immigration et l’asile n’arrive donc pas à dissiper le malaise chaque année plus palpable dans l’UE dès qu’il est question de politique migratoire et d’asile commune. La peur de revivre la panique survenue lors de l’« exode syrien » de 201519 Nous utilisons les guillemets car à l’époque les flux de réfugiés n’étaient qu’en partie composés de Syriens., l’équilibre fragile obtenu par le biais des accords avec la Turquie et les pays du Maghreb, les résistances internes à l’UE, les critiques quotidiennes des médias internationaux, voire des instances internationales (HCR, Amnesty International, etc.) et de la plupart des ONG humanitaires, donnent le sentiment que l’exécutif dirigé par Ursula von der Leyen navigue constamment dans la tourmente. Si la grande majorité des gouvernements des pays membres se réfugie derrière des expressions essayant de composer avec les termes « humanité » et « fermeté », les responsables politiques nationaux et communautaires se montrent tiraillés entre la volonté de bâtir des murs infranchissables pour rendre les frontières étanches et la mauvaise conscience du nombre trop élevé de victimes dans la gestion actuelle des frontières. Cette dichotomie se reflète au sein de la Commission européenne et est incarnée par les deux commissaires européens chargés de la mise en œuvre d’une politique migratoire commune, Margaritis Schinas et Ylva Johansson. Le premier, affilié aux partis de centre-droit, prône une Europe capable de résister aux menaces extérieures sans se laisser intimider par les provocations de ceux qui la critiquent ; la seconde, issue de la gauche marxiste, pointe du doigt les partenaires européens qui ne respectent pas les droits inaliénables des êtres humains, surtout ceux des migrants qui traversent la Méditerranée. Ce dualisme doit également composer avec la position de la commissaire pour les droits de l’homme, Dunja Mijatoviæ, à l’origine d’un rapport, publié en mars 2021, intitulé « Un appel au secours pour les droits de l’homme. Le fossé qui se creuse dans la protection des migrants en Méditerranée »20 Cf. Commissariat pour les droits de l’homme, A distress call for human rights. The widening gap in migrant protection in the Mediterranean. Conseil de l’Europe, 2021, 38 p., dans lequel elle fustige, entre autres, l’hostilité de certains pays à l’égard du travail des ONG qui portent secours aux migrants en Méditerranée.
Frontex sur la sellette
Par le passé, lors de la survenue de chaque « crise migratoire », les États membres de l’UE faisaient appel à l’agence Frontex comme à une sorte de panacée en mesure d’apporter des solutions efficaces. Or, depuis le début de 2021, cet organisme, qui siège à Varsovie, se retrouve sur la sellette, suite à de nombreuses accusations, parfois aussi graves que documentées. Le HCR lui-même a affirmé recevoir quotidiennement des rapports négatifs et des plaintes concernant Frontex. L’Agence européenne de gardes-frontières et de gardes-côtes serait en effet impliquée dans plusieurs scandales, que nous évoquerons succinctement sans entrer dans les détails. Il lui est d’abord reproché d’avoir sciemment participé en Hongrie, en Grèce et dans les Balkans à quelque 900 « pushbacks », c’est-à-dire à des refoulements express sans possibilité pour les migrants de déposer une demande d’asile, ce qui aurait concerné 13 000 cas. Elle est ensuite soupçonnée d’entretenir des liens avec des lobbyistes des industries de la surveillance et de l’armement, allant jusqu’à détourner une partie des sommes colossales que l’UE lui accorde au profit de sociétés qui ne sont pas inscrites au « Registre européen de la transparence ». Il n’est pas inutile de rappeler, à ce propos, que le budget de Frontex est passé de 6 millions d’euros en 2005 à presque 800 millions en 2021, ce qui lui a permis de se doter d’une panoplie d’armes, de drones, de radars, de véhicules militaires, d’avions, de systèmes informatiques sophistiqués, etc. Le Parlement européen a enjoint le directeur de l’Agence de présenter les comptes détaillés de celle-ci afin de vérifier les dires de certains médias, ONG et d’autres informateurs, mais pour l’instant ce dernier n’a pas encore donné suite à la requête. En conséquence, le 29 avril 2021 le Parlement européen n’a symboliquement pas voulu approuver ses comptes de 2019. Comme si cela ne suffisait pas, des documents portés à la connaissance du public semblent montrer que Frontex n’aurait prévenu que les gardes-côtes libyens de la présence d’embarcations chargées de migrants en Méditerranée, en vue de les ramener à leur point de départ.
Des murs contre les flux migratoires
Contrairement à l’enthousiasme suscité en 1989 par la chute du mur de Berlin et par la mise en place, quelques temps plus tard, de l’espace de libre circulation en Europe, l’UE fait elle aussi partie de ce que le cartographe Philippe Rekacewicz appelle le « monde sanctuarisé », qui s’équipe de barrières pour préserver son bien-être des « mauvaises influences » du Tiers monde, ravagé par toute sorte de problèmes politiques, sociaux et économiques. L’UE compte en effet aujourd’hui pas moins de dix-sept « murs anti-migrants », répartis surtout au niveau des frontières européennes avec la Turquie, la Biélorussie, la Russie et le Maroc, mais aussi autour de certains périmètres de l’ancienne Yougoslavie ainsi qu’à Calais et sur le pont qui relie le Danemark à la Suède. Les promoteurs de ces constructions, parmi lesquels figurent notamment les premiers ministres hongrois (Victor Orbán) et grec (Kyriakos Mitsotakis), ont fait le choix de supporter des frais annuels qui s’élèvent à plusieurs centaines de millions d’euros pour afficher des défenses frontalières solides, sans parvenir toutefois à empêcher le passage de migrants irréguliers sur leur territoire.
La situation en Méditerranée
Les franchissements irréguliers de frontière pour entrer dans l’UE par la voie maritime sont de loin les plus dangereux et les plus médiatisés non seulement au niveau du Vieux continent, mais aussi à l’échelle mondiale.
Après l’année écoulée qui a vu l’arrêt ou le ralentissement de la plupart des activités économiques et sociales, il était prévisible que nous assisterions en 2021 à une reprise des traversées périlleuses de la Méditerranée, depuis ses quatre « routes » principales : la route « africaine » via les Canaries ; la route « occidentale », à partir des côtes algéro-marocaines vers l’Espagne ; la route « centrale », depuis la Tunisie et la Libye en direction de l’Italie ; et la route « orientale », via la Mer Égée entre la Turquie et la Grèce21 Nous utilisons la dénomination de « routes » forgée par Frontex.. La voie d’accès la plu empruntée a été sans conteste celle de la Méditerranée centrale, qui, d’après les données publiées par Frontex, a comptabilisé 65% des quelque 50 000 migrants irréguliers recensés, suivie par la voie « occidentale » (16%) et la voie « africaine » (15%). Par rapport aux trois dernières années, le nombre de migrants interceptés a légèrement augmenté, mais, comme l’a souligné la ministre italienne de l’Intérieur, Luciana Lamorgese, ce chiffre est encore loin des moyennes enregistrées entre la fin de 2013 et le début de 2017. Si nous ne pouvons pas prévoir les tendances statistiques concernant les routes susmentionnées, la voie « centrale » semble se caractériser chaque année par une augmentation sensible des flux dans l’intervalle compris entre les mois de mai et d’octobre.
Quant aux migrants, les Maghrébins sont sans surprise les plus nombreux (40% avec une prédominance de Tunisiens), suivis par les autres Africains (13% d’Ouest-africains, 9% de ressortissants de la Corne de l’Afrique, auxquels s’ajoutent 12% de « Subsahariens » de nationalité inconnue), mais dans la liste figurent également quelque 4 500 Bangladais (8,6%) et autant d’exilés du Moyen-Orient incluant l’Iran, la Syrie, l’Irak (= le « Kurdistan ») et l’Afghanistan.
Si le nombre des personnes impliquées dans la traversée clandestine de la Méditerranée est en augmentation, le bilan des décès par noyade s’est également alourdi. En 2021, de janvier à septembre, on déplore au moins 1 400 morts, dont presque 80% au large de la Libye et de la Tunisie. Lorsque ces tragédies atteignent ponctuellement un nombre record de victimes, comme le 22 avril 2021 lorsqu’un naufrage à quelques kilomètres des côtes libyennes a coûté la vie à 130 personnes, l’opinion publique mondiale s’émeut et s’indigne, mais les dysfonctionnements dans les opérations de secours opérées par les autorités publiques (européennes ou non) demeurent22 Selon le rapport de l’association Alarm Phone confirmé par l’ONG Sea Watch, plusieurs heures avant la tragédie du 22 avril, les autorités européennes auraient rejeté la responsabilité de la coordination de l’opération de sauvetage, citant les autorités libyennes comme étant les « autorités compétentes ». Un renvoi de responsabilités qui a laissé les bateaux à la merci de la mer « avec des vagues pouvant atteindre six mètres » pendant toute une nuit.. Les ONG engagées dans le sauvetage des embarcations à la dérive dénoncent l’inaction des gardes-côtes, retenus par des obstacles plus politiques que techniques. Les statistiques sur les cinq dernières années montrent, par ailleurs, que la politique de « fermeture des ports » a certes permis de réduire le nombre de débarquements de migrants, mais elle a également entraîné un plus grand nombre de décès en mer.
Faits marquants dans les différents pays européens
Après la période la plus aiguë des restrictions à la mobilité mises en place par la grande majorité des pays du monde, les mouvements migratoires se sont accentués en Europe à partir du milieu du printemps 2021. Cela est allé de pair avec une attention accrue des hommes politiques et des médias pour la question des « migrants », à savoir les étrangers en situation irrégulière en transit ou installés sur leur territoire. En même temps, dans beaucoup de pays membres de l’UE des tensions ont émergé entre une partie de l’opinion publique et les minorités musulmanes, souvent soupçonnées de cautionner les thèses des mouvements islamistes radicaux.
En mai 2021, en Espagne, le premier ministre, Pedro Sanchez, a présenté au pays un document contenant les perspectives et les décisions stratégiques qui s’imposent pour le royaume d’ici à 2050. Intitulé « Espagne 2050 : Fondements et propositions pour une stratégie nationale à long terme »23 Oficina Nacional de Prospectiva y Estrategia del Gobierno de España (coord.). España 2050: Fundamentos y propuestas para una Estrategia Nacional de Largo Plazo. Madrid, Ministerio de la Presidencia, 2021, 673 p., le plan du gouvernement prend acte de l’évolution négative de la courbe démographique espagnole et envisage une ouverture à l’immigration, le solde migratoire positif devant se situer à 190 000 personnes par an : « Pour éviter cette perte potentielle de main-d’œuvre, notre pays devra faire deux choses. D’une part, augmenter la participation au marché du travail des femmes, des jeunes et des personnes de plus de 55 ans. D’autre part, intégrer des centaines de milliers d’immigrants sur le marché du travail et dans la société »24 Ibidem, p. 297.. À la même période, le gouvernement espagnol était aux prises avec la « crise migratoire » dans les enclaves africaines de Ceuta et Melilla, qui en deux jours ont vu l’arrivée respectivement de 11 200 et 238 étrangers en situation irrégulière, très majoritairement de nationalité marocaine. La ville de Ceuta (environ 85 000 habitants), gérée par une mairie de droite, a vécu cet épisode comme une « invasion ». Puisque en vertu d’un accord avec le Maroc datant de 1992 l’Espagne a obtenu de pouvoir renvoyer sur-le-champ les migrants irréguliers arrivant dans les deux enclaves, Madrid a pu expulser presque tous ces exilés, à l’exception de quelque 1 100 mineurs, qui sont légalement inexpulsables. Ces mineurs non accompagnés ont été répartis dans 200 lieux d’accueil différents, situés dans la péninsule ibérique.
En dépit de ces expulsions et d’autres opérations de rapatriement, 20 500 migrants irréguliers auraient atteint les côtes espagnoles en 2021, le double de l’année écoulée, certains d’entre eux n’étant qu’en transit sur le territoire du royaume. Les passages illégaux de frontière avec la France sont devenus de plus en plus fréquents, en particulier dans les Pyrénées Atlantiques, au point que la préfecture française locale a révélé que les reconduites à la frontière seraient au nombre de 40 à 50 par jour.
En Italie, les débarquements de migrants sur les côtes siciliennes et sur celles d’autres régions méridionales sont toujours d’actualité depuis la fin des années 1980. Le changement de ministre de l’Intérieur en septembre 2019, Luciana Lamorgese succédant à Matteo Salvini, a, en revanche, marqué la fin des hostilités entre l’exécutif transalpin et les ONG qui interviennent en Méditerranée, sans pour autant balayer toutes les frictions. Toutefois, la tension polémique sur la question de l’immigration entre la ministre de l’Intérieur actuelle et son prédécesseur, tous les deux membres de la coalition au pouvoir, met souvent en péril le gouvernement de Mario Draghi. L’Italie compte six hotspots, dont cinq en Sicile, constamment surpeuplés. En juillet 2021, celui de Pozzallo a été dévasté par un incendie imputable à ses occupants, révoltés contre le confinement sanitaire prolongé.
En Grèce, les conditions dans les camps de réfugiés, très critiques depuis plus longtemps déjà que dans ceux des Canaries, de Ceuta ou des hotspots italiens, continuent d’être déplorables, bien que le nombre d’occupants se soit sensiblement réduit pour atteindre 8 300 personnes. Dans les cinq îles égéennes où les migrants sont confinés (5 000 à Lesbos, 1 600 à Samos, 508 à Chios, 82 à Leros, 80 à Cos) les conditions de vie ont été catastrophiques en raison du manque d’hygiène, de la diffusion de maladies infectieuses (gale, poux, morsures de rats), de la pénurie de sanitaires, de l’exposition aux intempéries et, en hiver, aux basses températures. Après l’incendie du camp de la Moria à Lesbos, le maintien en détention des demandeurs d’asile à Cos, et la détérioration généralisée de l’habitat des réfugiés, les relocalisations vers treize pays de l’UE, intervenues au cours de l’été, ont évité des catastrophes humanitaires. Cependant, la Grèce a été critiquée de toutes parts notamment à cause de ses multiples pushbacks vers la Turquie (quelque 10 000) et pour son attitude hostile vis-à-vis des migrants25 Ayant eu vent des refoulements sommaires pratiqués par la police grecque, certains migrants nécessitant d’être secourus ont préféré appeler directement des ONG, plutôt que de composer le numéro d’urgence des forces de l’ordre grecques., des ONG et des journalistes, qui s’est traduite par la confiscation de téléphones portables, d’ordinateurs et même de vêtements. Les témoignages et les faits relatifs à ces exactions étant désormais avérés, le 12 mai 2021 la commissaire européenne pour les droits de l’homme, Dunja Mijatoviæ, a envoyé une lettre au gouvernement grec, lui enjoignant de mettre un terme aux renvois expéditifs de migrants.
En dépit des barrières anti-immigration et des accords UE-Turquie censés freiner l’afflux de demandeurs d’asile vers le Vieux continent, depuis janvier 2021 quelque 5 000 migrants sont arrivés sur le sol grec, suscitant l’inquiétude dans toute la région, car, selon le HCR, il s’agit majoritairement d’Afghans.
La peur de cette éventuelle vague migratoire afghane a ainsi poussé non seulement la Grèce, mais aussi la Bulgarie à envoyer, fin août, 700 militaires à la frontière gréco-turque.
Des épisodes documentés de pushbacks de migrants de la part des forces de l’ordre croates, slovènes et italiennes ont également été enregistrés en Bosnie-Herzégovine. La frontière entre la Bosnie et la Croatie est particulièrement surveillée, ce qui engendre des attroupements de demandeurs d’asile dans les villes frontalières de Velika Kladuaa et Bihaæ. D’après les médias locaux, 17 000 demandeurs d’asile seraient entrés en Bosnie en 2020, sans rencontrer d’obstacles particuliers, ni de réactions xénophobes. Une fois arrivés à la frontière croate, ils tentent à de multiples reprises de poursuivre leur trajet, en risquant à chaque tentative de revenir à la case départ, privés par la police de leur argent et de leurs téléphones.
Suite au détournement, le 23 mai 2021, sur ordre du président biélorusse Alexandre Loukachenko, de l’avion Ryanair 4978 reliant Athènes à Vilnius ayant à son bord un opposant au régime de Minsk, et suite à la riposte de ce dernier aux sanctions décidées par l’UE en représaille, les frontières occidentales de la Biélorussie ont été soudainement ouvertes pour laisser passer les demandeurs d’asile. Les pays de l’UE voisins de la Biélorussie (Lituanie, Lettonie et Pologne) et, en premier lieu, la Lituanie, coupable de soutenir les dissidents biélorusses, ont vu affluer en quelques semaines des centaines de migrants, provenant d’Irak pour la plupart. La ministre de l’Intérieur lituanienne, Agnë Bilotaitë, a immédiatement réagi à la « guerre »26 Expression utilisée par la ministre face aux médias le 4 juin 2021. Cf., par exemple, https://www.lrytas.lt/lietuvosdiena/aktualijos/2021/06/04/news/a-bilotaite-pries-lietuva-vykdomas-hibridinis-karas--19625631. que M. Loukachenko aurait déclaré à son pays, en ordonnant la construction d’un « mur » de 679 km le long de la frontière avec la Biélorussie et en faisant approuver, le 13 juillet 2021, une loi permettant aux gardes-frontières de placer immédiatement en détention les demandeurs d’asile. Convaincu que le régime biélorusse est de mèche avec les trafiquants d’êtres humains, l’exécutif lituanien a également obtenu des responsables irakiens qu’ils suspendent les vols entre Bagdad et Minsk. De son côté, la Pologne, moins impactée par ces événements, s’est montrée au début plus accueillante, laissant entrer les premiers migrants apparus au poste frontière d’Usnarz Górny et bénéficiant du soutien de l’opinion publique. Plus tard, lorsque la pression migratoire s’est intensifiée, le Premier ministre polonais, Mateusz Morawiecki, a ordonné d’empêcher de nouvelles entrées et a justifié sa décision en arguant que la compassion risquait de faire le jeu des autorités biélorusses.
Comme dans d’autres pays de l’Europe occidentale, en 2021 le débat sur la présence musulmane au sein de la nation a été particulièrement vif en Autriche, où la crainte d’attentats islamistes s’est répandue depuis la fusillade du 20 novembre 2020 à Vienne et s’est intensifiée suite à des faits divers ayant impliqué des ressortissants afghans27 Nous nous référons en particulier au meurtre d’une adolescente commis le 26 juin 2021 par un ex-détenu afghan, proche du petit ami de cette jeune fille, et deux autres complices, tous de la même nationalité.. Dans ce contexte, la publication, début 2021, d’un travail académique mené par l’université de Vienne portant sur la localisation spatiale des musulmans sur le territoire autrichien a suscité de vives polémiques. Il s’agit, en effet, d’un site web, www.islam-landkarte.at, dont le projet remonte à 2012, qui recense tous les organismes communautaires islamiques du pays. Sa page d’accueil ressemble à une carte Google, mais pour chaque référence affichée, la description est très longue et explore non seulement les idéologies, mais surtout les coulisses de chaque organisme (affiliation politique, origine nationale, tendances, financement, problèmes enregistrés, etc.).
En Allemagne, en revanche, hormis des préoccupations liées à une éventuelle vague migratoire provenant d’Afghanistan, ce sont les questions liées à l’intégration des étrangers qui sont les plus débattues dans le domaine de la mobilité humaine. Dans plusieurs villes, les représentants politiques écologistes prônent pour la mise en œuvre d’un quota de « jeunes issus de l’immigration » dans le secteur public, en particulier au sein des forces de l’ordre, dans les services de nettoyage, etc. Face aux critiques récurrentes quant au choix de l’ancienne chancelière, Angela Merkel, d’accueillir des centaines de milliers de réfugiés en 2015, les partisans de cette décision mettent en avant la réussite économique d’entrepreneurs d’origine syrienne ou turque, tels qu’Ugur Sahin et Özlem Türeci, fondateurs de BioNTech ou Hakan Koç, créateur d’Autol. Par ailleurs, en prévision des répercussions migratoires après le retour des talibans à Kaboul, le gouvernement allemand a déclaré ne pas vouloir répéter l’erreur, commise en 2014, de refuser d’accorder des subventions substantielles au HCR, attitude qui aurait causé le départ de millions de personnes installées en Syrie et au Liban.
Aux antipodes de la politique migratoire allemande, le gouvernement du Danemark, mené par un parti social-démocrate aux thèses proches de l’extrême droite, a, quant à lui, multiplié les mesures visant à obtenir ce que le ministre de l’immigration et de l’intégration, Mattias Tesfaye, appelle l’« objectif zéro réfugié ». Cet homme politique danois d’origine immigrée (enfant de réfugiés éthiopiens), comme d’autres ministres européens anti-immigration (Priti Patel au Royaume-Uni ou Sammy Mahdi en Belgique), a été à l’initiative d’une proposition visant à révoquer les titres de séjour de plusieurs centaines de Syriens sous prétexte que désormais la région de Damas, contrôlée par le régime de Bashar al-Assad, serait sûre. En 2020, le Danemark n’a enregistré que 1 547 demandes d’asile, dont seules 30 ont eu une issue favorable. S’inspirant du modèle australien de politique migratoire (aujourd’hui abandonné)28 Le modèle de politique migratoire australien, surnommé parfois « No way », découle de l’opération « Frontières souveraines » (Operation Sovereign Borders) voulue en 2013 par le Premier ministre Tony Abott, à peine élu. Profitant des conditions d’isolement géographique de l’Australie, ce modèle prévoit le renvoi systématique dans des centres de rétention situés à l’étranger de tout migrant irrégulier essayant d’atteindre les côtes australiennes., le gouvernement danois a présenté, fin janvier 2021, un projet prévoyant de sous-traiter hors de l’UE les demandes d’asile déposées sur son territoire, et de renvoyer dans les camps au Rwanda les personnes concernées (des négociations sont en cours avec le gouvernement rwandais).
Le modèle australien a également fait des émules au Royaume-Uni, pays qui, comme l’avaient promis les « Brexiters », cherche, entre autres, à « reprendre le contrôle des flux migratoires ». À partir du 1er janvier 2021, s’installer durablement outre-manche est devenu plutôt compliqué pour les étrangers, y compris pour les Européens, car, dans le cadre d’un « permis à points », il faut appartenir aux catégories d’immigrés les plus recherchées (individus hautement qualifiés, disposant de revenus supérieurs, etc.). C’est un choix qui isole de plus en plus la Grande-Bretagne, très affectée par la pénurie de main-d’œuvre non qualifiée, choix qui, à long terme, générera un nombre important de sans-papiers. Sur le front de la politique d’asile, de son côté la ministre de l’Intérieur, Priti Patel, a présenté, le 24 mars 2021, un projet de loi relatif au nouveau code de la nationalité et au contrôle des frontières (Nationality and Borders Bill), dans lequel, à l’article 10, l’on distingue deux catégories de « réfugiés » : d’une part, ceux qui ont été choisis par le Royaume-Uni dans le cadre d’une réinstallation depuis les camps existant dans le monde, et qui, de ce fait, sont susceptibles de recevoir un soutien total ; d’autre part, ceux qui sont entrés irrégulièrement sur le territoire britannique, qui se verront accorder moins de droits et d’avantages, coupables d’avoir forcé la Grande-Bretagne à les accueillir. Ce texte législatif prévoit en outre un allongement (de six mois à quatre ans) de la peine d’emprisonnement pour entrée clandestine au Royaume-Uni. En dépit des fermes intentions gouvernementales, d’un déploiement de forces considérable et d’une détermination farouche, en 2021 les traversées irrégulières de la Manche à bord de petites embarcations (small boats) ont battu tous les records, atteignant, jusqu’au début du mois de septembre, le chiffre de 12 000 trajets. Le lendemain du 19 juillet, jour où 430 migrants ont débarqué dans le Kent, Priti Patel a demandé à parler en visioconférence avec son homologue français, Gérald Darmanin, pour essayer d’endiguer le phénomène. À l’issue d’un long entretien, le Royaume-Uni a promis une subvention de 62,7 millions d’euros à la France pour la période 2021-2022 au titre de la « lutte contre l’immigration irrégulière » et les deux ministres ont évoqué la mise en place d’un accord de réadmission entre la Grande-Bretagne et l’UE. Gérald Darmanin a, de son côté, sollicité Frontex afin que l’Agence « s’occupe également de l’Europe du Nord » et a invité les préfets du Calaisis à interdire la vente en vrac de plus de dix litres de carburant par client.
L’apparition depuis 2018 des petites embarcations a élargi le périmètre des points de départs possibles depuis l’Hexagone et a reproduit des situations semblables à celles ayant cours en Méditerranée. En 2020, dix personnes ont perdu la vie dans la traversée de la Manche, dont un bébé de quinze mois, repêché au large de la Norvège. Tout comme les ONG méditerranéennes, les organismes anglais qui prêtent secours aux migrants en mer font l’objet de critiques virulentes de la part de l’extrême droite locale ; Nigel Farage, l’ex-fondateur du Brexit Party, en est arrivé à répéter les phrases de Matteo Salvini concernant l’action des bateaux de sauvetage, les qualifiant de « taxis pour la migration illégale ».
Pendant que la France intensifie les contrôles frontaliers et dresse des obstacles au passage des migrants en Angleterre, les exilés qui souhaitent tenter leur chance ne restent pas dans les départements du Nord et du Pas-de-Calais, mais se rendent en Belgique, voire en Allemagne ou au Luxembourg. Les passeurs se disputent alors les parkings où stationnent les camions sur les aires des autoroutes menant à Calais afin que des migrants puissent s’introduire dans l’un des poids lourds transportant des marchandises à destination du Royaume-Uni. L’aire de parking autour de Waremme, non loin de Liège, abrite ainsi plusieurs dizaines de migrants, érythréens pour la plupart, qui attendent leur tour dans un bosquet appelé « la forêt » ; certains d’entre eux en sont à leur quinzième tentative, mais la plupart parvient à atteindre leur objectif en l’espace d’une semaine.
Au-delà de ce flux d’irréguliers et de réfugiés vers le Royaume-Uni, durant l’été 2021 la Belgique a elle aussi été le théâtre d’une série de grèves de la faim entamées par environ 200 sans-papiers Nord-africains, pakistanais et népalais, qui ont le plus souvent occupé l’église bruxelloise de Saint-Jean-Baptiste-au-Béguinage pour réclamer leur régularisation. Sammy Mahdi, secrétaire d’État à l’Asile et à la Migration et membre du parti chrétien-démocrate flamand, n’a pas encore donné suite à leur requête, se disant favorable à un retour des immigrés dans des pays considérés comme « non sûrs » (en citant l’Afghanistan), là où les conditions le permettraient.
France
Dans son rapport présenté au Sénat en novembre 2020 sur la mission « immigration, asile et intégration », la Commission des finances du Sénat, présidée par le sénateur du Val-d’Oise Sébastien Meurant, considère le contexte migratoire actuel de l’Hexagone comme « tendu » et « incontrôlé ». Les rapporteurs mettent en avant plusieurs augmentations : le nombre de demandeurs d’asile (environ 177 000), le pourcentage de détenus étrangers (près de 25 %), le nombre des titres de séjour délivrés (plus de 270 000), le stock d’immigrés irréguliers estimé (350 000 selon les données de l’Aide médicale d’État), alors que dans le même temps la France ne parvient pas à expulser plus de 23 000 « indésirables » par an, des ressortissants des Balkans ou du Caucase dans la quasi totalité.
Six mois plus tard, le ministère de l’Intérieur, l’Office français de l’immigration et de l’intégration (OFII) et l’Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA) publiaient les chiffres définitifs de 2020 sur l’immigration en France, faisant apparaître, par rapport à l’année précédente, une baisse généralisée des indicateurs, due à la crise sanitaire.
Au cours de l’année écoulée, la France a délivré 219 302 permis de séjour (- 21%) et 712 317 visas (- 80%, octroyés majoritairement à des ressortissants marocains, russes, algériens et chinois) ; 78 764 « contrats d’intégration républicaine » (- 27%) ont été signés ; 81 531 premières demandes d’asile ont été déposées (- 39%, le plus souvent par des Afghans, des Bangladais, des Pakistanais, des Guinéens et des Turcs/Kurdes) ; 34% des dossiers de requête de protection ont reçu une décision favorable (- 4%) ; 11 431 migrants irréguliers ont été expulsés (- 51%) et 4 519 retours volontaires ont été effectués (- 49%).
Si, au vu des statistiques, le panorama des flux migratoires en direction de l’Hexagone ne semble pas avoir eu les contours d’une « crise » causée par des arrivées massives, les enjeux politiques et électoraux liés à l’immigration tendent à le faire apparaître comme particulièrement sombre. À ce propos, les promesses gouvernementales relatives au taux d’exécution des obligations de quitter le territoire français (OQTF), qui se voulait de 100%, mais qui depuis vingt ans reste stable à 15%, ont créé des attentes irréalisables. À cela s’ajoute l’impression d’effort disproportionné que donne le décalage entre les coûts exorbitants de la politique d’immigration29 Selon le rapport déjà cité, daté du 19 novembre 2020, « Le coût estimé de la politique française de l’immigration et de l’intégration est de 5,8 milliards d’euros en 2018, de 6,4 milliards d’euros en 2019, de 6,7 milliards d’euros en 2020 et 6,9 milliards d’euros en 2021 ». et ses résultats, perçus comme très mitigés même par les évaluateurs institutionnels.
En plus d’enregistrer une augmentation prévisible des flux migratoires en France, l’année 2021 a mis en évidence les évolutions de certaines problématiques souvent anciennes, que nous aborderons ci-dessous. Nous verrons d’abord que les lieux de transit demeurent les mêmes dans un climat d’urgence constante. Nous mentionnerons ensuite les nouveaux phénomènes qui émergent au sein de l’univers des mineurs étrangers non accompagnés (MNA). Puis, nous jetterons un regard sur l’action et l’attitude des autorités publiques vis-à-vis de l’immigration ainsi que sur les conditions de vie des migrants. Nous nous pencherons enfin sur les événements qui ont concerné les minorités musulmanes en France suite aux craintes de radicalisation religieuse, qui se sont répandues dans le pays en raison des attentats terroristes des dernières années et du « malaise » permanent des « quartiers sensibles ».
De Calais à Montgenèvre : points de passage clés des migrants en France
Depuis l’entrée en vigueur du Traité de Maastricht instituant l’Union européenne et la fin des travaux de construction du tunnel sous la Manche (1993), le Calaisis est devenu un lieu incontournable de rassemblement et de passage des migrants irréguliers souhaitant aller vivre et travailler au Royaume-Uni. Depuis, chaque année, le scénario se répète : les migrants se rassemblent autour des villes du Nord et du Pas-de-Calais ; les habitants se plaignent de l’insécurité et de la dégradation de leurs quartiers ; des associations humanitaires essaient de pallier aux conditions de vie extrêmes endurées par les migrants ; les autorités locales et nationales interviennent pour démanteler les camps et disperser leurs occupants, lesquels reviennent quelques temps plus tard.
Qu’il s’agisse de Calais, de Paris ou d’autres endroits où se concentrent les tentes ou les baraquements des migrants, l’objectif des actions de la police, sous l’impulsion du ministère de l’Intérieur, est d’éviter les « points de fixation », une politique pourtant condamnée le 11 février 2021 par la Commission nationale consultative des droits de l’homme.
L’hiver dernier, selon les associations œuvrant sur place, les migrants « vivotant » le long du littoral du nord de la France étaient moins d’un millier, provenant de la Corne de l’Afrique, du Kurdistan, du Pakistan et de l’Afghanistan. Lors de leurs interventions, les forces de l’ordre saisissent en priorité des biens utiles à l’installation des personnes (tentes, couvertures, etc.). Entretemps, des violences éclatent ponctuellement entre les migrants.
Si des centaines d’étrangers en situation irrégulière affluent vers la Manche pour se rendre en Grande-Bretagne, d’autres entrent dans l’Hexagone et se concentrent dans les Hautes-Alpes. En partant de l’Italie, des Afghans et des Kurdes désireux de se rendre en Angleterre ou bien des Maghrébins préférant s’installer sur le territoire français, franchissent la frontière au Col de Montgenèvre pour faire étape à Briançon. Les associations qui leur viennent en aide (La Cimade, Médecins du Monde, Médecins sans Frontière, le Secours Catholique, etc.) ont recensé l’arrivée d’au moins 2 000 migrants de janvier à juin 2021 (dont environ 8 à 9% de femmes et 11 à 12% d’enfants), avec une accélération sensible de la fréquence des entrées à partir du mois de mai. Ici aussi, la mobilisation de la police aux frontières est importante (les journaux locaux parlent de trois escadrons) et elle a pour consigne de renvoyer les irréguliers vers l’Italie.
Si depuis une période récente Calais compte moins de migrants que les années précédentes, cela est dû en partie à l’action de répartition (quoique faible) de ces personnes sur l’ensemble du territoire français, mais surtout au choix de nombreux exilés d’attendre à Paris et en région parisienne de meilleures opportunités pour poursuivre leur chemin vers les îles britanniques. La capitale compte quelques milliers de migrants dont les campements sont régulièrement évacués non seulement dans les arrondissements du Nord-Est et des communes avoisinantes, mais également dans les arrondissements de l’Ouest (VIIe, XVe).
Des mineurs étrangers entraînés dans la délinquance
Les « mineurs isolés étrangers », selon la terminologie associative, ou les « mineurs non accompagnés » selon le langage institutionnel, constituent une question délicate et un phénomène en plein essor sur les routes de la migration. L’association Forum Réfugiés Cosi, malgré le peu d’informations officielles fournies par le ministère de la Justice, évalue à quelque 31 000 le nombre de ces mineurs pris en charge par les institutions publiques (en 2018, ils étaient 10 000 de moins).
Si ces chiffres ne se réfèrent qu’aux enfants et aux adolescents présents dans les circuits de l’Aide sociale à l’enfance, beaucoup d’autres ne sont enregistrés nulle part et finissent parfois dans les mailles de la délinquance et de la prostitution. Depuis deux ou trois ans, plusieurs grandes villes françaises ont vu apparaître le phénomène de bandes de dizaines de mineurs étrangers délinquants et polytoxicomanes, accompagnés de quelques enfants d’immigrés issus de familles à problèmes. Selon la Direction de la protection judiciaire de la jeunesse (DPJJ), ils seraient environ 2 000 en France, originaires à 75% du Maghreb et appelés pour cette raison « MNA marocains ».
À Paris, d’après la Préfecture de police, ils seraient responsables de 27% des vols, vivraient dans les quartiers de la Goutte d’Or et de la Tour Eiffel et ils agiraient dans les lieux touristiques et sur les lignes de transports les plus fréquentées. Réduits à l’esclavage par la dépendance aux drogues, ils remettent leur butin à des réseaux de trafiquants.
Face à cette réalité, les sanctions pénales, qui s’appliquent peu aux mineurs, ne représentent pas de véritable solution. Pour venir en aide à ces jeunes, des centres pédiatriques essaient d’abord de les faire décrocher de la drogue, avant de leur faire entamer un parcours de rééducation.
Les expulsions, clé de voûte de la politique migratoire
Depuis le début du mandat d’Emmanuel Macron, les gouvernements qui se sont succédé ont considéré qu’il fallait rapatrier davantage de migrants à la fois pour mieux accueillir ceux qui sont autorisés à rester et pour que les sanctions à l’encontre des étrangers en situation irrégulière ou condamnés par la justice soient crédibles. Dans cette optique, plusieurs mesures ont été adoptées pour que le taux d’expulsions soit au moins supérieur à 12-15%, proportion qui semble cependant pouvoir être confirmée également pour l’année 2021.
Une première mesure visant à renvoyer les migrants a consisté en l’ajout de certains pays sur la liste des « pays sûrs ». En janvier 2021, la Cour nationale du droit d’asile (CNDA) a statué, par exemple, que Kaboul et sa région étaient désormais peu dangereuses en vue d’un retour des demandeurs d’asile afghans, qui se sont donc vu confirmer un premier rejet de leurs dossiers par l’OFPRA. Pareillement, l’Albanie, le Ghana et le Sénégal ont été retirés de ladite liste, les deux derniers ayant par la suite réintégré la liste en juillet sous la pression des comités de défense de la communauté LGBT : il existe en effet dans ces pays des dispositions législatives pénalisant les homosexuels.
Une deuxième mesure censée désengorger la concentration des migrants en région parisienne a été promue par le ministre de l’Intérieur, Gérald Darmanin, et a concerné la nomination, en mai 2021, d’un « préfet délégué à l’immigration » dont la mission consiste à coordonner « la gestion des flux migratoires en Île-de-France ».
Puisque la plupart des 28 000 personnes enfermées en 2020 dans les centres de rétention administrative se trouvaient à Mayotte, une troisième mesure prise par l’exécutif national s’est attaquée à rendre l’île moins attractive pour les étrangers des pays voisins. Le 30 août 2021, Gérald Darmanin a ainsi annoncé une réforme dans un sens plus restrictif du droit du sol à Mayotte. Dorénavant, un enfant né dans ce département peut prétendre à la nationalité française à la condition qu’au moins un de ses deux parents ait résidé de façon régulière et ininterrompue sur le territoire trois mois avant sa naissance.
D’autres mesures ont concerné les quelque 500 étrangers inscrits dans le fichier des personnes radicalisées ainsi que certains sans-papiers qui, pourtant parrainés par leurs employeurs, se sont vus refuser leur régularisation. D’autres sans-papiers, employés comme livreurs, ont, par ailleurs, été victimes d’agressions à caractère raciste.
En matière d’intégration, outre l’investissement public dans l’apprentissage du français et dans les cours débouchant sur la signature du « contrat d’intégration républicaine », en début d’année le gouvernement a annoncé un plan de 3,3 milliards d’euros en faveur des « quartiers populaires », ciblant en particulier les « quartiers de reconquête républicaine » (QRR), où les moyens de la police devraient être renforcés afin de lutter contre la délinquance et le trafic de stupéfiants. Si le terme « intégration » demeure dans les intitulés étatiques et européens des institutions chargées de la politique migratoire, il est de moins en moins employé au niveau de la politique locale – qui lui préfère soit le terme « inclusion », soit celui d’« égalité » , tandis que même chez les universitaires refait surface celui d’« assimilation »30 Cf., par exemple, trois ouvrages parus en 2021 : COUSSEDIÈRE, Vincent, Éloge de l’assimilation: Critique de l’idéologie migratoire, Paris : Éditions du Rocher, 248 p. ; GUIROUS, Lydia, Assimilation : en finir avec ce tabou français, Paris : Éditions de l’Observatoire, 96 p. ; DOAN, Raphaël, Le rêve de l’assimilation: de la Grèce antique à nos jours, Paris : Passés composés, 352 p..
Enfin, un pas symbolique concret vers l’intégration est néanmoins à signaler, concernant une population d’origine étrangère jusqu’à présent peu reconnue et valorisée, malgré sa fidélité à la République française. Le 20 septembre 2021, le président Emmanuel Macron, après leur avoir demandé pardon, a voulu rendre hommage aux Harkis, en s’engageant avant la fin de l’année « à inscrire dans le marbre de nos lois la reconnaissance et la réparation à [leur] égard ».
La lutte contre le « séparatisme »
Annoncée un an plus tôt, la « loi du 24 août 2021 confortant le respect des principes de la République », dite « loi séparatisme », a été définitivement adoptée par le Parlement français. Pendant son passage du stade de « projet » à sa version définitive, elle a alimenté un vif débat, récurrent, sur la capacité du monde musulman français à s’adapter aux exigences de la laïcité. Contrairement à ce que même beaucoup de parlementaires ont cru, cette loi ne revient pas sur la question du port du voile, mais elle exige que les associations musulmanes adhèrent pleinement aux valeurs et aux principes de la République. Concrètement, les nouvelles dispositions requièrent un engagement écrit de la part des associations subventionnées par l’État et elles entendent lutter contre tous ceux qui cautionnent le terrorisme, contre la haine en ligne ou contre l’intimidation de fonctionnaires publics.
Ces dispositions ont créé des tensions au sein même des fédérations d’associations musulmanes, où des divisions latentes se sont fait jour. Tout a commencé en janvier 2021, lorsque le gouvernement a fait pression sur le Conseil français du culte musulman (CFCM) pour qu’il mette en place, en un mois, un « Conseil national des imams », qui aurait dû prêter ensuite serment sur une « Charte des principes pour un islam de France ». Ce document, particulièrement significatif, synthétise la perception mutuelle que les dirigeants français et les dirigeants musulmans ont les uns des autres. La Charte déclare que « d’un point de vue religieux et éthique, les musulmans, qu’ils soient citoyens français ou résidents étrangers, sont liés à la France par un pacte. Cela les engage à respecter la cohésion nationale, l’ordre public et les lois de la République ». Ces lois, selon la Charte, doivent prévaloir sur les règles imposées par leurs propres croyances et les interprétations qui en sont données. L’approbation de la Charte susmentionnée a immédiatement rencontré l’opposition des fédérations musulmanes turques, faisant apparaître les profondes divisions ethniques qui parcourent une « communauté musulmane » souvent considérée, à tort, comme homogène. Le CFCM ne s’est pas encore remis de ce déchirement, son existence ne tenant actuellement qu’à un fil.
Si la grande majorité des mosquées et des associations islamiques semblent accepter un contrôle accru de l’État sur leurs comptes et leurs prêches, ce dernier outrepasse parfois ses compétences en voulant imposer ou suggérer le contenu des homélies des imams.
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