Typologie des mouvements migratoires selon les causes
Quand nous cherchons à comprendre un phénomène, nous l’observons, nous l’analysons et nous le “déconstruisons”, comme lorsque nous démontons un appareil pour savoir comment il a été conçu et assemblé.
L’étude de la migration nous permet d’en distinguer plusieurs causes, mais nous devons garder à l’esprit que cette subdivision n’est que théorique, les motivations de départ d’un migrant pouvant être multiples. Nous allons ci-après lister les principales, sans souci d’importance.
Causes géographiques
La proximité géographique des pays explique en grande partie la présence importante des ressortissants des pays avoisinants sur les territoires des États concernés. En France, au XIXe siècle, les immigrés étaient surtout originaires de Belgique, d’Allemagne, d’Italie et d’Espagne. Lorsqu’il y a très peu de passages à travers les frontières de deux pays proches, des obstacles majeurs doivent alors subsister : régimes dictatoriaux opposés aux échanges avec l’extérieur, situations d’insécurité, catastrophes, etc.
Causes historiques
L’héritage des colonisations ou d’anciennes unités politiques a souvent des répercussions sur les choix des migrants ou des recruteurs de main-d’œuvre étrangère. Les affinités culturelles (langue et religion notamment) entre les nations sont aussi le fruit d’une expérience historique commune. Les causes historiques expliquent, par exemple, la forte présence d’Algériens en France, le nombre important de Philippins aux États-Unis ou de Latino-Américains en Espagne, etc.
Accords de main-d’œuvre et agences de recrutement
Les pays d’immigration sont très souvent confrontés à un déficit de main-d’œuvre en raison : d’une baisse majeure de la natalité, d’une offre d’emplois importante dans les secteurs d’activité “déplaisants, difficiles et dangereux”QK, d’une recherche de personnel peu coûteux et relativement docile (= soumis à la menace d’être renvoyé ou rapatrié), etc. En règle générale, la main-d’œuvre ne prend pas l’initiative d’aller pourvoir les postes vacants dans les pays qui en ont besoin, mais ce sont plutôt les entreprises, via des agences de recrutement ou des accords bilatéraux conclus entre les gouvernements des nations concernées, qui vont à la recherche de leurs personnels. La migration ainsi induite se caractérise par un élément révélateur : le départ massif de migrants depuis une zone très circonscrite de leur pays et leur arrivée dans des lieux très précis (par exemple, du village de Manoppello en Italie aux mines belges de Marcinelle). Si les accords de main-d’œuvre sont aussi nombreux que méconnus, les agences de recrutement ou d’émigration/immigration le sont encore davantage, puisqu’elles agissent souvent dans l’illégalité.
Causes politiques
En plus des accords de main-d’œuvre, la politique migratoire des pays concernés peut avoir une influence déterminante sur les flux de migrants. Certains gouvernements favorisent ouvertement l’émigration comme un facteur de richesse via l’exportation de main-d’œuvre en échange de transferts de fonds considérables. En revanche, certains gouvernements des pays d’immigration peuvent détourner des flux de migrants en modifiant soudainement les conditions d’entrée et de séjour sur leur territoire. Par exemple, les témoignages des premières migrantes philippines arrivées en Italie en 1977 révèlent que leur migration dans la Péninsule résulte d’obstacles inopinés ne leur ayant pas permis d’entrer au Royaume-Uni, but premier de leur voyage. Il arrive ainsi que des pays considérés au départ par les migrants comme des pays de « transit », soient choisis pour leur législation moins stricte quant au séjour et se révèlent ensuite pour eux plus “intéressants” que prévu.
Causes individuelles
Au niveau individuel la migration peut représenter soit une “fuite”, qui éloigne une personne d’un environnement considéré comme négatif (difficultés familiales, conflits affectifs, manque de perspectives à la hauteur de ses propres attentes, stigmatisation, etc.), soit une opportunité de vie dans une société perçue comme plus conforme à ses propres valeurs (sécurité, affinité idéologique, anonymat, etc.) ou bien plus adaptée à la personne avec qui le migrant forme un couple international. Des flux migratoires importants sont parfois engendrés par des occasions fortuites qui mettent en relation un lieu où résident des migrants potentiels avec un autre où des entreprises sont en manque de main-d’œuvre ; mais pour que le phénomène prenne des proportions importantes, il faut qu’interviennent des acteurs économiques et politiques qui saisissent les avantages d’un tel mouvement migratoire.
Migrations sous la menace
Les conflits armés, les catastrophes naturelles ou les craintes de persécution dans son propre pays constituent une cause majeure de migrations. Or, comme les déplacements forcés nécessitent des ressources économiques pour atteindre les lieux les plus éloignés et les plus sûrs, les réfugiés sont plus nombreux dans les pays les plus proches de leur lieu d’origine.
Chaînes migratoires
Quelle que soit la raison de la venue des premiers migrants dans un pays, ces derniers sont indirectement à l’origine de l’arrivée d’autres membres de leur réseau social (famille, amis, villageois, etc.). En plus de leur souhait d’être aidés par des proches, ils véhiculent auprès de leur famille l’idée qu’ailleurs la vie est plus belle ou qu’elle laisse espérer en tout cas un avenir meilleur au prix, pendant une période limitée, de souffrances et d’humiliations.
Pouvoir d’achat
Le pouvoir d’achat ou, plus exactement, les taux de change entre les devises constituent des motivations non négligeables pour que des personnes envisagent de quitter, du moins provisoirement, leur pays. Si, par exemple, à Madagascar vingt dollars représentent le salaire mensuel d’un ouvrier, en France des employeurs proposent trente fois plus pour promener un chien pendant un mois.
Ce qui ressort de cette liste concise de facteurs de la migration, c’est que les raisons qui incitent une personne à partir en quête d’une vie meilleure, loin de ses repères et de ses proches, doivent être très convaincantes et soutenues par des moyens adéquats. Sur le plan émotionnel, la peur et l’illusion se mêlent, tandis que le choix des pays de destination s’oriente vers les lieux qui offrent le plus d’assurances : le plus proche, le plus compatible, le plus connu, le plus accessible, le plus recommandé. Lorsque le départ n’est pas envisagé comme définitif (comme dans la plupart des cas), l’aventure migratoire devient plus acceptable.