Terminologies inadaptées

Des terminologies qui laissent à désirer - © Migral

Les pièges du vocabulaire

Étudier la condition et les trajectoires des enfants d’immigrés est un exercice difficile qui se heurte au champ miné des terminologies inadéquates, qui, implicitement, véhiculent des préjugés à leur encontre. Le cœur de la problématique tient dans l’impossibilité d’éviter de mentionner le lien entre les individus considérés et l’origine immigrée de leurs parents ou de leurs ascendants. C’est ainsi que beaucoup de spécialistes critiquent l’expression « enfants d’immigrés » qui, selon eux, renverrait toujours ces derniers à un statut d’étrangéité ; de même, nombre de chercheurs évitent d’employer le terme « deuxième génération », puisqu’il se rapporterait à des personnes qui ne sont pas censées avoir migré et qui ne constituent pas, de ce fait, une « nouvelle génération d’immigrés »QK.

Les rapports statistiques, quant à eux, se doivent de définir de manière très stricte les catégories qu’ils utilisent afin de pouvoir comparer des populations différentes. Au niveau international, il est courant de considérer les enfants en opérant une distinction entre « autochtones », « deuxième génération » et « génération 1,5 » des migrants, cette dernière expression désignant les enfants qui, contrairement à ceux qui sont nés de parents immigrés dans le pays d’accueil (= « deuxième génération »), sont nés à l’étranger et ont migré lors de leur plus jeune âge.

Ces distinctions possèdent cependant de nombreuses limites, la réalité étant bien plus complexe que la théorie. Ainsi, les enfants de couples mixtes (autochtone et immigré) ne sont pas pris en compte, de même que les enfants qui, selon la composition du couple des parents, appartiendraient à plusieurs générations à la fois, etc. Par ailleurs, les statistiques ne tiennent compte que du lieu de naissance des individus considérés, omettant des données importantes sur leur milieu social, sur les contextes éducatifs et socioéconomiques de provenance des parents, sur les problématiques sociales de leurs foyers, etc.

Une définition moins « statistique » et plus « sociale »

Les personnes auxquelles nous faisons référence sont donc, à bien des égards, indéfinissables, ce qui suggère de les aborder de manière descriptive plutôt que de créer des termes particuliers. La plupart sont nées dans une famille qui, après avoir migré en quête de revenus meilleurs via des emplois que les chercheurs qualifient de « 3 “D” » (dirty, difficult et dangerous, sale, difficile et dangereux), a encore un projet d’avenir dans le pays d’origine (elle continue d’y envoyer de l’argent, y construit sa maison « définitive » et oriente l’éducation des enfants en perspective d’un retour au pays). Dans ce contexte, elles vivent mal la séparation conflictuelle, voire le « divorce », entre d’une part, les valeurs et la culture de leurs parents (à savoir la micro-culture du village d’origine), et d’autre part, les valeurs et les traditions du pays d’accueil. Si les immigrés peuvent être comparés à des « pionniers » du nouveau monde (le pays d’immigration), leurs enfants sont plutôt à l’origine d’une « nouvelle dynastie », un nouvel arbre généalogique qui se détache de la souche d’origine, comme le montre la différence frappante d’attitudes entre les enfants d’immigrés et leurs homologues du pays d’origine.

La peur du malaise

Peu intéressée par les considérations sémantiques concernant la figure de l’« enfant d’immigrés », l’opinion publique « occidentale » regarde avec inquiétude les « jeunes », improprement appelés « d’origine étrangère », qui habitent des quartiers à problèmes, qui sont victimes de discriminations raciales et qui, pour certains, semblent enclins à la « radicalisation islamique ». Aux Pays-Bas, en Allemagne, au Royaume-Uni, en Belgique, en France, au Canada et aux États-Unis des émeutes et des attentats ont parfois eu comme protagonistes des descendants de populations immigrées venant de pays à majorité islamique et résidant dans d’authentiques ghettos ethniques au sein des villes du pays d’accueil. Dans ce contexte, pour beaucoup d’entre eux, la religion devient un étendard qui fédère une colère et une indignation face à des « injustices » subies, réelles ou supposées.

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