Discriminations : considérations terminologiques
Lorsqu’on évoque les discriminations à l’encontre des immigrés et des étrangers, de nombreux termes sont utilisés tant par les spécialistes que par l’homme de la rue, sans que leur signification ou leur étymologie soient bien connues. L’étymologie témoigne par ailleurs d’une évolution historique de la pensée sur ces questions. Ci-après, nous passerons rapidement en revue les termes principaux utilisés dans ce domaine.
Discrimination
Dérivé du verbe latin discernere, « discerner », « voir clairement par contraste les différences entre les choses », le mot discrimen, « démarcation », a été à son tour à l’origine au Moyen Âge du mot discriminatio, « distinction », qui garde un sens neutre, voire positif, jusqu’au milieu du XIXe siècle. Après la guerre civile américaine (1865), et plus encore durant les régimes fascistes des années 1920-1945, le terme « discrimination » prend une connotation négative, puisqu’il se traduit par une séparation des personnes auxquelles sera réservé un traitement inégal, injustifié. Dans le but de “mesurer” la discrimination, les spécialistes ont fait une distinction entre des inégalités objectives, qui font état d’un écart statistique significatif injustifié entre les conditions de deux groupes (par exemple, la différence du taux de chômage entre les descendants d’autochtones et d’immigrés) et des inégalités subjectives, qui tiennent compte du ressenti des individus qui se déclarent discriminés, tandis que dans le même temps le droit subdivise les discriminations en directes, c’est-à-dire flagrantes/évidentes, et indirectes, à savoir masquées par des critères en apparence « neutres ».
Racisme
L’étymologie du terme “race” est relativement incertaine, d’aucuns le faisant remonter au latin radix (« racine ») ou ratio (« genre », « type »), d’autres proposant plutôt une origine germanique (reiza, « ligne »), aryenne (râs, « origine »), slavonne (raz, « gens »), et même arabe (razz, « planter »). Si l’attitude raciste est très ancienne, le concept de « racisme » commence à être théorisé au début de l’époque coloniale, lorsqu’il s’est agi d’établir si les indigènes des Amériques avaient une âme ou non (cf. la fiche [#613]). Mais ce n’est qu’à la fin du XIXe siècle qu’apparaît le mot « racisme » dans le sens positif d’« attitude patriote ». Parallèlement, l’émergence des nationalismes en Europe et le succès des théories de l’évolution biologique de Charles Darwin (1809-1882) font naître chez plusieurs philosophes et hommes politiques l’idée que certaines nations seraient génétiquement plus évoluées que d’autres et que le “destin” des premières serait de dominer les secondes et de les remplacer définitivement. Le terme racisme est alors rapidement associé à des expressions d’hostilité « contre » une « race » particulière : « racisme anti-juif », « racisme anti-slave », etc.
Très courant dans le langage populaire, le mot « racisme » a néanmoins donné lieu à une vaste et complexe littérature théorique qui a mis en exergue sa formation, ses mécanismes, ses typologies, ses degrés, etc., jusqu’à suggérer l’existence d’un « racisme d’État », caché sous un système administratif et juridique apparemment égalitaire.
Xénophobie
La xénophobie, ou « peur de l’étranger » (du grec xenos, « étranger » et phobia « crainte »), apparaît à la fin du XIXe siècle et signifie alors « peur de la foule », avant de prendre durant les années 1900 la signification qu’on lui connaît aujourd’hui (on le trouve, par exemple, dans les livres d’Anatole France). Forgé en utilisant le grec, comme le fait la médecine pour nommer les pathologies, le terme devient négatif, signalant, indirectement, un comportement « maladif ». La xénophobie se nourrit de l’ethnocentrisme (= « son ethnie au centre de l’univers »), selon lequel « la collectivité à laquelle on appartient, ses coutumes, ses valeurs, ses lois, sa religion, sa langue, constitueraient [...] la norme du bon, du bien et du vrai » (Véronique de Rudder)QK.
Affirmative/positive action, discrimination positive, égalité des chances
Aux États-Unis, durant les années 1960, suite aux accusations de « racisme institutionnel » (expression créée par les sociologues Stokely Carmichael et Charles Hamilton)QK portées par la population noire à l’encontre de l’État, les autorités publiques essaient de trouver un remède à ce système jugé discriminatoire par l’adoption de programmes dits d’« affirmative action », visant à permettre aux Noirs d’avoir les mêmes chances que les Blancs (equal opportunities). Dans les années 1970, au Royaume-Uni, cette démarche se traduit par la mise en place d’une positive action définie par la Commission des droits civils comme « toute mesure, allant au-delà de la simple condamnation des pratiques discriminatoires, adoptée pour corriger, pour compenser les discriminations subies dans le passé et empêcher toute discrimination de se reproduire à l’avenir ». En France, ce n’est que durant les années 1990 que la lutte contre les discriminations devient une question majeure dans les discours politiques, lorsque la politique d’intégration est remise en cause. L’affirmative ou positive action prend alors la forme de la « discrimination positive », une version revisitée de la démarche anglo-saxonne, qui prône une protection, par l’imposition de « quotas », des personnes issues de groupes considérés comme victimes de discriminations, en vue de promouvoir la « diversité » au sein des institutions et des entreprises.
Toutes ces politiques ont également pour but de combattre la ségrégation territoriale de plus en plus manifeste dans les pays concernés. Voilà pourquoi dans l’Hexagone les expressions « lutte contre les discriminations » ou « égalité des chances » se sont transformées en « égalité des territoires ».