La Première Guerre mondiale et la naissance des “migrations internationales”
L’affirmation des États-nations
Le premier conflit dit « mondial » (1914-1918) oppose les États de la Triple-Entente (France, Grande-Bretagne et Empire russe) à ceux de la Triple-Alliance (Empire allemand, Empire austro-hongrois et Empire ottoman). La guerre a une dimension planétaire non seulement parce qu’elle implique un nombre plus élevé d’États et de continents que les six puissances susmentionnées (États-Unis, Italie, Belgique, Roumanie, Grèce, Serbie, Bulgarie, Portugal, Japon, etc.), mais aussi parce qu’elle a des répercussions plus ou moins importantes sur l’ensemble des territoires assujettis aux empires coloniaux européens. La France et l’Angleterre, notamment, mobilisent des troupes de « coloniaux » qui vont contribuer à la victoire de leurs armées respectives.
La fin de la « Grande Guerre », qui se solde par l’éclatement et la destruction des grands « empires »QK ottoman (1299-1923), austro-hongrois (1867-1918) et russe (1721-1917), voit s’imposer le modèle de l’État-nation. S’ensuit l’affirmation généralisée d’une souveraineté dite “nationale”, caractérisée notamment par le droit et le pouvoir qu’ont les États-nations de contrôler les circulations transfrontières, le libre accès au territoire d’un État étant réservé à ceux qui possèdent la nationalité qui lui est associée. Alors que jusqu’au XIXe siècle, l’individu jouissait d’une liberté de circulation internationale très large, dorénavant les déplacements des êtres humains seront indissolublement liés à la possession d’un passeport nationalQK.
Les mouvements des réfugiés de guerre
Peu avant le début de la Première Guerre mondiale, on assiste en Europe à d’importants mouvements de populations composés de personnes que l’on peut aisément qualifier de réfugiés de guerre, mais aussi de personnes qui quittent les régions où elles habitent en raison de leur nationalité. Ces phénomènes sont manifestes au cours des guerres balkaniques, notamment en ce qui concerne les Grecs de Turquie. Puis, durant la guerre, deux grands événements historiques vont marquer l’évolution de la notion de « réfugié » et être à la base de la définition contemporaine du réfugié, à savoir le génocide des Arméniens ainsi que la déportation d’autres populations sujettes de l’Empire ottoman (Assyriens, Kurdes, 1915) et la révolution bolchevique en Russie (1917).
Accusées par les « jeunes Turcs » au pouvoir en Turquie de « complicité » avec l’ennemi russe et de « désertion », suspectées de vouloir créer de nouveaux États-nations, à partir de mai 1915, les populations arméniennes vont être, selon la version officielle, « déplacées » des régions orientales de l’Anatolie vers la Syrie, mais en réalité cela s’apparentera à une véritable opération d’extermination délibérée d’un groupe de personnes en raison de ses caractéristiques nationales, culturelles, ethniques et religieuses. En 1924, le nombre de réfugiés arméniens sera estimé à plus de 300 000. En outre, dès 1920, les nationalistes turcs sous la houlette de Mustafa Kemal refusent de reconnaître le traité de Sèvres, signé la même année par les Alliés et l’Empire ottoman, et qui prévoit la création d’une Arménie et d’un Kurdistan indépendants, aux dépens essentiellement de l’Empire ottoman moribond et dépecé. Soutenus par la France et la Russie soviétique, les kémalistes finiront par battre les Grecs en septembre 1922, ce qui conduira à la signature, en juillet 1923, du traité de Lausanne
, qui mettra fin aux rêves des Arméniens et des Kurdes et qui imposera des “échanges” de populations de grande ampleur entre la Turquie (400 000 Turcs rapatriés) et la Grèce (1,3 million de Grecs rapatriés et 400 000 morts au cours des déplacements).
Parallèlement, en 1917, la prise du pouvoir en Russie par les révolutionnaires de l’ancienne faction bolchevique du Parti ouvrier social-démocrate va provoquer l’exode massif de ceux qu’on appellera les “Russes blancs” (par opposition aux “Rouges” communistes), exode accru ensuite par le flot des personnes fuyant la guerre civile, qui ne prendra fin qu’en 1923. Alors que l’on évalue à environ 1,5 million de personnes le nombre des exilés russes, dont au moins la moitié sont installés dans les pays d’Europe occidentale, « le 15 décembre 1921, un décret du Comité central exécutif et du Conseil des Commissaires du peuple déchoit de leur nationalité russe les personnes ayant séjourné à l’étranger plus de cinq ans ou ayant quitté la Russie après le 7 novembre 1917 sans l’autorisation du gouvernement soviétique »QK.
Le Haut Commissaire pour les réfugiés
La situation du million et demi de Russes devenus apatrides par la volonté des autorités soviétiques, ainsi que celle des quelques centaines de milliers d’Arméniens apatrides de facto interpellent les États nouvellement regroupés dans la Société des Nations (SDN, 1919). C’est ainsi que le 27 juin 1921 la SDN décide de créer en son sein l’Office du Haut Commissaire pour les réfugiés, à la tête duquel sera nommé presque deux mois plus tard Fridtjof Nansen, diplomate norvégien, avec le mandat d’assurer une protection juridique aux réfugiés. Le premier texte adopté par la SDN dans le cadre d’une conférence internationale convoquée à l’initiative du Haut Commissaire sera l’arrangement de Genève du 5 juillet 1922 « concernant la question des certificats d’identité pour les réfugiés russes ». Ce document entrera dans l’histoire sous le nom de “certificat Nansen” ou encore de “passeport Nansen”, dans la mesure où il permet à son détenteur de se déplacer dans les pays qui lui auront accordé un visa d’entrée et aussi de revenir dans le pays où il a sa résidence.