Mourir sur le chemin de la migration

Mai 2014 : sauvetage au large de Pantelleria - © Gente di Mare News

Les frontières terrestres militarisées ne représentent pas l’obstacle le plus meurtrier pour les migrants. La voie maritime empruntée par les migrants irréguliers fait des milliers de victimes chaque année, notamment en Méditerranée et autour de l’île française de Mayotte. Si les naufrages au large des côtes européennes font souvent la une des médias, les noyades près de Mayotte sont, elles, moins connues de l’opinion publique. Depuis l’instauration, en janvier 1995 du « visa Balladur », les habitants des Comores ne peuvent plus accéder librement au DOM français de Mayotte et les tentatives pour franchir cette frontière maritime à bord de frêles embarcations locales appelées « kwassa kwassa » ont fait plus de 12 000 morts en vingt ans.

En Méditerranée, entre 2014 et 2017, les statistiques du Haut Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR) font état de plus de 15 000 personnes décédées en essayant d’atteindre l’Union européenne. Si ce chiffre correspond à 1% du total des arrivées enregistrées, lorsque l’on prend en compte les données de la traversée entre l’Afrique et l’Italie, ce taux grimpe à presque 5%. Il s’agit, bien entendu, d’un calcul par défaut, le nombre de noyés étant certainement plus élevé. La majorité des personnes qui ont trouvé la mort sur la route maritime de la migration sont des hommes adultes, mais l’on compte également quelque 13% de femmes et 18% d’enfants.

« La plupart de ces hommes, femmes et enfants disparaissent anonymement, sans que soient mises en place des procédures permettant de les identifier et sans que leurs proches puissent savoir ce quils sont devenus. Tandis que les États sont en mesure de mettre en œuvre différentes procédures permettant de retrouver et didentifier leurs ressortissants en cas de catastrophe naturelle, il nexiste aujourdhui aucune procédure harmonisée à léchelle européenne, encore moins méditerranéenne, destinée à identifier les personnes migrantes qui perdent la vie durant leur parcours migratoire »QK.

Pourquoi de telles tragédies ?

Les médias font régulièrement état de noyades de migrants en mer. L’opinion publique, qui ponctuellement s’émeut et s’indigne face à ces événements dramatiques, se pose un certain nombre de questions.

Parmi celles-ci, la première, récurrente, : qui est responsable ? Pouvait-on éviter ces tragédies ? D’après les règles, non écrites, de la navigation maritime et d’après la Convention internationale sur la recherche et le sauvetage maritimes (Convention SAR) de 1979, les pays et les embarcations les plus proches ont l’obligation de porter secours aux bateaux en détresse et de participer à la recherche d’éventuels naufragés. En ce qui concerne les migrants, dans maintes occasions cette règle n’a pas été respectée, malgré la présence massive de dispositifs et d’embarcations de surveillance dans les zones maritimes concernées. En outre, afin d’éviter des « appels d’air » et d’empêcher l’arrivée d’indésirables, les gouvernements des pays riverains imposent parfois aux ONG qui effectuent des opérations de sauvetage, de n’intervenir que dans les eaux internationales et de communiquer aux autorités les identités des personnes secouruesQK.

Une deuxième question intrigue souvent les observateurs : quelles raisons poussent des individus à entreprendre des voyages aussi risqués ? Face à des possibilités quasi nulles de pouvoir migrer de façon régulière dans les principaux pays qui offrent sécurité et bien-être économique, il ne reste à beaucoup de ressortissants de pays tiers en voie de développement que le recours aux passeurs. Les récits de personnes ayant réussi à traverser la Méditerranée mettent en relief les obstacles énormes qu’elles ont dû surmonter, mais, sauf dans le cas des demandeurs d’asile, ces histoires livrent peu d’informations sur les raisons qui ont motivé les départs. Leurs protagonistes constituent une minorité d’individus qui, conscients des possibilités qui existent ailleurs pour sortir des impasses économiques, familiales ou existentielles dans lesquelles ils se trouvent, font le pari d’investir toutes leurs ressources et d’accepter d’énormes sacrifices en vue d’atteindre cet objectif.

Enfin, une troisième question, que beaucoup formulent spontanément, porte sur la provenance des migrants. Celle-ci varie d’une année à l’autre et est fonction du degré d’urgence à fuir certaines situations et des possibilités dont disposent les intéressés, tant sur le plan économique que sur le plan de l’efficacité des « agences » d’émigration selon les pays où elles opèrent. D’après le HCR, en 2017, les arrivées par la Méditerranée concernaient surtout des Nigérians, des Syriens, des Guinéens (Conakry), des Ivoiriens, des Marocains, des Bangladais, des Gambiens, des Algériens, des Érythréens et des Maliens.

Les responsabilités politiques

Quel que soit le pays d’immigration concerné par ces pertes en vies humaines, aucun gouvernement n’accepte d’en être tenu pour responsable, les autorités publiques estimant que la faute en incombe plutôt à l’ignorance des migrants et au cynisme des passeurs. Parallèlement, l’argument du coût onéreux des opérations de sauvetage pour le contribuable a été la principale raison avancée pour mettre fin à l’opération Mare Nostrum, mise en place en Méditerranée par l’État italien entre octobre 2013 et novembre 2014.

Une fois encore, les responsables politiques refusent de reconnaître que la façon de concevoir les frontières ainsi que les conditions d’entrée et de séjour des étrangers sont à revoir en profondeur.

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