Les Turcs

Membres d'une association turque à un enterrement à Quimper - © Ouest France

Un peuple venu d’Asie centrale

Peuple de nomades originaires des steppes entre le nord de la Chine et le lac Baïkal, les Turcs (qui ne sont donc ni des Arabes, ni des Moyen-Orientaux) arrivent en Asie Mineure à l’époque des croisades, où ils combattent aux côtés des Arabes. Après leur conversion à l’islam, ils abandonnent leur écriture sogdienne au profit de l’alphabet arabe. Pendant quatre siècles ils restent sous l’égide de l’Empire ottoman jusqu’à l’instauration de la République, le 29 octobre 1923, par le général Mustafa Kemal, dit Atatürk. Organisée selon le modèle français, la République turque connaît une série de réformes qui, pendant quinze ans, révolutionnent la vie de tout un peuple. Parmi ces dernières figurent notamment l’adoption de l’alphabet latin, la laïcisation de l’État, l’imposition d’une mode vestimentaire occidentale, la modification des noms de famille, l’instauration d’un nouveau code pénal, du suffrage universel, l’éligibilité politique des femmes, le passage du jour de repos hebdomadaire du vendredi au dimanche et la fermeture de nombreuses écoles coraniques. Ces changements profonds au sein de la société turque ne s’opèrent pas sans frictions ni conflits, ils sont à l’origine de trois coups d’État, respectivement en 1961, en 1971 et en 1980. À la même période, le pays connaît une forte crise économique, résultat d’une mauvaise gestion étatique par le Parti démocrate, au pouvoir de 1950 à 1960, qui conduit à vider les caisses de la nation.

Proximité géographique avec l’Europe, crise économico-financière et croissance démographique ont été, durant les années 1960 et 1970, autant d’éléments favorables à une forte émigration turque vers le Vieux continent, alors en quête de main-d’œuvre. Au terme des « trente glorieuses », le contingent turc représentait le groupe « non européen » le plus important en Europe, les recensements de l’époque faisant état de 4 millions de ressortissants. Ces travailleurs sont arrivés le plus souvent dans le cadre d’accords de main-d’œuvre entre les États, et ont été embauchés principalement dans les usines et les campagnes d’Allemagne, de France, des Pays-Bas, de Belgique, de Suisse, du Danemark et de Suède.

Les vagues migratoires turques dans l’Hexagone

La migration turque vers la France remonterait à l’année 1908, suite au soulèvement d’une poignée d’intellectuels issus de l’aristocratie ottomane contre le sultan. Il s’agit donc, au début, d’un flux migratoire peu important, temporaire et motivé par des raisons politiques. La « vraie » migration, de type économique, commence en 1965 avec la signature d’un accord de main-d’œuvre entre la Turquie et la France (cf. le décret n° 65-447 du 10 juin 1965). Des accords similaires sont également signés entre la République turque et les pays européens mentionnés plus haut. Si au lendemain de la signature de ces accords, les flux de travailleurs venant d’Anatolie sont modestes, ils s’accélèrent pour atteindre des pics en 1969 et en 1974 (151 305 effectifs en stock et 8 000 en flux). La suspension de l’immigration décidée en juillet 1974 par le gouvernement français n’arrête pas l’afflux de ressortissants turcs, qui continuent d’arriver sur le territoire avec des permis de séjour pour regroupement familial. Originaires de différentes régions de la Turquie, notamment de l’Est (Cappadoce, Konya, Mer noire orientale) et du Sud-Ouest (Afyon, Isparta, Denizli), ces immigrés sont, pour la plupart, issus du milieu rural et sont peu scolarisés. Ils ne connaissent pas la France et ne parlent pas français. Il s’agit majoritairement de musulmans sunnites de rite hanéfite (l’école sunnite la plus répandue chez les musulmans non arabes), mais une minorité (environ 15% à 20%) sont des alévis, adeptes d’un islam que beaucoup confondent avec le chiisme. En France, en raison des opportunités offertes par le marché du travail, les populations d’origine turque se concentrent dans les grandes villes industrielles, en Alsace-Lorraine, en Île-de-France, dans la région lyonnaise, mais aussi en Bretagne, en Limousin, en Bourgogne, en Gironde, etc. Une deuxième vague migratoire considérable (plus de 25 000 personnes) se produit durant les années 1980 après le coup d’État militaire. Ce flux se compose essentiellement d’hommes politiques et de syndicalistes de l’ensemble de la gauche (Parti communiste, Parti des travailleurs socialistes turcs, Parti des travailleurs et des paysans turcs, Confédération des Syndicats des travailleurs révolutionnaires, etc.)QK. Entre 1980 et 1985, environ 2 500 Turcs demandent l’asile en France chaque année. À partir de 1985, année de la tenue d’élections en Turquie, on observe à la fois un mouvement de retour au pays et une augmentation exponentielle des demandes d’asile (54 278 de 1987 à 1993).

Le « repli communautaire » turc

Comme on peut l’observer, la migration turque en France est de nature économique et politique. Malgré leurs différences, les deux vagues migratoires, survenues à quinze ans d’intervalle, finissent par se chevaucher en raison de la présence prolongée des migrants économiques au-delà de leurs intentions initiales. En effet, pour les travailleurs immigrés turcs, l’année 1980 marque en quelque sorte un tournant : si la migration avait au départ été envisagée comme temporaire, la plupart d’entre eux font le choix de s’installer durablement. Il s’agit d’un choix douloureux, teinté de nostalgie pour le territoire quitté, qui vient briser le rêve du retour. Après plus de 45 ans de présence sur le sol français, les Turcs demeurent toujours très attachés à leur pays d’origine, ce sentiment s’accompagnant très souvent d’une certaine résistance à accepter le mode de vie du pays d’accueil.

Mus par une sorte de « non volonté d’intégration », les Turcs arrivés au cours des années 1960 ont déployé des stratégies de conservation de leur culture. Ils se sont regroupés et ont créé de vrais quartiers turcs où la communauté prime l’individu et où l’organisation communautaire s’appuie sur le religieux et la maîtrise des alliances matrimoniales pour constituer un réseau de surveillance de ses membres, notamment de ses descendants. En d’autres termes, en France les Turcs ont créé une sorte de « forteresse » bâtie sur des espaces imaginaires datant de l’époque de leur première émigrationQK.

En France, le « repli communautaire » turc devrait interroger la politique française d’intégration. Celle-ci devrait opérer une distinction entre l’intégration sociale (logement, emploi, scolarisation, protection sociale, accès aux soins, etc., à l’adresse de tous les citoyens) et l’intégration culturelle (mentalités, valeurs, traditions, codes de comportement, etc., à l’adresse des ressortissants étrangers), cette dernière étant plus complexe à aborder et nécessitant des actions à long terme. La démarche d’intégration à la société devrait être facilitée par une logique pédagogique et d’éducation populaire. Pour que les descendants des immigrés turcs soient des Français à part entière tout en gardant l’héritage culturel de leurs ascendants, il faudrait que la culture de ces derniers s’ouvre à l’universel à travers un travail de médiation.

Le groupe kurde

Les Kurdes appartiennent à un groupe ethnolinguistique caucasien qui, d’après les sources historiques, sont souvent localisés entre l’Anatolie orientale, le nord de la Mésopotamie et l’Iran occidental. Au cours du XIXe siècle, la conscience nationale de cette population, mal administrée par l’Empire ottoman et la Perse, fut réveillée par le Cheikh Ubeydullah, un chef politique et religieux qui poussa, sans succès, ses concitoyens à la révolte. Au moment de la dissolution de l’Empire ottoman, à l’issue de la Première Guerre mondiale, le rêve indépendantiste kurde était proche de se concrétiser. En effet, selon le Traité de Sèvres de 1920, le Kurdistan aurait dû devenir un État à part entière, mais Mustafa Kemal parvint à s’y opposer, en signant, en 1923, les accords de Lausanne, établissant les frontières actuelles de la Turquie. Aujourd’hui, les Kurdes représentent probablement l’ethnie la plus nombreuse (30 millions) à être privée d’un État-nation propre. Lorsqu’on parle de « Kurdes », il faut donc les distinguer selon leur passeport et leur « deuxième langue » (le turc, le persan ou l’arabe).

En France, l’histoire migratoire kurde suit les grandes lignes des migrations turques et iraniennes, mais elle se caractérise par un exode plus prolongé dans le temps, à cause de la situation économique et politique plus précaire dans les régions d’origine. Pour cette raison, l’émigration « turque » la plus récente est majoritairement composée de Kurdes provenant notamment des régions du Nord-Est (Ardahan, Tunceli, Erzincan, Kars, etc.). Ces immigrés se mélangent peu avec leurs homologues turcs ou iraniens.

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