Les mineurs isolés étrangers
En France, on appelle “mineur isolé étranger” (mie)QK toute personne n’ayant pas atteint l’âge de la majorité légale et qui se trouve dans un pays autre que celui dont elle a la nationalité. Le droit européen utilise cependant les expressions « mineur étranger non accompagné » ou « mineur étranger séparé ».
Au-delà de la question fort complexe des différences subtiles, mais importantes, dont ces diverses expressions sont empreintes, ce qu’il est important de retenir ici, quelle que soit l’appellation retenue, c’est que les enfants et les jeunes concernés sont, avant tout, des personnes ayant besoin d’une forme de protection spécifique en raison de leur situation particulière.
Sur le plan international, le devoir de protection dû à ces personnes prend sa source dans la Déclaration des droits de l’enfant des Nations unies de 1959, qui, dans son préambule, stipule que « l’enfant, en raison de son manque de maturité physique et intellectuelle, a besoin d’une protection spéciale, et de soins spéciaux, notamment d’une protection juridique appropriée, avant comme après la naissance ». Aujourd’hui, les droits des enfants figurent essentiellement dans la Convention internationale des droits de l’enfant (CIDE) du 20 novembre 1989. D’autres textes sur la question tels que la Convention sur la coopération et la protection des enfants en matière d’adoption internationale du 29 mai 1993, la Convention européenne sur l’exercice des droits de l’enfant du 7 septembre 1995, la Convention concernant la compétence, la loi applicable, la reconnaissance, l’exécution et la coopération en matière de responsabilité parentale et de mesures de protection des enfants du 19 octobre 1996 se réfèrent tous dans leurs préambules à la CIDE.
Longtemps perçue comme un phénomène marginal ou ponctuel, la présence de mineurs isolés étrangers sur le territoire français fait depuis quelques années l’objet de préoccupations grandissantes parmi les acteurs accompagnant, à un titre ou à un autre, cette population. Nombre d’associations engagées aux côtés des personnes vulnérables y voient le motif d’une mobilisation en vue d’améliorer les conditions dans lesquelles ces mineurs sont accueillis. Des voix de plus en plus nombreuses se font entendre, pointant les difficultés auxquelles sont confrontés les professionnels, magistrats, travailleurs sociaux ou policiers, qui, du côté de l’aide et/ou du contrôle, côtoient au quotidien ces mineurs privés de représentant légal et dont le sort interpelle également les autorités ayant, à l’échelon national ou local, la responsabilité de concevoir et d’organiser leur prise en charge. Depuis quelques années, le monde de la recherche s’est également saisi d’un objet d’étude d’importance au regard de ce qu’il révèle des formes contemporaines de traitement de l’altérité et de la vulnérabilité dans les sociétés européennes.
Dans un premier temps, au début des années 2000, dans un rapport commandé par la Direction (aujourd’hui dissoute) de la population et des migrations (DPM) du ministère français des Affaires sociales, la sociologue Angélina Étiemble, propose une typologie de ces enfants, conçue à partir des raisons ou des motivations de départ. Ces catégories aux dénominations assez parlantes — exilés, mandatés, exploités, fugueurs et errants — ont été réduites, selon les dires de la chercheuse elle-même, « telle une peau de chagrin, à deux figures : celle de l’“exilé” et celle du “mandaté”. Ce faisant, [cet usage] rapproche les intéressés des figures migratoires “connues” pour les adultes, les réfugiés et les migrants économiques ».
Par la suite, dans des textes de 2010 et dans sa thèse de doctorat soutenue en 2014, Dieudonné Kobanda, éducateur spécialisé et sociologue, présente une typologie complémentaire — émancipés et non émancipés — pour tenir compte du degré d’autonomie de ces mineurs et de sa prise en compte pour déterminer la manière dont le travailleur social doit aborder le mineur. Et ce, indépendamment de la question juridique de la majorité légale, l’âge n’étant pas le seul élément déterminant de la maturité sociale et de la capacité du jeune à être un acteur de sa propre vie.
En France, selon le droit commun, la responsabilité de l’accueil des mineurs au titre de l’aide sociale relève des départements, par l’intermédiaire des services de l’Aide sociale à l’enfance (ASE), quelle que soit la raison ayant engendré le besoin d’accueil : orphelinisme, défaillance des parents, rupture familiale, etc. Aucune discrimination n’étant autorisée par les textes nationaux et internationaux, les mineurs isolés étrangers présents sur le territoire français doivent être pris en charge par les services départementaux de l’ASE.
Cela pose quelques problèmes “techniques”, dans la mesure où les arrivées de mineurs étrangers isolés sur le territoire français sont concentrées sur un petit nombre de départements de par leur situation frontalière ou de par la présence d’importants aéroports, villes portuaires ou gares ferroviaires. Naturellement, les départements concernés se trouvent en situation de “surcharge” et protestent contre une telle situation. En 2013, une circulaire de la Garde des sceaux, ministre de la Justice, dite circulaire Taubira”QK a tenté de régler la question en introduisant un mécanisme national visant à mieux répartir les mineurs isolés étrangers accueillis en France selon « une clé de répartition correspondant à la part de population de moins de 19 ans dans chaque département ».
Toutefois, une décision ultérieure du Conseil d’ÉtatQK a annulé cette disposition de la circulaire, du fait que les critères portant sur la prise en charge de mineurs au titre de l’aide sociale étant régis par la loi, ils ne peuvent être modifiés que par une autre loi et non par une circulaire. Et ce fut le retour à la case départ.
Par ailleurs, quels qu’aient été les aspects positifs de la “circulaire Taubira”, celle-ci n’a pas mis fin à la « logique du soupçon » qui préside depuis de longues années à la gestion de la question des mineurs isolés étrangers. En effet, dans un contexte général marqué par des politiques de « maîtrise des flux migratoires » et de « bouclage des frontières », faute de pouvoir refuser de prendre en charge un mineur isolé étranger, la pratique des organismes officiels en la matière consiste à mettre en doute, par tous les moyens, la minorité des jeunes étrangers. Par conséquent, des moyens douteux, voire illégaux, sont employés pour écarter ces jeunes du bénéfice de l’aide sociale à l’enfance. C’est ainsi que sont mis en doute des actes de naissance délivrés dans le pays d’origine et que sont mis en œuvre les tests osseux si contestés par les scientifiques, y compris par le créateur de ces tests qui les avaient imaginés à d’autres fins bien précises. En outre, les jeunes isolés étrangers sont souvent soumis à des situations vexatoires telles que l’examen des organes génitaux et de la pilosité.
Par ailleurs, des mesures “techniques”, que l’on pourrait qualifier de mesquines, sont prises pour permettre à l’État, à la fin de la prise en charge au titre de l’aide sociale à l’enfance, de refuser le séjour au mineur devenu majeur. Ainsi, l’article 21-12 du Code civil qui exige que le mineur ait été pris en charge pendant au moins trois ans pour qu’il puisse à sa majorité être naturalisé français, conduit au refus de cette possibilité à la majorité des mineurs étrangers, qui, dans la plupart des cas, arrivent en France après leur quinzième anniversaire.
Enfin, il convient de signaler que des organismes associatifs auxquels l’État a délégué certaines fonctions de service public – par exemple, à Paris, la Permanence d’accueil et d’orientation des mineurs isolés étranges (PAOMIE) – sont souvent très critiqués par les associations de défense des étrangers, qui considèrent qu’ils agissent plutôt comme des “centres de tri” selon des critères opaques, dans le but de réduire au minimum le nombre des jeunes étrangers considérés comme des mineurs isolés.
Il en résulte que les moyens mis en branle par l’État pour l’accueil et la protection des mineurs isolés étrangers sont manifestement insuffisants.