Les migrations de la disparition du rideau de fer jusqu’à nos jours
Après la chute du mur de Berlin en novembre 1989, l’effondrement du bloc communiste (à l’exception d’importantes dictatures marxistes en Chine, en Corée du Nord, à Cuba, au Vietnam et au Laos) représente une rupture des équilibres géopolitiques mondiaux et l’anéantissement temporaire des structures étatiques de la plupart des nations concernées. Parallèlement, ces événements voient une accentuation du phénomène de la « globalisation » ou « mondialisation » - ainsi nommé par nombre d’observateurs depuis les années 1960 - qui s’intensifie grâce à l’amélioration des transports et la révolution informatique. Afin de profiter des avantages de la mondialisation et d’en réduire les inconvénients, plusieurs groupements d’États se constituent sur la base de liens commerciaux et sociaux privilégiés ; le cas le plus emblématique étant celui de la Communauté économique européenne, qui devient en 1993 l’Union européenne.
Mentionner dans cette fiche tous les événements marquants de l’histoire mondiale des migrations des dernières décennies relevant de la gageure, nous n’évoquerons ici que quelques clés de lecture majeures.
Migrations Est-Ouest
Entre 1989 et 1992, l’ouverture des frontières vers l’Ouest provoque dans les pays de l’ancien bloc soviétique d’importants mouvements de populations, qui inquiètent les pays occidentaux. Dans un premier temps, ce sont les descendants des Allemands (Aussiedler) et des Grecs (Pontiques) installés dans des pays allant de l’Europe de l’Est jusqu’au Kazakhstan qui reviennent en masse (plus de 2,5 millions de personnes) dans leurs « territoires d’origine ». Ensuite, alors que l’Italie voit débarquer des milliers d’Albanais sur les côtes des Pouilles (1991), beaucoup de Polonais, souvent en situation irrégulière, migrent en tant que saisonniers
en Allemagne, aux Pays-Bas, au Royaume-Uni et en Italie.
Après cette première vague, en Europe de l’Ouest le nombre des Polonais, des Roumains, des Ukrainiens, des Bulgares, des Moldaves, des Russes et des ressortissants de l’ancienne Yougoslavie ne cesse de croître au fil du temps, et notamment en Italie, en Grèce et dans la Péninsule ibérique, où ils forment d’importantes communautés. À ces flux s’ajoutent ceux des Roms roumains et bulgares.
Par ailleurs, ce nouveau climat politique favorise également la migration chinoise à l’échelle de la planète. L’ouverture économique de la Chine en 1979, au début de l’ère Deng Xiaoping, puis surtout en 1992, fait de cette nation à la fois l’un des premiers pays d’émigration et un nouveau pôle d’attraction pour la main-d’œuvre mondiale spécialisée.
Guerres civiles et génocides
Si pendant la guerre froide les conflits qui éclatent ont pour prétexte l’opposition entre les deux blocs idéologiques, les guerres civiles qui explosent après 1989 trouvent souvent leur origine dans les haines ethnique et religieuse.
La transition la plus sanglante et la moins réussie du communisme vers la démocratie a lieu en Yougoslavie. Onze ans après la mort de Tito (1980), les nationalismes conduisent les « peuples slaves du sud » (yougoslaves) à réclamer leur indépendance auprès de Belgrade. Les guerres de Slovénie, de Croatie, de Bosnie, de Macédoine et du Kosovo qui se succèdent durant dix ans, font plus de 300 000 morts et 4 millions de déplacés en raison de la menace de « nettoyage ethnique ».
En Afrique, des régions entières sombrent dans des conflits longs et meurtriers. En 1994, au Rwanda, suite à l’invasion d’une armée d’exilés de la minorité tutsie venus d’Ouganda, les autorités, à majorité hutu, orchestrent le massacre en à peine trois mois de près d’un million de Tutsis. Les événements au Rwanda ont une répercussion indirecte au Zaïre, rebaptisé « République démocratique du Congo » par Laurent Désiré Kabila, qui prend le pouvoir en 1997. Au début des années 1990, la Corne de l’Afrique, (Soudan, Ouganda, Éthiopie, Érythrée et Somalie) est le théâtre de guerres ethno-religieuses auxquelles la communauté internationale ne parvient pas à mettre un terme : des seigneurs de la guerre se partagent le territoire et instaurent des dictatures ou détruisent tout type d’ordre ou d’État. Les réfugiés de ces pays rejoignent des camps situés au-delà des frontières voisines, mais parviennent plus rarement à atteindre le « premier monde ». En même temps, à l’ouest du continent, les diamants découverts au Liberia et en Sierra Leone incitent à la convoitise et sont à l’origine de guerres civiles dans ces deux pays (1989-1997 pour le premier et 1991-2001 pour le second), qui font plus d’un million de morts et un nombre incalculable de réfugiés. La liste des conflits internes à l’Afrique n’est ici malheureusement pas exhaustive et beaucoup de foyers de guerre ont encore cours de nos jours (Libye, Mali, Soudan, Centrafrique, RDC, Nigeria, etc.).
En Asie, au Sri-Lanka, le conflit qui oppose depuis 1983 le gouvernement cingalais et les rebelles communistes de l’armée des Tigres de libération de l’Eelam tamoul (LTTE), se transforme dans les années 1990 en une guerre civile ethnico-religieuse qui engendrera un flux d’au moins 150 000 réfugiésQK. Ce flux se poursuit jusqu’à aujourd’hui malgré la fin officielle des hostilités en 2009 suite à la défaite des rebelles.
Islam et Occident
Malgré les efforts des esprits avertis pour déconstruire le mythe d’une opposition culturelle fatale entre monde musulman et Occident laïc et chrétien, ces dernières années sont ponctuées d’épisodes et d’initiatives qui renvoient à ce type de conflit ethno-religieux et culturel. Dans les pays d’immigration du Nord, en maintes occasions des partis et des leaders politiques déclarent que l’immigration musulmane serait incompatible avec les valeurs de la société autochtone et non intégrable. Le thème « Islam et laïcité » est constamment repris dans les débats publics, alors que dans le même temps plusieurs groupes de descendants d’immigrés musulmans (souvent maghrébins) dénoncent ce qu’ils appellent un « racisme d’État » à leur encontre. Les guerres du Golfe et l’intervention américaine en Afghanistan suite à l’attaque, le 11 septembre 2001, du World Trade Center à New York, contribuent à renforcer cette opposition. Les attentats terroristes, les bouleversements dans les pays « arabes » après les premiers soulèvements de décembre 2010 en Tunisie et la formation d’un « État islamique » alimentent aujourd’hui la méfiance d’une partie des opinions publiques occidentales vis-à-vis de l’Islam. Parallèlement, le nombre des réfugiés irakiens, afghans, syriens, érythréens, etc. croît chaque année.
La « forteresse Europe »
En 1993, entre en vigueur le Traité de Maastricht qui institue officiellement l’Union européenne (UE) puis, à partir de 1995, un nombre croissant d’États membres (sept au tout début) appliquent la convention de Schengen qui abolit les contrôles aux frontières entre les États signataires. La libre circulation des personnes au sein de l’espace Schengen implique la sécurisation de ses frontières extérieures, dans le cadre d’une politique visant à assurer un « espace de liberté, de sécurité et de justice » (Traité d’Amsterdam/1997, repris ensuite par le Traité de Lisbonne/2007). C’est ainsi qu’en 2004 l’UE crée à Varsovie l’Agence européenne pour la gestion de la coopération opérationnelle aux frontières extérieures des États membres de l'Union européenne (FRONTEX)
. Ces mesures ont pour corollaire d’opérer dans les politiques nationales d’intégration une distinction entre les ressortissants « communautaires » et les ressortissants « extracommunautaires », tandis que les contrôles aux frontières élargis désormais aux pays limitrophes de l’UE (Libye, Maroc, Turquie, Russie, etc.) deviennent de plus en plus sélectifs et exigeants, au point de favoriser parallèlement une immigration clandestine organisée par des passeurs et des réseaux sans scrupules, qui entraînent des milliers de migrants dans une traversée périlleuse de la Méditerranée.
La mondialisation et la migration féminine
Si la « mondialisation » en tant qu’interconnexion de populations et de sociétés à l’échelle de la planète n’est pas une nouveauté de l’ère contemporaine, en revanche, d’un point de vue économique et migratoire, c’est la « délocalisation » des activités productives qui représente une caractéristique plutôt inédite du monde actuel. Par ce biais, les grandes « multinationales » économisent sur les salaires et les charges sociales, en déplaçant leurs usines dans des pays riches en main-d’œuvre, mais où les salaires sont faibles. Que ce soit en Chine, chez les « tigres asiatiques » (Hong Kong, Macao, Singapour, Malaisie, Taiwan, Indonésie), en Amérique centrale (Mexique, Honduras, République dominicaine) et un peu dans tous les continents, les sociétés financières et les groupes industriels bénéficient de dérogations en matière fiscale, administrative et sociale dans le cadre de « zones franches d’exportation ».
Toutefois, certaines activités ne sont pas « délocalisables ». C’est notamment le cas dans le BTP, l’hôtellerie, les travaux domestiques, les soins médicaux, les services à la personne, la prostitution, etc. , des secteurs qui peuvent profiter d’une main-d’œuvre bon marché si cette dernière est importée des pays « en voie de développement ». Les marchés du travail des pays d’immigration demandent dans la plupart de ces secteurs d’activité un nombre toujours plus important de travailleuses immigrées pour assurer des tâches traditionnellement dévolues aux femmes, mais délaissées par les autochtones.