Les flux migratoires du XIXe siècle jusqu’à la Première Guerre mondiale
La grande migration « atlantique » vers les États-Unis
Au début du XIXe siècle, si les compagnies commerciales européennes des Indes occidentales déclinent après les indépendances des anciennes colonies, les trafiquants d’êtres humains deviennent de plus en plus puissants, profitant de la demande croissante de main-d’œuvre dans les pays où l’industrialisation est en plein essor. C’est notamment le cas au Royaume-Uni où la révolution industrielle est en marche, tandis qu’aux États-Unis et au Canada, qui disposent d’immenses territoires à exploiter, d’énormes infrastructures voient le jour. La plupart des pays européens, qui connaissent une croissance démographique constante, assistent aux premiers exodes importants des campagnes vers les villes, puis subissent l’attraction économique des Amériques, alimentée par la propagande des « agents d’émigration » qui promettent richesses et bonheur dans un paradis au-delà de l’océan.
Jusqu’au milieu du XIXe siècle, ce sont plusieurs milliers de migrants venant d’Europe du Nord (Îles britanniques, Prusse, Danemark, Scandinavie) et de Suisse qui vont s’installer aux États-Unis. Bien que culturellement et ethniquement différentes, ces populations ont en commun leur confession protestante. Parmi elles, les Irlandais sont de plus en plus nombreux, leur émigration s’accentuant entre 1846 et 1852 lorsque leur pays est frappé par la « grande famine » (un parasite, le mildiou, détruisant les récoltes de pommes de terre). En quelques années, plus de trois millions d’Irlandais quittent le Vieux continent ; ils constitueront par la suite la plus importante minorité catholique des USA.
À partir de 1871, après la guerre francoprussienne, d’autres flux migratoires arrivent en provenance notamment de l’empire austro-hongrois et de la péninsule italienne. Cet exode prend d’énormes proportions entre 1890 et 1910, tandis que les départs depuis l’Europe septentrionale diminuent : des Italiens, des Austro-Hongrois, des Russes et, un peu plus tard, des ressortissants des Balkans, des habitants du Benelux et du Portugal atteignent la côte new-yorkaise et transitent par Ellis Island, l’île où est établi en 1892 le centre d’identification et de contrôle sanitaire. Des navires quittent ainsi régulièrement l’Europe chargés de désespérés en quête d’une vie meilleure.
Si dans un premier temps le gouvernement américain ne pose aucune limite à l’immigration, à partir de 1875 des lois interdisent d’abord l’entrée aux « indésirables » (délinquants, handicapés, etc.), puis aux Asiatiques : en 1882 aux Chinois, en 1907 aux Japonais et en 1917 à tous les ressortissants du continent.
En 1921, la politique migratoire américaine devient encore plus restrictive, imposant la sauvegarde de la composition ethnique de la nation de l’époque : l’acceptation de nouveaux immigrés s’effectue selon le pourcentage de chaque nationalité déjà présente sur le territoire.
Par ailleurs, au début du XXe siècle, d’importantes grèves convainquent les Américains que les Européens seraient porteurs de l’idéologie communiste fort néfaste pour le progrès industriel. Dans les années 1920, les USA envisagent de plus en plus de recruter de la main-d’œuvre mexicaine, jugée plus docile et plus facile à rapatrier ; les migrants mexicains se voient alors demander de verser chaque mois une caution équivalente à 20% de leur salaire, récupérable au moment du retour dans leur pays.
L’attraction de l’Amérique du Sud
En Argentine, grâce aux registres des bateaux qui atteignent Buenos Aires de 1880 à 1920, la migration européenne est facilement identifiable. En matière d’emploi, l’offre est particulièrement importante, notamment dans les fermes. Au cours de la période susmentionnée, 2,3 millions d’Italiens (surtout du Mezzogiorno), 1,7 million d’Espagnols (en particulier de Galice) et nombre d’autres migrants (Français, Russes, Ottomans, Allemands, Autrichiens, Anglais), dont le nombre varie entre 50 000 et 185 000, contribuent à faire grimper la population du pays de 2,5 à 12 millions d’habitants.
Au Brésil, après l’abolition de l’esclavage en 1888, les exigences des grandes fazendas (exploitations agricoles de café et d’autres cultures) et d’importantes opérations de déforestation, rendent urgent le besoin de main-d’œuvre. Celui-ci est l’occasion de voir émerger en Europe des « agences d’émigration », qui offrent des facilités pour le voyage outre-Atlantique. Des millions de personnes répondent à cette demande, surtout des Portugais, des Italiens, des Prussiens (Allemands et Polonais), des Suisses, des Japonais, des Espagnols, des Chinois, des Coréens, des Ukrainiens, des Français, des Libanais (dits « Turcs »), etc. Si la migration italienne est surtout le fait d’hommes seuls, la plupart des migrants viennent souvent en famille. Un siècle plus tard, des descendants des immigrés japonais migreront au Japon et deviendront ceux que l’on appellera les Nikkeijins.
Les coolies asiatiques
Les coolies (terme probablement d’origine indienne, dérivé de « porteur » en hindi = kouli) sont des travailleurs, essentiellement chinois, japonais ou indiens, que les « Occidentaux » recrutent entre 1840 et 1920 via des « agents d’émigration » et contraignent par la force ou par la ruse à quitter leurs villages pour les faire travailler dans les plantations, les mines et les chemins de fer des colonies européennes ou des pays américains.
Les coolies chinois atterrissent notamment à Cuba (125 000 sont employés en tant que domestiques ou ouvriers dans des usines de tabac), au Pérou (225 000 sont recrutés pour la récolte du guano, la déforestation de l’Amazonie et dans les plantations de canne à sucre et de coton), au Mexique (24 000 refoulés des USA suite aux lois anti-immigration) et en Amérique centrale (dans les plantations). Ils remplacent souvent les esclaves noirs, ce qui explique pourquoi certains historiens parlent de « traite jaune ».
Les coolies japonais, appelés « Nikkei » (= émigrés en japonais), sont, durant la seconde moitié du XIXe siècle, dispersés en Amérique du Nord : dans les îles Hawaï, à Vancouver, à San Francisco, à Los Angeles, à Seattle, à Chicago, à Montréal et à New York. Après avoir été refoulés des USA et du Canada suite aux lois anti-japonaises du début du XXe siècle, ils s’installent principalement au Brésil et au Paraguay et, dans une moindre mesure, dans l’ensemble de l’Amérique du Sud.
Les coolies indiens, qui viennent de la colonie britannique englobant tout le sous-continent indien, travaillent, en revanche, dans les colonies anglaises et hollandaises des Antilles (Guyane, Jamaïque), d’Asie du Sud-Est (Birmanie, Thaïlande, Malaisie, Indonésie, etc.) ainsi que d’Afrique orientale et méridionale (Aden, Somalie, Ouganda, Kenya, Zanzibar, Tanganyika, Rhodésie, Afrique du Sud). Parfois ils sont même employés dans des colonies portugaises et françaises, comme au Mozambique, à Madagascar, à La Réunion, etc.
Tous ces coolies sont principalement des hommes. L’importation par les Anglais de Chinois en Malaisie, afin de les faire travailler à Singapour dans les plantations d’hévéas, est à l’origine de la création d’une cité-État chinoise dans un monde malais.