L’approche du « genre » dans les migrations

Femmes migrantes et d'autres militantes manifestent dans une ville brésilienne - © Migramundo

La question du « genre » dans les études sur les migrations

La notion de « genre » apparaît entre les années 1930 et 1960 dans des travaux d’anthropologie et de psychologie. En 1935, l’anthropologue américaine Margaret Mead (1901-1978) parle de « rôles sexués » en étudiant la vie des jeunes filles des Îles Samoa ; en 1952, le psychologue néo-zélandais John Money (1921-2006) utilise l’expression « rôles de genre » dans des écrits sur l’identité sexuelle des personnes “hermaphrodites” ; en 1964, le psychanalyste américain Robert J. Stoller (1924-1991) consacre le terme et son concept dans l’ouvrage Sexe et genre.

Au cours des années 1970, certaines universités américaines (notamment à New York et à San Diego) voient l’apparition de filières d’études interdisciplinaires portant le nom de Gender Studies ou de Women’s Studies, qui essaimeront par la suite un peu partout dans le monde.

Cette nouvelle approche scientifique part de l’idée que si le « sexe » est un fait naturel, physique et anatomique, le « genre » est, en revanche, un fait culturel d’assignation de rôles sociaux aux hommes et aux femmes, capables d’entrer dans la définition de leur identité sexuelle.

Si la fin des années 1970QK voit l’introduction de cette approche dans la recherche sur les migrations internationales, celle-ci se développe pleinement au début des années 1980. Dans un premier temps, les chercheurs pointent la faible visibilité des femmes dans les études, insistent sur le fait qu’elles ne partent pas uniquement pour accompagner leur mari et qu’elles sont à l’origine de flux migratoires importants. Par la suite, tandis que les médias vulgarisent ces travaux en parlant de « féminisation de la migration », les spécialistes de la migration sous le prisme du genre font émerger l’importance économique du travail des femmes migrantes, qui envoient plus d’argent que les hommes dans leur pays d’origine et qui, en acceptant tout type de travail modeste, voire humiliant, assurent la survie des populations des pays d’origine lorsque, en période de crise, les emplois se raréfient (« féminisation de la survie », Saskia Sassen). Parallèlement, les textes scientifiques présentent la femme migrante comme le principal « gagne-pain » (breadwinner) de la famille, rôle depuis toujours dévolu aux hommes.

La pertinence de cette approche et son application

Les personnes qui étudient les migrations humaines sous le prisme du genre, se posent comme objet de recherche « la question des effets déterminés sur les rapports sociaux entre les sexes par la migration et de façon plus spécifique par le travail accompli par les femmes migrantes » (Mirjana Morokvasic). À cet effet, les spécialistes suivent plusieurs pistes :

  1. l’existence d’un marché mondial du travail genré : certains secteurs d’activité connaissent un fort déséquilibre entre les proportions d’hommes et de femmes ;
  2. les transformations dans les rapports de pouvoir entre hommes et femmes dues à la migration : dans certains cas, la migration transforme les femmes en véritables « chefs » de famille, même à distance, tandis que certaines familles passent ainsi du patriarcat à la modernité ;
  3. les changements dans la perception de l’identité sexuelle : des hommes migrants effectuent des travaux traditionnellement dévolus aux femmes (« hommes de ménage ») et des femmes restées seules au pays doivent remplacer leur époux dans l’espace public ;
  4. l’idée largement répandue dans les pays d’immigration que les femmes immigrées représenteraient moins un danger pour l’ordre public que les hommes, et qu’elles seraient plus facilement « intégrables » et « actrices de l’intégration » ;
  5. des « stratégies migratoires » (à savoir des façons de préparer et d’organiser la migration) et des motivations différentes selon qu’il s’agit d’hommes ou de femmes : les motivations à l’origine du départ des femmes peuvent cacher des tensions familiales, leur trajet migratoire comporte des risques spécifiques (viols, grossesses, etc.) ;
  6. au niveau des migrations forcées, les femmes présentent des problématiques particulières : elles sont susceptibles d’être les victimes de violences spécifiques (violence domestique, mariage forcé, mutilations sexuelles, etc. ; autant de questions qui peinent parfois à justifier une demande d’asile), elles disposent de moins de ressources pour fuir, elles jouent des rôles politiques souvent secondaires (donc difficiles à faire valoir lors d’une demande d’asile) bien que tout aussi risqués, elles sont plus exposées à la violence sexuelle et à l’humiliation (et doivent en parler devant des tribunaux composés le plus souvent d’hommes), elles sont enfermées dans des centres de rétention dans des conditions difficiles, etc.

L’introduction de la catégorie du « genre » dans les études sur les migrations permet donc de saisir des aspects importants et profonds du phénomène de la mobilité humaine que les théories économiques n’arrivent pas à restituer. Ces recherches restent encore très souvent cantonnées à un débat intra-féminin (les chercheurs sont en grande majorité des femmes), elles prêtent parfois le flanc à des exagérations aux accents “victimaires”, tandis que l’on note une féminisation systématique de tous les termes employés (ce qui dessert énormément la lecture) pour que les lecteurs n’oublient pas que les protagonistes de la migration sont aussi des femmes.

Courriel
Facebook
Twitter
Flux RSS
Outils
Recherche