Les Chinois

Commerce chinois dans le XIII<sup>e</sup> arrondissement parisien - © Le Parisien

Historique de la migration chinoise

Avant d’entrer en contact avec les empires coloniaux européens, pendant des siècles les populations chinoises des différentes régions de cet immense territoire ne sont pratiquement jamais sorties d’Asie. Les guerres et les invasions les ont souvent poussées à migrer dans les pays voisins, tandis que le commerce pratiqué tout au long de la route de la soie et à travers l’Océan indien a permis des échanges avec certains pays plus lointains du continent.

Au cours du XVIe siècle, seul le port de Canton, dans la région du Guangdong, dispose d’une autorisation impériale pour commercer avec les Folangji, à savoir les Européens, au début surtout des Portugais. Pour favoriser leurs intérêts, ces derniers s’installent à moins de 80 km de Canton en fondant le port autonome de Macao. Trois siècles plus tard, les Anglais feront de même en conquérant l’île de Hong-Kong.

Jusqu’au XIXe siècle la société chinoise est peu encline à l’émigration. D’après plusieurs courants de pensée chinois, tous très influencés par le confucianisme, l’axe majeur de l’économie est constitué par l’agriculture, activité qui permet au peuple de ne pas mourir de faim. Dans cette optique, la société chinoise se compose de quatre catégories de personnes, avec, par ordre d’importance : les fonctionnaires, les paysans propriétaires d’une ferme, les artisans et les commerçants. Ces derniers voyagent davantage et ont plus de contacts avec le monde extérieur, mais ils sont considérés comme les moins utiles et les moins « nobles ».

À l’issue de la première « guerre de l’opium » (1839-1842), la défaite de l’empire chinois face aux Anglais fait entrer officiellement le pays dans le système colonial européen. À partir de ce moment, des habitants du sud-est de la Chine, originaires des provinces du Guangdong, du Fujian et du Hainan, sont attirés par des emplois à l’étranger, qui les conduisent à travailler dans les mines d’étain, les plantations de caoutchouc et les exploitations agricoles des colonies anglaises de Thaïlande et de Malaisie. Débute ainsi l’ère des coolies, une main-d’œuvre asiatique avec un contrat « indenté » (coupé à l’aide d’un ciseau à dents pour que les documents des parties contractantes correspondent parfaitement), employés dans l’ensemble des territoires colonisés par les Européens. Ces individus, qui conservent presque toujours leur allégeance à la couronne chinoise et se définissent comme des « huaqiao » (prononcer « huatchïao »), à savoir des « travailleurs chinois d’outremer », se dirigent massivement vers la Thaïlande, la Malaisie, Singapour et les Amériques.

Outre-atlantique, entre 1850 et 1880 des milliers de travailleurs chinois sont embauchés pour l’extraction minière et la construction des voies ferrées. Lorsqu’en 1882 et en 1885 les USA et le Canada promulguent des « lois d’exclusion » à l’encontre de ces immigrés, les routes migratoires depuis la Chine s’orientent alors vers l’Amérique du Sud. Jusqu’à la fin des années 1960, la grande majorité de ces migrants proviennent des contrées du Guangdong méridional. Parallèlement, pendant la Première Guerre mondiale, des ressortissants du Zhejiang sont appelés pour travailler dans les usines et les fermes européennes.

La migration chinoise contemporaine

Durant la guerre civile (1927-1950) qui oppose le parti nationaliste de Tchang Kaï-chek (Kuomintang) au parti communiste de Mao Zedong (Gongchandang), plusieurs vagues de rescapés quittent la Chine vers les pays où vivent déjà des membres de la diaspora chinoise. Aux États-Unis, beaucoup vont rejoindre les communautés ethniques (chinatowns) qui se sont formées dans certaines grandes villes, pour se défendre contre les lois anti-chinoises.

Dans les années 1950, dans le but d’éviter l’exode rural qui se répand dans le reste du monde après la Deuxième Guerre mondiale, Mao Zedong prône une « industrialisation en douceur » et, en s’inspirant du modèle russe de la propiska et d’une tradition de l’ancien empire chinois, instaure le « livret d’enregistrement de résidence » appelé hukou (de « hu » = foyer et « kou » = résident) tant pour les villes (1951) que pour les campagnes (1955) : tout citoyen chinois est tenu de demeurer dans la localité – urbaine ou rurale dont il a le document de résidence, qui ne peut être modifiée qu’exceptionnellement.

Jusqu’en 1978, le système du hukou est appliqué de manière stricte, au point de transformer des centaines de millions de Chinois en sans-papiers au sein de leur propre pays, en raison de leur migration clandestine de la campagne vers la ville. Toutefois, après la mort de Mao Zedong (1976), des réformes visant à assouplir le hukou sont mises en place progressivement, en privilégiant les régions côtières du Sud-Est (Zhejiang et Fujian notamment) et l’envoi d’étudiants à l’étranger pour acquérir des compétences utiles au développement scientifique de la nation. Parallèlement, le pays connaît un flux migratoire interne considérable des régions rurales de l’Ouest et du Nord vers les villes de l’Est, composé de travailleurs appelés, parfois dans un sens péjoratif, nongmingong, c’est-à-dire des jeunes garçons (dagongzai) et des jeunes filles (dagongmei) censés se déplacer seuls pour occuper des postes temporaires et peu alléchants sur le marché du travail urbain.

En Europe, la mise en place des réformes susmentionnées coïncide avec l’arrivée de Chinois depuis le Sud rural du Zhejiang, en particulier depuis les villages autour de la ville de Wenzhou, anciennement appelée Yongjia. Cette aire géographique est célèbre en Chine pour son courant de pensée, l’« école de Yongjia », remontant au Moyen Âge, qui défiait le confucianisme et sa prédilection pour l’agriculture, en prônant, à la place, le pragmatisme de l’entreprise commerciale ou manufacturière. Les migrants du Zhejiang choisissent, entre autres, le Vieux continent, avec une préférence pour la France, l’Italie et la République fédérale d’Allemagne (RFA), où ils peuvent compter sur un réseau de concitoyens déjà présents depuis les années 1910. Si au début ils travaillent plutôt comme maçons ou dans la restauration, dans les années 1980 ils se lancent de plus en plus dans la production de prêt-à-porter, en imitant les grandes marques françaises ou italiennes.

À partir de 1992, le gouvernement chinois décide de privatiser toute une série d’entreprises d’État, ce qui, au cours de la décennie suivante, entraîne des licenciements massifs d’ouvriers (entre 20 et 40 millions) dans les provinces situées à l’ouest des régions côtières (Jiangxi, Hunan, Hebei, Hénan, Sichuan) ainsi que dans les provinces nord-orientales constituant la Mandchourie (Heilongjiang, Jilin et Liaoning). Ces événements, qui vont de pair avec l’entrée du pays en 2001 dans l’Organisation mondiale du commerce, favorisent le départ, le plus souvent clandestin, de milliers de Chinois à l’étranger.

En dépit d’une nationalité commune, anciens et nouveaux immigrés chinois en général n’habitent pas les mêmes espaces résidentiels et exercent des activités différentes. Si les premiers comme les seconds sont présents dans la restauration, le secteur textile reste l’apanage des ressortissants du Zhejiang, du Guangdong et du Fujian, qui créent parfois de véritables enclaves économiques comme à Prato en Italie et dans le quartier de la rue Popincourt dans le 11e arrondissement de Paris. Les nouveaux immigrés, qui sont considérés par leurs compatriotes arrivés bien avant eux comme n’appartenant pas à la « patrie des Chinois d’outremer » (qiáo xiâng), travaillent dans les services à la personne, les boutiques d’esthétique, les bazars, les bars, etc.

Caractéristiques de la migration chinoise

Si les statistiques de l’ONU recensent un peu plus de 9 millions de Chinois à l’étranger en situation régulière et détenteurs d’un passeport chinois, la diaspora chinoise (qui inclut les personnes naturalisées dans les pays d’accueil, les irréguliers et ceux qui se considèrent toujours « chinois ») est, en revanche, estimée à quelque 50 millions de personnes, établies principalement en Thaïlande, en Malaisie, aux USA, en Indonésie, à Singapour, en Birmanie, au Canada, aux Philippines, en Australie et en Corée.

En France, d’après l’INSEE, les immigrés chinois détenteurs d’un passeport étranger seraient un peu moins de 100 000 personnes, dont 57% de femmes, alors que selon Pierre Picquart, fondateur du Centre d'études, de développement et de recherche sur l'immigration et la Chine (CEDRIC), les personnes d’origine chinoise seraient plus de 600 000.

C’est à Paris et en Île-de-France que se concentre la plupart des Chinois de l’Hexagone, dont la présence remonte à la Première Guerre mondiale. Parmi les 100 000 travailleurs originaires de Wenzhou recrutés à l’époque, quelque 3 000 choisirent de rester en France, s’installant dans un premier temps dans l’îlot Chalon, près de la Gare de Lyon, à Paris, (XIIe arrondissement) avant pour certains de s’installer dans le quartier Arts et Métiers (IIIe arrondissement), puis dans ceux de Belleville (XXe arrondissement), Popincourt (XIe arrondissement) et du « Triangle de Choisy » (XIIIe arrondissement).

Selon de nombreuses recherches, la France compterait trois communautés chinoises principales : les Wenzhou du Zhejiang (entre 50% et 60% du total), les Chaozhou du Guangdong, qui viennent de la ville homonyme située à la frontière avec le Fujian (25% du total) et les Dongbei originaires de l’ancienne Mandchourie (2-3%). Si les ressortissants de Wenzhou sont parfois appelés les « juifs de Chine » pour leur habileté dans les affaires, les Dongbei, surtout des femmes, sont souvent victimes de la prostitution.

Bien qu’il n’existe pas de chiffres fiables, il est vraisemblable que la grande majorité des Chinois présents en France sont en situation irrégulière. Population réputée discrète, obéissante et habituée à travailler dur sans protester, elle a parfois pris l’initiative de manifester pour obtenir des papiers ou contre les agressions racistes dont elle fait l’objet. Citons à ce propos la participation de plusieurs chinois à la création du « Troisième collectif des sans-papiers » dans les années 1996-1997 et, en 2010, la manifestation pour le droit à la sécurité dans le quartier parisien de Belleville. Pour les ressortissants chinois obtenir un visa d’un pays de l’espace Schengen s’avère difficile, ce qui engendre une immigration clandestine souvent confrontée au trafic d’êtres humains, comme en atteste la macabre découverte faite par les douaniers anglais à Douvres (Royaume-Uni) en 2001 (58 chinois du Fujian morts par asphyxie dans un camion « réfrigéré », à côté de caisses de tomates), qui reste gravée dans les mémoires.

Courriel
Facebook
Twitter
Flux RSS
Outils
Recherche