Le troisième âge
Qu’il s’agisse des protagonistes de la migration ou des pays qui les accueillent, dans la grande majorité des cas cet exode est considéré comme un événement temporaire. Peu de migrants quittent leur foyer pour se rendre dans un autre pays en imaginant s’y installer définitivement, et donc y vieillir. Comme dans toute aventure, les difficultés traversées, les sacrifices endurés et les luttes engagées tendent vers un même objectif : un retour glorieux, le contraire serait pour les immigrés synonyme d’échec. Parallèlement, la société du pays d’immigration ne pense pas aux immigrés comme à de vieux retraités. En général, les gouvernements croient en un retour massif des travailleurs étrangers une fois l’heure de la retraite arrivée.
En dépit de ces considérations, dans les pays où les systèmes de protection sociale sont les plus développés, la réalité montre que les immigrés retraités qui restent sont plus nombreux que ceux qui rentrent.
Le migrant n’a d’utilité que pour son travail
La vie des « migrants économiques » se caractérise par un travail accompli souvent dans des conditions difficiles que les autochtones refusent, ce qui explique que les travailleurs étrangers sont davantage sujets à des problèmes de santé et qu’ils doivent arrêter, parfois de manière prématurée, leur vie active. Dans le même temps, sans exercer l’activité qui donnait un sens à leur présence à l’étranger tant vis-à-vis de leurs proches que vis-à-vis du pays d’accueil, les immigrés âgés peuvent se sentir encore plus déracinés.
Si parmi les migrants âgés une petite partie est arrivée dans le cadre d’un regroupement familial et qu’il s’agit donc de ce fait de nouveaux arrivants (en général, ce sont des parents d’immigrés qui s’installent à l’étranger avec leurs enfants pour être mieux suivis et accompagnés), la plupart des migrants âgés ont derrière eux de longues années d’activité. Au moment de partir à la retraite, après avoir caressé le rêve, ou même, le « mythe » du retour, ils se trouvent face à un dilemme : rentrer ou rester ? Les deux alternatives offrant des avantages et des inconvénients. La possibilité, pour une grande partie des migrants dans le monde, de recevoir leur pension directement dans leur pays d’origine, leur suggère d’en profiter pour tirer avantage d’un coût de la vie plus bas et pour réaliser enfin le rêve du retour. Ce choix peut, toutefois, se heurter à deux obstacles : l’éloignement de leurs enfants, qui en général préfèrent rester là où ils ont grandi, et, surtout, la perte quasi inévitable des prestations de sécurité sociale du pays d’accueil, qui sont normalement soumises à la condition d’une résidence stable dans celui-ci.
La difficulté de connaître la situation des immigrés âgés
Bien que ces dernières années la législation sur la prévoyance et la retraite des étrangers se soit considérablement améliorée dans nombre de pays, les immigrés âgés se trouvent de fait dans une position d’inégalité face aux autochtones, car ils connaissent moins leurs droits, disposent de moins de moyens économiques, ont plus de mal à se faire reconnaître toutes les années de leur carrière professionnelle, font face aux administrations de plusieurs pays, etc.
Pour connaître la situation réelle des personnes qui vieillissent en migration, les études quantitatives, à savoir la majorité des rapports commandés par les autorités publiques, se révèlent parfois trompeuses. Un immigré qui a parié sur son aventure migratoire avouera difficilement à des enquêteurs qu’il se trouve mal là où il est. Il aura par ailleurs plus difficilement connaissance de ses droits et des opportunités qui s’offrent à lui, et ne pourra donc pas faire de comparaisons avec les autochtones et juger s’il est traité sur un pied d’égalité avec eux. En se basant sur des questionnaires aux réponses « fermées » (où l’enquêté ne peut que cocher des cases préétablies telles que « oui/non » ; « bien/assez/mal », etc.), administrés uniquement aux retraités ayant choisi de rester (et donc à un échantillon non aléatoire), ces enquêtes restituent toujours une image trop positive de la vie des migrants vieillissant dans le pays d’accueil : ils se sentiraient majoritairement bien intégrés, contents de leurs acquis et nullement nostalgiques de leur pays d’origine.
La question du souhait de mourir ou pas à l’étranger et des préférences quant au lieu de l’enterrement sont plus indicatives du ressenti des personnes concernées. Par exemple, d’après les observations de certains sociologues et gérontologues, les Maghrébins et les Africains sub-sahariens voient leur décès dans un « pays occidental » comme « mourir à l’aventure », c’est-à-dire sans avoir la certitude que leur mort sera traitée humainement et culturellement selon leurs traditions, redoutant en plus la possibilité de mourir dans un hôpital ou une clinique, loin de leur maison et de leur famille.