Le débat espagnol sur l’esclavage des Amérindiens

Bartolomé de Las Casas, le protecteur des Amérindiens - © Wsimag.com

Si les conquêtes européennes qui font suite à la découverte du Nouveau Monde s’appuient sur une idéologie de mission civilisatrice auprès des sauvages, elles suscitent des interrogations éthiques au sein des ordres religieux ibériques, et notamment au XVIe siècle dans le milieu dominicain de l’École de Salamanque. Si nombre de colons espagnols se sentent autorisés à exploiter un territoire américain peuplé d’indigènes (encomienda), plusieurs juristes de la métropole s’interrogent sur le statut des Amérindiens en tant que citoyens du même royaume, et donc formellement non assujettis à l’esclavage. Le débat est important, car sur le sol nouvellement découvert, luttes et massacres entre colonisateurs et indigènes se succèdent : faut-il combattre et soumettre ou chercher une conciliation ?

Au centre de cette querelle se trouve le prêtre andalou Bartolomé de las Casas (1474-1566), qui deviendra plus tard membre des Dominicains. Arrivé en 1502 comme simple colon dans l’île d’Hispaniola, il fait l’expérience des conflits avec les autochtones et constate les ravages des épidémies. Il décide de se faire ordonner dans la métropole, puis il revient aux Antilles déterminé à arrêter les maltraitances envers les Amérindiens. Dans ses homélies il s’adresse aux fidèles en ces termes : « Vous êtes tous en état de péché mortel pour la cruauté et la tyrannie que vous exercez envers ces personnes innocentes ». Comme ces discours ne rencontrent pas la faveur des colons, Bartolomé de las Casas rentre en Europe et gagne à sa cause la régence du cardinal de Cisneros (Charles Quint étant encore adolescent) : il est nommé Protecteur universel de tous les Amérindiens (1516) et reçoit l’autorisation de créer une encomienda modèle où indigènes et Espagnols peuvent travailler ensemble dans la paix.

Les projets de Bartolomé de las Casas n’aboutissent pas, en raison de nombreuses oppositions et de l’hostilité de la plupart des encomenderos. Après avoir surmonté maintes déceptions, durant les années 1530 il acquiert de meilleures compétences juridiques et se sent soutenu dans son action par les écrits du pape Paul III (1468-1549) qui, en 1537, dans la Bulle Sublimis Deus affirme : « Nous déclarons et statuons que les Indiens et les autres peuples doivent être invités à la fois dans le Christ par la prédication et par l’exemple ; toute autre disposition contraire, passée ou future, est déclarée nulle ».

En 1542, revenu sur le Vieux Continent, Bartolomé de las Casas convainc Charles Quint de promulguer de nouvelles lois abolissant l’esclavage. Il écrit pour le dauphin Philippe l’ouvrage La destruction des Indes, dans lequel il présente les indigènes comme des personnes fragiles, simples, incapables d’hypocrisie, massacrées par des hommes aux instincts bestiaux.

Malgré l’intervention de la Couronne, en Amérique la résistance des Espagnols à l’égard de l’abolition de l’esclavage et à l’interdiction de conquérir de nouvelles terres est forte et les lois sont suspendues.

En 1550-1551, à Valladolid, Charles Quint réunit à deux reprises des experts et des savants pour mettre fin à la querelle qui oppose deux visions sur le statut juridique des Amérindiens : d’un côté, celle de Bartolomé de las Casas, de l’autre, celle de l’humaniste Juan Ginés de Sepúlveda (1490-1573) - pour lequel la supériorité naturelle des Espagnols sur les indigènes est une évidence. À l’issue de cette confrontation, les ouvrages de J.-G. de Sepúlveda sont mis à l’index, la protection des Amérindiens est certes réaffirmée, mais au prix de l’acceptation de l’esclavage des Noirs, déjà présents aux Antilles, et dont le nombre est destiné à augmenter avec le commerce triangulaire.

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