La transmission familiale
Pour décrire les relations familiales, certains observateurs de la vie des enfants d’immigrés, parlent de « désenchaînement des générations »QK pour souligner la rupture intergénérationnelle qui caractérise le plus souvent les rapports entre les immigrés et leur progéniture.
Au fur et à mesure que le temps passe, la plupart des parents immigrés se rendent compte que la promotion sociale, à laquelle ils aspirent pour leur famille, et à la base de leur « projet migratoire » (Cf. [#7]), n’aura de chances de s’accomplir que via leurs enfants. Afin que ces derniers n’aient plus à souffrir des humiliations et des difficultés qu’eux-mêmes ont enduré en tant que travailleurs étrangers, ils mobilisent tous leurs « capitaux » économiques (= leurs biens), culturels (= leurs connaissances) et sociaux (= leur réseau de contacts).
La transmission parentale
Dès le plus jeune âge de leurs enfants, les parents – parfois pendant le peu de temps qui leur reste après leurs heures de travail – se doivent de leur transmettre leur héritage culturel : une langue (souvent un patois régional), une histoire familiale (moins évidente lorsque les références se trouvent dans le pays d’origine), une vision du monde (valeurs, religion), des pratiques traditionnelles. Il n’est pas rare que certains envoient leurs enfants au pays pour qu’ils y soient éduqués par d’autres membres de la famille élargie. Cette éducation est censée doter les enfants de tous les éléments et codes culturels nécessaires à leur socialisation. Parmi ces derniers figure notamment l’apprentissage des systèmes propres à chaque nation : la hiérarchie familiale, les formes de respect, le sens de la pudeur, les règles de l’hospitalité, les indicateurs de l’honneur ou de la honte, les vertus à cultiver, etc.
Valeurs en conflit et ruptures
Si, pour les familles non immigrées, la transmission familiale s’effectue dans un milieu culturel homogène qui la renforce, il n’en va pas de même pour les familles immigrées, qui se voient comme des univers clos évoluant dans un environnement dont les valeurs et les pratiques sont souvent différentes de celles qu’elles essaient d’inculquer. En matière de connaissance linguistique, les enfants surpassent souvent vite leurs parents dans la maîtrise de la langue locale ; ces derniers ont alors souvent recours à eux pour effectuer leurs démarches administratives. Ce phénomène de dépendance des parents vis-à-vis de leurs enfants est appelé par certains chercheurs « l’inversion des générations ».
Les modèles familiaux des populations immigrées peuvent s’avérer souvent aux antipodes de ceux en vigueur dans le pays d’accueil. Ainsi, dans la plupart des cas, un modèle de type « patriarcal » (obéissance envers les aînés, soumission de la femme, dette perpétuelle des enfants envers leurs parents, individus au service de la famille, cohésion familiale, cohabitation au long cours dans le même domicile de personnes de générations différentes, etc.), plus présent chez les immigrés, s’oppose à un modèle de type « individualiste » (indépendance, égalité hommes/femmes, départ tôt du domicile familial des enfants adultes, famille au service des individus, choix de vie sans l’aval des parents, etc.), plus commun dans les pays d’immigration du Nord.
Les immigrés étant parmi les populations les plus exposées aux préjugés, aux discriminations, à la xénophobie, au racisme et à la déqualification professionnelle, leurs enfants ont du mal à gérer cette situation d’« infériorité » par rapport aux « autochtones », et leurs attitudes peuvent être très variées, allant du déni des origines parentales jusqu’à la fierté, en passant par des équilibres très instables entre ces deux sentiments.
Parallèlement, comme nous l’avons déjà rappelé, les immigrés appartenant aux catégories socioprofessionnelles inférieures reportent sur leur progéniture leur rêve d’ascension sociale et endurent pour cela des sacrifices. Leurs enfants se voient alors « condamnés à la réussite » sociale et professionnelle, imposition morale qui se transforme en sens de culpabilité lorsque celle-ci ne se réalise pas.