La politique française d’intégration
Intégration et laïcité
En France – pays parmi les premiers à se doter d’une définition politique du terme « intégration » – les discours et les lois ayant pour objet l’inclusion des immigrés à la « société nationale » se caractérisent par des tensions fréquentes entre l’interprétation officielle du principe de laïcité, inscrit parmi les « valeurs républicaines », et les résistances réelles ou supposées d’une minorité de populations d’origine immigrée. Ce n’est pas un hasard si « le Haut Conseil à l’intégration a été créé par un décret du 19 décembre 1989, dans un contexte marqué par la première “affaire du foulard”, consécutive à la décision du principal d’un collège de Creil d’exclure trois élèves musulmanes portant le foulard » (D. LochakQK).
La peur de l’intégrisme musulman, largement répandue au sein de l’opinion publique, fédère tous les bords politiques et se réfère notamment aux problèmes que poserait l’éventuelle instauration d’une loi « coranique » parallèlement à la loi nationale (ségrégation des espaces masculins et féminins, port du foulard et de la burqa, imposition d’interdits alimentaires, revendication d’horaires, pratiques et festivités islamiques dans la sphère publique, etc.). À cela s’ajoute, en plus des fantasmes de l’expérience du conflit franco-algérien, le constat que dans nombre de banlieues sensibles se concentrent des populations issues de l’immigration provenant de pays à majorité musulmane. Au niveau législatif, il en découle que « le “cadrage anti-musulman” est toujours perceptible sous la reformulation culturelle et identitaire de la laïcité »QK intervenue à plusieurs reprises durant les années 2000.
Cette clé de lecture, adoptée par un grand nombre de chercheurs qui se sont penchés sur l’analyse de la politique française d’intégration, explique en partie les mesures mises en place par les gouvernements qui se sont succédé de la fin des années 1980 à nos jours. Parmi les « solutions » destinées à répondre aux problèmes relatifs à l’intégration des populations issues de l’immigration musulmane, figurent notamment la Loi du 15 mars 2004 sur les signes religieux dans les écoles publiques françaises, la Loi du 11 octobre 2010 interdisant la dissimulation du visage dans l'espace public et l’obligation pour les nouveaux venus originaires de pays tiers à l’UE de souscrire à un contrat d’accueil et d’intégration (2003/2006-2016), devenu aujourd’hui le contrat d'intégration républicaine, en vue d’obtenir une carte de séjour.
Langue, contrat et laïcité
Si la politique française d’intégration a suivi plusieurs étapes, évoquées dans les fiches [#626] et [#627], la phase actuelle résulte des nouvelles orientations politiques communautaires et des spécificités nationales évoquées précédemment. D’un côté, l’Union européenne pousse ses États membres à se focaliser sur les seuls immigrés primo-arrivants des pays tiers pour qu’ils apprennent la langue locale et intériorisent les valeurs propres au pays et à la communauté européenne ; de l’autre, la politique hexagonale tient aux notions de « contrat » et de « laïcité ». Ainsi, la vie sociale est conçue comme un contrat individuel qui lie les personnes à l’État ; théoriquement, la transgression des devoirs du citoyen rend « moins solidaire » l’individu qui a souscrit à ce contrat et, dans le cas des étrangers, « moins français » (d’où les tentations récurrentes de déchéance de la nationalité). Parallèlement, le reniement du principe de séparation entre la religion et l’État est considéré comme la remise en question d’un processus irréversible de modernité dans lequel la nation se reconnaît.
Mais au-delà du débat sur les principes et les idéologies, que ce soit en France ou dans d’autres pays avec des problématiques analogues, la faiblesse de la politique d’intégration réside dans les moyens qui lui sont alloués : un parcours à connotation très administrative, marqué par des « obligations » uniquement à l’adresse des étrangers ciblés, qui contrevient à la pédagogie sociale nécessaire pour une société plus unie en dépit des quelques obstacles que pose la diversité.