La gouvernance mondiale des migrations

Réunion à l'ONU pour une gouvernance des migrations - © Migral

L’« échec » partiel de la Convention internationale des Nations unies sur la protection des droits de tous les travailleurs migrants et des membres de leur famille du 18 décembre 1990 (Cf. la fiche [#72]), qui, parmi les principaux pays d’immigration, n’a été ratifiée que par l’Argentine, a conduit l’Organisation internationale du travail (OIT), qui l’avait promue, ainsi que plusieurs organismes internationaux s’occupant de la mobilité humaine et réunis sous l’intitulé de Global Migration GroupQK, à tenter la voie d’une « gouvernance mondiale des migrations ».

Les migrations, un phénomène peu maîtrisable

D’un point de vue économique, depuis quelques décennies les spécialistes considèrent l’époque actuelle comme « post-fordiste », et à ce titre non plus basée sur l’industrie « à la chaîne », sur l’antagonisme entre patronat et force de travail, sur les pôles industriels et sur la création d’un système social stable, mais plutôt sur la « tertiarisation » des activités, sur la « délocalisation » de la production, sur la « décentralisation » des opérations, sur la flexibilité et la précarisation de la main-d’œuvre, étendues à toutes les catégories socioprofessionnelles. Dans ce mécanisme de « mondialisation par le haut », voulu par la finance mondiale, les migrations internationales jouent un rôle clé, y compris à l’insu des protagonistes de cette mobilité de plus en plus changeante et transnationale.

Parallèlement, le mécanisme de la mondialisation, qui contribue à la création de nouvelles sociétés multiethniques et multiculturelles, se heurte aux résistances des nationalismes et plus encore des régionalismes, ce qui conduit beaucoup d’observateurs et de décideurs politiques à considérer le phénomène migratoire uniquement sous l’angle du « choc des civilisations » et à prôner un retour irréel vers la configuration initiale des États-nations.

Face à cette situation, les instances politiques mondiales – qu’elles soient nationales ou internationales – semblent sombrer dans ce que d’aucuns appellent l’« ingouvernabilité migratoire », à savoir l’impossibilité de prévoir les évolutions des mouvements de personnes, et donc d’intervenir efficacement, en raison de ressources budgétaires insuffisantes, d’un manque de sensibilisation des décideurs et de pressions électorales ayant entraîné la mise en place de mesures qui se sont révélées inadaptées. En effet, les textes politiques officiels et les plans stratégiques des pouvoirs publics se fondent souvent sur des analyses plutôt superficielles de la réalité et, dans la plupart des cas, ne prévoient même pas au préalable d’études approfondies préparées par de véritables experts. Le dialogue entre le monde de la recherche scientifique et celui des institutions préposées aux politiques migratoires continue d’être réduit à la portion congrue.

Une « gouvernance mondiale » encore peu efficace

Au niveau mondial, les Nations unies se trouvent au cœur d’un véritable paradoxe : avoir institué depuis 2007 un Forum mondial sur les migrations et le développement, qui ne cesse de réitérer dans ses actes l’affirmation de la fonction cruciale des migrations internationales dans le processus de transformation de la vie quotidienne de la planète, alors que – fait surprenant – ces dernières ne figurent pas parmi les objectifs du Millénaire pour le développement que les Nations unies se sont fixés. Beaucoup d’événements et d’initiatives sont organisés autour de la « gouvernance mondiale des migrations » (approche représentée par le « Groupe mondial sur la migration »), du « bien-être des migrants dans leurs relations avec les autochtones » ou bien de la lutte contre la traite des êtres humains, mais malheureusement, en dépit de bonnes intentions, une lecture attentive des documents et des projets fait émerger les contradictions présentes dans les argumentaires, la faiblesse des sources d’information, les moyens inadaptés par rapport aux objectifs. Dans les documents écrits, les migrations internationales, même si elles sont considérées comme un fait naturel qui accompagne l’homme depuis toujours, sont cependant traitées de façon réductrice comme un problème en elles-mêmes : « migrer » signifierait automatiquement « se faire piéger et exploiter », et donc les organisations humanitaires seraient invitées à décourager les flux migratoires. Sous des formes différentes refait ainsi surface une pensée typique de la fin du XIXe siècle, selon laquelle les migrations seraient le fruit de caprices individuels et de la convoitise de richesses matérielles.

Au niveau national, les États, assez réfractaires à la cession d’une partie de leur souveraineté nationale au bénéfice d’une politique supranationale, continuent de poursuivre des objectifs à court terme allant dans le sens de leurs intérêts économiques, selon qu’ils se situent parmi les pays d’immigration ou d’émigration. Là où le besoin de main-d’œuvre peu coûteuse est important, les frontières nationales – quoique officiellement fermées – sont perméables au passage de milliers de clandestins. Par ailleurs, l’immigration, régulière ou non, est traitée comme une question marginale qui fait l’objet d’un suivi ponctuel lorsque surviennent des « urgences » d’ordre public. Enfin, toute la problématique migratoire finit souvent par se fondre dans une innombrable série d’amalgames, mélangeant les vagues migratoires, les générations issues de l’immigration, les crises sociales urbaines, la délinquance, les chocs culturels, les origines des immigrés, leur typologie, etc.

En revanche, lorsque l’émigration constitue un exutoire aux tensions économiques et sociales ainsi qu’une source de revenus via les transferts de fonds, des politiques diasporiques sont mises en place, visant à exploiter la présence des expatriés à des fins économiques, diplomatiques ou culturelles. Les tentatives de certains pays d’immigration pour faire en sorte que les pays d’origine renoncent aux bénéfices de la migration (= transferts de fonds) en échange d’aides au développement, se sont jusqu’à présent soldées par des compromis loin des objectifs initiaux.

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