La décolonisation
L’indépendance des Amériques
Le processus de décolonisation commence en Amérique en 1776 avec la Déclaration d’indépendance des treize colonies alors sous domination anglaise et qui allaient devenir les États-Unis. Elle intervient à une époque où l’Europe occidentale est traversée par la culture des Lumières, qui influence également les Amériques.
Le deuxième pays américain à acquérir son autonomie est Haïti, en 1804, à l’issue d’une guerre de libération meurtrière contre la France.
L’Amérique latine s’affranchit de l’autorité européenne après la vague de « liberté » qui s’était exprimée durant l’occupation de la péninsule ibérique par les troupes de Napoléon entre 1807 et 1814. La Restauration ne parvient pas à s’opposer aux projets d’indépendance des élites latino-américaines. C’est ainsi que les colonies espagnoles s’émancipent une vice-royauté après l’autre à partir de 1810 : la Nouvelle Espagne (Mexique et Amérique centrale) se détache de la métropole en 1821 sous l’impulsion des prêtres Miguel Hidalgo et José María Morelos y Pavón ainsi que du général Agustín de Iturbide ; le Pérou et la Nouvelle Grenade, sous le commandement de Simón Bolívar (1783-1830), Francisco de Miranda, Francisco de Paula Santander et Antonio José de Sucre, obtiennent le départ de l’armée espagnole à l’issue de la bataille décisive d’Ayacucho (Pérou) en 1824 ; enfin, la Plata se libère en 1825 de la souveraineté espagnole grâce aux victoires militaires de José Gervasio Artigas, José de San Martín et Bernardo O’Higgins.
Au Brésil, en 1822, Pedro, le fils de Jean VI (roi du Portugal), resté en Amérique après le retour de son père dans le royaume restauré, décide de créer l’Empire du Brésil, cédant ainsi aux pressions indépendantistes des notables locaux.
À Cuba, le chemin de l’indépendance (1902) est plus complexe et passe par de nombreuses révoltes, une forte résistance espagnole, des carnages et une intervention décisive des États-Unis.
La fin des colonies asiatiques et africaines
Dans la quasi-totalité des colonies européennes d’Asie et d’Afrique la décolonisation s’effectue après la Deuxième Guerre mondiale et, le plus souvent, au début des années 1960. Les opinions publiques des métropoles sont moins favorables aux régimes coloniaux et des mouvements indépendantistes surgissent dans plusieurs régions sous domination européenne. Le processus d’indépendance s’effectue souvent de façon pacifique, après une phase de transition dite de « protectorat ». Seuls certains pays connaissent des guerres sanglantes avec la métropole : l’Algérie, colonie française de peuplement, s’émancipe après un dur conflit entre 1954 et 1962 ; l’Angola et le Mozambique, colonies portugaises, entrent en lutte avec la métropole portugaise dans les années 1950, avant que celle-ci ne renonce définitivement à elles en 1974, après la Révolution des Œillets ; l’Indochine, administrée par les Français, chasse ces derniers après une guerre menée par les révolutionnaires communistes vietnamiens (1954).
La décolonisation américaine comme modèle
L’indépendance des pays américains arrive un siècle et demi avant la décolonisation des autres continents. Les nouveaux États connaissent ainsi par avance les problématiques qui émergeront ailleurs de manière analogue. À cet égard, l’histoire récente de l’Amérique latine, notamment, est plutôt significative et nous pouvons la résumer selon les phases suivantes : a) indépendance et refus de l’ingérence européenne ; b) échec des tentatives de formation de grands ensembles panaméricains ; c) luttes endémiques (« révolutionnaires ») pour le pouvoir, menant aux dictatures des caudillos ; d) luttes politico-militaires entre les conservateurs (dont les valeurs sont : Dieu, tradition, propriété privée, sécurité, etc.) et les libéraux (dont les valeurs sont : progrès, laïcité, égalité, redistribution des richesses, etc.) ; e) guerres sanglantes avec les pays voisins pour redessiner les frontières ; f) assujettissement aux intérêts économiques des grandes compagnies capitalistes et création, parfois, d’authentiques républiques bananières ; g) accords secrets d’alternance au pouvoir entre conservateurs et libéraux afin d’éloigner la menace communiste.
Déjà le grand libérateur Símon Bolívar se rend compte des énormes difficultés des pays libérés, lorsqu’en 1830, peu avant sa mort, il écrit au général Juan José Flores : « L’Amérique est ingouvernable pour nous. Qui sert une révolution laboure la mer. La seule chose que vous pouvez faire en Amérique est émigrer. Ce pays tombera inévitablement dans les mains de la foule en délire, pour passer à celles de tyrans presque imperceptibles, de toutes les couleurs et races. Dévorés par tous les crimes et ruinés par la férocité, les Européens ne daigneront pas nous reconquérir. S’il était possible qu’une partie du monde ait pu retourner au chaos primitif, ce serait la dernière période d’Amérique ».
Il n’y a pas qu’aux Amériques que la décolonisation est un moment tendu, chaotique et conflictuel, c’est le cas dans la plupart des « nouvelles nations ». Ces dernières ne sont en effet que le produit artificiel des découpages territoriaux opérés par les colonisateurs. Par ailleurs, beaucoup d’observateurs pensent que l’indépendance obtenue par les États asiatiques et africains après la Seconde Guerre mondiale, n’est qu’un équivalent, amélioré, de la stratégie anglaise de la domination indirecte (indirect rule), qui consiste à exercer un pouvoir économique et politique sur les pays sans les occuper. La guerre froide ne serait qu’un aspect de ce système.
Nombre de pays d’Afrique et d’Asie passent ainsi par des phases analogues à celles décrites précédemment pour l’Amérique latine : tentatives de fédérations multinationales, divisions entre « socialistes » et « capitalistes », dictatures sanglantes, corruption, asservissement aux intérêts étrangers, insécurité et pseudo-restauration des cultures d’origine. Cela finit par créer un « premier monde » où se concentrent richesse, travail, sécurité et démocratie, et un « tiers monde », dominé par la pauvreté, l’insécurité et la dictature.