L’expérience interculturelle
Au commencement était la « culture »
Chaque groupe humain élabore des codes de communication et des schémas de comportement qui le distinguent des autres. Ce mécanisme, nécessaire à la socialisation de l’individu pour qu’il puisse intégrer dès sa naissance les connaissances indispensables à son développement humain et social au sein de sa famille et/ou de sa communauté, crée des « appartenances » et des « références » sur la base desquelles il peut interpréter ses relations avec des groupes autres que le « sien ».
Tous les récits des explorateurs que l’histoire a connus font état des us et coutumes « curieux » des populations lointaines ou méconnues qu’ils ont rencontrées. Si les comptes-rendus antérieurs au XIXe siècle peuvent être considérés comme des travaux « ethnographiques », « ethnologiques » ou « anthropologiques » avant la lettre, avec l’apparition des sciences humaines, ces observations sont plus objectivées et ces codes, coutumes, mémoires, etc., typiques de chaque peuple, sont alors définis en termes de « culture », un concept dont les acceptions se déclinent en fonction des approches.
La culture, un terme souvent « suffixé »
À partir des années 1950-1960 les chercheurs de plusieurs disciplines se penchent tout particulièrement sur les « cultures » humaines, en mettant en exergue leur pluralité et leurs interactions. Plusieurs néologismes voient alors le jour, des particules latines (ad, in, inter, intra, multus, plus, post, prae, sub, trans) étant accolées au mot « culture » ou à l’un de ses dérivés (« culturel », « culturalité », « culturation », etc.) : acculturation, inculturation, interculturel, multiculturalisme, pluriculturel, post-culturel, pré-culturel, subculture, transculturel, etc.
Parmi tous ces termes, certains constituent des couples de termes qui s’opposent. C’est par exemple le cas d’« acculturation » — à savoir le rapprochement progressif d’une culture minoritaire à la culture majoritaire jusqu’à son assimilation avec celle-ci —, opposée à « inculturation », qui consiste à transmettre des éléments culturels à une population en l’adaptant à sa culture (et donc sans l’effacer). C’est également le cas, dans un contexte dit de « pluralisme culturel », du « multiculturalisme » — choix politique qui prône la cohabitation autonome de toutes les cultures issues des composantes ethniques de la société —, auquel s’opposerait un modèle interculturel, qui promeut l’échange et le dialogue entre toutes les cultures concernées.
Un débat incontournable sur les choix « culturels »
Dans la grande majorité des pays du monde, l’époque historique que nous vivons depuis un siècle a rendu incontournable le débat politique (au sens large) sur les orientations culturelles à adopter face à la présence au sein des mêmes frontières de populations différentes. La création des États-nations qui ont assimilé un nombre important de minorités ethniques, la tendance à l’installation permanente des migrants internationaux dans les pays d’accueil, le phénomène de la mondialisation économique, médiatique et culturelle qui aurait transformé la planète en une sorte de « village global » (Marshall McLuhan) ont eu comme conséquence une redéfinition de la soi-disant « identité culturelle » des populations intéressées.
Immigration et interculturel
Avant que les gouvernements des pays d’immigration ne prennent conscience des problématiques culturelles liées à la présence de la main-d’œuvre étrangère au sein des sociétés nationales, la question de la « différence culturelle » s’est posée en particulier à l’école primaire et au collège dans les classes qui accueillaient les enfants d’immigrés. Lorsque ces derniers représentaient une partie importante des élèves, l’application stricte des programmes scolaires, conçus sans tenir compte des langues et cultures d’origine des familles des enfants concernés, se révélait inefficace pour la plupart d’entre eux. Cette situation a conduit plusieurs enseignants, organismes et institutions (par exemple, le Conseil de l’Europe) à réfléchir à de nouvelles méthodologies d’apprentissage dites interculturelles, qui entendaient éviter toute discrimination et distinction entre classes « normales » et « spéciales » pour proposer un enseignement pluriculturel destiné à l’ensemble des élèves, quelle que soit l’origine de leurs parents.
Ces changements pédagogiques, censés contrecarrer les phénomènes d’exclusion sociale et ouvrir davantage l’esprit des élèves à la pluralité des expressions humaines, doivent cependant faire face à d’importants défis théoriques et pratiques : définir clairement le concept de « culture », comprendre les interactions entre les cultures, modifier les programmes scolaires et revoir les profils de l’ensemble du corps éducatif.
Les fiches du Migral qui vont suivre dresseront une synthèse des avancées relatives à l’approche interculturelle en matière d’immigration, laquelle, après des débuts prometteurs dans les années 1970, a toujours connu des difficultés concrètes d’application, en dépit de sa bonne perception et acceptation.