France : l’intégration à la française et les « sans-papiers » (1989-1999)
De la fin des années 1980 à l’horizon de l’an 2000 les maîtres-mots de l’histoire de l’immigration en France sont « intégration » et « sans-papiers ». Les étrangers « ayant vocation » à vivre dans l’Hexagone doivent s’intégrer à la société autochtone, tandis que les irréguliers « ont vocation » à quitter le territoire.
L’émergence de la condition de « sans-papiers »
En 1989, au sujet de l’immigration, François Mitterrand déclare que depuis les années 1970 la France a déjà atteint son « seuil de tolérance », tandis que le Premier ministre, Michel Rocard, déclare sur un plateau de télévision que dorénavant la France se limitera au respect de la convention de Genève : « Nous ne pouvons pas héberger toute la misère du monde. La France doit rester ce qu’elle est, une terre d’asile politique [...] mais pas plus ». En 1993, revenu au pouvoir, Charles Pasqua, ministre de l’Intérieur, leur fera écho en utilisant la formule de l’« immigration zéro » : « la France ne veut plus être un pays d’immigration ».
Depuis 1995, l’Hexagone applique la convention de Schengen et se doit de montrer sa fermeté en matière de maîtrise des flux migratoires aux autres pays signataires. À la même époque, de nouvelles « lois Pasqua » restreignent la portée du jus soli et soumettent l’octroi des titres de séjour à la discrétion des préfets et des administrations compétentes. En laissant des milliers de personnes sans titre de séjour, ces mesures contribuent à créer une nouvelle catégorie d’étrangers - distincte des simples clandestins -, celle des sans-papiers. Privés de tout document administratif (papiers) ces derniers ne peuvent pas bénéficier des droits fondamentaux. Le point d’orgue des revendications des premiers collectifs de sans-papiers est l’occupation, au cours de l’été 1996, de l’église Saint-Bernard de la Chapelle (XVIIIe arrondissement de Paris) : les occupants sont finalement évacués de force par la police, tandis que la brutalité de l’opération, qui choque l’opinion publique, contribue à la chute du gouvernement de Jean-Louis Debré et à la régularisation de 100 000 Africains.
Le succès des « sans-papiers de Saint-Bernard » constitue un événement isolé, car les questions soulevées demeurent toujours sans réponse satisfaisante tant sur le plan législatif que sur le plan pratique. Vers la fin des années 1990, de plus en plus de migrants en situation irrégulière commencent à se diriger vers le Pas-de-Calais dans l’espoir d’atteindre le Royaume-Uni, malgré les contrôles établis aux extrémités du Tunnel sous la Manche. En 1999, le Premier ministre, Lionel Jospin, donne son accord pour la création à Sangatte d’un « Centre d’hébergement et d’accueil d’urgence humanitaire » administré par la Croix-Rouge.
L’« intégration »
Parallèlement à la question des sans-papiers, à la fin des années 1980 le débat français sur l’immigration tourne autour de la notion d’intégration. Ce concept, inspiré de la sociologie d’Émile Durkheim et déjà présent dans la littérature sur la migration humaine depuis les années 1950QK, semble mieux convenir à la classe politique française que les termes d’acculturation, d’assimilation ou d’insertion. Ce choix émane de la volonté de combattre la constitution de communautés étrangères au sein de la République, qu’elles soient ou non représentées en tant que telles au niveau politique.
Le 4 octobre 1989, trois jeunes filles de confession musulmane se voient interdire l’accès du Collège Havez à Creil (Oise) parce qu’elle persistent à porter le voile. Cet épisode, vite médiatisé, devient une sorte de nouvelle affaire Dreyfus, qui oppose les partisans de la réintégration des élèves à ceux qui soutiennent la décision des autorités du collège. Le débat survient dans un contexte où l’extrême droite continue de monter en puissance et où l’intégrisme islamique se réveille au Maghreb et en Asie.
La même année, le Premier ministre, Michel Rocard, institue un Haut conseil à l’intégration, composé de neuf personnalités, qui, en 1991, rend son premier rapport. Dans ce dernier l’intégration est vue comme un processus qui entend « susciter la participation active à la société nationale d’éléments variés et différents, tout en acceptant la subsistance de spécificités culturelles, sociales et morales » (p. 10).
Lorsque la Communauté économique européenne devient l’Union européenne (1993) et surtout avec l’application de la convention de Schengen (1995), la question de l’intégration se focalise sur les « ressortissants des pays tiers » ou « extracommunautaires ». Cible dans la cible, la population musulmane - immigrée ou pas - est appelée à démontrer sa bonne volonté en matière d’intégration en acceptant le principe de la laïcité de l’État.
En même temps, bien que de manière peu spectaculaire, entre les recensements de 1990 et de 1999 la composition de la population immigrée évolue. À la fin de la décennie, les femmes sont nettement plus nombreuses qu’au début (50% contre 43%), tandis que le nombre de Portugais, d’Espagnols et d’Italiens diminue au profit des Marocains, des Turcs, des Sénégalais et des Vietnamiens.