France : la fin de l’intégration comme priorité politique (1999 à 2016)

À Calais, des policiers empêchent des migrants de s'accrocher aux camions qui se dirigent au Royaume-Uni - © Le Figaro

Alors que les victoires remportées en 1998 et 2000 par l’équipe de France de football, qualifiée de « Black Blanc Beur », sont saluées par certains comme le signe de la réussite de l’intégration à la française, pour beaucoup cette dernière est un échec. À l’aube du nouveau millénaire la politique d’« intégration » entre en crise, passant d’un programme ambitieux d’« unité dans la diversité » à une simple étape administrative obligatoire pour l’admission au séjour et l’obtention des droits qui en découlent. En l’espace d’une décennie, le dossier « intégration » voit son traitement passer des ministères « sociaux » au ministère de l’Intérieur, ce qui engendrera des initiatives politiques souvent peu pertinentes. Ainsi, exemple marquant, lorsque certains descendants d’immigrés des Français dont les parents sont d’origine étrangère provoquent des troubles à l’ordre public, la réponse des autorités, qui devrait relever du domaine de l’intégration, consistera, la plupart du temps, à renforcer la sécurité des frontières extérieures.

De l’an 2000 à aujourd’hui, l’une des conséquences les plus tangibles de ces changements d’orientations politiques sera la baisse inexorable des crédits alloués à l’étude des populations immigrées et à leur accompagnement.

L’accent sur la lutte contre les discriminations

Le concept d’« intégration » défini en 1991 par le Haut conseil à l’intégration demeurant plutôt flou et abstrait, à l’approche de l’an 2000 la politique française préfère se concentrer sur une notion à l’apparence plus concrète : la lutte contre les discriminations. Les sondages menés auprès des « deuxièmes générations », et notamment maghrébines, indiquent en effet que ces populations se sentent discriminées à tous les niveaux : scolaire, professionnel, culturel, résidentiel, etc. Face à cette situation, l’accent est donc mis sur l’égalité des chances et sur des initiatives de discrimination positive. Ce changement de sensibilité s’opère notamment avec le Groupe détude et de lutte contre les discriminations (GELD) créé en 1999, qui sera remplacé, en 2004, par la Haute Autorité de lutte contre les discriminations et pour légalité (HALDE), dissoute en 2011. En vertu du même principe, en 2001 le Fonds d’action sociale (FAS) est rebaptisé FASILD, les trois dernières lettres signifiant « pour l’intégration et la lutte contre les discriminations ». Cette politique s’essoufflera rapidement, car les discriminations « indirectes », masquées, sont juridiquement très difficiles à prouver, et encore plus à éradiquer.

L’accent sur la cohésion sociale

En 2002, au lendemain du premier tour de l’élection présidentielle, la France se réveille “sous le choc” après la qualification pour le second tour de Jean-Marie Le Pen face à Jacques Chirac. Les discours anti-immigration semblent politiquement porteurs et les gouvernements qui se succèdent entre 2002 et 2006 font leur un nouvel ennemi de la République : le communautarisme. La cohésion sociale devient alors la priorité à travers des initiatives qui réaffirment les valeurs communes, facilitent la participation sociale et transforment les individus de toutes origines en citoyens. C’est dans ce contexte que Jacques Chirac crée une commission de réflexion « sur l’application du principe de laïcité dans la République », présidée par Bernard Stasi, qui remet son rapport fin 2003 et qui aboutira à la loi sur le port des signes religieux ostensibles dans les écoles publiques, ciblant notamment le foulard islamique.

En 2004, le Musée de l’histoire de l’immigration voit le jour sous la présidence de Jacques Toubon. Dans son discours inaugural, le Premier ministre, Jean-Pierre Raffarin, à la surprise générale, annonce que le nouvel organisme, dont le siège se situe au Palais de la Porte Dorée à Paris, prendra le nom de « Cité nationale de l’histoire de l’immigration », soulignant ainsi qu’il doit contribuer à former les « citoyens ».

En 2005, l’État généralise le « Contrat d’intégration » (aujourd’hui Contrat d’accueil et d’intégration), expérimenté depuis 2003, en confiant sa gestion à une nouvelle structure, l’Agence nationale daccueil des étrangers et des migrations (ANAEM), née de la fusion entre le Service social d’aide aux émigrants (SSAE) et l’Office des migrations internationales (OMI).

Malgré les efforts gouvernementaux pour apaiser les tensions sociales, en novembre 2005, certaines banlieues dites « sensibles » s’embrasent suite à la mort de deux jeunes descendants d’immigrés poursuivis par la police. Durant des semaines, les émeutes prennent pour cible des écoles et des agences pour l’emploi, tandis que des milliers de véhicules sont incendiés. L’une des premières répercussions de ces émeutes est la transformation significative, en 2006, du FASILD en Agence nationale pour la cohésion sociale et légalité des chances (ANCSEC), présentée sous le sigle abrégé d’ACSÉ (2006-2015).

L’accent sur l’identité nationale

L’arrivée au pouvoir de Nicolas Sarkozy, d’abord comme ministre de l’Intérieur (2006) puis comme président de la République (2007) et président tournant de l’UE, coïncide avec une période marquée par de multiples initiatives gouvernementales en matière d’immigration. Sa politique veut afficher des objectifs chiffrés dans de brefs délais, en fixant pour cela un quota annuel d’expulsions d’irréguliers (30 000), en prônant la maîtrise des flux migratoires via une « immigration choisie », en modifiant à plusieurs reprises dans un sens restrictif le code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile (CESEDA) et en affirmant que la nationalité française est une qualité qui se mérite.

Mais en matière d’immigration la mesure la plus emblématique de son quinquennat est la création d’un ministère de l’Immigration, de l’intégration, de l’identité nationale et du codéveloppement (ou développement solidaire), d’abord confié à Brice Hortefeux, puis à Éric Besson, dont la longévité n’excédera pas trois ans. Parallèlement, le gouvernement dirigé par François Fillon entame sans grand succès une politique d’accords bilatéraux avec de nombreux pays de l’Afrique francophone pour limiter les flux migratoires en échange d’aides au développement.

En 2010, alors que le nouveau ministère abandonne, en raison de polémiques et de dérapages, le débat sur l’identité nationale lancé fin 2009, une révolution en faveur de la démocratie éclate en Tunisie, avant de s’étendre à d’autres pays arabes. Nicolas Sarkozy saisit l’occasion pour soutenir en Libye la rébellion contre le colonel Kadhafi, action qui aura pour effet de modifier les routes migratoires en Méditerranée, auparavant surveillées par le régime libyen.

Enfin, la politique de l’époque est marquée par l’évacuation de plusieurs camps de Roms et de campements de la « jungle » de Calais, mesures temporaires qui ne résolvent pas les problèmes à long terme.

L’accent sur le droit commun

En 2012, la gauche accède au pouvoir avec l’élection de François Hollande. En matière d’immigration, à la « frénésie » de son prédécesseur succède une sorte d’« inertie », scellée en 2013 par l’abandon d’un projet ambitieux de refonte globale de la politique d’intégration, préfigurée par un rapport commandé à Thierry Tuot et resté lettre morte. Désormais, si l’intégration en tant que « question sociale » est fondue dans le droit commun considéré comme suffisant pour la gérer, aujourd’hui l’immigration relève de l’Office français de l’immigration et de l’intégration (OFII, 2010), né des cendres de l’ANAEM, et de la Direction générale des étrangers en France (DGEF), tous deux sous la tutelle du ministère de l’Intérieur. Par ailleurs, les orientations communautaires sur la migration fixées en 2014 et auxquelles la France adhère, se focalisent presque exclusivement sur le contrôle des frontières, renforcé en 2015 après les attentats à Paris et face au flux massif de « migrants », qui cherchent à rejoindre l’Europe depuis des zones de guerre en Afrique et au Proche-Orient.

En 2016, après les attentats du 13 novembre 2015, François Hollande annonce une réforme constitutionnelle en vue de déchoir de leur nationalité les auteurs de crimes et délits terroristes.

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