France : de la Seconde Guerre mondiale à l’arrêt de l’immigration de travail (1939-1974)
La Deuxième Guerre mondiale
À l’approche de la Deuxième Guerre mondiale, bien que le pays soit toujours demandeur de bras, la méfiance de l’opinion publique française à l’égard des étrangers se traduit par une réglementation du séjour de plus en plus restrictive.
En 1937, le député Philippe Serre, sous-secrétaire d’État au Travail, intègre dans son cabinet le démographe Georges Mauco (1899-1982), « auteur d’une thèse pionnière sur les étrangers en France » (P. Weil), qui devient le premier « expert » national sur les questions d’immigration. Il conservera ce rôle de 1937 jusqu’aux années 1970, et ce, quels que soient les gouvernements. Sa vision - pragmatique et utilitariste - se base sur une « sélection scientifique » (via une expérience de notation des performances de plus de 5 000 travailleurs étrangers) des ethnies les plus performantes susceptibles d’injecter du sang nouveau à la démographie française, en établissant dans ce but une échelle de préférences allant des moins assimilables (les “Arabes”) aux plus assimilables (les Belges).
Lorsque la guerre éclate, la France, qui n’a plus la possibilité d’embaucher directement des travailleurs polonais et italiens, fait appel à la main-d’œuvre coloniale, et recrute 20 000 Indochinois et autant de Nord-Africains.
L’Alsace et la Lorraine se trouvant en première ligne dans le conflit, plusieurs centaines de milliers d’habitants de ces territoires sont contraints à l’exil vers d’autres régions de France ; c’est dans ce contexte que, fin 1939, des protestants créent le Comité inter-mouvements auprès des évacués (CIMADE), qui jouera pendant la guerre un rôle important au sein des camps d’internés (juifs ou non) dans le sud de la France.
Le 10 juillet 1940, suite à l’occupation allemande, la Chambre vote les pleins pouvoirs au maréchal Pétain ; la Troisième République cesse alors d’exister. Le régime collaborationniste de Vichy lui succède. L’une de ses premières mesures est le vote, le 22 juillet 1940, d’une loi qui entraîne une révision de toutes les naturalisations accordées depuis 1927.
De 1940 à 1943, les immigrés font l’objet de traitements différents selon leurs origines : les Italiens, les Allemands et les Autrichiens bénéficient d’un statut privilégié par rapport aux autres.
À l’approche de la Libération, les troupes françaises qui ont débarqué en Provence et en Normandie comptent dans leurs rangs un nombre important de ressortissants coloniaux, surtout des Maghrébins (au moins 150 000) et des Africains de l’Ouest (au moins 22 000).
De la Libération à la guerre d’Algérie
En 1945, la France ne compte plus que la moitié des étrangers présents sur son sol six ans plus tôt, et ce déficit migratoire est considéré par le Général de Gaulle comme « la cause profonde de nos malheurs », au point qu’il estime à 12 millions le nombre de personnes nécessaires pour combler le déficit démographique de l’Hexagone. C’est dans ce contexte que de Gaulle confie à Georges Mauco le poste de secrétaire général du Haut Comité de la Population et de la Famille et fonde un Institut national d’études démographiques (INED). Les 19 octobre et 2 novembre 1945, deux ordonnances relatives respectivement aux conditions d’accès à la nationalité et à l’entrée et au séjour des étrangers en France sont promulguées par le gouvernement provisoire de la République. L’ordonnance du 2 novembre, notamment, confère à un organisme public, l'ONI (Office national d'immigration), rebaptisé plus tard OMI (Office des migrations internationales), le monopole de l'introduction en France de la main-d'œuvre étrangère. Dans un premier temps, l’ONI cherche à recruter des Polonais et des Néerlandais, mais dans les années 1940 ce sont les Italiens du Sud (67%) qui répondent à sa demande. Parallèlement, une importante migration circulaire se met en place depuis l’Algérie, alors territoire français.
Les années 1950-1955 sont marquées par des difficultés économiques et par une pénurie de logements. L’État entame alors une politique visant à créer rapidement des cités et des grands ensembles pour abriter les sans-logis
. Par la suite, cet habitat deviendra de plus en plus un point de chute pour les travailleurs immigrés.
Parallèlement, en 1952, la France met en place l’Office français de protection des réfugiés et des apatrides (OFPRA), censé assurer aux réfugiés une protection spécifique.
La décolonisation de l’Empire colonial français ne se passe pas toujours pacifiquement. En Indochine, les troupes françaises doivent céder le nord du Vietnam au Viêt Minh (1954) ; le départ définitif des Français d’Indochine survenant peu après, en 1956. En même temps, en Algérie, le Front de libération nationale (FLN) oppose à l’armée française une guérilla sanglante. En 1954, le territoire algérien comptait 2,6 millions de Pieds-Noirs et 7,5 millions d’Arabes-Berbères. En 1958, au plus fort de la guerre d'Algérie, Charles de Gaulle lance à Constantine un plan de développement économique et social du territoire, qui conduit, entre autres, à la création d’un Fonds d'action sociale (FAS) pour les travailleurs musulmans d'Algérie en métropole et pour leur famille, un organisme-ressource qui jouera jusqu’à la décennie actuelle un rôle important dans le financement d’actions en faveur de l’intégration des immigrés, et qui deviendra le FASILDQK en 2001, puis l’ACSÉQK en 2006. En 1962, les accords d’Évian mettent fin à la guerre d’Algérie et scellent son indépendance : un million de Pieds-Noirs sont rapatriés en métropole, ainsi que des milliers de HarkisQK (les chiffres sont imprécis et oscillent entre 40 000 et 90 000), qui cependant ne bénéficieront pas du traitement qu’aurait pu laisser espérer leur collaboration.
Croissance économique et appel à la main-d’œuvre étrangère
Entre-temps, à partir de 1956, l’Hexagone connaît une phase de croissance économique, qui incite l’État à signer des accords de main-d’œuvre avec plusieurs pays : l’Espagne (1961), le Portugal (1963), le Maroc (1963), la Tunisie (1964), la Turquie (1965), la Yougoslavie (1965), les nouveaux États de l’Afrique subsaharienne et, enfin, avec l’Algérie nouvellement indépendante (1968). Les Algériens, déjà nombreux sur le sol français durant les années 1950, vivent souvent dans des bidonvilles, rejoints quelques années plus tard par d’autres Maghrébins (en particulier dans le bidonville de Nanterre
) et des Portugais (dans le bidonville de Champigny). C’est dans ce contexte qu’en 1956 est créée la Société nationale de construction de logements pour les travailleurs (SONACOTRA).
En 1966, afin de mieux coordonner la gestion de la présence immigrée en France, le gouvernement de Georges Pompidou décide d’intégrer au sein du ministère des Affaires sociales une Direction de la Population et des Migrations (DPM), chargée des affaires concernant « les migrations à l’intérieur du territoire français, l’immigration, les actions en faveur des immigrés, les naturalisations » (Décret n° 66-486 du 6 juillet 1966).
Les signes avant-coureurs de l’arrêt officiel de l’immigration
Parallèlement au flux croissant des immigrés - en particulier depuis le Portugal, l’Algérie, l’Espagne, l’Italie et le Maroc -, sur les cicatrices mal refermées du conflit algérien apparaissent des mouvements xénophobes, dirigés surtout contre les « Arabes ». Après la défaite de Jean-Louis Tixier-Vignancour, son candidat à l’élection présidentielle de 1965, l’extrême droite française, réorganisée, se rassemble en 1969 dans le mouvement Ordre Nouveau et est davantage anticommuniste qu’anti-immigration jusqu’à la crise économique de 1973, où le discours xénophobe se fait plus marqué, devenant le cheval de bataille du Front national, fondé en 1972.
Au début des années 1970, tandis que la croissance économique montre des signes de ralentissement, les travailleurs immigrés rejoignent en nombre les mouvements de grève qui éclatent dans les usines. En 1972, le gouvernement de Jacques Chaban-Delmas souhaite maîtriser les flux migratoires en s’attaquant aux procédures de régularisation des clandestins via deux circulaires dites Marcellin-Fontanet. L’application de ces mesures suscite la protestation des syndicats et est à l’origine de la première grève de la faim de travailleurs sans-papiers (Église de Saint-Hippolyte à Paris) ; le gouvernement fait marche arrière. L’année 1973 est marquée par un conflit diplomatique entre l’Algérie et la France, cette dernière étant accusée d’être trop raciste envers les ressortissants nord-africains. La position de la France dans la guerre du Kippour ne fait qu’aggraver cette situation.