De la Deuxième Guerre mondiale à l’arrêt de l’immigration de travail en 1974
Après le deuxième conflit mondial, qui contraint plus de 60 millions de personnes à se déplacer, la reconfiguration des frontières nationales en Europe et en Asie engendre un nombre important d’exilés et d’apatrides. Si pendant la guerre les Allemands sont (avec les Russes) à l’origine de la plupart des mouvements de populations
, à la fin des hostilités beaucoup se retrouvent loin de leur terre d’origine, disséminés notamment vers le centre de la Russie (Kazakhstan). Afin de gérer tous ces flux d’exilés, en 1946, l’ONU
- née des cendres de la Société des Nations - crée une Organisation internationale pour les réfugiés, remplacée en 1949 par un Haut commissaire aux Réfugiés, qui rédigera, deux ans plus tard, la célèbre Convention du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés, dite « Convention de Genève de 1951 ».
Parallèlement, à l’issue du plus meurtrier des conflits, le monde sort divisé en deux blocs idéologiques, l’un communiste et l’autre capitaliste, l’un « soviétique » et l’autre « américain », peu d’États se déclarant « non-alignés ». Les deux blocs se veulent « hermétiques », la circulation des personnes étant fortement limitée.
La migration de main-d’œuvre de l’après-guerre
Plusieurs facteurs déterminent l’origine, l’ampleur et la destination de la main-d’œuvre internationale au cours des décennies qui suivent la guerre : a) la reconstruction des pays frappés par le conflit ; b) la décolonisation et ses déséquilibres ; c) la « guerre froide » ; d) l’émergence des pays producteurs de pétrole ; e) les besoins de main-d’œuvre des pays industrialisés.
Durant cette époque, les principaux pays industrialisés qui attirent des travailleurs étrangers se situent surtout dans l’Europe du Nord-Ouest (France, Royaume-Uni, Benelux, République fédérale d’Allemagne, Suisse, Danemark, Suède), en Amérique du Nord (USA et Canada), en Océanie (Australie et Nouvelle Zélande) et en Afrique du Sud. D’autres pays, comme le Japon, font partie de ce « premier monde », mais n’exercent qu’une faible attraction migratoire.
La circulation des travailleurs migrants s’organise selon des axes dictés par la proximité géographique, les liens coloniaux, les affinités linguistiques et la mise en place d’accords de main-d’œuvre. Parmi ces derniers, très nombreux, citons notamment ceux entre l’Italie et la Belgique pour l’exploitation des mines de charbon du Hainaut (1946), entre la Turquie et l’Allemagne (1961) et entre l’Algérie et la France (1968) ; certains États, comme la RFA, la France, le Benelux et la Suisse en concluent plusieurs avec l’Italie, l’Espagne, la Grèce, la Turquie, le Maghreb, le Portugal et la Yougoslavie.
Aux États-Unis l’immigration des Latinos prend progressivement d’énormes proportions, surtout en provenance du Mexique. Après la guerre et jusqu’en 1964, la pénurie de main-d’œuvre agricole incite le gouvernement fédéral à mettre en place un système de recrutement appelé « Programme bracero » (= ouvrier agricole, en espagnol), aux exigences administratives très souples.
Entre-temps, le Royaume-Uni, qui à partir de 1931 avait transformé son empire en « Communauté (Commonwealth) britannique des nations », connaît les premières vagues d’immigrés venant de ses colonies. C’est ainsi qu’en 1948, 492 anciens soldats jamaïcains (noirs) débarquent près de Londres à bord de l’Empire Windrush, ce qui en soi représente un événement symbolique dans la perspective d’une Angleterre multiraciale. Les premiers flux migratoires ont comme point de départ les Indes occidentales, dont les ressortissants sont déjà 33 000 en 1955. L’opinion publique, au début ouverte à l’immigration, commence à voir négativement l’arrivée d’immigrés « de couleur ». Au début des années 1960, de nouvelles vagues de migrants, venant cette fois des Indes orientales, poussent le gouvernement à adopter des mesures restrictives à l’encontre des personnes venant des anciennes colonies britanniques (Commonwealth Immigration Act, 1962).
Au cours des années 1950-1970, en Suisse, en RFA comme en RDA les travailleurs étrangers recrutés dans le cadre d’accords de main-d’œuvre sont appelés Gastarbeiter, « travailleurs hôtes », car le permis de séjour temporaire dont ils sont détenteurs va de pair avec leur contrat de travail, au terme duquel ils sont censés rentrer dans leurs pays. En RDA les immigrés concernés viennent notamment du Vietnam, de Pologne, de Cuba, du Mozambique et d’Angola.
En France, la reconstruction démarre moins rapidement qu’en Allemagne, destination désormais préférée par les migrants de l’Europe du Sud. Le nombre d’Italiens et d’Espagnols ne suffisant pas à combler les besoins du marché du travail français, l’Hexagone en particulier après la guerre d’Algérie (1956-1962) doit avoir recours aux travailleurs maghrébins, portugais, ouest-africains et turcs.
Des colonies à la métropole : le retour des Européens
La décolonisation entraîne un peu partout des flux de « Blancs » depuis les anciennes colonies, en particulier au cours des années 1960. C’est dans ce contexte qu’en 1962 plus d’un million de personnes quittent l’Algérie pour s’installer en France : aux Français d’Algérie ou pieds-noirs (près de 910 000) s’ajoutent les « Harkis », des supplétifs musulmans de l’armée française qui avaient choisi de se battre avec elle contre les nationalistes algériens.
Après 1974, beaucoup de Portugais quittent l’Angola et le Mozambique, fuyant les guerres civiles qui éclatent dans ces pays après leur indépendance.
L’arrêt généralisé de l’immigration de travail en 1974
L’engagement américain dans la guerre du Vietnam (1955-1973) et les conflits entre Israël et les États arabes, qui ont culminé en 1973 avec la guerre du Kippour, remportée par les Israéliens, conduisent à une importante crise économique internationale. Tandis que les États-Unis mettent fin à la convertibilité du dollar en or, ce qui perturbe les économies des principaux pays industrialisés, le prix du pétrole (payé en dollars) grimpe de manière imprévisible, générant une soudaine crise énergétique. À partir de 1973, les gouvernements des principaux pays d’accueil de l’Europe occidentale (Allemagne, Benelux, France, Suisse), constatant la montée du chômage, décident rapidement (dans la plupart des cas en 1974) d’arrêter l’importation de main-d’œuvre, en ne délivrant plus de permis de séjour pour travail. Les responsables politiques de l’époque sont convaincus que cet « arrêt » diminuera sensiblement les flux migratoires et entraînera le retour des travailleurs étrangers dans leurs pays respectifs : hypothèse réaliste ou utopique ?